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Origine : http://www.une-autre-histoire.org/esclavage-reparations-louis-sala-molins-dynamite-largument-de-l-anachronisme/
Louis Sala-Molins, né en 1935 et d’origine catalane, est l’un des très rares philosophes français à s’être intéressés à la question de l’esclavage, pourtant centrale dans l’histoire de la philosophie politique, matière qu’il a enseignée avec talent à la Sorbonne et à Toulouse.
Sala-Molins s’est fait principalement connaître en exhumant, dès 1987, le texte du Code noir et en l’accompagnant d’une exégèse qui démontre, avec raison, sa monstruosité. (Le Code noir ou le calvaire de Canaan, Paris, PUF, 1987).
Cinq ans plus tard, avec beaucoup de courage, il n’hésite à mettre les philosophes français des Lumières face à leurs contradictions, leur aveuglement ou leur lâcheté, ce qui ne manque pas d’attirer les critiques – souvent teintées de haine – de plusieurs des ces historiens « officiels » et zélés à l’égard du pouvoir (qu’il soit de gauche ou de droite), pour lesquels la mise en cause d’auteurs comme Montesquieu, Condorcet, Rousseau ou Voltaire, est un sacrilège inadmissible. Ne parlons même pas de personnages autoproclamés glorieux comme Louis XIV ou Napoléon. Ces historiens du déni ont généralement oublié qu’ils n’avaient aucune compétence philosophique leur permettant d’intervenir avec autorité dans le débat philosophique ouvert par Louis Sala-Molins (Les misères de Lumières, sous la raison l’outrage, Paris, Robert Laffont, 1992).
En publiant Esclavage Réparation : les lumières des capucins et les lueurs des pharisiens (Paris, éditions Ligne, ouvrage disponible le 22 septembre 2014) Louis Sala-Molins exhume deux textes dévastateurs qui n’étaient jusque là connus – et depuis peu – que de rares spécialistes. Ces textes, signés par deux capucins – l’un français, l’autre espagnol- missionnaires aux Amériques, sont contemporains du Code noir (1685).
Outre le fait qu’ils ont été rédigés par deux témoins oculaires et directs des horreurs de la traite et de l’esclavage pratiqués par les Européens – catholiques, protestants et juifs – le philosophe met clairement en évidence le principal intérêt de ces deux textes : ils pulvérisent l’argument traditionnel de ceux qui balaient d’un revers de main toute position morale portant sur l’esclavage et sur les réparations, au motif d’un prétendu anachronisme.
Se fondant sur les droits de l’homme, explicitement invoqués dès cette fin du 17e siècle, Francisco José de Jaca et Epiphane de Moirans exigent des esclavagistes, de manière claire et argumentée, qu’ils restituent immédiatement aux esclaves deux biens inaliénables: leur liberté, bien sûr, mais aussi le prix de leur travail et de leurs souffrances. Abolition, réparation ! Si l’esclavage légal a bien été légalement aboli, réparation n’a été légalement accordée qu’aux esclavagistes ! (1849).
Difficile de dire que les doléances de ces deux religieux, adressées au roi d’Espagne et au Pape, et qui vont dans le même sens que certaines revendications du XXIe siècle, seraient elles aussi « anachroniques ».
S’il ne règle pas, bien évidemment, la question des ayant-droits aux éventuelles réparations, la publication du livre de Sala-Molins ouvre néanmoins une séquence nouvelle, non seulement dans l’étude de l’histoire des idées, mais dans le débat politique lié aux réparations pour l’esclavage, jusqu’alors éludé par le gouvernement français, qu’il s’agisse des anciennes colonies d’Outre-mer restées françaises, ou d’Haïti.
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