"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
LQR La propagande du quotidien Éric Hazan dans Gavroche et Le Matricule des Anges

Origine http://www.gavroche.info/index.php?rub=36

Éric Hazan, dans ce texte, va à l’essentiel. Il explore la manipulation idéologique du langage utilisé insidieusement par l’appareil de domination, autrement dit, les médias et le flot de pseudo analyses professées par des spécialistes autoproclamés. L’enjeu est considérable. Et, à l’heure où l’idéologie libérale se présente comme une conséquence naturelle et universelle, évidente et indiscutable, à l’heure où elle parvient à s’imposer en tant que telle dans les discours diffusés au quotidien, il était en effet important, comme le fait Éric Hazan, de mettre en lumière les constructions langagières dont elle use. Lorsque le discours dominant, quel qu’il soit, parvient à nous convaincre qu’il est la description du « réel » et que prétendre le contraire serait une misérable tentative idéologique visant à nier la réalité, le totalitarisme n’est jamais très loin. La démarche d’Éric Hazan rend hommage à Victor Klemperer, l’auteur de LTI, « Lingua tertii imperii » traduit chez Albin Michel en 1996.


L’étude de la pénétration de l’idéologie nazie au plus profond de la chair et de l’inconscient de tout un peuple se fit, dit-il, au moyen d’un grand nombre d’expressions, de mots et de tournures syntaxiques. Elles s’imposèrent comme autant d’évidences qu’on ne discute plus. En agissant sur la valeur et le sens des mots, les nazis assujettirent à leur langage la réalité. La langue fut un puissant moyen de propagande. Un moyen d’une efficacité redoutable. Il s’agit en l’occurrence d’un processus de domination vicieux et difficile à combattre. Éric Hazan met donc ses pas dans ceux de son prédécesseur. Il étudie la « Lingua Quintae Republicae ».

Il décortique ces expressions qui prolifèrent avec un naturel déconcertant dans la presse, dans les émissions de radio et de télévision des plus triviales aux plus élitistes. La LQR a ceci de remarquable qu’elle ne relève ni du complot ni d’une prise de décision mais elle émane du cercle des « décideurs économistes et publicitaires », écrit Éric Hazan. De ce point de vue le primat du langage économique dans la plus insignifiante des considérations est symptomatique de ce processus. « L’énorme raté de la LQR » que fut la victoire du Non au référendum de 2005 n’est qu’un épisode, affirme Éric Hazan en guise de conclusion, qui, loin d’avoir signifié le début de son déclin, marque, au contraire, le début d’une campagne de réactivation, une campagne dont la frénésie est palpable dans les chroniques des journalistes et des chroniqueurs.

À ce titre, signalons que la lecture appliquée du Monde et l’écoute attentive de Culture Matin sur France Culture sont riches d’enseignements. Toutefois, cette domination sans partage et sans véritable opposition, n’est pas, paradoxalement, sans risque pour ce processus de domination dont le principal subterfuge consiste à apparaître comme une émanation naturelle. Elle est par conséquent vouée à cacher sa véritable nature. Fragilité évidente. Petite note d’espoir bien pâlichonne.

Jean Luc DEBRY



LQR, la propagande du quotidien Le Matricule des Anges

http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=52189

De la domestication des esprits, encore et toujours : Nicole Malinconi et Éric Hazan dressent deux nouveaux portraits de la novlangue.

Si le Petit abécédaire des mots détournés et Lingua Quintae Republicae s'attachent à un même objet le français de 2006, ce que son évolution révèle des structures et des mentalités , les deux livres ont encore en commun de rendre hommage à une même figure tutélaire, celle de Victor Klemperer. Professeur de romanistique à l'Université de Dresde, il avait été, parce que juif, destitué du droit d'enseigner dès 1934 ; clandestinement, il s'attela alors à l'étude de la langue du IIIe Reich. De là, en 1947, la parution d'LTI (Lingua Tertii Imperii), ouvrage qui décrit un nazisme s'insinuant " dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s'imposaient à des milliers d'exemplaires et qui furent adoptées de manière mécanique et inconsciente " : nul doute, alors, que notre idéologie dominante et contemporaine s'insinue au gré de mécanismes qui lui sont propres.

Nicole Malinconi voit les choses à sa manière de romancière. C'est-à-dire qu'elle ouvre son abécédaire à diverses voix et qu'elle propose souvent, plutôt que des définitions, des bribes de monologue intérieur ou des amorces de récit. Depuis la Gestion des Ressources Humaines (" rien qu'à la dire, la géèrhache, ça vous arrache la bouche ") jusqu'au recadrage des employés, l'auteur arpente ainsi divers idiomes contemporains notamment ceux des surfaces de vente et d'entreprise. Elle en fait sourdre toute la charge orwellienne de vide et d'aliénation : avec justesse, le plus souvent, mais aussi sous l'angle d'une abstraction littéraire qu'on peut juger un peu inoffensive.

Avec l'essai d'Éric Hazan, la charge se veut tout à la fois plus précise et plus large. " Par millions sans doute, cadres des entreprises de sécurité, professeurs de philosophie politique, juges antiterroristes, agents immobiliers, maîtres des requêtes, chroniqueurs de France Culture et présidents de régions parlent, écrivent et répandent la LQR " soit la Lingua Quintae Republicae, ainsi baptisée par référence à la LTI de Klemperer. Depuis les années trente, les objectifs ont changé : il ne s'agit plus de galvaniser les foules, mais de maintenir leur apathie. La langue de la Ve République constitue ainsi une " arme postmoderne, bien adaptée aux conditions " démocratiques " où il ne s'agit plus de l'emporter dans la guerre civile, mais de la rendre invisible et inaudible ". Hazan ramène alors cette guerre en pleine lumière : il indique qu'un ministre de l'intérieur qui prétend avoir " le courage de poser la question des procédures d'éloignement " n'est pas courageux au point de nommer l'expulsion, ou encore que les organisations d'extrême gauche déclarant défendre les exclus se servent d'un vocable compassionnel qui dégage de toute responsabilité, puisque le lexique ne dispose pas, au verso de l'exclu, d'" exclueur identifiable ".

Il suffit de se servir : du Figaro Entreprises aux éditoriaux de Libération, les mêmes vocables sont à l'oeuvre pour dépeindre une société prétendument unie ainsi que ses ennemis supposés. Hazan cite ici sans compter, et, comme dans ses Chroniques de la guerre civile, c'est au jeu des juxtapositions qu'il fait le plus d'étincelles : sous-titrant les propos d'Alain Besançon (directeur à l'École des hautes études) d'une merveilleuse didascalie de Tartuffe " c'est un scélérat qui parle " , rapprochant les discours sur la banlieue d'une glorieuse permission accordée par Tocqueville : " Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays ". Ravager l'Algérie en 1841, nettoyer aujourd'hui La Courneuve au Kärcher ? Finalement, les choses n'ont pas tant changé : " la seule différence est dans la langue, d'un cynisme élégant chez le hobereau normand, d'une brutale vulgarité chez le ministre ".

Petit abécédaire des mots détournés
Nicole Malinconi Grand espace nord 136 pages, 12 e
LQR (La propagande au quotidien)
Éric Hazan Raisons d'agir 126 pages, 6 e

Gilles Magniont