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Le débat parlementaire sur le droit d'auteur et le téléchargement
sur Internet a pris des allures de farce après la reprise
des débats, mardi 7 mars. Suppression de l'article premier,
débattu en décembre et dont les amendements votés
le 21 décembre 2005 légalisaient la licence globale,
réintroduction de cet article le 9 mars en pleine nuit, rejet
de l'article premier le même jour en l'absence des députés
de l'opposition et de l'UDF... L'enterrement de la licence globale
assimilant le téléchargement à la copie privée
a eu lieu dans la confusion la plus totale.
Le débat doit encore statuer sur les nouvelles propositions
du ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, en matière
de réglementation du téléchargement, qui laissent
pantois. Après avoir valu aux internautes utilisant le système
de peer to peer (pair à pair ou P2P) d'être menacé
de prison, cette pratique ne serait plus sanctionnée que
par "une simple contravention de la 1re classe, la plus basse
sanction pénale existante (38 euros d'amende maximum)".
Si l'internaute met des oeuvres à disposition d'autres utilisateurs
des systèmes P2P, il risquera "une peine d'amende de
150 euros au maximum, correspondant à une contravention de
la 2e classe".
Le ministre de la culture a entendu les critiques de Jacques Chirac
à l'encontre de ses propositions de décembre 2005.
Le 5 janvier, le président de la République avait
appelé à trouver "un équilibre entre lutte
contre le piratage et liberté des utilisateurs" et à
"sortir de la logique de répression systématique
des internautes". D'où ce spectaculaire virement de
bord de M. Donnedieu de Vabres qui risque fort de se transformer
en victoire à la Pyrrhus pour les adversaires de la licence
globale, industrie du disque en tête. En effet, le nouveau
cadre juridique préserve l'illégalité du téléchargement,
mais la modération de la sanction proposée, à
peine l'équivalent du prix de deux CD audio, conduit à
une tolérance implicite. Le 7 mars, à l'Assemblée
nationale, Patrick Bloche, député (PS) de Paris, ne
s'y est pas trompé, en dénonçant un dispositif
qui, "en perdant sa capacité de dissuasion, banalise
paradoxalement la gratuité".
Les artistes seront les grands perdants de la nouvelle législation,
si elle est adoptée en l'état. Le téléchargement
de leurs oeuvres protégées par le droit d'auteur ne
leur rapportera strictement rien. Au mieux, les amendes viendront
alimenter les caisses de l'Etat. Au pire, leur encaissement ne financera
même pas le coût de leur perception. Cette loi institutionnalisera
une intervention policière sur la Toile visant plus de 10
millions d'internautes français sans aucun profit pour la
création musicale. Sa seule logique est politique. Il s'agit
de préserver à tout prix le principe de l'illégalité
du téléchargement, exigence des maisons de disques
et d'une partie des artistes, tout en évitant la "logique
de répression systématique" stigmatisée
par M. Chirac.
Cette voie étroite a conduit M. Donnedieu de Vabres à
enterrer l'article premier, comportant les amendements légalisant
la licence globale. Il lui reste à faire voter le nouveau
dispositif de sanction. L'enjeu est de taille : il s'agit de fixer
les règles de fonctionnement sur Internet du droit d'auteur
pour les années à venir. Ce dernier, "héritier
des Lumières", comme l'a rappelé M. Donnedieu
de Vabres dans son discours du 7 mars, "droit fondamental et
intangible", a su, selon lui, "s'adapter aux innovations
technologiques". Son idée de sanction du téléchargement
prouve pourtant le contraire en ignorant l'évolution des
pratiques.
L'histoire du droit d'auteur remonte à la Révolution
française, aux tentatives de Beaumarchais et de Sieyès
en 1791 qui se concrétisèrent par la loi de Chénier,
le 19 juillet 1793. Le dispositif est renforcé par la loi
du 14 juillet 1866, qui prolonge les droits cinquante ans après
la mort de l'auteur. Il fallut trois années de débats
pour moderniser cette législation le 11 mars 1957. Qu'il
soit nécessaire, près de cinquante ans plus tard,
de remettre l'ouvrage sur le métier n'est guère surprenant.
AU PROFIT DE L'INDUSTRIE DU DISQUE
La France se retrouve à nouveau en position de tracer la
voie d'une nécessaire rénovation du droit d'auteur
sans se cantonner dans la seule préservation des profits
des maisons de disques. De ce côté, d'ailleurs, tout
ne va pas si mal. EMI Music Publishing a ainsi enregistré
une progression de 4,9 % de son chiffre d'affaires pour l'année
fiscale 2005 tandis que celui d'Universal Music Group progressait
de 5 % sur les neuf premiers mois de 2005 avec un triplement de
ses ventes de musique en ligne. Sur la même période,
Vivendi Universal affiche un chiffre d'affaires en hausse de 8 %
et une augmentation de 30 % de son bénéfice.
En fait, l'industrie du disque prépare déjà
l'après-CD. Mais elle s'est fait surprendre par le développement
d'Internet et du haut débit, qui facilite la circulation
de la musique sur la Toile. Elle tente donc d'utiliser la protection
de la loi pour gagner du temps. Et pour éviter la légalisation
de la concurrence du téléchargement privé qu'introduirait
la licence globale ou tout autre système de rétribution
équitable, c'est-à-dire ne favorisant pas outre mesure
les musiciens qui vendent déjà le plus de disques.
Le débat ressemble ainsi à celui qui a fait rage plusieurs
fois autour de la copie privée, sur les cassettes puis sur
les CD enregistrables. La question a été tranchée
par la redevance perçue sur les supports vierges et distribuée
aux artistes. Avec Internet, la copie se dématérialise.
Son seul instrument est l'accès à Internet. Il serait
donc logique que les fournisseurs d'accès à la Toile
(FAI) soient mis à contribution. L'introduction d'une licence
globale plus lourde - de 10 à 15 euros - que celle qui a
été évoquée - de 5 à 7 euros
par mois - aurait pu être envisagée dans la mesure
où elle aurait été en partie prise en charge
par les FAI.
En s'inscrivant dans la logique, pour ne pas dire la stratégie,
des industriels de la musique, le ministre de la culture prend le
risque d'introduire, dans la foulée de la pénalisation
du téléchargement, une remise en cause du droit à
la copie privée. Son projet de loi protège en effet
les systèmes de management des droits numériques (DRM
en anglais), qui constituent des entraves à la libre utilisation
des oeuvres dûment achetées.
L'issue de ce débat parlementaire, bien mal engagé,
fixera le cadre de l'accès à la culture musicale au
cours des prochaines années. Les entraves à la circulation
des oeuvres profiteront essentiellement aux industriels, dont la
vocation n'est pas la protection des artistes mais bien celle de
leurs propres bénéfices.
MICHEL ALBERGANTI
Article paru dans l'édition du 15.03.06
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