"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
L'Homme et la Machine
La peur de la machine

Origine : http://www.cliosoft.fr/11_03/machine_peur.htm


La peur chrétienne

Dans une optique chrétienne traditionnelle, les activités techniques sont considérées comme inférieures au savoir et à l’action morale.

La fabrication est pour saint Augustin une tromperie car l’esprit humain peut se retrouver pris dans les artifices de sa création tandis que Dieu ne s’y trouve pas. Thomas d’Aquin, qui écrit au XIIIe siècle, rejoint l’évêque d’Hippone et insiste sur l’aspect servile lié à la création technique. Pour ce docteur de l’Eglise, l’homme peut être tenté de se poser en rival du dieu créateur, ou devenir un nouveau Prométhée. Créer des machines ou des automates de ses mains peut d’une part enchaîner l’homme au péché d’orgueil et d’autre part asservir son esprit qui est par vocation destiné à d’autres travaux que ces activités mécaniques.

La méfiance tient également à ce que les mouvements mécaniques peuvent être assimilés à de la magie, ou, plus grave encore, à des miracles. La peur de la machine est ainsi associée à la crainte des idoles et à celle du diable. La mise en mouvement des automates, est perçue comme une parodie, une imitation de la vie qui est un don de Dieu. De ce fait, le créateur de mécanismes peut être regardé comme un blasphémateur.

A partir du XIIIe siècle, les arts mécaniques sont admis dans le domaine de la connaissance de l’homme à qui Dieu donné pour mission de soumettre la nature. Les arts mécaniques sont pleinement reconnus dans la chrétienté. Déjà, au siècle précédent, Hugues de Saint Victor distingue sept arts mécaniques : celui de la laine, celui de la guerre et de l’architecture, la navigation, l’agriculture, la chasse, la médecine, le théâtre. Le classement est repris par Vincent de Beauvais dans son Speculum. Les philosophes commencent également à modifier leur regard sur les arts mécaniques, même si certains continuent de considérer qu’ils sont associés au monde de la déchéance humaine, à la chute d’Adam.

Le véritable tournant se situe au XVe siècle, avec la diffusion d’une nouvelle littérature technique qui séduit des hommes politiquement et économiquement influents. La place de l’ingénieur est reconnue dans la société des siècles suivants, même si l’Eglise reste réticente vis à vis des recherches scientifiques et des travaux mécaniques, car ils remettent parfois en cause son enseignement. Toutefois, les ingénieurs n’hésitent pas à imiter dans leurs créations les fonctions vitales des animaux : ainsi Vaucanson qui dote son célèbre canard d’une machinerie qui fait croire à la digestion n’essuie pas de condamnation pour ses travaux.

A la fin du XIXe siècle, la peur de l’Eglise prend par la voix de Léon XIII une tout autre résonance. Elle devient la peur de la machine qui asservit l’homme, le détruit, l’écrase, au nom des intérêts du patronat. Ce souci rejoint celui d’autres adversaires de la machine, comme les néo-luddistes.

Luddisme et néo-luddisme

En 1779 Dans un mouvement de révolte, un apprenti tisserand de Leicester nommé Ned Ludd détruit les métiers à tisser de l’atelier qui l’emploie. Son geste fait grand bruit et c’est son nom qui est utilisé pour désigner les révoltes postérieures. Les plus connues éclatent en Angleterre en 1810, à un moment où le blocus continental étouffe en partie l’économie britannique, et en France, à Lyon, en 1830.

La machine est accusée de tous les maux : le premier est de voler le travail de l’ouvrier, en substituant la technique à la force physique ou au savoir-faire manuel. La machine et la mécanisation ont pu progresser à mesure que l’illettrisme a diminué, que la religiosité a décru, mais de nouvelles formes de peur surgissent avec l’ère industrielle. Présentée comme génératrice de chômage, la machine est peinte comme l’engin qui broie l’homme. Cette phobie est due au fait qu’en ce XIXe siècle, le patronat est tenté d’user sans limites de l’outil industriel et de la main d’œuvre, et que la seconde pâtit plus que le premier des conditions de travail. C’est sur ce terreau que naît et croît le socialisme et que se développent les doctrines sociales. Allant plus loin encore, apparaît un néo-luddisme qui correspond à un retour à des valeurs traditionnelles.

Technophobies actuelles

La peur qui pousse l’homme du XIXe siècle à détruire son métier s’est renouvelée au cours du dernier tiers du XXe siècle où les innovations se sont succédé à un rythme soutenu. Cette peur s’est traduite par le désarroi du monde industriel face à la robotisation sur les chaînes de montage, notamment dans un secteur automobile durement touché par la crise du pétrole.

Elle s’est traduite par le malaise des secrétaires formées dans les écoles Pigier découvrant avec stupeur les machines à traitement de texte puis les joies de l’informatique ; par l’hébétude de certains usagers des banques, qui, après la suppression des guichets et de leurs employés, se sont trouvés confrontés à une machine leur demandant une carte et un code secret. La machine est alors décriée comme destructrice de rapports humains, voire de fondements sociaux. Elle engendre également une technophobie totale, en d’autres termes une incapacité à se servir d’un matériel que l’on ne comprend pas.

L’autre forme de technophobie se traduit par un rejet fondamental, voire fondamentaliste, sur lequel se développent des mouvements religieux de type sectaire. Faire usage des techniques modernes reviendrait selon les dirigeants de ces groupes à une compromission avec un monde moderne, qu’ils refusent dans sa globalité, ou qu’ils condamnent. A leurs yeux, le salut peut dépendre de l’usage de ces techniques.

Si la peur de la machine prend des formes différentes au cours des siècles et selon les sociétés, elle ne demeure pas moins une constante dans les rapports qui la lie à l’homme.

M. Benoist