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La LQR ou la contamination du langage.
Ange

origine : http://desormiere.blog.lemonde.fr/desormiere/2006/04/_la_lqr_ou_la.html

Vous souvenez-vous de la novlangue d’Orwell dans " 1984 " ?

Finalement peu importe, puisque sans en arriver à une telle extrémité, nous en avons aujourd’hui un goût au bord de la langue. C’est le livre d’Eric Hazan, " LQR, la propagande du quotidien " qui nous en apporte les preuves. Il faut le lire.

" Des mots ! des mots ! des mots ! " disait Hamlet qui soupçonnait le mensonge derrière chacun d’eux. Aujourd’hui, ce n’est plus le mensonge qu’il faudrait déceler mais plutôt le sens caché ou bien le mot pour un autre, le mot déguisé. Il s’agit maintenant de démasquer un discours qui, pour dire la vérité, n’emploie pas les bons mots. Le pire est que si nous adoptons ces mots-là, ces expressions-là, ils vont parler à notre place et alors l’entourloupe sera jouée. Sans douleur nous serons devenus les complices syndromés-de-Stockholm de cette langue inventée et distillée insidieusement depuis plus de trente ans et qui se propage.

Voici un extrait de la quatrième de couverture du livre d’Eric Hazan :

" De modernité à gouvernance en passant par transparence, réforme, crise, croissance ou diversité : la lingua quintae Respublica (LQR) travaille chaque jour dans les journaux, les supermarchés, les transports en commun, les " 20 heures " des grandes chaînes, à la domestication des esprits. Comme par imprégnation lente, la langue du néolibéralisme s’installe : plus elle est parlée, et plus ce qu’elle promeut se produit dans la réalité. Crée et diffusée par les publicitaires et les économistes, reprises par les politiciens, la LQR est devenue l’une des armes les plus efficaces du maintien de l’ordre. (...) "

Il n’a jamais été question pour moi de résumer ou de faire la critique de ce livre mais plutôt d’y réfléchir encore un peu. La LQR manie l’euphémisme, le glissement de sens, la confusion du sens, voire le contresens mais jamais le non-sens qui la disqualifierait. En revanche elle excelle à vider le sens d’un mot en suggérant une notion vague ou décalée que chacun peut remplir à sa guise et qui échappe à l’analyse.

La " pauvreté " devient " précarité " et France Culture, ces jours derniers a même inventé la dénomination " précariat " ! ce qui, en apportant une petite touche respectable (noviciat, notariat, doctorat...) à la situation qu’elle désigne, permet au locuteur d’employer un mot moins malsonnant que " misère ". Quelle pudeur !

Le " patron " est devenu " entrepreneur ", le directeur du " personnel " a cédé la place au directeur des " ressources humaines ". Ainsi on ne licencie plus le personnel, on restructure. Quoi ? L’entreprise bien sûr ! Le personnel qui est sur le trottoir ne fait plus partie du vocabulaire , comme a disparu l’" ouvrier ".

Je ne résiste pas à l’envie de me reporter au livre, à la page 107, où est magnifiquement démontré " l’évitement des mots du litige ", quand on passe des mots " opprimés " et " exploités ", au profit de celui d’" exclus ". Oppresseurs et exploiteurs sont ainsi gommés. L’exclusion devenant le résultat de la faute à pas de chance ou bien plutôt la faute de l’exclu lui-même, qui, comme le dit ironiquement l’auteur, devient " responsable de sa propre faillite dans une société où chacun est entrepreneur de lui-même " (p.108)

Il est vrai que l’association du publicitaire et du politicien n’est quasiment plus à démontrer, ceci jusqu’à la caricature, quand un premier ministre ex-publicitaire nous demande de " positiver ", exactement comme le joyeux plombier morigène la ménagère effondrée devant la tuyauterie bouchée au calcaire.

Un autre livre, celui de Dominique Quessada, " La société de consommation de soi ", démontre à quel point le langage publicitaire, simpliste et séducteur nous intoxique grâce à des formules, des raccourcis qui promettent le bonheur ici et maintenant.
Le discours politique ne procède plus autrement. Il ne s’agit même plus de promesses mais de slogans : de petites phrases, qui ne valent que par l’association des mots, par le choc des mots, qui évitent l’intelligence et la réflexion, qu’elles fascinent au contraire. Il n’y a aucun projet dans un slogan : juste le moyen de provoquer un réflexe (le bon choix...) celui du consommateur en quête du bonheur. Le véritable but est d’assimiler le vote à l’achat (bientôt d’un seul clic) : éradiquer le mal, tout de suite, comme la lessive poursuit la tache au cœur de la fibre...

LQR La propagande du quotidien, Eric Hazan, éditions Raisons d'agir, Paris, février 2006.