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Origine : http://www.preavis.org/antiweblog/article.php3?id_article=126
Message Internet paru sur la liste Infozone
http://listes.samizdat.net/sympa/arc/infozone_l/2003-12/msg00013.html
Apprentissage de l’autogestion, ébauche d’une
plate-forme
I Le problème de l’organisation
1. Le problème fondamental de toute société
est celui de son organisation et, notamment, de l’organisation
de sa production. Dans toute société de classe, l’organisation
sépare la couche des dirigeants et celle des exécutants
; le pouvoir de diriger est assuré par la possession des
instruments de production. L’organisation capitaliste de la
production est celle dans laquelle l’organisation de cette
relation est mise à nu, portée à l’extrême.
Mais en même temps, le groupe dirigeant la classe dirigeante
dispose de moyens idéologiques, - psychologiques, - permettant
de masquer relativement les fondements réels de l’organisation
sociale.
2. La propriété privée est une structure qui
exprime en les masquant les rapports de production, l’organisation
de la société. La suppression de la propriété
privée, Marx l’a montré, est le moyen pour bouleverser
l’organisation capitaliste de la production. Mais ce bouleversement
n’est complet qu’au prix du bouleversement de l’Etat,
et non pas par un passage de la propriété privée
à la propriété étatique des instruments
de production. Le socialisme abolit la séparation entre les
dirigeants et les exécutants en tant que cette relation est
un rapport d’exploitation. Il implique donc nécessairement
le passage à l’autogestion de cette société.
3. Dans la société de classe se forment des organisations
pour la lutte contre l’organisation sociale répressive.
Le projet fondamental des organisations révolutionnaires
est, non de remplacer les équipes de dirigeants, mais de
bouleverser l’organisation sociale en supprimant la hiérarchisation
du pouvoir. L’organisation révolutionnaire est nécessairement
orientée, dans sa finalité, vers une démocratie
directe. Sa finalité est non la révolution politique,
qui est un simple remplacement dés équipes dirigeantes,
mais la révolution sociale qui est un changement radical
de la pratique sociale.
4. Mais l’importance de l’organisation révolutionnaire
(parti ou syndicat) en une société de classe influence
la dynamique des organisations de lutte et introduit, à l’intérieur
de ces organisations (ou du moins, tend sans cesse à y introduire)
des relations de pouvoir analogues à ceux qu’il s’agit
précisément de détruire. Les organisations
de lutte tendent à se bureaucratiser, puis de là à
participer à l’organisation générale
de la société (les syndicats rentrent dans les appareils
de gestion, de co-gestion, etc.).
5. L’une des tâches de l’organisation révolutionnaire
est donc de trouver les voies adéquates ; non seulement pour
organiser la subversion de l’organisation sociale, mais encore
pour organiser à l’intérieur d’elle-même,
et en permanence, cette subversion, cette autocritique. Le parti
doit lutter contre l’aliénation de sa propre organisation.
Le parti ou le syndicat ne peut lutter contre l’organisation
sociale bureaucratisée qu’en luttant en même
temps contre sa propre bureaucratisation interne. Il faut donc trouver,
des méthodes nouvelles et efficaces d’entraînement
à l’autocritique qui ne serait, plus une cérémonie
bureaucratique, mais au contraire une, débureaucratisation
permanente des structures et des communications dans le Parti.
6. Toute agitation révolutionnaire est donc agitation contre
l’organisation sociale. La lutte pour des objectifs spécifiques
(tels que le - progrès matériel, culturel, le développement
des droits individuels), n’a de signification révolutionnaire
que si elle est en même temps une lutte visant au bouleversement
intégral de l’organisation sociale. A plus long terme,
l’organisation révolutionnaire ne peut préparer,
la destruction générale de la société
d’exploitation qu’en préparant sa propre destruction.
7. Le travail politique est donc double. Il consiste d’une
part à développer l’agitation contre l’organisation
sociale, dans son ensemble ; et d’autre part à créer,
dans l’organisation révolutionnaire (parti ou syndicat)
une agitation interne permanente. Il est en effet erroné
de croire - que ces deux objectifs ne sont pas toujours conciliables
et qu’il faut, selon la thèse stalinienne, «
renforcer l’organisation révolutionnaire » pour
affaiblir l’organisation générale de la société.
Sans autocritique permanente le parti devient rapidement l’otage
de la société qu’il conteste.
8. La création des partis et des syndicats a toujours correspondu
à l’origine, à la nécessité reconnue,
contre la « thèse spontanéité »,
d’organiser l’agitation, risque de conduire à
la pédagogie, à la propagande, et non à l’organisation
de la spontanéité révolutionnaire. Seule une
agitation d’un type nouveau qui organise la prise de conscience,
paraît susceptible d’éviter une bureaucratisation
de l’agitation.
9. La formation de ces agitateurs ne sera pas une formation de
spécialistes. Tout organisateur révolutionnaire doit
être en même temps un agitateur dans la société
et dans son esprit. L’entraînement à l’agitation
doit aller jusqu’à la prise de conscience de la dimension
organisationnelle de la lutte et jusqu’au refus de toute aliénation
dans l’organisation, - y compris dans l’organisation
révolutionnaire elle-même (fétichisation de
l’organisation du Parti).
10. Pratiquement il s’agit de mettre en oeuvre le principe
poursuivi par l’organisation révolutionnaire, l’autogestion
sociale, dans l’organisation elle-même, comme autogestion
politique...
11. Le parti, le syndicat subissent la subversion de la société
globale dont ils font partie, la subversion de son idéologie
et de ses pratiques : ainsi ces organisations deviennent le lieu
privilégié de l’aliénation du projet
révolutionnaire à travers l’appareil bureaucratique.
12. Ainsi la logique d’appareil constitue la distinction
de nature et de fonction entre le « dirigeant » et la
« base », étouffe au lieu de la promouvoir toute
spontanéité d’expression, la remplace, selon
le modèle bourgeois, par la formation d’initiés,
c’est-à-dire de cadres, tout aussi coupés de
leur base qu’ils l’ont été eux-mêmes
de leurs dirigeants, quand ils étaient simples « exécutants
».
13. A cette subversion de sa nature et de sa pratique, subversion
qui se reflète dans ses structures et ses méthodes
d’action, l’organisation révolutionnaire devra
faire face en contestant dans son sein même ce qu’elle
combat dans la société et pour ce faire elle devra
tout mettre en eeuvre pour garantir l’exercice interne de
la démocratie. Cette optique commandera la mise en question
des structures, des méthodes d’action et des habitudes
de parti.
14. La mise en question de l’organisation par elle-même
devra pour être réelle, englober les habitudes acquises
et les techniques utilisées lors de la vie interne du parti,
car il ne servirait à rien de changer de vocabulaire sans
changer d’habitudes, et le changement de structures serait
illusoire et superficiel s’il n’entraînait un
changement des techniques de fonctionnement des organisations.
15. Dans ces perspectives, il faudra dénoncer les techniques
de répression de l’expression démocratique qui
se sont insidieusement introduites dans l’organisation ; il
faudra également apprendre à reconnaître ces
méthodes et ces techniques : seule une pratique consciente
de la critique et de l’autocritique pourra mener à
ce résultat et non la décision théorique de
bannir la bureaucratie des organisations.
16. Après l’effondrement des vieux partis parlementaires,
et dans la nouvelle France « gaulliste », il reste à
la gauche à réinventer les techniques d’agitation
pour le socialisme, c’est-à-dire pour l’autogestion.
II Conséquences pratiques
Cette invention de nouvelles techniques ne peut être que
collective. Voici une première possibilité : les organisations
devraient susciter un entraînement pratique à l’autogestion
par l’expérimentation de techniques appropriées,
au cours de stages dont nous exposons ci-dessous les principes généraux.
Les principes de l’entraînement sont l’auto-analyse
et l’autogestion assorties de l’autocritique.
- Pratiquement, les militants et les cadres réunis lors
d’un stage ou d’une journée de formation, étudient
sur leur propre groupe les processus de fonctionnement des groupes
et des organisations. En d’autres termes, le stage prend pour
objet d’étude son propre fonctionnement : il s’agit
d’un « stage centré sur le stage ».
- Fonctionnant en autogestion, c’est l’Assemblée
générale du stage qui décide de l’ordre
du jour, de la réglementation de l’emploi du temps,
des. techniques de discussion, bref, du planning.
- Les problèmes d’organisation et de gestion financière
du stage sont examinés dès le début des réunions
par les stagiaires et soumis à la critique et à l’auto-critique.
En bref c’est à une critique de la gestion, à
une autogestion de la critique et à une autocritique de l’autogestion
que s’initieront les stagiaires. C’est cette pratique
de critique et d’autocritique, de gestion et d’autogestion
qu’ils seront aptes dès demain à introduire
dans les organisations politiques et syndicales.
L’expérience de l’U.N.E.F. n’est pas une
expérience sans lendemain : la question est de savoir si
nous nous sentons concernés par ces lendemains ou si nous
préférons sommeiller dans le confort du passé,
la question est de savoir si nous croyons assez aux principes du
socialisme pour commencer à les appliquer dans le parti,
si nous croyons assez à la théorie pour être
capables d’en tirer une pratique et si nous croyons assez
à l’efficacité de la pratique pour ne pas nous
arrêter aux principes théoriques.
C’est pourquoi nous réaffirmons l’importance
qu’il y a à réaliser dans les organisations,
parallèlement à une réforme des méthodes
et des structures, un déconditionnement de la praxis bureaucratique.
III La France et son moniteur
De plus en plus les « masses » voient leurs cadres
de références se disloquer et leurs clivages traditionnels
s’estomper. Hier on savait qu’on était pour l’Algérie
libre et indépendante ou pour l’Algérie française
; et même celui qui ne prenait pas part à ce différend
savait que c’était sur ce différend que le pays
jouait son avenir, il savait que la question algérienne hypothéquait
les solutions possibles de la société France. Aujourd’hui
le Français est allé derrière le rideau ; il
a écarté le voile algérien, mais à la
place des solutions attendues, il trouve le vide, ou plutôt
la confusion. Il avait l’habitude d’être «
de gauche » ou « « de droite », cela n’était
pas compliqué, c’était aussi évident
que les deux mains qui échoient à tout homme, et cette
évidence le rassurait. Comme, par-dessus le marché,
l’on pouvait être gaulliste quel que fût le parti
d’appartenance, ceci même pour nombre d’électeurs
communistes, rien n’était bouleversé des habitudes
anciennes.
Mais aujourd’hui, non seulement il n’est plus permis
d’être gaulliste et homme d’un parti classique,
mais il est de surcroît impossible d’être de gauche
ou de droite dans un contexte où les arguments de l’O.A.S.
rejoignent les arguments du P.C.F. - et où Pinay et Mollet
font front commun.
Ce désarroi des masses, provoqué par l’absence
d’alternative claire à la démission collective
que résume le pouvoir personnel, c’est-à-dire
par la volonté du pays de ne pas revenir à la IVe
République et par l’incapacité où se
trouvent les forces vives du pays à s’engager décisivement
dans la voie d’un socialisme démocratique, évoque
l’angoisse de la population algérienne au lendemain
de l’indépendance, lorsqu’elle a perdu ses chefs,
lorsqu’elle a nié à ses anciens dirigeants la
compétence technique et morale pour guider le pays. En coalisant
les partis contre lui, l’aspirant au pouvoir suprême
fait éclater les notions de « droite » et de
« gauche » sur lesquelles reposait la fonction dirigeante
des vieux états-majors. En faisant la démonstration
au peuple que celui-ci n’a plus de leader, il répand
l’inquiétude dans tous les foyers de la société,
et, à la faveur de la confusion qu’il a semée
dans les esprits, sa propre personne apparaît comme le résumé
de l’autorité qui vient à manquer.
Voilà donc les Français centrés sur eux-mêmes,
et leur problème n’est pas ailleurs. On savait quel
était le problème algérien, on ne saurait formuler
actuellement le problème de la France. Il y a bien des thèmes
et des problèmes divers : parmi ceux-ci l’Europe, le
Marché Commun, l’O.T.A.N., Berlin, la Communauté,
le néo-capitalisme, le Front Socialiste, mais on n’aperçoit
pas l’élément unificateur, ce qui ferait l’originalité
d’une solution de ces problèmes pour le pays. Et comment
l’apercevrait-on puisqu’il n’y a plus personne
pour l’apercevoir, puisque le pays se sait sans tête
?
Car même les forces les plus dynamiques, celles qui ont conduit
les luttes les plus avancées sur le plan revendicatif, celles
qui ont été jusqu’alors à la pointe du
combat pour la paix en Algérie, font actuellement retour
sur elles-mêmes et connaissent une crise de transformation.
Les méthodes d’action, les structures de ces organisations,
leur type de rapports au pays, tout ce qui convient peut-être
pour un combat réel centré sur l’objectif algérien,
ou médié par lui, ne vaut plus dans la situation nouvelle
où il s’agit d’opérer une transformation
des structures du monde du travail et de l’Etat par la mobilisation
des travailleurs sur la conquête progressive des centres de
pouvoir, à tous les échelons de la société
civile.
Il s’agit pour ces organisations, à travers leur caractère
spécifique - de syndicat, de parti, etc. -, de préparer
les formes et les contenus d’une voie vers la gestion en acte
de la société par elle-même.
La libération de ces objectifs suppose une mise en question
des structures et des méthodes qui ont été
celles des organisations dans la période passée. C’est
pourquoi, par exemple, le P.S.U. s’est proposé de définir,
lors de son prochain congrès (janvier 1963), une plateforme
politique et sociale nécessitant une transformation radicale
de ses propres méthodes d’action et de ses propres
structures. C’est pourquoi aussi l’U.N.E.F. s’est
engagée dans une « année de réflexion
» et s’occupe d’autocritique et d’organisation
démocratique.
Le même phénomène qui se produit au niveau
des individus, se reproduit au niveau des organisations. Ou plutôt,
l’examen de la crise des organisations les plus en prise sur
la dynamique sociale, nous révèle que, c’est
au niveau de l’ensemble des cellules sociales que flotte l’interrogation
et se produit le phénomène d’auto-analyse et
de mise en question de ce qui a été.
Le marxiste, qui refuse l’image du socianalyste et qui conteste
la réduction d’un corps social organisé au microcosme
qu’est le « petit groupe », devra reconnaître,
dans -le discours du socianalyste un moment de la vérité,
et surtout il devra reconnaître que la situation politico-sociale
française réalise actuellement ce moment. Une société
n’est peut-être pas un « groupe d’auto-analyse
», mais actuellement la France est un ensemble de groupes
qui éprouvent leur isolement et la dissolution de l’ordre
ancien qui en faisait un corps social organisé. Sans dirigeants,
sans politique, sans but collectif, la société France
se fragmente dans son interrogation et réalise le rêve
du socianalyste qui voit ainsi l’histoire reproduire, à
l’échelle d’un pays, le « climat »
de son propre laboratoire social. Un marxiste conséquent
dira que l’heure du psychosociologue ou du socianalyste est
venue, puisque c’est la réalité qui est allée
au psychosociologue impuissant auparavant à dominer l’objet
politique. « Il ne suffit pas - disait Marx - que la pensée
recherche la réalisation, il faut encore que la réalité
recherche la pensée. Et nous sommes au seuil d’une
telle période. De cette constatation, le marxiste devra,
en tant que militant, tirer les conséquences pratiques puisque
l’heure consacre la vérité qui était,
contenue dans le discours du psychosociologue, celui-ci, qui est
l’homme d’une science particulière, c’est-à-dire
aussi d’un ensemble de techniques, sera du même coup
l’homme capable d’opérer techniquement sur le
réel. La vérité d’une technique, c’est
son efficience. La vérité théorique reconnue
à la psychosociologie a sa manifestation pratique dans la
validité des techniques de la psychosociologie. Le militant
saura donc la vérité et l’efficacité
des techniques psychosociales dans la situation actuelle. Mais ces
techniques ont-elles un emploi social possible qui intéresse
effectivement le militant ?
On a l’habitude de dire d’une technique qu’elle
est neutre, et cela est juste, car une technique est essentiellement
l’art de réaliser quelque chose, et l’élément
normatif n’intervient qu’au moment de l’utilisation,
qui peut être bonne ou mauvaise, médecine ou poison.
Ou plus exactement il réside dans l’intention qui préside
à la réalisation. Mais lorsque ce sur quoi il s’agit
d’opérer est une collectivité humaine, alors
l’intention ne peut être dissociéee de l’opération
elle-même. C’est pourquoi les sciences humaines ont
une normativité propre, En ce sens on peut parler d’une
intentionnalité de la psychosociologie ou de la dynamique
de groupe cachée sous la neutralité, apparente des
techniques. La neutralité des techniques sociales recouvre
en fait :
- une utilisation, aliénée et, aliénante de
la science et de ses techniques,
- une essence profonde : sa fonction libératrice.
Ainsi l’essence profonde de la socianalyse est-elle la libération
des relations inter-humaines, et au niveau du groupe l’épanouissement.
profond l’individualité par l’auto gestion. Le
projet profond de la dynamique de groupe est donc le dépérissement
de l’Etat. En bref, ce que le, socianalyste peut mettre à
la disposition du militant, c’est un ensemble de techniques
scientifiques propres à assurer dans des groupes expérimentaux
ou dans des groupes « volontaires » (syndicat, parti,
association de base, etc.) une autogestion en acte - et au-delà
un modèle « socratique » d’agitateur d’un
type nouveau qui accouche des aspirations essentielles des collectivités.
Un tel modèle d’agitateur, propre à provoquer
dans les groupes une prise de conscience des problèmes propres
(matériels, culturels, etc.), sera nécessairement
de type non-directif. Remplacer le mot d’ordre par la torpille
socratique, par la prise de conscience collec tive, telle est déjà
l’expérience que tente la F.G.E.L. dans ses groupes
de travail. La F.G.E.L. ira-t-elle jusqu’au bout de sa logique
en optant pour l’auto-formation de l’agitateur (qui
n’est que la formule de l’autogestion appliquée
à la formation laquelle, soit dit en passant, n’est,
dans sa formule classique que de l’information), ou maintiendra-t-elle
la formule traditionnelle de « formation » par des méthodes
anciennes ou récentes de « l’agitateur »
?
L’auto-formation des agitateurs non directifs implique l’organisation
de stages présentant trois caractères essentiels :
- auto-analyse et autocritique du stage au niveau institutionnel
(afin d’éviter de retomber dans les ornières
des human-relations),
- autogestion intégrale instituée dès le début
du stage,
- intégration à l’auto-formation idéologique
des problèmes théoriques posés par les perspectives
du passage au socialisme, du dépérissement de l’Etat,
et de l’autogestion.
Si la formation d’un type nouveau d’agitateur prend
tant d’importance en cette période et si nous insistons
sur son auto-formation, c’est que cette période de
mise en question des structures nous semble être l’arme
circonstancielle par excellence au moment où le pays vit
une période de repli sur l’hexagone. Parallèlement
aux tentatives de mise en place de structures nouvelles démocratiques,
parallèlement au progrès de l’idée-force
de planification démocratique, il nous faut mener une critique
et une autocritique révolutionnaires, une action permanente
de contestation des habitudes et des processus bureaucratiques anciens,
une action de mobilisation de la libre expression des collectivités,
qui seule garantit une démocratie véritable et écarte
là tentation du réformisme.
Mais revenons au problème du militant socialiste et interrogeons-nous
sur ses besoins fondamentaux. La guerre d’Algérie terminée
il met en question les structures et les habitudes traditionnellement
bureaucratiques qui ont pu lui permettre de travailler avec efficacité
dans une période d’urgence.
Il les remet en question, car la réactualisation de son
objectif - l’autogestion de la société - l’oblige
à dépasser, tout d’abord, la propre contradiction
interne de l’organisation, entre son objectif et son être,
et ses méthodes. Si la fin poursuivie est autre chose qu’un
dérivatif à l’action, alors il faut la faire
passer dans les faits. Les moyens ne sont que des tentatives de
faire germer la fin comme réalité. Et c’est
là la raison de la nécessaire homogénéité
de la fin et des moyens que le marxisme oppose à toutes les
idéologies bourgeoises, à la raison d’Etat,
au stalinisme.
C’est pourquoi le problème fondamental d’une
organisation qui vise à l’instauration d’une
société sans classes, s’autogérant elle-même,
c’est d’être à la hauteur de sa visée,
c’est d’élaborer des moyens appropriés
à la fin, c’est-à-dire homogènes à
la fin. Le problème fondamental, pour une organisation de
gauche aujourd’hui, c’est de se libérer de sa
propre bureaucratisation. Viser à l’auto-expression
des masses, c’est s’efforcer de libérer l’expression
des masses, comme seule force capable de réaliser, dans les
faits, cette fin. C’est une tâche qu’une bureaucratie
ne peut réaliser puisqu’elle est de nature anti-démocratique.
Le marxiste, qui vise à l’organisation de l’autogestion,
rencontre, à une croisée de l’histoire, le socianalyste
- qui s’efforce de mettre des groupes en autogestion ; cette
rencontre n’est pas fortuite l’organisation de l’autogestion
commence aujourd’hui à être viable dans les faits
- c’est sur cette vérité que le voile algérien
a été déchiré - c’est cette maturation
qui avance aujourd’hui. Le mot d’ordre, dès lors,
est clair et simple. L’organisation de l’autogestion
passe aujourd’hui par l’autogestion de l’organisation.
Romain DENIS et Georges LAPASSADE
PS: Georges LAPASSADE et Romain DENIS, Apprentissage de l’autogestion
- Ebauche d’une plateforme, revue « Arguments »
volume 4 : Révolution - classe - parti (textes réunis
par Christian Biegalski), collection 10/18, Editions de Minuit,
février 1978.
Apparaît avec l’aimable autorisation de l’auteur.
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