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Origine : http://www.dissidences.net/perspectivespolitiques.htm#hazan
Par analogie avec le travail de Victor Klemperer sur la langue
du IIIe Reich qui permit l’acceptation du nazisme (1), Eric
Hazan forge le néologisme de la LQR (Lingua Quintae Respublicae)
pour saisir comment, par les mots, les expressions et les syntagmes
le néo-libéralisme impose en France son horizon d’attente.
Editeur (La Fabrique), l’auteur n’amorce pas ici un
travail scientifique, mais une réflexion sur les mots au
fil des medias. Quatre temps scandent celle-ci. Rapidement évoquée,
la naissance de la LQR serait l’effet de deux groupes, les
décideurs et les publicitaires ; elle ne ressort pas au complot
mais s’impose progressivement par la force du régime
des mass media, reconfigurant dans les vingt dernières années
du XXe la perception du réel et des politiques qui l’encadrent.
Ainsi du mot problème porté par le giscardisme, appelé
à remplacer la question. Appliqué au social, ce jeu
sur les mots donne sens à l’inflexion libérale
de l’ensemble de la classe politique : la question sociale
supposait plusieurs interprétations, plusieurs registres
d’action, quand le problème lui succède dans
sa sécheresse mathématique, il n’est qu’une
solution possible, qu’une réforme nécessaire.
La LQR est ainsi inséparable du temps des experts et de
la reconfiguration technocratique de la France. Elle suppose le
consensus, fonctionne par une euphémisation constante qui
contourne / évite les aspérités du social,
banalise les mots. Elle essore les mots, les vidant de toute substance,
déréalisant le social, le politique ou en inverse
la signification. Elle est en soi l’esprit du temps et une
technique de gouvernement. Eric Hazan trace ainsi le parallèle
entre l’exaltation des valeurs universelles de la République,
l’éthique et les politiques sécuritaires dont
l’esprit est en contradiction flagrante avec les valeurs susdites.
Après le 11 septembre 2001, la LQR forge de nouvelles figures,
aptes à porter la nécessité de la lutte anti-terroriste
: ainsi l’arabo-musulman, digne successeur du judéo-bolchevique
ou de l’hitléro-trotskiste, qui s’efface maintenant
derrière l’islamiste, toujours plus ou moins liés
à Al Quaida. Ces nouvelles figures structurent, par la thématique
de la haine de l’islam, une représentation du monde
largement empruntée à la vulgate néo-conservatrice
américaine de la guerre des civilisations, guerre dont on
lit les prémices dans les émeutes des quartiers comme
au JT. A ce point, l’un des mots fétiches de la LQR
paraît l’antiaméricanisme qu’il s’agit
de dénoncer, à l’instar de ce raccourci saisissant
d’Alexandre Adler : « l’antiaméricanisme
est un sentiment fascisant qui, de fait, se trouve en sympathie
avec le « fascisme musulman » propagé par les
islamistes » (cité par E. Hazan, 94). Pour autant,
dans l’économie de la LQR, la figure du fasciste demeure
étrangère à la Cité qui ne saurait se
diviser. La recherche permanente du consensus et la dénonciation
du conflit, son corollaire, s’effectue par l’invocation
de l’éthique, de la solidarité nécessaire
: ici, le surgissement du politique est banni. Le prolétariat,
la classe ouvrière, se sont dissous comme catégories
dans le vocable d’exclus.
L’analogie avec la LTR de Klemperer agit sous la plume d’Eric
Hazan comme un fil directeur. Elle suggère un paysage, des
tropes significatifs. La familiarité de l’auteur avec
les thèses de Jacques Rancière (2) conduit implicitement
l’analyse sous les auspices du politique comme un partage
instable, une configuration mouvante, dont le dispositif même
de la LQR voudrait l’effacement. Pourtant le livre se referme
sur un manque. Se réclamant de l’analogie avec les
travaux initiés par Klemperer sur la langue du IIIe Reich,
Eric Hazan pouvait filer la métaphore et tenter, à
l’image de Jean Pierre Faye dans Langages totalitaires (Hermann,
1986) une topographie des pôles et des circuits de la LQR.
Pour esquisser celle-ci, il faut par exemple se référer
au travail de Pierre Rimbert sur Libération, publié
il y a peu par les mêmes éditions Raison d’agi
(3).
Vincent Chambarlhac.
Notes :
(1) Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, carnets d’un
philologue, Paris, Albin Michel, 1996.
(2) La Fabrique publia en 2005 La haine de la démocratie,
mais ce sont davantage les analyses de La mésentente (Galilée,
1995) qui guident Eric Hazan.
(3) Pierre Rimbert, Libération de Sartre à Rotschild,
Paris, Raison d’Agir, 2005.
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