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origine :
http://www.kitetoa.com/Pages/Textes/Kitinvestisseurs/keynes.shtml
Qui n'a pas entendu un économiste ou un politique citer Keynes
et ses théories? Mais qui a lu Keynes dans le texte et connaît
vraiment ses théories? C'est la question que semble poser
Bernard Maris dans son dernier livre, Keynes ou l'économiste
citoyen publié dans la collection La bibliothèque
du citoyen aux Presses de Sciences Po.
Ne vous attendez pas à un livre pompeux, doctoral et austère
sur l'économie, plein de formules complexes. Bernard Maris
est bien un véritable économiste et enseigne cette
discipline à Paris VIII. Mais il est aussi Oncle Bernard
dans Charlie Hebdo où il explique les événements
économiques et financiers sous un angle amusant. Ce vulgarisateur
hors pair nous réconcilie avec une matière rendue
rébarbative par ceux qui la pratiquent et qui ne savent qu'asséner
des phrases tordues et alambiquées afin de la rendre incompréhensible
au commun des mortels. Partant, personne n'ose contester ce qui
est avancé. Qui peut contre-attaquer face à une assertion
non comprise? Oncle Bernard, également auteur de l'hilarante
Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent
pour des imbéciles et co-auteur avec Philippe Labarde (ancien
directeur de la rédaction de La Tribune et chef du service
Eco du Monde) de Ah Dieu, que la guerre économique est jolie,
est l'un de ces rares éminents économistes qui ne
succombent pas au culte aveugle du marché et de sa main invisible.
Il est sans aucun doute plus proche d'ATTAC que de Jean-Pierre Gaillard-en-direct-de-la-Bourse-de-Paris...
Lorsque l'on discute avec Bernard Maris, on passe très vite
de l'économie à l'économie politique, puis
à la philosophie et enfin, au bon sens. Il rend l'économie
humaine... Ce qui est un vrai don.
Ainsi, son livre sur John Maynard Keynes a pour objet de "faire
comprendre, dans une période de folie ou d'horreur économique,
à travers la pensée de Keynes, que le plus grand économiste
de son temps avait remisé l'économie au vestiaire;
que l'homme qui pulvérisa définitivement et sans espoir
de résurrection la pensée de "la main invisible"
(la pensée du marché qui s'équilibre automatiquement
si on le laisse faire, par la loi de l'offre et de la demande, pour
le plus grand bonheur de l'humanité), la vulgate libérale
autrement dit, avait constamment dans son projet scientifique, un
souci de "civilisation".
L'économie est morte, vive la Cité, dit Keynes. Il
prévoyait qu'elle verrait le jour vers 2030..."
On apprend au fil des pages combien Keynes plaçait l'homme
au centre de sa vision de l'économie. L'importance donnée
par cet économiste aux théories de Freud en est une
illustration.
On trouvera également quelques idées qui peuvent
sembler étonnantes à première vue mais dont
la logique est pratiquement imparable; comme celle d'instaurer l'impossibilité
de conserver de la monnaie non active, de supprimer l'héritage...
"L'épargne et l'investissement infinis sont l'un et
l'autre contre la civilisation" indique Bernard Maris. Il cite
Keynes: "Autour de la non-consommation du gâteau poussèrent
tous les instincts d'un puritanisme qui, en d'autres temps, s'était
retiré du monde et avait négligé les arts productifs
aussi bien que récréatifs. Et ainsi, le gâteau
s'accrut. Pour quelles fins? On n'y réfléchissait
pas... Il fallait épargner, disait-on, pour notre vieillesse
et pour nos enfants. Mais ce n'était là qu'une théorie
- et la grâce du gâteau était telle qu'il ne
serait jamais mangé ni par vous, ni par vos enfants après
vous" Cette analyse datant de 1920 est parfaitement d'actualité...
Les drogués des bénéfices sans fin, évoqués
par José Bové, sont là. Dans cette vision du
monde de Keynes lorsqu'il analyse les conséquences de la
paix conclue en 1918.
Quelques idées viendront, par exemple, donner des arguments
à ceux qui se sentent coincés lors d'un dîner
parce qu'un convive un peu fana de Madelin lance: "il faut
de la rigueur budgétaire pour que l'économie aille
mieux". Bernard Maris rappelle qu'une "dépense
publique signifie un accroissement de revenus pour les ménages,
donc pour les entreprises, donc pour l'Etat via l'impôt. En
revanche, une réduction du déficit budgétaire
diminue le revenu des catégories économiques, donc
diminue les recette fiscales, donc peut provoquer au bout du compte
un accroissement du déficit." CQFD. Avec un peu de chances,
vous allez sécher votre interlocuteur. Et vous aurez intellectuellement
assassiné Michel Camdessus, et l'institution qu'il a présidée
si longtemps. Petite victoire jubilatoire...
Enfin, on comprendra avec ce livre, que Keynes est une sorte de
libéral de gauche ayant compris le rôle essentiel de
l'Etat comme garant de la stabilité de l'économie.
Précurseur de Tobin, partisan de l'intervention de l'Etat
là où le privé ne veut pas mettre les pieds
(ou les sous), Keynes explique que "la guerre économique
entre les nations menée au nom des parts de marché,
de la recherche de l'excédent commercial par la déflation,
de la pression sur les salaires et la liquidité n'est pas
une bonne chose: le commerce international engage les nations dans
la spirale déflationniste, et il y a des chances que la guerre
économique débouche sur d'autres formes de guerre.
La concurrence exacerbée conduit au mauvais équilibre,
l'équilibre bas, équilibre de déflation et
de sous-développement, alors qu'un protectionnisme intelligent,
à défaut d'une politique coordonnée au niveau
mondial, enrichira et apaisera le monde."
Conclusion, si nos dirigeants qui sont tellement persuadés
d'agir pour notre bien ,citent Keynes à loisir, c'est généralement
pour lui faire dire des choses auxquelles il n'aurait pas souscrit
une seconde...
Bref, à lire de toute urgence pour s'aérer l'esprit...
Kitetoa
Keynes ou l'économiste citoyen.
Bernard Maris. Paris : Presses de Sciences po, 1999. 97 pages. (La
Bibliothèque du citoyen, ISSN 1272-0496)
ISBN 2-7246-0782-1
Fiche réalisée par Micheline Rousselet professeur
lycée Jules-Ferry à Conflans-Sainte-Honorine
http://www.cndp.fr/revuedees/notelecture/200101-07.htm
Résumé
On connaît surtout Keynes pour les politiques macroéconomiques
de relance. Bernard Maris conteste cette vision réductrice.
La pensée de Keynes est révolutionnaire en ce qu'elle
introduit le déséquilibre, le temps et l'incertain
en économie. En s'intéressant à l'homme et
à son entourage l'auteur révèle le radicalisme,
le goût de l'utopie et les visions prophétiques de
Keynes.
Commentaire critique
Pour Bernard Maris on ne peut comprendre la pensée complexe
et riche de Keynes qu'en reliant les mots "économie"
et "civilisation". Keynes ne peut envisager la réflexion
économique sans l'art, la politique et le bien-être.
Aux sources de l'analyse keynésienne se trouve une réflexion
sur la psychologie des hommes et leur rapport à l'argent.
On ne peut ignorer l'influence de Freud dans cette analyse des pulsions
infantiles et inconscientes qui poussent les hommes à vouloir
détenir de l'argent. Tout comme Midas meurt de trop désirer
l'or et d'en être réduit à ne plus pouvoir consommer
puisque tout ce qu'il touche devient or, de même trop d'épargne
peut ruiner l'économie capitaliste. Pourquoi les hommes désirent-il
autant l'argent ? Parce qu'ils vivent dans l'incertitude dit Keynes.
La monnaie est un pont entre le présent et le futur. À
l'inverse des économistes orthodoxes, pour qui l'information
est parfaite et les anticipations rationnelles, Keynes dit que les
hommes ont peur du futur et des situations incertaines. Comment
réagissent-ils face à l'incertitude ? Par la confiance,
par exemple dans la valeur de la monnaie, et par la croyance que
ce qui se passe aujourd'hui continuera demain. Les agents contraints
de former leurs anticipations sur un marché ont donc un comportement
grégaire et conformiste. On est loin de l'hypothèse
de rationalité des agents qui fonde la théorie économique
orthodoxe. Keynes propose une conception totalement révolutionnaire
de l'économie. Les marchés ne sont pas nécessairement
équilibrés ni efficaces, la monnaie, en raison du
caractère impulsif qui pousse les hommes à la rechercher,
interdit a priori la comptabilité des décisions ;
de nombreuses décisions rationnelles au niveau individuel
peuvent se révéler catastrophiques au niveau collectif.
Tout ceci contredit la théorie orthodoxe. « Keynes
révolutionne l'économie en y introduisant le déséquilibre,
la monnaie et le temps ainsi que leur corollaire l'incertain ».
Keynes proclame que c'est à travers l'éthique qu'il
est parvenu à l'économie politique. Pour Bernard Maris
« il est très heureux que l'on redécouvre Keynes
à travers l'économie des conventions, dans ses aspects
éthiques, politiques et philosophiques au-delà de
l'interprétation mécanique et fausse qu'en avait faite
les néokeynésiens avec le diagramme IS-LM de Hicks
popularisé par Hansen, Modigliani et Samuelson ». Il
fait de Keynes un économiste qui a le goût de la beauté
et de l'utopie, qui pensait que les investissements socialement
utiles devaient être protégés et encouragés,
que les inégalités devaient être réduites
et l'héritage supprimé. Celui dont on a fait un économiste
révéré pensait que vers 2030, la question économique
aurait disparu et que la collectivité apaisée, débarrassée
du désir d'accumuler pour accumuler, se consacrerait à
l'éducation, aux arts, à la beauté et au culte
de l'amitié.
Bernard Maris nous offre un petit essai intéressant pour
qui cherche à mieux connaître la personnalité
de l'un des plus grands économistes. On sait que la fréquentation
par Keynes du cercle de Bloomsbury (Virginia Woolf, L. Strachey,
et B. Russel) a contribué à sa réputation d'économiste
pas comme les autres. On sait moins qu'il s'est inspiré de
Freud dans son analyse de la monnaie et qu'il est un des rares économistes
à vouloir restreindre la part de l'économie dans la
société.
http://www.alternatives-economiques.fr/lectures/L220/NL220_001.html
C’est non seulement un bon livre que Bernard Maris vient de
commettre aux éditions Bréal, mais aussi un «
beau livre ». A quelques semaines de Noël, on pourrait
en effet légitimement s’interroger sur la pertinence
du choix comme « livre du mois » d’un manuel d’économie
(fut-il « anti ») et redouter de voir s’allonger
la mine de celui à qui on prendrait le risque d’offrir
un tel cadeau. Mais là, rien à craindre. Les nombreuses
et superbes illustrations sont choisies avec goût parmi une
palette extrêmement large d’images : photos, dessins,
peintures classiques et modernes. Et cela dans une perspective qui
n’est jamais purement esthétisante : l’image
sert toujours à illustrer le texte correspondant. Faut-il
que l’économie soit ennuyeuse pour avoir besoin de
tant de belles images…
Des grands penseurs...
Le fait que ce soit un beau livre n’empêche cependant
pas cet Antimanuel d’être aussi un ouvrage de fond extrêmement
sérieux. En effet, il ne s’agit pas du tout d’un
livre pour enfant (ni même probablement pour ado) : Bernard
Maris s’adresse à des gens qui peuvent, certes, ne
pas être des spécialistes de la chose, mais qui ne
se contenteront pas d’idées simplistes et qui sont
prêts à se coltiner avec l’économie dans
toute sa complexité.
Comme un vrai manuel, l’ouvrage comprend notamment une sélection
de textes illustratifs sur chacun des thèmes abordés.
Bernard Maris fait là aussi preuve d’une grande culture
et d’une profonde originalité. On n’y trouve
pas seulement les habituels grands penseurs de la science économique,
y compris Smith, Ricardo et Hayek, même si bien sûr
Keynes ou Galbraith y figurent plus souvent. Bernard Maris fait
également largement appel à des romanciers, comme
Jonathan Swift, Guy de Maupassant, George Orwell ou Michel Houellebecq,
ainsi qu’à des philosophes, comme Martin Heidegger
ou Dominique Méda.
... aux faits économiques les plus récents
Ce qui fait le charme principal de l’ouvrage, au-delà
du choix des illustrations et de la sélection des textes,
c’est bien sûr l’écriture de Bernard Maris.
On retrouve en effet dans cet Antimanuel toute la verve et les qualités
pédagogiques de l’oncle Bernard de Charlie hebdo (Bernard
Maris y tient sous ce pseudonyme une rubrique hebdomadaire). Avec,
en plus cette fois, l’espace qui permet de développer
le raisonnement, de resituer les problématiques dans l’histoire
de la pensée économique (que Bernard Maris maîtrise
comme peu d’autres auteurs). En termes de contenu, cet Antimanuel
ne se contente pas de réfléchir aux questions de méthode
et d’aborder de manière approfondie les sujets économiques
classiques, le marché et la concurrence, le rôle de
la monnaie, les fondements de la croissance, le libre-échange…
Il entre aussi dans le détail des développements les
plus récents de l’économie réelle, avec
notamment un chapitre très informé sur « Enron
et les sept familles ». Sans oublier, bien sûr, de se
poser la question de ce que pourrait être une « autre
économie », en discutant de ce qu’est vraiment
la richesse, des systèmes d’échanges locaux
(SEL) ou du revenu universel.
On ne partagera évidemment pas toutes les appréciations
que porte Bernard Maris. Il se laisse manifestement emporter parfois
par son élan (et son talent) de polémiste. Quand il
indique par exemple que, depuis que les banques centrales sont devenues
indépendantes, « l’émission monétaire
est soumise à la volonté des grandes banques privées
», il pousse visiblement le bouchon un peu loin. En effet,
les pouvoirs publics, dont font partie intégrante les banques
centrales, conservent de puissants moyens d’orienter le volume
de la création monétaire. De même lorsqu’il
affirme que le « développement des inégalités
dans les pays du Nord n’a rien à voir avec le commerce
international », on ne peut s’empêcher de trouver
la formule trop définitive, même si on partage le point
de vue que les riches des pays du Nord se servent largement de la
mondialisation comme d’un prétexte pour mettre à
bas les systèmes de redistribution. Il n’en reste pas
moins qu’en refermant cet ouvrage, on aura non seulement pris
beaucoup de plaisir avec un beau livre, mais aussi beaucoup appris
sur l’économie.
par Guillaume Duval
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