Origine : http://col-r.verges.ac-reunion.fr/old_CRV/Dossiers/Reunion/cdrEsclavage/CodeNoir/cn17.htm
Dans son "Esprit des Lois" publié en 1748, Montesquieu "porte un coup fatal aux laborieuses disquisitions philosophico-théologiques sur l'esclavage, qui jusque-là tenaient lieu d'anathème définitif", affirme Lluis Sala-Molins.
Cependant, Montesquieu écrit: "Il faut borner la servitude naturelle à de certains pays particuliers de la terre".
Et Lluis Sala-Molins d'écrire: "Montesquieu ferraille avec l'univers entier et avec toute l'Histoire". Ardent défenseur, de la théorie des climats, Montesquieu ne fera jamais référence au Code Noir dans son livre, selon Lluis SalaMonlins. "En l'ignorant, il ne peut l'évoquer c'est humain, ni au chapitre des "principes", ni a celui des "détails" remarquables" Lluis Sala-Molins souligne aussi que Montesquieu renvoie à Labat (autre "philosophe", lequel dans ses livres parle du Code Noir).
LES ÉLÉGANCES DE MONTESQUIEU
Ce même Montesquieu écrit: "l'esclavage est contre la nature, quoique dans certains pays, il soit fondé sur une raison naturelle". Et plus loin, .il parle de "ce que les lois doivent faire par rapport à l'esclavage". Donc "d'en ôter d'un côté les abus, et de l'autre les dangers".
Par abus, selon Lluis Sala-Molins, Montesquieu entend "sexe"; et par danger, "le nombre". Et pour pallier ces dangers et ces abus, le "philosophe" propose un "règlement". Lluis Sala-Molins note qu'il s'approche beaucoup du Code Noir... sans pour autant approfondir dans les détails...
"Il ne faudrait pas confondre. "la pitié" et la "miséricorde" avec le droit, ironise Lluis Sala-Molins à ce sujet, en précisant encore que Montesquieu prévoyait qu' "il ne fallait pas faire et tout à coup par une loi générale un nombre considérable d'affranchis".
ROUSSEAU: INEFFABLE ESCLAVAGE
Pour Lluis Sala-Molins, Jean-Jacques Rousseau dans "Le contrat social", dénonce le Code Noir écrit par Louis XIV et Colbert, en "rejetant la valeur juridique de l'esclavage résultant de la vente de soi-même ou de son propre enfant à autrui en vue de l'obtention de quelque bénéfice octroyé en échange par l'acheteur".
Selon l'argument de Rousseau, l'esclavage comme résultat du droit suivant la conquête d'un pays sur un autre (et du fait de mettre les vaincus au service du vainqueur) est un "non sens juridique". Mais par ces trois cas de figure, Rousseau ne dénonce aucunement les raisons qui ont poussé la France à pratiquer l'esclavage envers les peuples d'Afrique.
Or, dans "Discours sur l'origine des inégalités", ce même Rousseau parlait "de la richesse à la force et de celle-ci à la maîtrise; de la pauvreté à la faiblesse et de celle-ci à l'esclavage". Mais là, explique Lluis Sala-Molins, Rousseau ne fait pas forcément référence aux Noirs... loin s'en faut, car Rousseau subordonne le tout à une "convention".
Et jamais, souligne Lluis Sala-Molins, Rousseau ne se résoudra à "reconnaître franchement, définitivement et sans arrière-pensée des égaux ou des hommes au sens plein du terme dans les Noirs razziés et enchaînés". Ce n'est donc pas en pensant aux hommes d'Afrique que Rousseau lancera son anathème sur l'esclavage. Pas plus qu'il ne songera aux peuples des Caraïbes décimés par la colonisation. Cet esclavage-là, Rousseau ne voudra jamais le connaître, estime Lluis Sala-Molins, qui conclut:
"Rousseau mérite mille fois le titre de pourfendeur de la servitude et de l'asservissement des citoyens par les couronnes. Mais il a usurpé totalement celui de contempteur, de l'esclavage, au sens des pratiques qui lui furent contemporaines", avant de terminer sur ces mots: "Au fond, les révolutionnaires de 1789 et des années suivantes ont très bien lu Rousseau: c’étaient eux les esclaves, à eux de briser leurs propres chaînes et de se débarrasser de leurs tyrans. L'affaire des Noirs afro-antillais, elle, ne figurait pas dans le mode d'emploi de la révolution, elle ne les concernait pas".
RAYNAL ET LES AUTRES: UN AUTRE LANGAGE POUR D'AUTRES NOIRS
L'abbé Raynal
Lluis Sala-Molins est clair: c’est dans l’œuvre de l'abbé Raynal que l'on trouvera "une critique féroce de l'esclavage noir et de la traite, un brocardage en règle des couronnes et des tiares et des mitres qui supportent le massacre, I'organisent y collaborent, le bénissent".
L'abbé Raynal "forcera les Lumières à éclairer enfin le sol loin devant parce qu'il parla droit et philosophie, politique, économie et morale avec le langage de la sensualité et avec le ton de la réprobation physique, corporelle, animale d'une situation qui dépassait depuis plus d'un siècle la mesure du tolérable dans le scandale politique".
Cela ne doit pas pour autant faire oublier les limites du combat de Raynal, précise Lluis Sala-Molins.
LES SUBTILITÉS DES "AMIS DES NOIRS"
La Société des Amis des Noirs a été fondée en 1788. Elle s'est battue pour "les droits des gens de couleur habitant les colonies". Gens de couleur... mais la libération des Noirs devait se faire.... à terme.
Et les méandres de la révolution française firent disparaître les timides et rares idées abolitionnistes en vigueur en France. Et en 1792, la Société fut dispersée.
Malgré tout, le 4 février 1794, la Convention étend à toutes les colonies françaises et à toutes les personnes qui les habitent, "sans distinction de couleur" et sans modalités d'application, l'émancipation des Noirs, déjà réalisée à Saint-Domingue en août 1793. Une abolition accordée par la Convention non par respect des droits de l'Homme, mais parce qu'il y avait de sérieuses menaces pesant sur les colonies, face à la politique anglaise et espagnole du moment.
Voulant "progressivement", "sans compromettre l'intérêt de personne", donner leur liberté aux esclaves, la Société des Amis des Noirs a même écrit: "Il ne serait pas plus juste et plus humain de rendre subitement la liberté aux Noirs qu'il n 'est juste et humain de les avoir retenus dans l'esclavage. La première opération du gouvernement doit donc être de leur rendre la faculté d'êtres libres".
Elle "pataugeait dans l'ignoble" pour reprendre l'expression de Lluis Sala-Molins. Et celui-ci conclut: "L'abolition a été accordée enfin, et le Code Noir supprimé, non parce que cela avait été demandé par les conventionnels, mais pour essayer de contrer les velléités sécessionnistes des colons et pour faire pièce à l’Anglais". Il s'agît là, précise Sala-Molins, de l'abolition datant de 1794. "Un coup politique bassement politicien", rajoute-t-il.
ÉPILOGUE: DE NAPOLÉON A SCHOELCHER
L'abolitionnisme renaît avec la Restauration. Mais dans les colonies, on continue à pendre, à martyriser, à tuer, à décapiter les Noirs.
Timide avancée en 1845, où un décret "réduit les punitions corporelles et autorise 1'esclave à monnayer sa liberté, que cela plaise au maître ou que cela lui déplaise", explique Sala-Molins.
Les hommes d'Eglise ne veulent pas d'une abolition, ("les esclaves ne sont pas prêts, il faut faire un dernier effort de moralisation"). Et les propriétaires parlent argent: ils veulent être indemnisés.
Sous la II ème République, les abolitionnistes sont au pouvoir. "Schoelcher est nommé sous-secrétaire aux colonies", précise Sala-Molins. Le 4 mars est nommée une commission pour préparer l'acte d'émancipation immédiate, de toutes les colonies françaises. Le 28 avril paraît la loi qui stipule dans son article 1: "l'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles".
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