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Origine : http://www.cliosoft.fr/11_03/machine_peur.htm
La peur chrétienne
Dans une optique chrétienne traditionnelle, les activités
techniques sont considérées comme inférieures
au savoir et à l’action morale.
La fabrication est pour saint Augustin une tromperie car l’esprit
humain peut se retrouver pris dans les artifices de sa création
tandis que Dieu ne s’y trouve pas. Thomas d’Aquin, qui
écrit au XIIIe siècle, rejoint l’évêque
d’Hippone et insiste sur l’aspect servile lié
à la création technique. Pour ce docteur de l’Eglise,
l’homme peut être tenté de se poser en rival
du dieu créateur, ou devenir un nouveau Prométhée.
Créer des machines ou des automates de ses mains peut d’une
part enchaîner l’homme au péché d’orgueil
et d’autre part asservir son esprit qui est par vocation destiné
à d’autres travaux que ces activités mécaniques.
La méfiance tient également à ce que les mouvements
mécaniques peuvent être assimilés à de
la magie, ou, plus grave encore, à des miracles. La peur
de la machine est ainsi associée à la crainte des
idoles et à celle du diable. La mise en mouvement des automates,
est perçue comme une parodie, une imitation de la vie qui
est un don de Dieu. De ce fait, le créateur de mécanismes
peut être regardé comme un blasphémateur.
A partir du XIIIe siècle, les arts mécaniques sont
admis dans le domaine de la connaissance de l’homme à
qui Dieu donné pour mission de soumettre la nature. Les arts
mécaniques sont pleinement reconnus dans la chrétienté.
Déjà, au siècle précédent, Hugues
de Saint Victor distingue sept arts mécaniques : celui de
la laine, celui de la guerre et de l’architecture, la navigation,
l’agriculture, la chasse, la médecine, le théâtre.
Le classement est repris par Vincent de Beauvais dans son Speculum.
Les philosophes commencent également à modifier leur
regard sur les arts mécaniques, même si certains continuent
de considérer qu’ils sont associés au monde
de la déchéance humaine, à la chute d’Adam.
Le véritable tournant se situe au XVe siècle, avec
la diffusion d’une nouvelle littérature technique qui
séduit des hommes politiquement et économiquement
influents. La place de l’ingénieur est reconnue dans
la société des siècles suivants, même
si l’Eglise reste réticente vis à vis des recherches
scientifiques et des travaux mécaniques, car ils remettent
parfois en cause son enseignement. Toutefois, les ingénieurs
n’hésitent pas à imiter dans leurs créations
les fonctions vitales des animaux : ainsi Vaucanson qui dote son
célèbre canard d’une machinerie qui fait croire
à la digestion n’essuie pas de condamnation pour ses
travaux.
A la fin du XIXe siècle, la peur de l’Eglise prend
par la voix de Léon XIII une tout autre résonance.
Elle devient la peur de la machine qui asservit l’homme, le
détruit, l’écrase, au nom des intérêts
du patronat. Ce souci rejoint celui d’autres adversaires de
la machine, comme les néo-luddistes.
Luddisme et néo-luddisme
En 1779 Dans un mouvement de révolte, un apprenti tisserand
de Leicester nommé Ned Ludd détruit les métiers
à tisser de l’atelier qui l’emploie. Son geste
fait grand bruit et c’est son nom qui est utilisé pour
désigner les révoltes postérieures. Les plus
connues éclatent en Angleterre en 1810, à un moment
où le blocus continental étouffe en partie l’économie
britannique, et en France, à Lyon, en 1830.
La machine est accusée de tous les maux : le premier est
de voler le travail de l’ouvrier, en substituant la technique
à la force physique ou au savoir-faire manuel. La machine
et la mécanisation ont pu progresser à mesure que
l’illettrisme a diminué, que la religiosité
a décru, mais de nouvelles formes de peur surgissent avec
l’ère industrielle. Présentée comme génératrice
de chômage, la machine est peinte comme l’engin qui
broie l’homme. Cette phobie est due au fait qu’en ce
XIXe siècle, le patronat est tenté d’user sans
limites de l’outil industriel et de la main d’œuvre,
et que la seconde pâtit plus que le premier des conditions
de travail. C’est sur ce terreau que naît et croît
le socialisme et que se développent les doctrines sociales.
Allant plus loin encore, apparaît un néo-luddisme qui
correspond à un retour à des valeurs traditionnelles.
Technophobies actuelles
La peur qui pousse l’homme du XIXe siècle à
détruire son métier s’est renouvelée
au cours du dernier tiers du XXe siècle où les innovations
se sont succédé à un rythme soutenu. Cette
peur s’est traduite par le désarroi du monde industriel
face à la robotisation sur les chaînes de montage,
notamment dans un secteur automobile durement touché par
la crise du pétrole.
Elle s’est traduite par le malaise des secrétaires
formées dans les écoles Pigier découvrant avec
stupeur les machines à traitement de texte puis les joies
de l’informatique ; par l’hébétude de
certains usagers des banques, qui, après la suppression des
guichets et de leurs employés, se sont trouvés confrontés
à une machine leur demandant une carte et un code secret.
La machine est alors décriée comme destructrice de
rapports humains, voire de fondements sociaux. Elle engendre également
une technophobie totale, en d’autres termes une incapacité
à se servir d’un matériel que l’on ne
comprend pas.
L’autre forme de technophobie se traduit par un rejet fondamental,
voire fondamentaliste, sur lequel se développent des mouvements
religieux de type sectaire. Faire usage des techniques modernes
reviendrait selon les dirigeants de ces groupes à une compromission
avec un monde moderne, qu’ils refusent dans sa globalité,
ou qu’ils condamnent. A leurs yeux, le salut peut dépendre
de l’usage de ces techniques.
Si la peur de la machine prend des formes différentes au
cours des siècles et selon les sociétés, elle
ne demeure pas moins une constante dans les rapports qui la lie
à l’homme.
M. Benoist
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