"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Une histoire de pouvoir, de sexe et de religion

Origine : http://www.humanite.fr/journal/2006-01-31/2006-01-31-823018

Ce n’est évidemment pas une exégèse de la Bible qu’il faut chercher dans la lecture du Livre rouge de Yahvé, de Louis Sala-Molins, mais une critique radicale des fondements sociaux du judéo-christianisme.

Le Livre rouge de Yahvé,
Louis Sala-Molins. éditions
La Dispute, 256 pages, 15 euros.

Dans le Livre rouge de Yahvé, que Louis Sala-Molins présente comme un « très honnête raccourci de la Torah et du livre de Josué », l’auteur nous offre une vision modernisée des textes fondateurs de la Bible en même temps qu’une possible clé d’interprétation atemporelle des rouages de nos sociétés modernes. Comme de bien entendu, tout commence par la Genèse et cet Arbre de vie que Sala-Molins présente comme un plan tracé par le Tout-Puissant afin de mettre un peu de piquant à une création qui s’avérait en fin de compte un peu morose. De l’expulsion du jardin d’Éden viennent non seulement les mille et une malédictions que l’espèce humaine subit depuis lors, mais encore le déchaînement des sens puisque l’homme déniaisé découvre, avec la connaissance, la concupiscence. Sala-Molins ne fait que reprendre ce que dit la Bible, et c’est en cela que son texte est intéressant : il ne déforme pas, il n’interprète pas, tout au plus se contente-t-il de faire parler Dieu et ses acolytes dans une langue actuelle, tout en reprenant ou en explicitant ce qui est déjà dans « la Torah des juifs et le Pentateuque des chrétiens ». Ainsi, du langage cru parfois ou encore des coucheries multiples et variées dont regorge l’oeuvre de Sala-Molins, aucune ne lui est imputable : ni les fornications entre beaux-frères et belle-soeur, ni celles entre beau-père et belle-fille, ni celles entre les filles de Lot et leur père ni entre Jacob et ses quatre femmes. Il suffit, pour s’en assurer, de relire la Genèse 19-31 ou 38-8 que, tout au plus Sala-Molins ne fait que moderniser. De même, en ce qui concerne le sexe comme monnaie d’échange. Il ne s’agit pas d’une mauvaise caricature de la Bible : si les mariages ont été de tout temps, non seulement dans les sociétés paysannes mais encore de nos jours parmi les membres du gotha financier, un moyen particulièrement efficace d’augmenter son capital, les exemples fourmillent dans la Bible. Laban met son aînée à la place de Rachel, la cadette, dans la couche de Jacob afin de s’assurer quatorze années de travail bénévole de la part de celui-ci (Genèse 29), Abraham refile sa femme Saraï à Pharaon (Genèse 12) ou plus tard à Abimélek (Genèse 20) (qui d’ailleurs se fera berner une seconde fois par Isaac qui utilisera le même procédé que son père pour sauver sa peau et recevoir par la même occasion de multiples cadeaux), Lot propose aux habitants de Sodome ses deux filles vierges en échange de la vie des messagers de Dieu descendus chez lui (Genèse 19-8)... Ça ne pouvait pas s’inventer !

Il est par ailleurs stupéfiant de constater que les rapports de force qui caractérisent nos sociétés, et Sala-Molins ne fait que pointer, sont dès le départ une constante des rapports entre les hommes et entre Dieu et ses créatures. L’épisode de la tour de Babel en est un clair exemple, mais aussi ces richesses amassées grâce à la protection divine et qu’il s’agit de protéger comme le fait Sara lorsqu’elle écarte Agar et le fils qu’Abraham lui a fait de façon à ce que l’enfant illégitime n’hérite pas au même titre que le légitime (Genèse 21-9) : voilà qui s’appelle gérer l’entreprise familiale d’une main de maîtresse ! Il n’est donc pas étonnant que Yahvé, voyant son peuple se diriger vers l’Égypte- , s’exclame satisfait : « Nous les avons enrichis par l’inceste et le commerce, le mensonge et l’holocauste, le cul et l’épée. Nous les avons comblés par la crapulerie et l’esclavage. Nous sommes vraiment suprêmement saints. » C’est dans ce type de formules que se trouve l’une des caractéristiques les plus attachantes de l’oeuvre de Sala-Molins. Cette présentation humoristique des faits et des gens est pourtant ce qui a provoqué les foudres de certains, comme Pierre-André Taguieff ou encore Finkielkraut qui prétendent lire dans le Livre rouge de Yahvé, un « méchant essai » ou un livre antisémite. Si derrière l’humour il faut découvrir une critique sous la plume de Sala-Molins ce n’est pas, nous semble-t-il, une méchante caricature du peuple juif telle qu’ont voulu la voir ses détracteurs, mais plutôt des mécanismes sur lesquels s’est construite notre civilisation judeo-chrétienne : les antagonismes attisés par Dieu entre Caïn et Abel, Isaac et Ismaël, Esaü et Jacob, la soif de pouvoir des uns et des autres sont le point de départ des massacres, des guerres et des génocides qui jalonnent, qu’on le veuille ou non, la Bible. Chercher dans Sala-Molins des relents d’antisémitisme nous semble donc faire à l’auteur un mauvais procès. En revanche, il ne semble pas abusif de trouver dans son Livre rouge de Yahvé une vision assez virulente de la religion, source des « turpitudes dont on nourrit l’âme du croyant pour son édification », qui annule la faculté de penser de sorte que « chez Abraham et ces gens-là, on ne pense pas, on prie » et qui, à travers les siècles, a engendré la « pollution de la philosophie et du politique par "la parole de Dieu" ». En cela, Sala-Molins reste fidèle à sa trajectoire : si on trouve sous sa plume une condamnation, c’est la même qui animait, sur un ton plus grave, le Code noir ou le Calvaire de Canaan qui, au XVIIe, trouvait dans la Genèse la justification théologique de l’esclavage au nom de la malédiction de Canaan, fils de Cham, condamné par son grand-père Noé à « devenir pour ses frères le dernier des esclaves ». C’est donc un livre beaucoup plus sérieux qu’il n’y paraît que ce Livre rouge de Yahvé.

Brigitte del Castillo Thiellay

Article paru dans l'édition du 31 janvier 2006.