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« Nous devons nous méfier des mots »
Dans LQR, la propagande au quotidien (1), Éric Hazan,éditeur et écrivain, décrypte le vocabulaire politico-médiatique

Origine : http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-08-09/2006-08-09-834759

Dans LQR, la propagande au quotidien, qui constitue l’une des armes les plus efficaces du maintien de l’ordre.

Qu’est ce que la LQR ?

Eric Hazan. La Lingua Quintae Res-publicae, langue de la Ve République, est destinée à rendre acceptable ce qui ne l’est pas. Elle répand un nuage de fumée avec des euphémismes. Ainsi, il n’y a plus de « pauvres », mais des « gens modestes ». Comme si les pauvres n’avaient pas le droit d’être orgueilleux... Les « riches » sont désormais « les plus fortunés ». Il n’y a plus d’« opprimés », mais des « exclus ». C’est pratique, car il n’existe pas d’« exclueurs » identifiables, les exclus ne doivent donc s’en prendre qu’à eux-mêmes. La LQR est un grand leurre. Si certaines choses étaient formulées, les gens descendraient dans la rue avec des fusils. On les calme avec des euphémismes...

Qui l’utilise ?

Eric Hazan. La LQR n’est pas une langue populaire. Il s’agit d’un discours politico-médiatique. Elle est formée et répandue par des gens qui ont une communauté de formation : ils sortent tous du même moule, des mêmes écoles de commerce et d’administration. Ils ont aussi une communauté d’intérêts : des postes prestigieux et bien rémunérés qu’ils ne veulent pas perdre. Ils nous endorment donc avec leur langue anesthésiante. Mais tous les hommes politiques ne parlent pas la LQR. De Gaulle ne l’utilisait pas du tout.

Quels sont les objectifs de la LQR ?

Eric Hazan. C’est une langue de consensus qui gomme le conflit. La guerre civile froide dans laquelle notre beau pays est plongé ne doit pas apparaître. C’est pourquoi la LQR gomme toutes références au vocabulaire de l’émancipation. Il n’y a plus d’« ouvriers » et de « travailleurs », il y a des « salariés ». Il n’y a plus de « classes », mais des « couches sociales ». Le vocabulaire de la lutte a été supprimé au profit d’une béchamel qui imprègne lentement notre pensée.

Peut-on dater l’apparition de cette langue ?

Eric Hazan. Il y a toujours eu une langue officielle, mais elle n’avait pas de porte-voix. Aujourd’hui, avec la télévision, la radio et les journaux, la LQR pénètre partout. Elle est née en même temps que la télévision et a pris son essor avec le triomphe du néolibéralisme, à la fin des années quatre-vingt-dix. « Néolibéralisme » est d’ailleurs un terme typiquement LQR. Plus personne ne dit « capitalisme », c’est brutal et mal vu. Dans « néolibéralisme », il y a de la nouveauté, c’est cool !

Quelles sont les alternatives à la LQR ?

Eric Hazan. Il n’y a pas d’alternative. Il ne faut pas la remplacer, il faut la décoder et en rire. Pour cela, il faut s’interroger sur le sens des mots. La création sémantique est très riche dans la périphérie des grandes villes. La langue des banlieues est le contraire même de la LQR. C’est la langue de rues qui s’oppose à la langue des publicitaires. Si certains termes sont éphémères, d’autres sont des vraies trouvailles, comme « galérer ». Nous devons nous méfier et trouver les mots justes, au contraire de la LQR qui utilise des mots injustes.

(1) Éric Hazan. LQR, la propagande au quotidien. Éditions Raisons d’agir, 2006. 122 pages, 6 euros.

Entretien réalisé par Marie Barbier

Article paru dans l'édition du 9 août 2006 du journal l’Humanité.