"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Note de lecture :
Keynes ou l'économiste citoyen de Bernard Maris

origine : http://www.kitetoa.com/Pages/Textes/Kitinvestisseurs/keynes.shtml

Qui n'a pas entendu un économiste ou un politique citer Keynes et ses théories? Mais qui a lu Keynes dans le texte et connaît vraiment ses théories? C'est la question que semble poser Bernard Maris dans son dernier livre, Keynes ou l'économiste citoyen publié dans la collection La bibliothèque du citoyen aux Presses de Sciences Po.

Ne vous attendez pas à un livre pompeux, doctoral et austère sur l'économie, plein de formules complexes. Bernard Maris est bien un véritable économiste et enseigne cette discipline à Paris VIII. Mais il est aussi Oncle Bernard dans Charlie Hebdo où il explique les événements économiques et financiers sous un angle amusant. Ce vulgarisateur hors pair nous réconcilie avec une matière rendue rébarbative par ceux qui la pratiquent et qui ne savent qu'asséner des phrases tordues et alambiquées afin de la rendre incompréhensible au commun des mortels. Partant, personne n'ose contester ce qui est avancé. Qui peut contre-attaquer face à une assertion non comprise? Oncle Bernard, également auteur de l'hilarante Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles et co-auteur avec Philippe Labarde (ancien directeur de la rédaction de La Tribune et chef du service Eco du Monde) de Ah Dieu, que la guerre économique est jolie, est l'un de ces rares éminents économistes qui ne succombent pas au culte aveugle du marché et de sa main invisible. Il est sans aucun doute plus proche d'ATTAC que de Jean-Pierre Gaillard-en-direct-de-la-Bourse-de-Paris...

Lorsque l'on discute avec Bernard Maris, on passe très vite de l'économie à l'économie politique, puis à la philosophie et enfin, au bon sens. Il rend l'économie humaine... Ce qui est un vrai don.

Ainsi, son livre sur John Maynard Keynes a pour objet de "faire comprendre, dans une période de folie ou d'horreur économique, à travers la pensée de Keynes, que le plus grand économiste de son temps avait remisé l'économie au vestiaire; que l'homme qui pulvérisa définitivement et sans espoir de résurrection la pensée de "la main invisible" (la pensée du marché qui s'équilibre automatiquement si on le laisse faire, par la loi de l'offre et de la demande, pour le plus grand bonheur de l'humanité), la vulgate libérale autrement dit, avait constamment dans son projet scientifique, un souci de "civilisation".
L'économie est morte, vive la Cité, dit Keynes. Il prévoyait qu'elle verrait le jour vers 2030..."

On apprend au fil des pages combien Keynes plaçait l'homme au centre de sa vision de l'économie. L'importance donnée par cet économiste aux théories de Freud en est une illustration.

On trouvera également quelques idées qui peuvent sembler étonnantes à première vue mais dont la logique est pratiquement imparable; comme celle d'instaurer l'impossibilité de conserver de la monnaie non active, de supprimer l'héritage... "L'épargne et l'investissement infinis sont l'un et l'autre contre la civilisation" indique Bernard Maris. Il cite Keynes: "Autour de la non-consommation du gâteau poussèrent tous les instincts d'un puritanisme qui, en d'autres temps, s'était retiré du monde et avait négligé les arts productifs aussi bien que récréatifs. Et ainsi, le gâteau s'accrut. Pour quelles fins? On n'y réfléchissait pas... Il fallait épargner, disait-on, pour notre vieillesse et pour nos enfants. Mais ce n'était là qu'une théorie - et la grâce du gâteau était telle qu'il ne serait jamais mangé ni par vous, ni par vos enfants après vous" Cette analyse datant de 1920 est parfaitement d'actualité...

Les drogués des bénéfices sans fin, évoqués par José Bové, sont là. Dans cette vision du monde de Keynes lorsqu'il analyse les conséquences de la paix conclue en 1918.

Quelques idées viendront, par exemple, donner des arguments à ceux qui se sentent coincés lors d'un dîner parce qu'un convive un peu fana de Madelin lance: "il faut de la rigueur budgétaire pour que l'économie aille mieux". Bernard Maris rappelle qu'une "dépense publique signifie un accroissement de revenus pour les ménages, donc pour les entreprises, donc pour l'Etat via l'impôt. En revanche, une réduction du déficit budgétaire diminue le revenu des catégories économiques, donc diminue les recette fiscales, donc peut provoquer au bout du compte un accroissement du déficit." CQFD. Avec un peu de chances, vous allez sécher votre interlocuteur. Et vous aurez intellectuellement assassiné Michel Camdessus, et l'institution qu'il a présidée si longtemps. Petite victoire jubilatoire...

Enfin, on comprendra avec ce livre, que Keynes est une sorte de libéral de gauche ayant compris le rôle essentiel de l'Etat comme garant de la stabilité de l'économie. Précurseur de Tobin, partisan de l'intervention de l'Etat là où le privé ne veut pas mettre les pieds (ou les sous), Keynes explique que "la guerre économique entre les nations menée au nom des parts de marché, de la recherche de l'excédent commercial par la déflation, de la pression sur les salaires et la liquidité n'est pas une bonne chose: le commerce international engage les nations dans la spirale déflationniste, et il y a des chances que la guerre économique débouche sur d'autres formes de guerre. La concurrence exacerbée conduit au mauvais équilibre, l'équilibre bas, équilibre de déflation et de sous-développement, alors qu'un protectionnisme intelligent, à défaut d'une politique coordonnée au niveau mondial, enrichira et apaisera le monde."

Conclusion, si nos dirigeants qui sont tellement persuadés d'agir pour notre bien ,citent Keynes à loisir, c'est généralement pour lui faire dire des choses auxquelles il n'aurait pas souscrit une seconde...

Bref, à lire de toute urgence pour s'aérer l'esprit...

Kitetoa


Keynes ou l'économiste citoyen.
Bernard Maris. Paris : Presses de Sciences po, 1999. 97 pages. (La Bibliothèque du citoyen, ISSN 1272-0496)
ISBN 2-7246-0782-1
Fiche réalisée par Micheline Rousselet professeur lycée Jules-Ferry à Conflans-Sainte-Honorine

http://www.cndp.fr/revuedees/notelecture/200101-07.htm

Résumé

On connaît surtout Keynes pour les politiques macroéconomiques de relance. Bernard Maris conteste cette vision réductrice. La pensée de Keynes est révolutionnaire en ce qu'elle introduit le déséquilibre, le temps et l'incertain en économie. En s'intéressant à l'homme et à son entourage l'auteur révèle le radicalisme, le goût de l'utopie et les visions prophétiques de Keynes.

Commentaire critique

Pour Bernard Maris on ne peut comprendre la pensée complexe et riche de Keynes qu'en reliant les mots "économie" et "civilisation". Keynes ne peut envisager la réflexion économique sans l'art, la politique et le bien-être.

Aux sources de l'analyse keynésienne se trouve une réflexion sur la psychologie des hommes et leur rapport à l'argent. On ne peut ignorer l'influence de Freud dans cette analyse des pulsions infantiles et inconscientes qui poussent les hommes à vouloir détenir de l'argent. Tout comme Midas meurt de trop désirer l'or et d'en être réduit à ne plus pouvoir consommer puisque tout ce qu'il touche devient or, de même trop d'épargne peut ruiner l'économie capitaliste. Pourquoi les hommes désirent-il autant l'argent ? Parce qu'ils vivent dans l'incertitude dit Keynes. La monnaie est un pont entre le présent et le futur. À l'inverse des économistes orthodoxes, pour qui l'information est parfaite et les anticipations rationnelles, Keynes dit que les hommes ont peur du futur et des situations incertaines. Comment réagissent-ils face à l'incertitude ? Par la confiance, par exemple dans la valeur de la monnaie, et par la croyance que ce qui se passe aujourd'hui continuera demain. Les agents contraints de former leurs anticipations sur un marché ont donc un comportement grégaire et conformiste. On est loin de l'hypothèse de rationalité des agents qui fonde la théorie économique orthodoxe. Keynes propose une conception totalement révolutionnaire de l'économie. Les marchés ne sont pas nécessairement équilibrés ni efficaces, la monnaie, en raison du caractère impulsif qui pousse les hommes à la rechercher, interdit a priori la comptabilité des décisions ; de nombreuses décisions rationnelles au niveau individuel peuvent se révéler catastrophiques au niveau collectif. Tout ceci contredit la théorie orthodoxe. « Keynes révolutionne l'économie en y introduisant le déséquilibre, la monnaie et le temps ainsi que leur corollaire l'incertain ».

Keynes proclame que c'est à travers l'éthique qu'il est parvenu à l'économie politique. Pour Bernard Maris « il est très heureux que l'on redécouvre Keynes à travers l'économie des conventions, dans ses aspects éthiques, politiques et philosophiques au-delà de l'interprétation mécanique et fausse qu'en avait faite les néokeynésiens avec le diagramme IS-LM de Hicks popularisé par Hansen, Modigliani et Samuelson ». Il fait de Keynes un économiste qui a le goût de la beauté et de l'utopie, qui pensait que les investissements socialement utiles devaient être protégés et encouragés, que les inégalités devaient être réduites et l'héritage supprimé. Celui dont on a fait un économiste révéré pensait que vers 2030, la question économique aurait disparu et que la collectivité apaisée, débarrassée du désir d'accumuler pour accumuler, se consacrerait à l'éducation, aux arts, à la beauté et au culte de l'amitié.

Bernard Maris nous offre un petit essai intéressant pour qui cherche à mieux connaître la personnalité de l'un des plus grands économistes. On sait que la fréquentation par Keynes du cercle de Bloomsbury (Virginia Woolf, L. Strachey, et B. Russel) a contribué à sa réputation d'économiste pas comme les autres. On sait moins qu'il s'est inspiré de Freud dans son analyse de la monnaie et qu'il est un des rares économistes à vouloir restreindre la part de l'économie dans la société.


http://www.alternatives-economiques.fr/lectures/L220/NL220_001.html

C’est non seulement un bon livre que Bernard Maris vient de commettre aux éditions Bréal, mais aussi un « beau livre ». A quelques semaines de Noël, on pourrait en effet légitimement s’interroger sur la pertinence du choix comme « livre du mois » d’un manuel d’économie (fut-il « anti ») et redouter de voir s’allonger la mine de celui à qui on prendrait le risque d’offrir un tel cadeau. Mais là, rien à craindre. Les nombreuses et superbes illustrations sont choisies avec goût parmi une palette extrêmement large d’images : photos, dessins, peintures classiques et modernes. Et cela dans une perspective qui n’est jamais purement esthétisante : l’image sert toujours à illustrer le texte correspondant. Faut-il que l’économie soit ennuyeuse pour avoir besoin de tant de belles images…

Des grands penseurs...

Le fait que ce soit un beau livre n’empêche cependant pas cet Antimanuel d’être aussi un ouvrage de fond extrêmement sérieux. En effet, il ne s’agit pas du tout d’un livre pour enfant (ni même probablement pour ado) : Bernard Maris s’adresse à des gens qui peuvent, certes, ne pas être des spécialistes de la chose, mais qui ne se contenteront pas d’idées simplistes et qui sont prêts à se coltiner avec l’économie dans toute sa complexité.
Comme un vrai manuel, l’ouvrage comprend notamment une sélection de textes illustratifs sur chacun des thèmes abordés. Bernard Maris fait là aussi preuve d’une grande culture et d’une profonde originalité. On n’y trouve pas seulement les habituels grands penseurs de la science économique, y compris Smith, Ricardo et Hayek, même si bien sûr Keynes ou Galbraith y figurent plus souvent. Bernard Maris fait également largement appel à des romanciers, comme Jonathan Swift, Guy de Maupassant, George Orwell ou Michel Houellebecq, ainsi qu’à des philosophes, comme Martin Heidegger ou Dominique Méda.

... aux faits économiques les plus récents

Ce qui fait le charme principal de l’ouvrage, au-delà du choix des illustrations et de la sélection des textes, c’est bien sûr l’écriture de Bernard Maris. On retrouve en effet dans cet Antimanuel toute la verve et les qualités pédagogiques de l’oncle Bernard de Charlie hebdo (Bernard Maris y tient sous ce pseudonyme une rubrique hebdomadaire). Avec, en plus cette fois, l’espace qui permet de développer le raisonnement, de resituer les problématiques dans l’histoire de la pensée économique (que Bernard Maris maîtrise comme peu d’autres auteurs). En termes de contenu, cet Antimanuel ne se contente pas de réfléchir aux questions de méthode et d’aborder de manière approfondie les sujets économiques classiques, le marché et la concurrence, le rôle de la monnaie, les fondements de la croissance, le libre-échange… Il entre aussi dans le détail des développements les plus récents de l’économie réelle, avec notamment un chapitre très informé sur « Enron et les sept familles ». Sans oublier, bien sûr, de se poser la question de ce que pourrait être une « autre économie », en discutant de ce qu’est vraiment la richesse, des systèmes d’échanges locaux (SEL) ou du revenu universel.
On ne partagera évidemment pas toutes les appréciations que porte Bernard Maris. Il se laisse manifestement emporter parfois par son élan (et son talent) de polémiste. Quand il indique par exemple que, depuis que les banques centrales sont devenues indépendantes, « l’émission monétaire est soumise à la volonté des grandes banques privées », il pousse visiblement le bouchon un peu loin. En effet, les pouvoirs publics, dont font partie intégrante les banques centrales, conservent de puissants moyens d’orienter le volume de la création monétaire. De même lorsqu’il affirme que le « développement des inégalités dans les pays du Nord n’a rien à voir avec le commerce international », on ne peut s’empêcher de trouver la formule trop définitive, même si on partage le point de vue que les riches des pays du Nord se servent largement de la mondialisation comme d’un prétexte pour mettre à bas les systèmes de redistribution. Il n’en reste pas moins qu’en refermant cet ouvrage, on aura non seulement pris beaucoup de plaisir avec un beau livre, mais aussi beaucoup appris sur l’économie.

par Guillaume Duval