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origine : http://www.gavroche.info/index.php?rub=36
Éric Hazan, dans ce texte, va à l’essentiel.
Il explore la manipulation idéologique du langage utilisé
insidieusement par l’appareil de domination, autrement dit,
les médias et le flot de pseudo analyses professées
par des spécialistes autoproclamés. L’enjeu
est considérable. Et, à l’heure où l’idéologie
libérale se présente comme une conséquence
naturelle et universelle, évidente et indiscutable, à
l’heure où elle parvient à s’imposer en
tant que telle dans les discours diffusés au quotidien, il
était en effet important, comme le fait Éric Hazan,
de mettre en lumière les constructions langagières
dont elle use.
Lorsque le discours dominant, quel qu’il soit, parvient à
nous convaincre qu’il est la description du « réel
» et que prétendre le contraire serait une misérable
tentative idéologique visant à nier la réalité,
le totalitarisme n’est jamais très loin. La démarche
d’Éric Hazan rend hommage à Victor Klemperer,
l’auteur de LTI, « Lingua tertii imperii » traduit
chez Albin Michel en 1996. L’étude de la pénétration
de l’idéologie nazie au plus profond de la chair et
de l’inconscient de tout un peuple se fit, dit-il, au moyen
d’un grand nombre d’expressions, de mots et de tournures
syntaxiques. Elles s’imposèrent comme autant d’évidences
qu’on ne discute plus. En agissant sur la valeur et le sens
des mots, les nazis assujettirent à leur langage la réalité.
La langue fut un puissant moyen de propagande.
Un moyen d’une efficacité redoutable. Il s’agit
en l’occurrence d’un processus de domination vicieux
et difficile à combattre. Éric Hazan met donc ses
pas dans ceux de son prédécesseur. Il étudie
la « Lingua Quintae Republicae ». Il décortique
ces expressions qui prolifèrent avec un naturel déconcertant
dans la presse, dans les émissions de radio et de télévision
des plus triviales aux plus élitistes. La LQR a ceci de remarquable
qu’elle ne relève ni du complot ni d’une prise
de décision mais elle émane du cercle des «
décideurs économistes et publicitaires », écrit
Éric Hazan. De ce point de vue le primat du langage économique
dans la plus insignifiante des considérations est symptomatique
de ce processus. « L’énorme raté de la
LQR » que fut la victoire du Non au référendum
de 2005 n’est qu’un épisode, affirme Éric
Hazan en guise de conclusion, qui, loin d’avoir signifié
le début de son déclin, marque, au contraire, le début
d’une campagne de réactivation, une campagne dont la
frénésie est palpable dans les chroniques des journalistes
et des chroniqueurs. À ce titre, signalons que la lecture
appliquée du Monde et l’écoute attentive de
Culture Matin sur France Culture sont riches d’enseignements.
Toutefois, cette domination sans partage et sans véritable
opposition, n’est pas, paradoxalement, sans risque pour ce
processus de domination dont le principal subterfuge consiste à
apparaître comme une émanation naturelle. Elle est
par conséquent vouée à cacher sa véritable
nature. Fragilité évidente. Petite note d’espoir
bien pâlichonne.
Jean Luc DEBRY
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