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Subject: (fr) Petites considérations sur l'antisexisme en milieu
libertaire
Date: Fri, 15 Avril 2005
Quoi de neuf sous le drapeau noir ? Petites
considérations sur l'antisexisme en milieu libertaire
Nous publions ici ce texte reçu d'un collectif féministe
libertaire non-mixte, le Klito.
Il reste beaucoup de choses à faire pour une réelle
lutte contre le patriarcat dans les groupes libertaires. Le collectif
non-mixte de femmes Klito pointe quelques problèmes et propose
des pistes d'actions. Nous, femmes féministes libertaires,
voulons tirer un signal d'alarme. Nous dénonçons la
double journée des travailleuses qui, une fois rentrées
au foyer, se coltinent les tâches ménagères,
mais dans le cadre militant, on pourrait parler d'une " double
lutte ". La lutte contre le patriarcat requiert en effet deux
fois plus d'énergie que d'autres combats, car elle exige
de se battre non seulement sur le front social, mais aussi à
l'intérieur même des groupes politiques. En effet,
qui colle les étiquettes sur les enveloppes ? Passe le balai
dans les salles de réunion ? Le plus souvent, des femmes.
Qui coordonne les manifs ? Parle le plus fort en réunion
? Le plus souvent, des hommes.
Dans les groupes libertaires de l'Hexagone, la thématique
des femmes est certes prise en compte, mais de manière peu
satisfaisante. Si quelques groupes se mobilisent pour le 8 mars
ou contre les anti-IVG, on peut se demander quelle est la place
réelle de la lutte antipatriarcale dans les pratiques et
les réflexions des groupes libertaires en France. Ne nous
faisons pas d'illusions : les libertaires, reproduisent les dominations
liées au genre et à la sexualité... comme tout
le monde. Sauf que, lorsqu'on prétend combattre les dominations,
il serait bon de se pencher sur celles que l'on entretient. Ne pas
y prêter attention est la meilleure façon de renforcer
ce phénomène.
Un peu d'histoire
Le mouvement anar n'a pas souvent hissé le féminisme
au rang de ses préoccupations majeures ; un coup d'oeil sur
l'histoire nous le confirme. Bakounine qui prônait l'égalité
complète entre les femmes et les hommes, a dénoncé
la contradiction de beaucoup de militants mâles : en lutte
pour l'égalité et la liberté sur le terrain
économique et social, ils se comportent comme des tyrans
dans leur foyer. Par contre, Proudhon, un pilier du mouvement libertaire,
fait figure de misogyne notoire. L'auteur d'une phrase comme "
la femme est un joli animal, mais c'est un animal. Elle est avide
de baisers comme la chèvre de sel ", est encore le maître
à penser de beaucoup. Même chose pour l'homophobie,
longtemps assumée par de nombreux anarchistes. Leur argument
étant que l'homosexualité représentait une
" perversion bourgeoise ". Emma Goldman ne rapporte-t-elle
pas les obstacles auxquels elle se heurtait quand elle abordait
cette question ? " La censure vint de mes propres rangs parce
que je traitais de sujets aussi " peu naturels " que l'homosexualité
" raconte-t-elle en 1912. L'idée de libération
sexuelle a souvent été récupérée
et vidée de son sens antipatriarcal. Pour la plupart des
militants, en 1936 comme en 1970, elle signifiait avant tout une
disponibilité sexuelle des militantes et des féministes
aux désirs masculins.
Les femmes " invisibilisées "
La problématique du genre est rarement intégrée
dans les discours et les luttes anticapitalistes ou antiracistes.
Partant du bon vieux principe sexiste que le masculin l'emporte
sur le féminin, on défend les chômeurs sans
prendre en compte qu'ils sont surtout des chômeuses, et que
les femmes sont deux fois plus exploitées que leurs collègues
dans le monde du travail. En ce qui concerne le soutien aux sans-papiers,
on retrouve les mêmes travers : les femmes sont " invisibilisées
" alors que leur situation est toujours pire que celle des
hommes. On justifie parfois l'absence de cette thématique
par le fait que le genre relèverait d'une théorie
bourgeoise prônant l'interclassisme. Alors qu'il s'agit d'un
outil d'analyse précieux pour comprendre les inégalités,
entre hommes et femmes, entre les hétérosexuels et
les autres. La non-prise en compte de cette question se produit
de plusieurs manières. Cette invisibilité de l'oppression
des femmes, en particulier, vient notamment du fait que de nombreux
libertaires (hommes et femmes) possèdent une vision cloisonnée
des luttes. Comme si les problèmes rencontrés par
les femmes pouvaient se réduire à un seul espace de
lutte. Alors que dans les luttes contre le patronat, la misère
et la précarité, ou pour la liberté de circulation
et les droits des immigré(e)s, les femmes sont les premières
atteintes, il est rarement fait mention, dans les tracts par exemple,
de ce qu'elles subissent à cause de leur sexe. La question
du genre est transversale et présente dans toutes les luttes
! Croire, comme beaucoup, que ce thème est réservé
aux femmes (femmes dont on va dire, dans le meilleur des cas, qu'on
les " soutient dans leur lutte ") permet de se dédouaner
de ne pas participer à la lutte contre le patriarcat. L'intitulé
" Commission femmes " utilisé par certains groupes
libertaires, comme par des partis sociaux-démocrates, révèle
bien le désengagement implicite des hommes. Le mouvement
Mujeres libres (Femmes libres) pendant la Guerre d'Espagne constitue
un exemple unique de lutte massive de femmes anarchistes. Mais il
ne faut pas oublier que ce groupe de féministes prolétaires,
rassemblant jusqu'à 20 000 femmes, a rencontré de
nombreuses résistances chez les hommes du même bord.
Ces derniers qui pensaient que les ouvrières volaient leur
place aux hommes, n'ont pas accepté, en particulier, que
les Mujeres Libres critiquent la glorification de la maternité.
Vous avez dit " non-hiérarchie des luttes " ?
Patriarcat et capitalisme
Une autre façon, plus subtile, de ne pas intégrer
le féminisme aux luttes en cours, est, paradoxalement, d'inclure
" naturellement " le thème patriarcal à
la lutte des classes. Pour certain-e-s, il suffit de se réclamer
de l'anarchisme pour être automatiquement féministe.
Considérer le patriarcat comme un avatar ou une conséquence
du capitalisme, c'est refuser de voir la spécificité
de ce système fondé sur le genre. C'est bien utile
de penser qu'en menant une lutte des classes, on lutte contre toutes
les dominations ! Le capitalisme ne totalise pas l'ensemble des
oppressions (cela serait bien simple). La lutte contre le patriarcat
est une lutte à part entière. Et si les effets du
patriarcat et du capitalisme se renforcent et s'interpénètrent,
il faut bien admettre qu'il s'agit de deux systèmes autonomes
(certaines sociétés patriarcales sont bâties
sur une économie qui n'a rien de capitaliste). Et qu'il y
a donc deux luttes (au moins) à mener parallèlement.
Parmi les femmes militantes libertaires, peu dénoncent ces
carences. Sans doute parce que comme toutes les autres femmes elles
ont intériorisé l'invisibilité du patriarcat.
Il y a de fait plus d'hommes que de femmes dans les groupes anarchistes.
Le fait que les femmes s'investissent peu dans la politique est
un phénomène social, mais l'image violente et guerrière
qui colle encore à la peau de ceux qui brandissent le drapeau
noir y est sans doute pour quelque chose. Entretenir ce " folklore
" viriliste a-t-il vraiment un sens ? Par ailleurs, pour de
nombreuses femmes il est difficile de se reconnaître comme
faisant partie du groupe des femmes. Se persuader que nous vivons
les choses de manière identique aux hommes dans la réalité
sociale permet de se fondre dans le groupe des militants au nom
de la cohésion du groupe. On les comprend : les femmes qui
tentent de pointer ces questions d'oppression en interne se voient
affublées de l'étiquette " féministe ",
qui signifie pour beaucoup " emmerdeuse chronique ". Ce
mépris pour la question du patriarcat traduit la difficulté
à regarder en face les mythes sur lesquels reposent de nombreux
groupes politiques, tels que : " la question du pouvoir n'existe
pas au sein du groupe ", " il n'y a pas de domination
entre les militant(e)s ", etc. Il est temps de reconnaître
qu'un groupe militant n'est pas coupé du reste de la société
et ne fonctionne pas en vase clos.
Le genre ? Connais pas...
Dommage que les analyses de certains libertaires se limitent au
statut des femmes sans prendre en compte la construction sociale
des genres féminins et masculins. La plupart des libertaires
n'arrivent pas à dépasser les théories essentialistes
selon lesquelles nos comportements reposent sur des différences
biologiques, différences qui sembleraient expliquer (sans
la justifier) la domination masculine. Or, la nature seule ne peut
fabriquer les catégories hommes/ femmes telles qu'elles existent.
On ne naît ni homme ni femme ; on devient l'un ou l'autre.
Dès notre enfance, la famille, l'école et la société
en général nous inculquent des rôles différents
selon notre sexe biologique. Aux filles, sont enseignées
les valeurs de douceur, de compréhension, de soumission et
de passivité. Aux garçons sont transmises celles de
la violence, du courage, de l'affirmation de soi. La prise en compte
de ce conditionnement qui forge chacun-e d'entre nous permet de
dépasser la thèse d'un déterminisme biologique
et de qualités " naturellement " féminines
et masculines. La construction du genre que le milieu féministe
s'est largement approprié, y compris chez les réformistes,
ne parvient pas à faire sa place dans les milieux libertaires.
En effet, il est plus facile de s'unir sur la base d'un ennemi commun
extérieur (les religions, les fachos qui bafouent les droits
des femmes et les patrons qui les exploitent) que de se remettre
en cause individuellement pour tenter d'entrevoir les rapports de
pouvoir qui existent au sein des organisations libertaires. C'est
ainsi que la majorité des groupes libertaires non seulement
ne remet pas en question les fondements du patriarcat mais l'entretient.
La sexualité est politique
Cette lacune dans la réflexion des libertaires en matière
de féminisme entraîne, outre une discrimination à
l'égard des femmes, une négation des lesbiennes, gays,
bi et trans (LGBT). Ces derniers existent-ils/elles dans les milieux
libertaires ? Bien sûr, comme partout dans la société.
Néanmoins, on est en droit de se poser la question tant
elles et ils sont " invisibilisé(e)s ". Sous couvert
de respect de la liberté individuelle, on déclare
que le privé n'est pas politique et on impose un tabou sur
les discussions autour des sexualités, quelles qu'elles soient.
On refuse de considérer que la sexualité est construite
culturellement, une donnée essentielle issue des luttes des
années soixante-dix. Refuser de parler des enjeux de certains
comportements sexuels, relève d'une pudeur qui frôle
parfois le puritanisme. Certains décrètent ainsi que
chacun-e fait ce qu'elle/il veut dans son lit, mais qu'il est préférable
de ne pas en parler, car ça n'a rien à voir avec la
politique.
Pourtant, chansons paillardes, blagues sexistes et lesbo-gay-bi-transphobes
sont encore monnaie courante chez certains anarchistes, renforçant
ainsi l'hétérocentrisme régnant. On nie certains
comportements sexuels et on entretient la lesbo-gay-bi-transphobie
ambiante qui repose sur le seul modèle de l'hétérosexualité.
Aujourd'hui, s'affirmer lesbienne, trans, bi ou gay, dans une orga
libertaire relève d'un acte courageux (exactement comme sur
son lieu de travail ou dans sa famille) que beaucoup n'osent accomplir.
Ce que l'on observe aujourd'hui n'est donc pas nouveau dans l'histoire
des luttes libertaires. Les mouvements féministes, les luttes
lesbiennes, homo et queer ont fait bouger des choses, mais il faut
poursuivre les remises en question. Rien n'évoluera sans
la mise en place d'outils efficaces en particulier la création
de groupes non-mixtes de femmes et d'hommes qui soient des espaces
de réflexions politiques sur les rapports de domination,
en particulier hommes/ femmes et hétéros/LGBT.
Il ne suffit pas de vouloir abattre le capitalisme et le patriarcat
à travers les patrons et l'ordre moral, encore faut-il tenter
de changer les comportements ici et maintenant. Dans le mouvement
libertaire, comme ailleurs, rien ne changera sans la mobilisation
des principaux intéressé-e-s: les femmes, les lesbiennes,
les gays, les bisexuels, les transgenres, l'engagement des hommes
et des hétéros est impératif si ceux-ci veulent
être cohérents avec la pensée libertaire.
Klito
Femmes libertaires en Ile-de-France <klito
at no-log.org>
[texte paru dans Alternative libertaire # 138 et repris du site
http://www.alternativelibertaire.org/
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