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Qu’est-ce que la philosophie, de Deleuze et Guattari
Conclusion : du chaos au cerveau
Chapitre 2 - Le plan d’immanence

Origine : http://www.darnziak.com/notes/notes3.htm

Qu’est-ce que la philosophie, de Deleuze et Guattari
Conclusion : du chaos au cerveau

La conclusion est très complexe et difficile, je n’en ressortirai que quelques idées.
Le chaos nous menace; les idées s’échappent sans cesse, retombe dans l’oubli. Nous voulons quelque chose pour nous protéger de ce chaos. Voilà pourquoi tant de gens s’attachent à des opinions, socles solides parmi ce chaos mental incertain. Les opinions sont rassurantes, protègent. L’opinion comme une ombrelle pour nous protéger du chaos. Réunis sous une pensée commune.

Au contraire, « La philosophie, la science et l’art veulent que nous déchirions le firmament et que nous plongions dans le chaos. Noyus ne vaincrons qu’à ce prix. » (p.190) Ce sont aussi des façons d’affronter le chaos, mais en « plongeant » dedans. L’exemple de la science est peut-être l’exemple le plus compréhensible. Plutôt que de se contenter d’opinions transmises, comme le seraient les croyances d’une religion (ce qui cause la pluie, c’est les pleurs de dieu), la science « plonge » dans le chaos pour essayer de le comprendre et de le définir rationnellement, à l’aide de ses fonctions, qui actualisent des états de choses. Dans ce tourbillon sans cesse en mouvement qu’est le monde autour de nous et en nous, la science effectue des ralentie, elle parvient à mathématiser ce qui se passe en fonction qui nous permettent de l’affronter.

Même chose pour l’art et pour la philosophie, qui plongent dans le chaos pour ramener des œuvres artistiques et des philosophies; autant de façon d’affronter le chaos, de le voir à travers un plan protecteur. L’art, la science, la philosophie s’approchent sans cesse du chaos, entrent chez l’ennemi.
« On dirait que la lutte contre le chaos ne va pas sans affinité avec l’ennemi; parce qu’une autre lutte se développe et prends plus d’importance, contre l’opinion qui prétendait pourtant nous protéger du chaos lui-même ». (p.191)

L’opinion, qui prétend nous sauver du chaos, nous y reconduit, nous lance dans une bataille, un affrontement infini d’opinions… Le scientifique, l’artiste, le philosophe se battent plus contre l’opinion que contre le chaos; du chaos, il ramènent les armes contre l’opinion.
« L’artiste se bats moins contre le chaos que contre les « clichés » de l’opinion (…) L’art n’est pas le chaos, mais une composition du chaos qui donne la vision ou sensation, si bien qu’il constitue un chaosmos, comme dit Joyce, un chaos composé- non pas précu ni préconçu ». L’opinion qui infiltre l’art, c’est le cliché. Un cliché : une composition de perception / affection devenue commune, banale, une simple opinion reçue, connue de tous. Le cliché n’est pas une création. L’ennemi de l’art, c’est le cliché (ou le kitsch, dirait Kundera).

« La philosophie lutte contre le chaos comme abîme indifférencié ou océan de la dissemblance ». Les concepts sont les boucliers de la pensée philosophique contre le chaos : objets mentaux déterminables comme être réels, qui ont une consistance, une réalité. Les concepts sont ce qu’il y a de plus « solide », de plus protecteur dans ce chaos mental indifférencié qu’est la pensée. Ce qui protège, ce ne sont pas les opinions; ce sont les concepts que l’on crée soi-même, qui nous permettent de penser le monde « à notre façon ». « Un concept est donc un état chaoïde par excellence; il renvoie à un chaos mental rendu consistant, devenu Pensée, chaosmos mental » (p.196)

« La lutte contre le chaos n’est que l’instrument d’une lutte plus profonde contre l’opinion, car c’est de l’opinion que vient le malheur des hommes » (p.194)
Voilà les véritables couleurs de Deleuze et Guattari qui sont révélées : ce qui cause le malheur de l’homme, c’est l’opinion. Le salut, s’il y en a un, passe par l’art, la science et la philosophie; seules protections véritables contre le chaos.

« Le chaos à trois filles suivant le plan qui le recoupe : ce sont les Chaoïdes, l’art, la science et la philosophie, comme formes de la pensée ou de la création. On appelle chaoïdes les réalités produites sur des plans qui recoupent le chaos (…) la jonction (non pas l’unité) des trois plans, c’est le cerveau. »
(28 novembre)

Origine : http://www.darnziak.com/notes/notes3.htm


Origine : http://www.darnziak.com/notes/notes24.htm

« Qu’est-ce que la philosophie? » de Deleuze et Guattari
Chapitre 2 - Le plan d’immanence


Quelques notes pour le cercle de lecture (13 octobre 2003) Toute création en philosophie présuppose l’instauration d’un plan d’immanence; le milieu sur lequel les concepts se poseront, sur lequel les concepts se connecteront. Il faut poser ses concepts « quelque part » : c’est ce lieu, situé dans la pensée, que nous le faisons. Un plan d’immanence, c’est l’image de la pensée. C’est une totalité, Un-Tout, une construction, un assemblage. Une philosophie achevée est une multiplicité de concepts installés sur un plan. Ce plan est une sorte de découpage, de coupe du chaos qui nous entoure.

« Précisément parce le plan d’immanence est pré-philosophique, et n’opère pas déjà avec des concepts, il implique une sorte d’expérimentation tâtonnante, et son tracé recourt à des moyens peu avouables, peu rationnels ou raisonnables. » (p.44)

Comment je vois cela? Avant de se mettre à penser, avant de créer nos concepts, nous nageons dans une sorte de bouillie mentale, dans une sorte de flou, un chaos interne. « Le chaos à une existence mentale aussi bien que physique ». La philosophie cherche à établir une consistance, une certaine solidité, que le chaos veut défaire à tout instant. Notre pensée nage dans le flou, mais ses points d’ancrages sont les concepts. Le chaos nage tout autour. Instaurer un plan d’immanence, c’est établir un lieu, un milieu, une atmosphère où les concepts pourront se former, se cristalliser, se solidifier, se lier entre eux, acquérir une consistance, sortir du chaos. Ensuite ces concepts sont utilisables par la pensée, par la raison. Ils deviennent philosophiques. Mais d’abord, il doit y avoir une certaine expérimentation, une errance, le flou de notre pensée doit former un plan, une coupe du chaos, comme une atmosphère est nécessaire pour l’apparition de la vie, le plan est nécessaire pour l’apparition des concepts.

La science entend donner des références au chaos (ce sera exploré plus tard dans le livre, je suppose). La philosophie veut au contraire garder, conserver l’aspect infini du chaos (notre chaos mental en temps normal est infini, les images et les sensations qui y bouillonnent sont en nombre infinis, nous sautons d’un lieu à l’autre, dans un va et vient ininterrompu, « comme un chien qui fait des bonds désordonnés »).

Le plan d’immanence à deux faces : physis et noûs, présente une matière de l’Être et une image de la pensée. Crée une manière de concevoir l’être, l’extérieur, la matière du monde (l’eau chez Thalès, l’infini chez Anaximandre, le feu chez Héraclite…etc.) Crée aussi une image de la pensée : qu’est-ce que la pensée?

Pourquoi immanence? Ce qui différencie la philosophie de la religion, c’est que celle-ci tente d’expliquer à la fois la nature et la pensée sans recourir à la transcendance. C’est ce qu’on veut dire lorsqu’on dit que les philosophes sont « rationnels ». Thalès a voulu expliquer le monde avec l’eau. Héraclite, le feu, etc. Par contre, la philosophie a sans cesse tendance à retomber dans la transcendance, à recourir à la transcendance. Cette tendance se retrouve partout. Qu’est-ce que la transcendance? Recours à quelque chose dépassant notre monde, au surnaturel. Au religieux. Ce n’est pas l’objet de la philosophie.

C’est d’ailleurs ce qui me déçoit inévitablement chez tous les philosophes que j’étudie. Le mouvement de départ est habituellement immanent, comme par exemple La critique de la raison pure de Kant, qui tente de définir et de limiter la raison (donc la pensée) à l’intérieur d’elle-même. Mais tôt ou tard, un philosophe transgresse cette limite et recourt à la transcendance. Kant lui-même a formidablement diagnostiqué cette tendance de l’esprit humain à s’enferrer dans des erreurs inévitables lorsqu’il tente de dépasser les bornes de la raison : les Idées d’âme, de monde infini, de liberté, de dieu, de nécessité… Il place un horizon à la raison, et se tient sur sa crète. À l’intérieur, le champs de l’expérience et des phénomènes, à l’extérieur, le monde nouménal, la chose en soi, absolument inconnaissable…

Mais Kant est perché en déséquilibre sur cette difficile crête. Finalement, il bascule de l’autre côté. Dans sa morale, la transcendance réapparaît. La limite est transgressée. De façon peut-être bénigne (Kant maintient que nous ne pouvons pas savoir si l’âme est immortelle ou non, si nous sommes libres ou non, si Dieu existe ou non), mais transgressée tout de même, puisqu’il dit que nous avons besoin d’utiliser ces idées pour notre morale, faire « comme si » nous étions libre, comme si nous avions une âme immortelle, comme si Dieu existait. Nous ne pouvons rien dire à propos de la transcendance, mais nous pouvons l’utiliser comme supposition pour baser notre morale. Or, à mon avis, il s’agit d’une transgression de l’immanence. C’est sortir du champs de la philosophie.

Le noumène ne devrait en aucun cas, même en morale, recouper la philosophie. Une piste pour explorer la raison pour laquelle Kant a réintroduit la transcendance : il n’avait pas conçu encore de philosophie généalogique, comme le fera ensuite Schopenhauer et surtout Nietzsche. Selon Kant, si nous n’étions pas libre, nous n’aurions pas ce sentiment qu’il faut « faire notre devoir » et la possibilité de le faire ou non. Or, il n’a jamais pensé que ce sentiment qu’il faut faire notre devoir peut très bien être généré par notre inconscient qui nous dirige (Schopenhauer dira : par la volonté). La présence du devoir en nous ne valide pas un libre-arbitre, il me semble. Ce devoir peut avoir une source parfaitement déterminée, même si c’est inconsciemment. Kant lui-même, dans ses antinomies, nous dit qu’on ne peut pas savoir si nous sommes libres ou non. Il y a une possibilité de liberté, mais rien ne nous la prouve. Je crois qu’un libre-arbitre n’est pas nécessaire à la morale. Hume est capable d’expliquer la morale d’une façon très convaincante sans Dieu, sans liberté, sans immortalité de l’âme.

Il est très difficile pour les philosophes de ne pas laisser la transcendance transpercer leur plan. Selon Deleuze, le seul à avoir vraiment réussi à ne pas la laisser pénétrer, c’est Spinoza (il me faudrait aller vérifier pourquoi). Chez Platon et les néoplatoniciens, par exemple, l’immanence ne constitue pas l’Un-Tout, l’immanence est « à » l’un, l’immanence est immanence à quelque chose, donc quelque chose de transcendant. Au moyen âge, la situation était bien plus grave : les philosophes ne pouvaient qu’injecter de petites doses d’immanence dans leur philosophie, et devaient toujours la rapporter à un principe transcendant. La philosophie du moyen âge est donc d’un intérêt très limité, étroit. Elle a généré des concepts intéressants, mais le plan d’immanence était bien trop restreint.

On peut dire que chaque grand philosophe instaure son propre plan, apporte une nouvelle matière de l’être, dresse une nouvelle image de la pensée, pense « autrement » (selon le mot de Foucault). Se pose alors le problème de la communication. « Mais alors comment s’entendre en philosophie, s’il y a tous ces feuillets qui tantôt se recollent et tantôt se séparent? Ne sommes-nous pas condamnés à tenter de tracer notre propre plan, sans savoir lequel il va recouper? ». Difficile de savoir comment les plans se recoupent les uns les autres…

À propos de la vérité. On a longtemps défini la philosophie comme une recherche du vrai; jusqu’à Nietzsche, personne n’a jamais remis en question cette idée. (Voir la dévastatrice critique de Nietzsche qui ouvre Par delà bien et mal, « Des préjugés des philosophes »). Deleuze nous dit que la vérité est ce que la pensée crée, la vérité n’est pas établie préalablement. Elle est comme la direction vers laquelle les concepts tendent, mais la vérité n’est pas elle-même un concept. (?)

Deleuze nous dit aussi que l’histoire de la philosophie ressemble à l’art du portrait, il s’agit, lorsqu’on présente la pensée d’un philosophe, de faire une sorte de portrait mental. Cela me fait penser à une vieille idée d’Anomalie : je disais alors que mes textes étaient des photographies, voire des radiographies de l’intérieur de mon crâne. Une image de ma pensée, de sa façon de s’ordonner. Un cliché instantané de la position et de la consistance de certains concepts.

Autre idée qui me plait beaucoup : « Le temps philosophique est ainsi un temps grandiose de coexistence, qui n’exclut pas l’avant et l’après, mais les superpose dans un ordre statigraphique ». (p.58) Les plans d’immanence des différents philosophes sont des strates superposées, existence simultanément. Voilà pourquoi nous étudions toujours les anciens philosophes. Nous étudions différentes images de la pensée car des pans entier de ces anciens plans peuvent remonter, être réactualisés sur notre propre plan. La pensée peut générer des concepts à partir des évènements qui nous entourent, des évènements actuels, mais les concepts aussi sont des évènements, et les concepts des anciens philosophes sont des évènements. « La philosophie est devenir, non pas histoire; elle est coexistence de plans, non pas succession de systèmes ». Ce n’est pas comme en science, où la science d’aujourd’hui est un progrès sur la science d’hier, où l’étude des anciens systèmes n’a qu’un intérêt historique. L’histoire de la philosophie fait partie de la philosophie. Elle ne progresse pas dans une direction, elle grandit, grossit, elle s’enrichi avec le temps. Chaque nouveau plan superposé enrichi la pensée humaine, ajoute de nouvelles images de la pensée. Étudier les autres images de la pensée enrichi directement notre propre pensée, nous aide dans la tâche du philosophe, qui est celle d’instaurer notre propre plan et de créer nos propre concepts.

Idée finale, difficile : LE plan d’immanence ultime, le « meilleur », est présent, non-pensé dans chaque plan. Ce serait un plan de totale immanence, qui ne ferait entrer aucune transcendance. Selon Deleuze, le seul philosophe à avoir réussi cela est Spinoza, en quelque sorte le christ des philosophes.

Origine : http://www.darnziak.com/notes/notes24.htm