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Origine : http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=70870
Ce texte sur Karl Korsch, un marxiste révolutionnaire hétérodoxe,
a été trouvé en anglais sur internet.
Un compagnon du SIA en a assuré la traduction.
Il a été publié dans le N° 25 (juin 2006)
de « Solidarité », le journal du Syndicat Intercorporatif
Anarchosyndicaliste de Caen.
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Bonne lecture.
KARL KORSCH : UN AMI MARXISTE DE L'ANARCHISME
Par A. R. Giles-Peters
Publié pour la première fois dans RED AND BLACK N°5
(Australie), avril 1973.
Karl Korsch (1886-1961), qui est aujourd'hui redécouvert
par la « nouvelle gauche », était l'un des théoriciens
majeurs du communisme de gauche.
Des trois théoriciens majeurs du marxisme des années
1920 - Gramsci, Lukacs et Korsch - Korsch est immédiatement
celui qui a le plus d'intérêt pour les anarchistes
et également, je crois, le marxiste supérieur.
Les marxistes des années 20 ont un intérêt pour
les anarchistes qui est d'un ordre très différent
de ceux de toutes les autres périodes.
La raison en est que, durant une brève période après
la première guerre mondiale, le marxisme fut une théorie
révolutionnaire comme il ne l'avait plus été
depuis Marx et comme il ne l'a plus été ensuite (en
laissant de coté son usage comme idéologie pour des
révolutions, basiquement, de paysans nationalistes).
Durant cette brève période, la révolution russe
servit de point de ralliement pour des intellectuels de gauche de
toutes les nuances du rouge et du noir et ceux-ci se joignirent
à des travailleurs anarchistes et socialistes d'une trempe
syndicaliste pour former les bases des nouveaux partis de la Troisième
Internationale.
A l'exception de l'Espagne, les organisations anarchistes et syndicalistes
perdirent partout du terrain face à ces nouveaux partis qui
évoluèrent rapidement vers des organisation socialistes
d'Etat bureaucratiques intéressées par le contrôle
du mouvement de la classe ouvrière.
Durant cette évolution les anarchistes, les syndicalistes
et les socialistes de gauche qui avaient considéré
comme vraie la promesse initiale de la Révolution Russe furent
isolés, éliminés et écartés par
l'organisation supérieure du Parti de l'accès à
la classe ouvrière qui seule pouvait soutenir un mouvement
révolutionnaire.
Karl Korsch fut l'une des victimes de ce processus.
Bien que Gramsci ait été un partisan des conseils
ouvriers, et qu'en prison il ait eu tendance à s'associer
avec des syndicalistes, il ne devint pas un opposant de gauche au
Komintern.
Les raisons semblent être, premièrement, que le problème
italien n'était pas la révolution mais la défense
contre le fascisme ; deuxièmement, que Gramsci était
opposé au gauchisme abstrait de Bordigua qui était
connecté avec l'ultra-gauche allemande ; et troisièmement,
que l'emprisonnement de Gramsci l'ait gardé en sûreté
et l'ait isolé des convulsions du mouvement international.
Les cas de Korsch et Lukacs sont plus clairs.
Lukacs était membre d'un groupe bourgeois marginal (l'intelligentsia
juive) dans un pays semi-féodal (la Hongrie).
Antérieurement à 1917 ses centres d'intérêts
étaient primitivement la littérature bien qu'il ait
été influencé par Szabo - un intellectuel qui
tenait son syndicalisme de Sorel.
Il n'est pas étonnant que sa position initiale en tant que
révolutionnaire ait été utopique et abstraitement
d'ultra-gauche, plus tard son évolution vers une position
« droitière », presque sociale-démocrate
(« Thèses de Blum » 1929) était très
raisonnable étant donné que la Hongrie cessa d'être
féodale seulement en 1945.
D'un autre coté, son compromis avec le stalinisme, tout partiel
et « non sincère » qu'il ait prétendu
avoir été, est dur à pardonner.
La connaissance du mouvement ouvrier par Korsch était, à
la fin de la guerre, d'un tout autre ordre que celui de Lukacs.
Formé dans plusieurs universités en économie,
droit, sociologie et philosophie, il devint docteur en jurisprudence
en 1911 et alla en Angleterre où il rejoignit la société
Fabienne et étudia les mouvements syndicalistes et celui
des associations socialistes.
Il était déjà opposé à l'orthodoxie
marxiste qui définissait le socialisme comme une négation
du capitalisme par la nationalisation, voyait la venue du socialisme
comme inévitable et concevait le marxisme comme une pure
« science » séparée de la pratique du
mouvement ouvrier.
Son opposition à cette orthodoxie orienta l'attention de
Korsch vers la préoccupation Fabienne pour la préparation
des individus au socialisme à travers l'éducation
et vers l'accent syndicaliste mis sur l'activité consciente
des travailleurs comme base à la fois de la révolution
et de la gestion d'une économie socialiste.
Depuis ses tout premiers articles il mit l'accent sur le rôle
de la conscience dans la lutte pour le socialisme et sur l'importance
de l'auto-activité de la classe ouvrière.
Après la guerre il développa ses idées plus
avant en mettant au point des projets pour la socialisation couplés
avec le contrôle ouvrier.
Au début de la guerre de 14-18, Korsch fut enrôlé
dans l'armée allemande et alla au front, mais il était
contre la guerre et, bien que blessé deux fois, il ne porta
jamais d'armes lui-même.
Il accueillit favorablement la formation du mouvement socialiste
anti-guerre et rejoignit après la guerre le Parti Socialiste
Indépendant (USPD).
Toujours opposé au marxisme « orthodoxe » ou
« révisionniste », il croyait à cette
époque qu'un troisième courant, le « socialisme
pratique », avait été formé et était
représenté par Luxembourg et Lénine.
Pour cette tendance la transition au socialisme était un
« acte humain conscient ».
Korsch devint suffisamment léniniste en 1924 pour voir l'acte
révolutionnaire comme celui d'un parti révolutionnaire
de masse mais il voyait toujours le parti comme un moyen pour aboutir
à une démocratie directe des conseils ouvriers.
Bien qu'il rejoignit avec la majorité de l'USPD le Parti
Communiste (KPD), il argumenta contre les 21 conditions d'affiliation
de Moscou ; en particulier il s'opposa à la demande d'une
organisation parallèle illégale qui aurait été
hors du contrôle des masses du parti.
Malgré ses réserves, Korsch devint rapidement un leader
du KPD.
Il devint l'éditeur du journal du parti et député
au Reichstag.
Cela il le devait à sa prééminence théorique
issue du fait, bien qu'il ait toujours rejeté le «
marxisme » social-démocratique, qu'il avait été
conduit au cours de ses études de droit à voir la
société et l'économie comme les bases de systèmes
légaux et, durant la brève libération du marxisme
de l'orthodoxie, ses études philosophiques, sociologiques
et économiques préalables lui servirent bien.
Toutefois la situation changea bientôt ; après 1923
il était évidemment dans l'aile gauche du KPD ; en
1924 son livre de 1923, Marxisme et Philosophie, fut dénoncé
à la réunion de l'exécutif de l'Internationale
Communiste et il fut écarté de sa position éditoriale
en 1925 ; en 1926 il fut exclu du KPD.
Selon Mattick, Korsch avait toujours une attitude critique envers
l'Etat russe émergeant mais dans les débuts de la
révolution russe, quand toutes les forces de la réaction
étaient déployées contre lui, il croyait qu'un
révolutionnaire devait le soutenir.
En outre, quoique la révolution russe devait être une
révolution capitaliste (i. e. , sa mission était de
développer le capital et le prolétariat dans la Russie
sous-développée), cela avait encore une signification
révolutionnaire si la brèche dans le système
mondial pouvait être étendue vers l'ouest, en Allemagne.
Dés que la Russie eut atteint son compromis avec l'Allemagne
et d'autres pouvoirs capitalistes et eut transformé l'Internationale
Communiste en un instrument à l'étranger pour ses
propres objectifs nationaux, un révolutionnaire devait rompre
avec la Russie.
Ainsi en 1926 il rejoignit la « Gauche Résolue »
- un groupe d'ultra-gauche opposé à la nouvelle bureaucratie
russe et à son allié allemand, le KPD.
Plus tôt même il avait été en contact
avec Sapranov du groupe « Centralisme démocratique
» à l'intérieur du Parti russe qui croyait que
le prolétariat russe devait rompre avec les bolchéviques.
(Les vues de Korsch sur ces questions peuvent être trouvé
dans l'article en français de Mattick.
Des vues très similaires peuvent être trouvées
dans La Société du Spectacle de Guy Debord dans la
section « Le prolétariat comme sujet et comme représentation
».
) Malheureusement les articles politiques de Korsch sur le bolchévisme
ne sont pas encore disponibles en anglais (1).
D'un autre coté nous avons la plupart de ses articles sur
la théorie marxiste et ceux-ci rendent évident pourquoi
la rupture devait se produire.
Dans son travail de 1923, Marxisme et philosophie, Korsch prétendait
tenter de « restaurer » la position marxiste sur le
sujet de la même manière, et pour les mêmes objectifs
révolutionnaires, que Lénine avait restaurer la position
marxiste sur l'Etat dans L'Etat et la Révolution (un pamphlet
dénoncé comme « anarchiste » par les autres
bolchéviques).
En fait ce qu'il fit ce fut montrer comment le marxisme était
devenu une idéologie du mouvement ouvrier : pour Korsch le
marxisme, que ce soit avant 1848 dans sa forme philosophique ou
après 1848 dans sa forme « scientifique », ne
fut ni une science ni une philosophie, il était la conscience
théorique d'une pratique révolutionnaire prolétarienne
ou bien il était une idéologie « marxiste »
non reliée à une pratique ou bien dissimulant une
pratique contre-révolutionnaire.
Tout ceci était placé dans un contexte de violente
attaque contre le marxisme orthodoxe de Kautsky, et par conséquent,
disait Korsch, était contre la seconde Internationale et
pour la troisième Internationale.
En disant ces choses, Korsch piétinait complètement
cette orthodoxie marxiste, allemande ou russe, sociale-démocratique
ou bolchévique, prenant cela très à cœur.
En 1930 quand Korsch revint à la question d'écrire
une anti-critique il était bien au fait de ce qui s'était
produit.
A son insu, il avait été « coupable »
de déviation vis à vis de l'orthodoxie marxiste-léniniste
émergeante, basée sur Kautsky et Plekhanov.
Ainsi pour les russes il y avait une philosophie marxiste matérialiste
(donnée dans « Matérialisme et empiro-criticisme
» de Lénine) et aussi une science marxiste qui, suivant
Kautsky, devait être apportée au prolétariat
de l'extérieur par des intellectuels bourgeois (comme exposé
dans le « Que faire ? » de Lénine).
Ainsi ce que Korsch avait pensé être un nouveau, troisième,
courant dans le marxisme était juste une nouvelle variante
idéologique de la vieille orthodoxie marxiste.
Les caractéristiques spéciales du bolchévisme
étaient simplement un reflet des tâches spéciales
que l'idéologie avait à accomplir dans la Russie sous-développée.
La découverte de la nature idéologique de la théorie
communiste et l'effondrement de tous les mouvements ouvriers marxistes
révolutionnaires face à la contre-révolution
impliquaient une ré-évaluation du marxisme.
Pour Korsch la théorie marxiste était l'expression
générale du mouvement révolutionnaire existant.
Lors de périodes contre-révolutionnaires le marxisme
pouvait être davantage développé dans son contenu
scientifique mais dés que le marxisme était développé
comme une pure science séparée de sa connexion avec
le mouvement prolétarien, il tendait à devenir une
idéologie.
Ainsi le lien entre la théorie et la pratique n'avait rien
à voir avec l'application d'une science mais signifiait simplement
que la théorie était la conscience articulée
d'un mouvement révolutionnaire pratique.
Ré-établir le lien requérait l'existence d'un
mouvement révolutionnaire prolétarien et la purge
du marxisme de tous ses éléments idéologiques
et bourgeois.
Le seul mouvement qui répondait à la description dans
l'Europe des années 30 était le mouvement anarchiste
espagnol aussi Korsch, tout en continuant son travail sur la théorie
marxiste, étudia également Bakounine et le mouvement
anarchiste.
Dans son ouvrage de 1923 Korsch avait insisté sur le fait
que le marxisme primitif était une continuation, dans un
nouveau contexte, de la théorie révolutionnaire de
la bourgeoisie, principalement de la tradition idéaliste
allemande.
Dans ses « Thèses sur Hegel et la révolution
» de 1930, il revint sur cette question et il ré-évalua
à la fois les théories hégéliennes et
marxistes.
La philosophie hégélienne n'était pas que la
philosophie révolutionnaire de la bourgeoisie ; c'était
la philosophie de la phase finale de la révolution et donc
également une philosophie de la restauration.
Ainsi la méthode dialectique n'est pas le principe purement
révolutionnaire que les marxistes imaginaient.
Ainsi également la création d'une théorie de
la révolution prolétarienne sur la base d'une dialectique
« matérialisée » est seulement une phase
transitoire du mouvement ouvrier.
Le marxisme n'est pas la théorie d'une révolution
prolétarienne indépendante mais la théorie
d'une révolution prolétarienne telle qu'elle se développe
en dehors de la révolution bourgeoise et cette théorie
montre ses origines : elle est encore teinté de théorie
révolutionnaire bourgeoise, c'est à dire de jacobinisme.
Cela signifie que la politique marxiste demeure à l'intérieur
de l'orbite de la politique bourgeoise.
Comme Korsch le dit dans ses « Dix thèses sur le marxisme
aujourd'hui » de 1950, le marxisme adhère inconditionnellement
aux formes politiques de la révolution bourgeoise.
La rupture avec la politique bourgeoise a été portée
seulement par les mouvements anarchiste et syndicaliste, dans la
forme de la rupture avec la politique en tant que telle.
Seuls ces mouvements étaient encore révolutionnaires
dans la pratique.
Pour Korsch leur importance était qu'ils maintenaient encore
l'idéal, sacrifié partout ailleurs, de la solidarité
de classe au delà des intérêts matériels
immédiats et qu'ils se basaient eux-mêmes sur l'auto-activité
de la classe ouvrière comme exprimée dans le principe
de l'action directe.
Quand la guerre civile espagnole éclata en 1936, Korsch soutint
les tentatives des militants de la CNT pour introduire l'autogestion
ouvrière en opposition avec la ligne politique des socialistes
de droite, des staliniens et des républicains bourgeois.
Ce développement d'une position syndicaliste opposé
à la position de l'orthodoxie socialiste marxiste était
parallèle à une ré-interprétation du
marxisme.
Bien que Korsch demeura un marxiste, sa vision du marxisme devenait
de plus en plus critique.
En 1960 il avait complètement rejeté le marxisme comme
seule théorie de la révolution prolétarienne
et avait fait de Marx l'un, parmi d'autres, des nombreux précurseurs,
fondateurs et promoteurs du mouvement socialiste ouvrier.
En 1961 il travaillait sur une étude de Bakounine et croyait
alors que la base d'une attitude révolutionnaire dans l'époque
bourgeoise moderne serait une éthique que Marx aurait rejeté
comme « anarchiste ».
Dans ses « Dix thèses » de 1950 il avait aussi
critiqué la surestimation marxiste de l'Etat comme un instrument
de la révolution sociale et la théorie du socialisme
en 2 phases par laquelle l'émancipation réelle de
la classe ouvrière est remise à un futur indéfini.
Ainsi il rejetait explicitement les éléments du marxisme
qui séparaient celui-ci de l'anarchisme.
L'œuvre de sa vie est à la fois une exposition et une
critique du marxisme depuis une position politique proche de l'anarchisme.
Bien que, comme Korsch lui-même l'a montré, le marxisme
ne soit pas suffisant pour un mouvement révolutionnaire moderne,
une étude du propre marxisme de Korsch permet de préserver
les meilleurs éléments de l'héritage du mouvement
ouvrier classique.
NOTES
(1) Alors que cela était certainement vrai au moment où
l'article fut écrit, entre temps plusieurs collections des
ouvrages de Korsch sont apparus en anglais.
Voir particulièrement le numéro spécial de
TELOS dédié à Korsch et l'anthologie de Korsch
de Douglas Kellner, qui est encore à l'impression en 1997-
Note de Collective Action Note)
BIBLIOGRAPHIE :
GERLACH, Erick : "Karl Korsch's Undogmatic Marxism," International
Socialism, V, 19, hiver 1964/5.
HALLIDAY, Fred : "Introduction" in Karl Korsch's Marxism
and Philosophy. (New Left Books edition, 1970).
KORSCH, Karl : Karl Marx, Chapman and Hall, 1938. (Réédité
par Russel & Russel, 1963).
Ten Theses on Marxism Today. Traduction à paraître
dans Arena 29.
MATTICK, Paul : "The Marxism of Karl Korsch. " Survey,
1964, pp 86-97.
"Karl Korsch," institut de Science Economique Appliquée,
Cahiers, Séries 7, Supp. 140, août 1963.
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