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L'esclavage Un tabou français...
l'esclavage par Louis Sala-Molins *

Origine : http://www.historia.presse.fr/data/thematique/80/08000401.html

Il est des mots dont la charge historique est insupportable. Dont la réalité qu'ils évoquent affole sens et conscience. « Esclave » en est un. Dire « esclave », c'est rejeter quelqu'un - personne, famille, groupe, communauté, peuple, continent - de la sphère de l'humanité et l'enfermer dans celle des brutes et des marchandises, des biens dont on se sert à n'importe quelle fin, par n'importe quel moyen, sans que le droit s'en offusque ou que l'on ait à en rendre compte à quelque instance morale que ce soit.

Septembre 2001 : la Conférence mondiale de Durban rappelait que les pratiques esclavagistes s'étalent sur toute la durée de l'Histoire et toute l'étendue des continents, et conjurait - en vain - les nations de se pencher sur les conséquences des formes « modernes » de la traite et de l'esclavage. Historia Thématique propose, avec ce numéro, un parcours des chapitres tricontinentaux (Europe, Afrique, Amérique) d'une formidable tragédie mettant aux prises l'arrogance invulnérable des puissants et la nudité désarmée des misérables, non dans le fracas des champs de bataille, mais dans la criaillerie des marchés.

A l'orée de notre civilisation, la Grèce et Rome. Sous leurs grandeurs, la banalité du statut de l'esclave, soumis au caprice du maître que ni les dieux ni les philosophes n'interpellent, tant il est naturel, alors, que l'organisation de la société destine les uns à la maîtrise et les autres à l'esclavage.

Le Moyen Age. Sous les signes de la croix, du candélabre et du croissant, les itinéraires tricontinentaux des traites d'esclaves lézardent en profondeur des territoires que les historiens décrivent généralement comme autant de théâtres d'incessants affrontements guerriers, jamais comme des aires de survivance d'un esclavage endémique, qui a donné à la chose son nom (« esclave » vient de « slave » et d'« esclavon », mots par lesquels on désigne les Slaves « traités » par les juifs aux confins nord-orientaux de l'Europe, achetés par les chrétiens et les musulmans).

Apparaissent, au couchant, les Indes occidentales. L'exploitation « artisanale » de la main-d'oeuvre esclave prend le gigantisme que l'on sait : c'est le « commerce triangulaire » de signe chrétien qui saignera le continent africain des siècles durant (sans neutraliser pour autant la mainmise esclavagiste de signe islamiste sur ce même continent). La France en est, avec le panache qui lui va si bien. Des villes de la côte Atlantique s'enrichissent de l'infâme commerce. Et c'est au prix de l'exploitation à mort des esclaves - mise en code par le Roi-Soleil - dans les plantations et les sucreries, là-bas aux îles, qu'elle monopolise le commerce du sucre. Jusqu'au jour où Toussaint-Louverture mène au combat les esclaves révoltés de Saint-Domingue.

Les temps mûrissent. L'infâme commerce triangulaire cesse. Sans se presser, les nations de chrétienté abolissent l'esclavage au long du XIXe siècle.

L'heure est au bilan. Aux réparations dues par les puissances ci-devant négrières, dont la France, et à la récupération par la mémoire de ce désastre colossal, de ce crime contre l'humanité, de ce génocide utilitariste qu'il est si seyant, commode et gratifiant de maintenir dans l'oubli.


* Professeur émérite de philosophie politique à Paris I et à Toulouse II. Il est l'auteur du Code noir ou Le calvaire de Canaan , récemment réédité par les Presses universitaires de France dans la collection Quadrige.


Historia Thématique - 01/11/2002 - N° 080 - Rubrique L'esclavage - Dossier : Louis Sala-Molins *