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Eric Hazan - LQR : la propagande du quotidien
Invitation à la lecture

Origine : http://ingirum.blogspirit.com/hazan_eric/

D’Eric Hazan, j’avais lu et beaucoup apprécié un précédent livre, L’invention de Paris : il n’y a pas de pas perdus. Il retraçait dans ce gros bouquin l’histoire de Paris, analysée comme une longue lutte entre les classes populaires et la bourgeoisie. Cet ouvrage, érudit, montrait en détails comment chaque quartier populaire construit à la marge de la ville bourgeoise était petit à petit vidé de ses habitants originels pour finir assimilé par les classes dominantes. Avec son nouveau livre, on change de format. LQR (pour Lingua Quintae Respublicae (hommage à la LTI (Lingua Tertii Imperii) de Victor Klemperer, étude sur la langue du IIIe Reich)) : La propagande du quotidien, est un texte de 120 petites pages paru dans la collection Raisons d’agir fondée par Boudieu.

Hazan part d’un constat que chacun d’entre nous (là par exemple) a pu faire: nous assistons depuis trois décennies à la naissance d’une nouvelle langue qui se superpose au français tel qu’on le parlait auparavant. Cette langue, que Genette nomme dans un ouvrage récent médialecte, dont l’existence n’est pas niable, Hazan en propose une description sommaire, relevant ses mécanismes les plus apparents, et pointant de son lexique les termes les plus exemplaires.

Le premier mécanisme dont Hazan montre l’omniprésence est l’euphémisation, qui permet par exemple de transformer des adversaires (patronat et syndicats) en partenaires sociaux. On élimine préventivement les conflits par la langue. Les pauvres deviennent des précaires, les très pauvres des exclus. C’est merveilleux, plus d’exploités et d’exploiteurs, de dominés et de dominants, tout baigne dans une immanence providentielle. Il n'existe plus de prolétariat. On vide de tout contenu certains mots comme réforme ou crise qui peuvent ensuite être employés dans n’importe quel contexte avec une apparence lénifiante de signification. Hazan dit qu’on essore certains mots de tout sens par leur utilisation intensive et hors de propos ; il cite comme exemple de ces mots essorés : espace, écologie, utopie, République, social, modernité…

Il s’attarde ensuite sur le cas particulier, qu’il nomme sémantique antiterroriste, des « arabo-islamistes », chers à une certaine presse, pour lesquels l’opération d’euphémisation n’a pas cours. La langue dans ce cas rejette au lieu de rassembler. Pour Hazan ce sont les deux faces d’une même idéologie. Car cette LQR n’est pas le fruit du hasard. Elle est l’outil d’une idéologie. Elle est créée par le pouvoir politico-administratif et propagée sciemment par les médias dans le but de prévenir toute idée d’évolution et surtout de révolution. C’est le point sur lequel le propos d’Hazan est le moins assuré. Que la LQR concoure au maintien de l’ordre social, cela ne fait aucun doute, mais qu’elle participe d’un projet, même diffus et informulé, paraît peu probable. Elle est bien plutôt le résultat de la propension des pouvoirs et surtout des médias à aller au plus consensuel, à ce qui, par son insignifiance, ne provoquera pas de réaction. D’insignifiance en insignifiance, on aboutit à cette bouillie dont sont faits les discours de nos élus et les journaux télévisés, conçus pour ne réveiller personne. Tout le monde s’aligne sur cet usage insipide de la langue, par facilité, par conformisme.

Tout irait tellement mieux s’il n’y avait pas de conflits… Faisons donc comme s’il n’en existait pas !

La police du langage, administrée par chacun est le ferment le plus efficace pour faire lever la LQR. Les moins soupçonnables contribuent à leur façon à l’essorage, au prétexte de l’humanisme (que ceux qui traquent les nains bloguesques n’y voient pas malice, je ne suis pas exempt non plus de passages par la langue de coton).

La LQR devrait continuer à prospérer. Elle façonne certes une vision du monde, mais il n’est pas sûr qu’elle soit suffisante pour empêcher la réalité sociale si elle devenait insupportable au peuple d’être changée radicalement. En attendant, elle anesthésie.

Pour terminer un exemple savoureux de la novlangue cité par Hazan :

« Il n’est pas du tout prouvé qu’un système d’espace public passant (des rues, pour parler simple) avec covisibilité jour et nuit et distribuant des cours, des jardins, des clos, n’apporte pas tout autant une cosurveillance efficace et citoyenne, de même que des possibilité d’intervention rapide d’une gendarmerie et d’une police de proximité. » Davis Mangin, architecte, Le Monde 17 juin 2005.

Tout y est, jargon, néologismes stupides, détournement de sens pour terminer sur la rassurante proximité de la police…