Origine : http://zulio.org/journal/2006/09/11/lqr-la-propagande-au-quotidien
Dans son ouvrage LQR, sous-titré La propagande au quotidien,
Éric Hazan examine ce qu'il appelle la Lingua Quintae Respublicae
(abrégé en LQR), autrement dit la langue de la Ve
République.
Cette expression est un hommage à Victor Klemperer, l'auteur
de LTI, la langue du IIIe Reich, carnets d'un philologue.
Bien sûr, une telle comparaison pourrait choquer et l'auteur
s'en explique : il ne s'agit pas de soutenir que le régime
de la Ve République française est identique au IIIe
Reich allemand, mais de dégager les traits communs entre
les deux langues.
Je conseille la lecture de cet ouvrage, même s'il souffre
de 2 faiblesses :
* comme l'auteur le reconnaît lui-même, la présentation
de ces mots, ces tournures, ces procédés s'est construite
principalement par associations d'idées ;
* la volonté de présenter ces mots, ces tournures,
ces procédés en fonction de leur emploi dans la propagande
médiatique, politique et économique actuelle, tout
en organisant le livre autour de chapitres qui n'ont rien à
voir avec cet emploi, me semble nuire à cet objectif.
Ainsi sur l'origine de cette langue : si, comme le soutient l'auteur,
elle résulte de l'influence croissante, à partir des
années 1960, de deux groupes aujourd'hui omniprésents
parmi les décideurs de la constellation libérale,
les économistes et les publicitaires, il aurait peut être
fallu examiner les emplois d'un même mot dans différents
milieux, comme pour le terme sécurité, par exemple.
Quelques citations (les parenthèses renvoient à la
pagination).
L'euphémisme
Sa double fonction :
1. le contournement-évitement (ce que j'appelle plutôt
exténuation), comme par exemple, les partenaires sociaux,
la privatisation ou la gouvernance :
Ernest-Antoine Seillière explique que la notion d'entrepreneur
- qui désignait naguère un patron du bâtiment
- s'est parfaitement enracinée pour essayer de se substituer
à celle de chef d'entreprise (hiérarchique) et à
celle de patron (qui est peu archaïque quand on l'associe à
patronat). Il faut faire attention à la terminologie. Entreprendre,
c'est positif, patron, c'est autoritaire, chef d'entreprise, c'est
technologique. (p. 31)
2. le masquage, comme par exemple, les réformes, la crise,
la croissance :
Mener des réformes pour sortir de la crise si, non pas
Dieu le veut, mais la croissance le permet, telle est la conduite
prônée par les experts, approuvés par les financiers
et mise en pratique par les politiciens. (p. 36)
ou encore les mots préfixés par post- comme post-colonialisme
ou post-industrielle :
Faire disparaître l'industrie a bien des avantages : en
renvoyant l'usine et les ouvriers dans le passé, on range
du même coup les classes et leurs luttes dans le placard aux
archaïsmes, on accrédite le mythe d'une immense classe
moyenne solidaire et conviviale dont ceux qui se trouvent exclus
ne peuvent être que des paresseux ou des clandestins. (p.
38)
(qui se souvient de ces reportages du journal Le Monde qui redécouvrait,
après les élections présidentielles de 2002,
l'existence d'ouvriers ?)
L'antiphrase
C'est une figure de rhétorique par laquelle on emploie un
mot, un nom propre, une phrase, une locution, avec l'intention d'exprimer
le contraire de ce que l'on a dit (voir le TLFI) :
Quand tout concourt à l'isolement, il n'est question que
de dialogues, d'échange, de communication et le mot ensemble
(...) prolifère sur les murs. (p. 44)
L'essorage sémantique
Basé sur la répétition, il consiste à
vider de son sens : République, écologie, utopie,
citoyen, cartésien, social, modernité, pays des droits
de l'homme
On pourrait comparer ce glissement à celui qui a donné
à cartésien le sens de rationaliste borné,
faisant du philosophe du doute systématique une sorte de
monsieur Homais à jabot de dentelle. (p. 52)
Voilà pour un bref aperçu.
On peut rapprocher ce livre de l'article d'Émmanuel Malherbet,
Paix politique ou déni de conflit. Je ne sais pas si une
typologie complète des figures de la rhétorique politique
contemporaine a été établi, mais si quelqu'un
en connaît une, n'hésitez pas.
Source : Éric Hazan, LQR, la propagande au quotidien, Raisons
d'agir, 2006.
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