A paraître à l’automne 2002 dans les Cahiers Genre
et développement n°3, coordonné par Jeanne Bisilliat,
Paris
Ce texte a également servi de base pour la communication présentée
lors du III ème Colloque International des Recherches féministes
francophones « Ruptures, résistances et utopies »,
Université de Toulouse-Le Mirail, 17 /22 Septembre 2002, lors
de la table ronde « Femmes et mondialisation »
Femmes, féminisme et “développement”
: une analyse critique des politiques des institutions internationales
Jules Falquet
Le terme de “développement” constitue un raccourci
ou un euphémisme pour parler de l’organisation internationale
de la production, du commerce et de la consommation. De fait, les orientations
du développement sont le fruit d’un rapport de forces complexe
et d’une lutte multiforme entre différents secteurs aux
intérêts contradictoires. Une analyse en termes de rapports
sociaux fait apparaître trois grandes oppositions, que l’on
pourrait rattacher à l’exploitation de classe, raciste
et de sexe. En effet, on peut considérer que le “développement”
est le fruit de l’évolution historique de rapports capital/travail
au sein de chaque société. Simultanément, le développement
est aussi le produit d’un système de relations internationales
marquées par la colonisation et l’impérialisme,
les rapports de forces Ouest-Est et surtout Nord-Sud. Une troisième
perspective —trop souvent négligée— montre
finalement le développement comme le résultat de l’évolution
des rapports sociaux de sexe et de la division sexuelle du travail.
Ici cependant, tout en gardant à l’esprit cette première
grille de lecture en termes de rapports sociaux, nous analyserons plutôt
les dynamiques créées par les principaux acteurs socio-politiques
et institutionnels du développement.
Nous distinguerons ici quatre grands acteurs, ou groupes d’intérêts,
qui se recoupent éventuellement et tentent d’imposer leurs
propres vues. D’abord, les Etats nationaux, qui se regroupent
en blocs mais luttent dans un cadre de plus en plus unipolaire dominé
par les Etats-Unis. Ensuite, le secteur privé, clairement capitaliste
et orienté vers le profit, où l’on trouve en particulier
une poignée de multinationales de plus en plus gigantesques,
souvent liées au complexe militaro-industriel (1). En troisième
lieu, la population, qui s’exprime à travers une série
de mouvements sociaux, d’organisations syndicales et sectorielles
et aujourd’hui d’ONGs qui constituent ce qu’il est
convenu d’appeler la “société civile (2)”.
Enfin, tentant de se situer au-dessus de la mêlée et de
se poser en arbitre, apparaissent un ensemble d’institutions internationales
créées par le système de Bretton Woods, principalement
l’ONU et ses satellites spécialisés, dont le FMI
et la Banque mondiale.
L’interpénétration croissante des discours et des
pratiques des institutions internationales d’une part, et d’autre
part de ceux des mouvements sociaux et des ONGs —en particulier
de femmes et féministes—, fera l’objet de cet article.
Plus précisément, nous nous demanderons dans quelle mesure
il n’existe pas une récupération par les instances
internationales du travail et de la légitimité du mouvement
des femmes et féministe, pour imposer un développement
“consensuel”, qui est en réalité diamétralement
opposé tant aux intérêts des femmes qu’aux
analyses radicalement tranformatrices du féminisme. Pour ce faire,
nous nous appuierons sur une série de réflexions et de
recherches que nous avons effectuées depuis 1992, sur les mouvements
sociaux latino-américains, sur le “genre » dans les
politiques européennes de développement et sur la question
des femmes dans le « développement durable ». Nous
reprendrons également à ce sujet un certain nombre de
réflexions d’une partie du mouvement féministe latino-américain
et des Caraïbes, qui débat très activement de son
“ONGisation » et de son institutionnalisation depuis sa
VIème rencontre continentale de 1993 au Salvador.
Nous nous demanderons dans une première partie comment l’ONU
a réussi à se constituer face à la « société
civile » en un acteur central et incontournable, qui prépare
une sorte de « bonne gouvernance » mondiale « participative
» qu’on pourrait aussi lire comme une savante neutralisation
des mouvements sociaux. Ainsi, nous verrons en premier lieu comment,
à travers la problématique du « développement
durable », l’ONU a réussi à se poser en «
bienfaitrice responsable » de l’humanité. Nous examinerons
ensuite comment, par rapport aux femmes, l’ONU a su se présenter
en « alliée », mais aussi comment elle a su dans
une certaine mesure récupérer leur mouvement pour le rendre
fonctionnel dans le système. Enfin, nous analyserons plus en
détail le fonctionnement de la « gouvernance mondiale »
de l’ONU et sa manière de faire participer la population
autour des priorités qu’elle définit, à travers
l’exemple du tourisme.
Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur d’autres
institutions internationales avec lesquelles travaille l’ONU,
en particulier la Banque mondiale, le FMI et l’Agence internationale
pour le développement (AID). Nous verrons comment celles-ci pèsent
dans la définition du « nouvel ordre mondial du développement
», dominé par les intérêts occidentaux et
plus particulièrement nord-américains. Nous évoquerons
d’abord la conception environnementale de la Banque mondiale et
trois exemples de projets de « développement » en
Amérique latine. Nous aborderons ensuite la question des politiques
internationales de population, leur philosophie et leur pratique, qui
attaque directement les femmes du Sud. Enfin, nous nous pencherons sur
le développement des politiques de micro-crédit pour les
femmes, qui illustre de manière particulièrement frappante
les connivences entre différentes organisations internationales
au détriment des femmes.
L’influence de l’ONU : construction d’une
« gouvernance » mondiale ou neutralisation des mouvements
sociaux?
Rappelons d’emblée le caractère dialectique et complexe
des phénomènes : certes, l’ONU dispose d’une
stratégie à long terme et de moyens considérables
pour arriver à ses fins, et c’est ce dont nous parlerons.
Cependant, les mouvements sociaux et les ONGs possèdent une importante
marge d’autonomie d’action et élaborent activement
des stratégies propres, qu’une autre perspective pourrait
souligner. Par ailleurs, il s’agit d’une analyse à
très grands traits. Ce que l’on désigne ici sous
le nom d’ONGs recouvre un ensemble de réalités très
diverses, sans compter que leur positionnement politique a considérablement
changé avec le temps. De même, nous abordons l’ONU
comme un tout, alors qu’il s’agit d’un système
gigantesque qui affronte bien évidemment d’énormes
contradictions internes. Cet article se propose seulement d’ouvrir
le débat, en espérant que la réflexion soit poursuivie
et approfondie.
La lente émergence de la notion de « développement
durable » et la constitution de l’ONU en « protectrice
» de l’environnement
L’ONU travaille activement depuis déjà plus de trente
ans sur les rapports entre le développement et l’environnement,
officialisant peu à peu la notion de « développement
durable ». Bien qu’elle ait agi en partie sous la pression
des mouvements sociaux (écologiste et féministe principalement)
et dans un contexte international qui imposait de toutes façons
des changements, nous verrons ici comment l’ONU a réussi
à « prendre la main » dans le domaine de la «
défense » de l’environnement contre les « intérêts
égoïstes » qui la menacent, et à capitaliser
une indéniable sympathie-légitimité en ce domaine.
Les années 70, inaugurées par la réflexion critique
d’Ester Boserup (1970) sur le rôle des paysannes du Sud,
voient naître l’intérêt de l’ONU pour
de nouveaux paradigmes en matière de développement. En
effet, dès 1972, l’ONU organise à Stockholm une
première conférence internationale sur « l’environnement
humain », c’est-à-dire sur les rapports qui unissent
le développement humain et la protection de l’environnement.
Cette première conférence est suivie d’efforts dans
deux grandes voies éminemment complémentaires. D’un
côté, l’ONU alimente une réflexion permanente
sur le développement, elle finance et réalise un ensemble
d’actions concrètes sur le terrain. De l’autre, elle
s’impose comme l’organisatrice de grandes conférences
décennales sur l’environnement et le développement,
dont la plus populaire a sans conteste été celle de Rio
(Sommet de la Terre, 1992), qui doit être suivie pendant l’été
2002 par une Conférence de Rio+10, qui se tiendra à Johannesburg.
Parallèlement à la conférence de Stockholm (1972),
apparaît le Rapport Meadows sur « Les limites de la croissance
», commandité par le Club de Rome. A une époque
où la croissance est vue comme une évolution exponentielle
permise par le « progrès » et la maîtrise technologique,
ce rapport signale que la rareté des ressources naturelles essentielles
(eau, terre, sources d’énergie) constituera forcément
à courte échéance un obstacle majeur à la
poursuite du développement. Dans ce contexte, et avec le subit
renchérissement du prix du pétrole et le développement
de forts mouvements révolutionnaires et sociaux, en particulier
féministes et écologistes, on assiste durant la décennie
à une profonde remise en cause des paradigmes dominants concernant
l’intégration des femmes et de l’environnement dans
le développement, qui se poursuit au cours des années
80 (3).
Dans le cadre de ses activités de suivi de la conférence
de Stockholm, l’ONU suscite en 1983 la formation d’une Commission
mondiale pour l’environnement et le développement humain,
symboliquement présidée par une femme, la Norvégienne
Gro Harlem Bruntland. En 1987, celle-ci rend son rapport, intitulé
« Notre futur commun », que l’Assemblée générale
de l’ONU reprend à son compte comme nouveau paradigme du
développement. Ce rapport est le premier à définir
la nécessité du « développement durable »,
comme « un développement qui résoud les besoins
du présent sans compromettre la possibilité des futures
générations de résoudre les leurs » (WCED,
1987). Bien que plus de 70 acceptions différentes du terme soient
apparues depuis, cette définition —somme toute assez vague—
est celle qui prévaut jusqu’à aujourd’hui
dans la plupart des institutions internationales, parmi lesquelles le
Fonds des Nations unies pour les activités de population (FNUAP),
le Club de Rome, l’Organisation mondiale pour l’agriculture
et l’alimentation (FAO), ou le Programme des Nations unies pour
l’environnement (PNUE). Par ailleurs, le rapport Bruntland a le
mérite d’établir clairement les liens entre pauvreté,
inégalités sociales et détérioration de
l’environnement, en montrant comment le mécanisme de la
dette extérieure oblige les pays du Sud à surexploiter
leurs ressources et à réduire leurs dépenses sociales.
A ses accents progressistes, propres à susciter une vaste adhésion,
le rapport ajoute une critique notable à l’industrie militaire,
qui s’approprie des ressources « qui pourraient être
utilisées de manière plus productive pour diminuer les
menaces sur la sécurité causées par les conflits
environnementaux et les ressentiments crées par la généralisation
de la pauvreté » (idem).
Quand en 1992 se tient le sommet suivant de l’ONU, organisé
à Rio et présenté comme le « Sommet de la
terre (4) », le contexte est favorable à ce que l’ONU
apparaisse comme la seule instance réellement préoccupée
de manière « neutre » par la survie de l’humanité,
qui se découvre à cette époque gravement menacée
par le réchauffement de la planète, provoqué par
l’effet de serre et la détérioration de la couche
d’ozone. L’ONU se propose alors d’établir un
Agenda pour le XXI ème siècle (plus prosaïquement
Agenda 21), prenant symboliquement les rênes du destin planétaire,
avec l’approbation tacite de « l’opinion publique
». De fait, l’ONU n’a pas lésiné pour
promouvoir une importante participation de la « société
civile ». Par exemple, en ce qui concerne les femmes —l’association
se fait « spontanément » avec la protection de la
« Nature »—, un organisme du système-ONU, en
l’occurrence le Programme des Nations unies pour l’environnement
(PNUE), a monté dès 1991 une conférence préparatoire
des femmes. Co-invitée par l’Assemblée globale femmes
et environnement, la Conférence de Miami réunit plus de
1.500 femmes et féministes membres d’ONGs environnementalistes,
qui élaborent leur propre programme d’action, l’Agenda
21 des femmes. De sorte que pendant la conférence des ONGs parallèle
à la conférence des gouvernements de Rio, les femmes participent
avec enthousiasme : leur tente, « Planeta fêmea »,
est sans conteste la plus importante et la mieux organisée (Femmes
et changements, 2001). C’est pour beaucoup l’occasion de
mettre en pratique, avec une habileté consommée, diverses
stratégies de lobbying pour faire avancer leurs revendications.
A l’issue de Rio, les propositions des femmes sont en partie reflétées
dans la Déclaration des ONGs, et surtout dans l’Agenda
21 issu de la Conférence des Etats, dont le chapitre 24 en particulier
concerne spécifiquement « l’action globale pour les
femmes vers le développement durable et équitable »
(Hemmati & Seliger, 2001).
Depuis, l’ONU a poursuivi avec zèle ses activités
en faveur du développement durable et de la mise en pratique
de la « Déclaration de Rio ». Pendant toute la période,
elle a organisé une série d’autres conférences,
elles aussi décennales, sur un ensemble de thèmes (femmes,
population, habitat, sécurité alimentaire, entre autres)
qui ont contribué chacune à leur manière à
la définition actuelle du développement durable. La conception
qui prévaut aujourd’hui est que le développement
durable, en plus d’être nécessairement enraciné
dans le « local », doit s’appuyer sur trois piliers
: économique, environnemental et social. Autrement dit, pour
être durable, le développement doit se baser sur une certaine
« rationalité » économique, doit prendre en
compte la situation environnementale et doit inclure « l’équité
sociale », notamment en termes de « genre ». Surtout,
il doit être « participatif », pour jouir d’une
véritable légitimité et permettre une « bonne
gouvernance » mondiale. Ce nouveau paradigme, repris par le FMI
et la Banque mondiale et lié à la nouvelle réalité
du monde unipolaire, reflète l’idéal d’une
sorte d’administration globale sous l’égide des institutions
internationales. Pour la gestion du système, et en particulier
du « développement », dans le cadre de la mondialisation
et de la globalisation, l’ONU joue un rôle central. Et de
fait, c’est elle qui organise le prochain rendez-vous central
en la matière, en l’occurrence la Conférence de
Johannesburg sur le « développement durable ». Prévue
pour l’été 2002, en forme de bilan dix ans après
la celle de Rio, cette conférence concerne très directement
les femmes.
Quand l’ONU parraine les femmes
En parallèle à ses activités concernant l’environnement,
l’ONU s’est aussi intéressée spécifiquement
aux femmes, créant progressivement un système complexe
et toujours plus incontournable d’espaces internationaux de débat
et de « participation », dont le point culminant sont les
conférences mondiales sur la Femme. On évoquera ici quelques
aspects de l’influence croissante —idéologique et
pratique— de l’ONU sur le mouvement des femmes et la réflexion
féministe.
Dès 1975, l’ONU organise une « décennie de
la Femme », inaugurée par une conférence internationale
à Mexico (5), suivie d’une conférence intermédiaire
à échéance de cinq ans réalisée à
Copenhague, et close par une Troisième conférence tenue
à Nairobi en 1985. La Quatrième conférence mondiale
de la femme, qui a lieu à Pékin en 1995, couronne un deuxième
cycle de dix ans et une période d’intense activité
onusienne à propos d’autres thèmes qui intéressent
de très près les femmes : le développement durable,
à Rio en 1992, évoqué ci-dessus, les droits de
la personne, à Vienne en 1993, et les questions de population,
au Caire, en 1994. Au cours de cette dernière conférence
notamment, face à l’union de différents Etats catholiques
et musulmans contre le droit des femmes à disposer de leur corps,
l’ONU réussit à apparaître comme principal
allié « protecteur » des femmes. Enfin, pour évaluer
les résultats de la mise en œuvre de la « Plate-forme
de Pékin », une évaluation quinquennale, baptisée
« Pékin+5 », a eu lieu en 2000 à New York.
Toutes ces conférences sont assorties de réunions de préparation
et de suivi qui forment un calendrier serré d’activités
internationales auxquelles la « société civile »
est vivement invitée à participer (Hematti & Seliger,
2001).
Certaines analystes, parmi lesquelles de nombreuses féministes
aussi bien du Nord que du Sud, jugent éminemment positives la
Plate-forme et les stratégies d’action issues de Pékin,
et célèbrent comme une victoire du féminisme le
fait d’avoir réussi à introduire la « perspective
de genre » jusque dans « l’agenda » de l’ONU.
Le fait est que dans de nombreux pays, des ministères ou secrétariats
d’Etat féminins ont été créées
dans le cadre de l’application des engagements pris à Pékin,
un peu partout dans le monde on a assisté à des changements
législatifs en faveur des femmes et dans de nombreuses instances
nationales et internationales, d’importants —quoiqu’insuffisants—
budgets ont été dégagés pour promouvoir
« l’équité de genre ». Pour beaucoup
de féministes, la Plate-forme de Pékin constitue désormais
un outil indispensable qui oriente leurs revendications. Selon leur
perspective, elle est l’heureux résultat de leurs stratégies
de lobbying qui ont permis l’adoption du paradigme du mainstreaming,
terme vague aux contenus multiples qu’on peut résumer par
l’inclusion de la « perspective de genre » dans l’ensemble
des problématiques, et en particulier dans tout ce qui se réfère
au développement et à sa durabilité.
Cependant, le phénomène le plus intéressant à
observer, est la façon dont l’ONU a réussi peu à
peu à absorber les activités des organisations de femmes
dans ses propres conférences. En effet, en 1975, à Mexico,
certaines féministes avaient réalisé un ensemble
d’actions en dehors de la conférence, notamment pour dénoncer
celle-ci comme une tentative de récupération de leur mouvement.
Au contraire, en 1995, le Forum des ONGs était organisé
par l’ONU elle-même, et suscitait une exceptionnelle participation
des femmes et du mouvement féministe à l’échelle
mondiale, avec pour principal objectif de se faire entendre précisément
par l’ONU et les gouvernements.
On retrouve dans les autres conférences de l’ONU ce même
phénomène, cependant la Conférence de Pékin
illustre particulièrement bien la mise en place du dispositif
« participatif » de l’ONU. En effet, à cette
occasion il apparut de manière complètement explicite
que l’ONU chapeautait simultanément les deux événements
: la Conférence officielle des gouvernement et le Forum parallèle
des ONGs, en définissant soigneusement les mécanismes
destinés à intégrer et séparer les deux.
Le Forum des ONGs avait lieu plusieurs jours avant la Conférence
et à quarante kilomètres de celle-ci. Afin d’éviter
toute interférence incontrôlée entre les deux réunions,
le seul canal de communication officiel prévu était un
bref compte-rendu à la Conférence gouvernementale de la
présidente du Forum des ONGs —désignée d’avance
par l’ONU. De surcoît, le gros du travail était réalisé
en amont, par le biais d’un long processus préparatoire.
L’ONU souhaitait ainsi faire en sorte que dans chaque pays, les
ONGs (féministes, de femmes et mixtes) se rapprochent du gouvernement
en place, afin d’établir si possible un seul rapport sur
la situation des femmes et une seule série de recommandations.
Il était même prévu de faire inclure —de manière
assez arbitraire— des représentant-e-s d’ONGs dans
les délégations gouvernementales. Ce système favorisait
à la fois la perte d’autonomie du mouvement face aux Etats
respectifs et la minorisation des positions féministes, noyées
dans un consensus large avec les positions gouvernementales et celles
d’ONGs non-féministes également appellées
à se prononcer. De plus, l’ONU avait clairement défini
d’avance les thèmes qui devaient être évoqués
dans les rapports, région par région, en prenant soin
d’indiquer les possibles sources d’information et le type
d’indicateurs, principalement quantitatifs, qu’elle souhaitait
voir utiliser (Más alla de Beijin, 1994). Enfin, l’ONU,
à travers diverses instances, mettait d’importants financements
à disposition des ONGs ou de consultantes particulières
—généralement issues du mouvement féministe—
pour l’élaboration de ces rapports et pour permettre à
des femmes du monde entier de se rendre à Pékin.
Le débat des féministes latino-américaines et des
Caraïbes sur l’institutionnalisation ou ONGisation de leur
mouvement —qui commence lors de leur VIème rencontre continentale
de 1993 au Salvador, en plein processus de préparation de Pékin,
et se poursuit avec vigueur une fois éteints les feux de la conférence
de l’ONU lors de leur rencontre suivante au Chili, en 1996—
permet de mieux saisir les effets de cette politique (Falquet, 1998).
La rencontre du Chili constitue en quelque sorte le point culminant
de la critique portée par le courant « féministe
autonome (6) » qui se poursuit cependant, quoiqu’avec moins
de passion, lors de la VIII ème rencontre de 1999 en République
Dominicaine (7) (Falquet, 1999). Le fait est qu’à l’heure
actuelle, et malgré des différences de pays à pays,
le mouvement féministe semble devenu un vaste champ d’ONGs
professionnalisées —organisées en réseaux
spécialisés et dépendant étroitement de
financements extérieurs—, de centres de recherches universitaires
ou para-universitaires, d’instances gouvernementales et de consultantes
« expertes », qui travaillent de concert dans la «
perspective de genre ». Simultanément, la vie quotidienne
des femmes (alimentation, éducation, santé, logement,
travail, etc) empire de manière dramatique sous les effets de
la mondialisation néolibérale-capitaliste.
En regroupant les réflexions critiques du courant « autonome
» de ces dernières années (Pisano, 1996, 2001 ;
Bedregal et Al., 1993 ; Mujeres Creando, 1999 ; Cañas, 2001),
on peut résumer l’analyse comme suit. D’abord, l’inflation
des financements internationaux pour les questions « de genre
» a fomenté d’une part une série de luttes
sororicides entre groupes et personnes pour l’accès à
ces ressources, et d’autre part la concentration du pouvoir et
la réduction du mouvement à un nombre réduit de
grands centres et de puissantes ONGs qui captent la majeure partie de
ces financements. Simultanément, pour obtenir ces fonds, les
groupes doivent faire preuve de leur « compétence »
et se professionnalisent de manière accélérée,
recrutant comptables et expertes « en genre » au détriment
d’une militance politique choisie et volontaire. Le mouvement
se transforme en somme d’organisations qui se cristallisent en
institutions de plus en plus bureaucratisées, donnant lieu au
phénomène de « l’ONGisation ». Il se
rapproche des institutions gouvernementales, de l’institution
universitaire et des institutions internationales, tandis que sa composante
utopiste ou radicale est marginalisée. Il s’agit de proposer
et non plus de rêver et moins encore de se plaindre. Pour une
plus grande efficacité, les ONGs se regroupent en réseaux
internationaux spécialisés, perdant en bonne partie leur
ancrage local et leur travail quotidien pour se concentrer sur la participation
aux événements internationaux. La proposition féministe
globale se parcellise en une série de thèmes fragmentaires
déconnectés les uns des autres. La volonté de transformer
totalement le système se mue en une série de revendications
d’aménagements et d’améliorations partielles,
en une liste de propositions législatives abstraites et de mini-projets
locaux destinés à répondre à l’urgence
de la misère des femmes. On observe le même phénomène
quand on constate comment apparaissent et évoluent peu à
peu les « thèmes » du féminisme régional,
qui se transforment par vagues au rythme des conférences de l’ONU
et des priorités de financement des agences de coopération
internationales du Nord. Il en va ainsi de thèmes vedettes depuis
le début des années 90 comme le « pouvoir local
» des femmes et leur participation politique : le pouvoir était
précisément l’un des deux thèmes principaux
que devaient aborder les rapports préparatoires de la Pékin
de la région latino-américaine et des Caraïbes. L’intitulé
même des thèmes varie selon le bon vouloir des agences
financières, chaque année, les priorités changent
: environnement, droits de la personnes, habitat. Pour atteindre un
semblant de consensus dans les déclarations internationales et
répondre aux attentes des sources de financement, la lutte pour
l’avortement libre et gratuit devient effort pour la maternité
volontaire, la remise en cause de l’hétérosexualité
comme système devient bataille pour la tolérance des multiples
« préférences sexuelles ». Enfin, la succession
effrénée de conférences et de réunions de
l’ONU aux quatre coins de la planète absorbe le temps et
l’énergie des femmes et des groupes féministes,
et provoque chaque fois des dépenses considérables que
seul le financement extérieur permet d’affronter. Apparaît
une sorte d’élite féministe qui se rend à
la plupart des conférences et se transforme facilement en «
expertes du genre », percevant souvent des honoraires très
attractifs et particulièrement bienvenus face à la crise
de l’emploi dans la région, tandis que la militance «
de rue » diminue et que les femmes du commun s’éloignent
du mouvement.
En conclusion, l’analyse féministe autonome latino-américaine
et des Caraïbes dénonce la dépolitisation du mouvement
et sa perte d’autonomie conceptuelle et organisationnelle —et
par conséquent de radicalité et de potentialité
transformatrice. C’est ce qui ressortait récemment encore
de la Première rencontre méso-américaine d’études
de genre, organisée par la Faculté latino américaine
de sciences sociales (FLACSO) en août 2001 au Guatemala. Rassemblant
près de 800 femmes, dont de nombreuses féministes actives
dans le débat sur l’autonomie, cette rencontre tout à
fait universitaire a paradoxalement servi de caisse de résonnance
aux critiques des « autonomes ». En effet, les débats
sur le thème : « le « genre » est-il une manière
de dépolitiser le féminisme ? », animés notamment
par une « autonome » de renom, la féministe chilienne
Margarita Pisano, ont suscité une participation enthousiaste
(Falquet, à paraître). La cause de cette dépolitisation
? Pour une bonne partie, la dépendance financière par
rapport aux institutions de coopération du Nord —fondations
privées, officines ministérielles, et bien évidemment
parmi les grands bailleurs de fonds, l’ONU et ses satellites,
le FMI et la Banque mondiale (quant à l’argent reçu
à travers les gouvernements locaux, il a presque toujours cette
même origine et est assorti des mêmes orientations).
Les mécanismes de la participation et la création
« d’agenda » : le cas du tourisme
La question du tourisme est d’une importance bien plus considérable
qu’il ne pourrait y paraître. D’abord, parce qu’avec
la création de « zones franches » et d’usines
d’assemblage, il s’agit pratiquement de la seule alternative
de « développement » laissée aux pays appauvris
par la globalisation (en dehors de la migration et du narco-trafic).
Non seulement le tourisme suppose généralement l’éviction
des populations locales et la perte de terres cultivées, mais
il représente aussi l’intrusion, généralement
brutale, de l’économie monétaire et d’autres
us et coutumes, en même temps que la folklorisation des cultures
autochtones —dont les femmes soufrent tout particulièrement
(8). Pour les femmes, le tourisme amène très peu de bénéfices
: elles ne sont généralement ni investisseuses, ni bénéficiaires
des meilleurs emplois crées. Tout au plus accèdent-elles
à quelques travaux de service de basse catégorie et mal
rémunérés (guide touristique, hôtesses, femmes
de ménage dans les grands hôtels). Plus souvent qu’à
leur tour, elles doivent essuyer la violence sexuelle des touristes
de sexe masculin et constituent un appât central des plages ensoleillées,
vantées par des publicités où le sexisme le dispute
au racisme —la promotion du tourisme à Cuba ou en République
Dominicaine en constituant des exemples particulièrement saisissants.
La montée des prix provoquée par le tourisme, l’appauvrissement
que suppose le fait d’être privées de leurs ressources
traditionnelles et l’incitation active des touristes provoque
presque inévitablement le développement de la prostitution,
d’abord in situ, puis ensuite éventuellement par le biais
de la migration.
C’est pourquoi nous analyserons ici avec un intérêt
particulier la manière dont l’ONU promeut le développement
du tourisme. On vient de voir dans le cas des femmes, comment l’ONU
suscitait la participation de la « société civile
», en s’appuyant sur les ONGs et en les renforçant
par rapport au mouvement social, ainsi que les conséquences qui
en découlent pour le mouvement féministe latino-américain
et des Caraïbes. La question du tourisme nous permettra ici de
voir comment la stratégie de l’ONU envers les ONGs lui
permet de créer ex-nihilo des thèmes et des priorités.
En d’autres termes, comment l’ONU fabrique et oriente «
l’agenda » international du « développement
» vers des activités particulièrement préjudiciables
aux femmes.
L’ONU promeut depuis longtemps déjà le rapprochement
et la participation des ONGs à ses propres structures. On trouve
une description enthousiaste de cet effort dans un manuel destiné
à promouvoir la participation des femmes à la conférence
de Johannesburg, intitulé “The stakeholder toolkit”,
édité par Minu Hemmati et Kerstin Seliger, respectivement
consultante indépendante et “interne” du Forum des
Nations unies pour le développement (UNED) (Hemmati & Seliger,
2001). L’instrument principal de cette politique est l’ECOSOC,
ou Conseil économique et social de l’ONU. Depuis 1968,
les ONGs qui le désirent peuvent y solliciter un statut consultatif,
de même qu’auprès d’autres instances de moindre
rang du système onusien (FAO, OIT etc.). Cependant, la grande
ouverture aux ONGs date de 1996, quand l’ONU décide de
créer un nouveau statut consultatif, plus souple, et surtout
quand, forte de l’expérience acquise par l’ECOSOC,
elle se propose d’examiner la question de la participation des
ONGs dans toutes les aires de travail de l’ONU (9) (Hemmati &
Seliger, 2001). Un sous-groupe ad-hoc d’ONGs est formé
pour étudier la question et faire des propositions. Parallèlement,
depuis 1996, à la demande du Forum de l’UNED, les ONGs
accréditées à l’ONU ont obtenu un espace
de « dialogue » —et non des moindres car il concerne
le développement— lors des réunions de la Commission
pour le développement durable (CSD) de l’ONU (10).
Mais c’est la mise en pratique concrète de ces dispositions
qui en révèle pleinement la portée : le premier
véritable “dialogue”sur le “développement
durable” a lieu en 1998 sur le thème de… l’industrie.
Le langage avec lequel l’expérience est décrite
vaut la peine d’être rapporté : « … deux
éléments ont augmenté les probabilités de
succès. D’abord, le fait que la Chambre internationale
du commerce siégeait comme membre du Comité des ONGs de
la CSD (11) et était donc parfaitement au courant des préparatifs
des ONGs. Ensuite, le fait que des rapports extrêmement serrés
se sont établis entre un certain nombre de personnes représentantes
des ONGs et les représentants de l’industrie. Ceci a permis
qu’existe un niveau de confiance qui a contrebalancé toute
gêne qui aurait pu être occasionnée par les membres
les plus extrêmes de chaque secteur. » (Hemmati & Seliger,
2001). On voit ici que la Chambre internationale du commerce participe,
curieusement, aux réunions des ONGs, et comment la « fraternisation
» entre des secteurs à priori plutôt adverses (ici
les ONGs et l’industrie) est à la fois moyen et but de
ce dialogue fomenté par l’ONU.
Fort de ce succès, en 1999, le nouveau Bureau de la CSD, présidé
par le ministre de l’environnement de Nouvelle Zélande,
lance le dialogue sur le thème du tourisme : « [Il] décida
que seraient impliqués quatre « groupes majeurs »
cette année : les ONGs (coordonnées par le Comité
des ONGs de la CSD), le commerce et l’industrie (Word travel,
le Conseil du tourisme et l’Association internationale des hôtels
et des restaurants), les syndicats (la Confédération internationale
des syndicats libres) et les autorités locales (le Conseil international
pour les initiatives environnementales locales). » (Hemmati &
Seliger, 2001). On constate que, derrière le terme de «
groupes majeurs », ce sont seulement certaines structures des
ONGs et des autres secteurs —et pas nécessairement les
plus progressistes— qui sont invitées à dialoguer,
sans qu’on sache bien pourquoi elles sont considérées
comme représentatives. Le document poursuit : « Le thème
du tourisme était problématique pour les ONGs, dans la
mesure où il ne s’agit pas d’un chapitre de l’Agenda
21 [Agenda pour le 21ème siècle, adopté à
Rio]. Le Comité des ONGs de la CSD, qui ne possédait pas
de Caucus travaillant sur la question, réalisa une action massive
de recherche et convocation vers les ONGs travaillant la question du
tourisme. Elle réalisa un envoi de courrier à plus de
300 organisations. » C’est ainsi que, même si les
ONGs ne travaillent pas sur un thème, l’ONU se charge de
les inciter à le faire, selon ses propres priorités. Et
voilà pourquoi le tourisme devient une des priorités du
« développement ». Tourisme « durable »,
certes, mais ce terme possède des contours très flous.
Quand on en observe le contenu concret, reflété notamment
par les politiques de coopération des Etats du Nord, le panorama
se fait plus net. La politique de coopération espagnole vers
le continent américain en constitue un exemple révélateur
(12). Au Guatemala, par exemple, où son action est particulièrement
forte, la coopération espagnole promeut notamment deux grands
axes de travail : les femmes et le tourisme. Concernant les femmes,
l’Espagne appuie la création d’une sorte de Secrétariat
des femmes, calqué sur le modèle de son propre Instituto
de la mujer, et impulse une série de formations sur le «
genre » (AFED, 2000). Pour ce qui est du deuxième axe,
elle finance la formation de la population locale, notamment indienne,
aux professions et surtout aux petits métiers du tourisme, tout
en restaurant, à ses frais, de nombreuses églises et bâtiments
de l’époque coloniale, pendant que les entreprises privées
espagnoles investissent dans les infrastructures hôtelières
du pays. Nous aurons l’occasion de revenir plus bas sur la question
du tourisme en Amérique latine, imbriquée dans d’autres
projets de « développement », en particulier dans
les régions indiennes.
Pour conclure cette première partie de la réflexion, on
constate que l’ONU est parvenue à se constituer en acteur
central qui détermine les orientations théoriques et des
actions pratiques de « développement ». On pourrait
lire ce processus comme la victoire des mouvements sociaux, qui auraient
peu à peu réussi à faire incorporer leurs préoccupations
aux politiques internationales de l’ONU, ou comme une sorte d’alliance
des secteurs les plus « raisonnables » pour le bien du plus
grand nombre. Au centre de cette logique, on trouve les femmes. Elles
sont les premières affectées par la pauvreté et
la détérioration de l’environnement que ce «
développement » implique, elles sont aussi celles qui réalisent
une grande partie des propositions concrètes de solutions ou
d’alternatives. Leur grande soif de participation, leur responsabilité
envers les générations futures, leur sens pratique et
leur immense capacité de travailler à des coûts
défiant toute concurrence, constituent en tout cas une disposition
sociale que l’ONU n’entend pas laisser perdre. De plus,
sa manière de rapprocher les femmes de ses projets est aussi
une manière de neutraliser les voix les plus critiques, dont
beaucoup viennent du mouvement féministe, en les plaçant
au pied du mur : l’heure est officiellement aux voix « propositives
» et « réalistes ».
Certes, le processus de transformation des mouvements sociaux en ONGs
possède ses logiques internes. Cependant, il est intéressant
de voir comment il est aussi le résultat d’une politique
délibérée de l’ONU pour susciter des «
partenaires », une « société civile »
—bien moins menaçante qu’un mouvement social, politique
ou révolutionnaire— qui puisse l’aider dans la mission
qu’elle s’est fixée. Dans cette mise en place d’une
administration mondiale globale, on assiste à une bureaucratisation
généralisée qui rapproche l’énorme
administration onusienne et le tissu associatif, dans une inégale
association. Les ONGs deviennent peu à peu des « sous-traitantes
» pleines de créativité et de savoir-faire, et peu
onéreuses (13), qui exécutent, expérimentent et
renouvellent sans cesse les politiques internationales de l’ONU.
De cette manière, l’ONU recueille un ensemble considérable
d’informations sur la situation, les groupes et les mouvements
de chaque pays, les problématiques et les alternatives envisageables.
Les données statistiques et politiques qu’elle fait ainsi
remonter pour mieux les traiter selon ses propres perspectives lui fournissent
à la fois une information précieuse et la possibilité
de re-transmettre ces informations sous une forme qui lui convient,
afin de « créer l’opinion (14) ».
Quel développement préparent les institutions
internationales ?
On a vu comment l’ONU entend et fomente la « participation
» de la population mondiale au développement à travers
les ONGs. Reste maintenant à insérer cette réflexion
dans un contexte plus global : celui de la mondialisation néolibérale
—dont certains anlystes, comme James Petras, n’hésitent
pas à affirmer qu’il s’agit ni plus ni moins que
de l’impérialisme le plus traditionnel (Petras, 2001).
Pour ce qui est de la « neutralité » de l’ONU,
rappelons qu’en 1999, les Etats-Unis fournissaient 1,170 millions
de dollars à son budget, soit la première contribution
et 5,5 fois plus que le deuxième contributeur (l’Ukraine),
13 fois plus que le troisième (la Fédération russe)
et 49 fois plus que la France (Hemmati & Seliger, 2001). Rappelons
également que l’ONU fait partie du même système
de Bretton Woods dont sont issus le FMI et la Banque mondiale, dont
le rôle dans la mise en place de ce nouvel ordre mondial n’est
plus à démontrer. D’une certaine manière,
et malgré les contradictions qui les opposent éventuellement,
on peut considérer qu’il s’agit d’un système
unique sous l’égide des Etats-Unis et du G-7, dont l’ONU
serait le visage souriant, et le FMI et la Banque mondiale les figures
impitoyables qui imposent le « développement » néolibéral.
Voyons plus en détail comment se combinent leurs actions et leurs
conséquences pour les femmes.
Conceptions environnementales de la Banque mondiale, éco-tourisme
et biodiversité
S’il est vrai que le FMI et la Banque mondiale se sont unies aux
voix qui prônent aujourd’hui le « développement
durable », le fait est qu’il existe des manière très
différentes de le concevoir. Arrêtons-nous ici sur la conception
environnementale de la Banque mondiale et sur les projets de «
développement » néolibéraux.
On peut distinguer cinq grandes conceptions des rapports entre développement
et environnement (Comisión ambiental metropolitana, 2000). La
plus ancienne, ironiquement commune au capitalisme sauvage et au socialisme
planifié, est issue du siècle des Lumières : l’économie
de frontière considère que la “nature” existe
pour que les êtres humains en tirent parti, en la modifiant et
en la manipulant à leur guise. La « nature sauvage »,
souvent assimilée “au féminin” et opposée
à la culture, doit être maîtrisée et constitue
un « vide » dans lequel entreposer, par exemple, les déchets
et résidus de l’activité économique et de
consommation. L’écologie économique apparaît
pour « réparer » les dommages qui résultent
de cette première approche et poser des limites aux activités
« dangereuses » pour l’environnement. Elle rend visible
la valeur économique d’un certain nombre de services liés
à l’environnement, et montre que la détérioration
de l’environnement est un résultat direct du processus
de production. Le paradigme de l’administration des ressources
pose un jalon supplémentaire en affirmant que les ressources
naturelles sont la base matérielle du développement actuel
et futur : pour le dire en termes très actuels, la perte de la
biodiversité hypothèque les possibilités de croissance.
Dans cette perspective, la création par exemple de parcs naturels
permet de constituer des réserves de ressources génétiques,
en même temps qu’elle aide à réguler le climat.
Plutôt que d’imposer des « technologies propres »,
ce paradigme introduit la notion de « pollueur-payeur »,
comme une manière d’incorporer aux logiques économiques
les coûts sociaux de la détérioration de l’environnement.
Il s’agit alors d’inclure à la fois les ressources
biophysiques et tous les types de capital (humain, financier et d’infrastructure),
non seulement dans les comptabilités nationales, les décisions
d’investissement et les calculs de productivité, mais surtout
dans le politiques de planification et de développement.
A ces trois perspectives qui se contentent d’aménager l’organisation
capitaliste de la production, s’opposent deux conceptions profondément
différentes. L’éco-développement propose
de restructurer les rapports entre les êtres humains et la nature,
en rendant les activités humaines compatibles avec les écosystèmes.
Le développement devient alors une manière d’administrer
ces nouvelles relations entre l’environnement et la population.
L’analyse en termes de systèmes économiques fermés
fait place à une analyse en termes d’économie biophysique,
ouverte. Il s’agit aussi de prévenir la pollution sous
ses différentes formes et de réorienter le développement
vers une plus grande intégration des politiques économiques,
sociales et écologiques. Enfin, l’écologie profonde
souligne les aspects spirituels et sociaux des rapports avec la nature.
Elle propose une démocratie participative assortie d’égalité
sociale, de liberté, d’équité, de féminisme,
de pacifisme et de préservation de la vie « naturelle ».
Elle conçoit les êtres humains comme faisant partie de
la nature et souligne l’importance du contrôle démographique
autonome. Elle promeut également la diversité, tant biologique
que culturelle, et une économie qui ne soit pas seulement orientée
vers la croissance mais vers une meilleure distribution des richesses,
en combinant l’utilisation de technologies de faible impact écologique
et de technologies traditionnelles. On peut adjoindre à ce courant
l’écologie radicale ou libertaire de Bookchin (Bookchin,
1989) et l’écologie féministe, qui inclut à
son tour diverses tendances du Sud et du Nord (Vásquez García,
1998 ; Shiva & Mies, 1998).
On aura compris que le débat actuel au sein des institutions
internationales se pose principalement entre la troisième et
la quatrième conception : loin de toute conception « écoféministe
», ce que le FMI et la Banque mondiale appellent « éco-développement
» ou « développement durable » consiste en
réalité plutôt en un programme de « meilleure
» administration des ressources, comme l’explique l’économiste
mexicaine Laura Frade (Frade, 1999). En effet, il s’agit surtout
de donner un nouveau souffle au capitalisme, sous le label de «
capitalisme vert ». Par exemple, FMI et Banque mondiale promeuvent
la création de « réserves naturelles », notamment
par le biais des échanges de « dette contre Nature ».
Cependant, quand on y regarde de plus près, ces réserves,
quand elles passent sous le contrôle des pays du Nord, prennent
l’apparence double d’un « jardin d’éden
» préservé dans lequel développer l’
« écotourisme », pour lequel la demande occidentale
va croissant, et de vaste « banques de germoplasme » in
situ, que les industries agroalimentaire, pharmaceutique et militaire
étudient avec intérêt afin de breveter pour leur
propre compte la biodiversité et d’en extraire la matière
première pour développer à leur profit une série
d’organismes génétiquement modifiés (OGMs).
Le développement de patentes sur le vivant, en particulier sur
les semences, a des conséquences directes pour les femmes. En
effet, par manque de moyens financiers pour acheter leurs semences sur
le marché, ce sont généralement les paysannes,
plus que les paysans, qui ont recours aux graines « maison »,
qu’elles sélectionnent de leur propre récolte année
après année et échangent hors du circuit capitaliste.
Ainsi, d’une part, ce sont les connaissances accumulées
non seulement par les communautés paysannes, mais plus particulièrement
par les femmes, qui sont ainsi expropriées par les multinationales.
Et d’autre part, ce sont les femmes qui auront le plus de mal
à acheter les nouvelles semences et à avoir accès
aux intrants nécessaires, qui seront de plus en plus coûteux
(Femmes et Changements, 2001). Par ailleurs, les « réserves
» de biodiversité sont le plus souvent établies
dans les territoires de populations autochtones. Or mêmequand
les communautés sont associées à d’éventuels
projets de développement concommittants, les femmes sont généralement
laissées de côté. Bien souvent, les populations
sont tout simplement expulsées, ce qui représente une
série de problèmes particulièrement graves pour
les femmes, dont on sait qu’elles sont généralement
les plus attachées à leur « foyer (15) ».
On peut donner trois exemples de la conception du « développement
» de la Banque mondiale pour l’Amérique latine. D’abord,
le village de Tepoztlán, près de la ville de Mexico :
il s’agit d’une zone indienne-paysanne, haut lieu de spiritualité
Nahuatl, convertie depuis près de 50 ans en parc naturel protégé,
et qui abrite une grande biodiversité. Le plus récent
projet de « développement » de la zone, promue par
un conglomérat d’investisseurs nationaux et étrangers,
prévoyait d’y implanter un club de golf et un complexe
résidentiel de luxe. En d’autres termes, il s’agissait
de développer les loisirs « verts » de la population
la plus riche au détriment des familles indiennes et paysannes,
de leur production agricole et de leurs traditions religieuses. La mobilisation
exemplaire de la population est parvenue à faire capoter le projet
(Julien, 1995). Autre réserve naturelle « de la biosphère
», la zone des Montes azules, dans le Chiapas, qui est précisément
le centre du soulèvement indien zapatiste commencé en
1994, juste au moment où entrait en vigueur le Traité
de libre échange avec les Etats-Unis et le Canada. Il s’agit
d’une zone de forêt tropicale d’une immense richesse
génétique, et qui plus est, emplie de pétrole de
la meilleure qualité (arabian light). On ne compte plus les recherches
qui ont été menées, officiellement ou clandestinement,
pour « récupérer » les connaissances traditionnelles
(indiennes) sur l’usage des plantes, tandis que les grandes compagnies
pétrolières étrangères, Elf en tête,
attendent avec impatience de pouvoir s’implanter dans la région,
dès que la résistance indienne aura été
vaincue. Jusqu’à présent, quand l’armée
a tenté d’installer ses campements dans les villages, ce
sont les femmes qui ont repoussé les soldats, à mains
nues. Mais depuis huit ans, l’armée fédérale
a ouvert un vaste réseau de routes dans la forêt, préparant
l’infrastructure pour l’exploitation pétrolière
mais aussi pour le néo-tourisme (chlorophylle et splendides ruines
Mayas feront ses délices) que le gouvernement prétend
développer dans la zone, sur les conseils de la Banque mondiale.
Actuellement, trente-cinq experts de cette institution réalisent
justement un diagnostic dans les Etats du Chiapas, Oaxaca et Guerrero,
trois Etats où s’ancrent les principaux groupes de guérilla
du pays. Selon l’un des experts interviewés, « l’existence
de ces groupes n’a rien à voir avec [notre présence].
Notre travail est étranger au politique. Il s’agit de voir
ce que l’on peut faire pour combattre la pauvreté. »
(Mariscal, 2002).
Enfin, et de manière beaucoup plus globale, il est intéressant
d’analyser le Plan Puebla Panama (PPP), méga-projet de
développement pour le sud du Mexique et l’Amérique
centrale, promu notamment par les Etats-Unis et la Banque interaméricaine
de développement (BID) (Morita, 2001 ; CRASCR, 2001). Lancé
dans toute la région au printemps 2001, le PPP s’articule
au Plan Colombie, étendu et amplifié en Plan Andin, qui
possède les mêmes parrains, et qui combine un volet anti-drogue,
un volet militaire et un volet de « développement ».
Le PPP vise officiellement à réduire la pauvreté
en offrant du travail à la population des six Etats « sous-développés
» du sud du Mexique et d’Amérique centrale. Il s’agit
en réalité de mettre en coupe réglée toute
la région, fondamentalement indienne et paysanne, qui constitue
un formidable réservoir de biodiversité, de terres fertiles
et riches en eau, particulièrement important quand on sait qu’une
sécheresse sans précédent menace le sud des Etats-Unis
et le nord du Mexique. Un vaste programme de recherche sur les populations
indiennes de la zone, qui inclut l’étude de l’usage
traditionnel des plantes de la région, est financé depuis
quelques années par la Banque mondiale. Certaines personnes s’inquiètent
même de ce que la population indienne « est très
intéressante génétiquement pour la recherche, car
leur génome est très pur. N’importe quel laboratoire
peut venir et réaliser une série d’activités,
officiellement pour leur apporter une meilleure couverture de santé,
et emmener leur génome pour le reproduire ou le patenter. »
(Avilés, 2002). Le PPP prévoit également la construction
d’un dense réseau d’infrastructures de transports
(autoroutes, voies ferrées et ports), et éventuellement
du fameux « canal sec » destiné à remplacer
le canal de Panamá, pour transporter rapidement les marchandises
vers le continent asiatique, principal marché du 21ème
siècle. Simultanément, ces marchandises pourraient être
produites à bas prix dans la région même, où
le Plan prévoit d’implanter une nouvelle frange de «
zones franches », qui permettrait de maintenir sur place la population
et d’éviter sa migration vers le Nord. Enfin, le tourisme
le long de la « Route Maya », finalement pacifiée,
pourrait prendre son envol. Pour les femmes, en particulier indiennes,
le PPP ne semble rien augurer de bon : on a vu que le développement
du tourisme les affecte tout spécialement. Quant à la
création d’emplois dans les entreprises d’assemblage,
qui recrutent principalement des femmes, il a été largement
prouvé dans le monde entier qu’il s’agit d’emplois
notoirement sous-payés et non qualifiants, sans aucun droit du
travail, et de surcroît généralement très
nocifs pour la santé. Le système des zones franches évoque
une sorte de deuxième « révolution industrielle
» plus brutale encore, qui cherche à faire entrer sur le
marché du travail les dernières populations, autochtones
notamment, qui y avaient échappé, en réduisant
à néant leurs cultures et ses bases matérielles,
en particulier la terre.
Politiques de population : qui contrôle la fécondité
des femmes ?
Le Conseil de population, crée en 1950 par le milliardaire Rockfeller,
est un des premiers à présenter le concept de «
surpopulation » comme une menace pour le développement,
concept repris dès 1962 par l’ONU qui le déclare
« problème mondial numéro un ». En 1969, c’est
le président de la Banque mondiale, Mac Namara, qui suggère
de centraliser les politiques de population de l’ONU : apparaît
alors le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) (Ströbl,
1992). En 1972, le rapport Bruntland laisse entendre que l’augmentation
de la population mondiale produit nécessairement un impact négatif
sur l’environnement. En 1973, George Bush, alors représentant
des Etats-Unis auprès des Nations unies, déclare : «
aujourd’hui, on ne peut plus dire que le problème de la
croissance de la population soit une question privée. Il requiert
l’attention des dirigeants nationaux et internationaux »
(Hume, 1993). A l’initiative des pays industrialisés, l’ONU
organise sa Première conférence mondiale sur la population,
en 1974, à Bucarest. En 1975, la Conférence de Mexico
sur la femme ne manque pas de faire le lien entre instruction des femmes,
pratiques matrimoniales et comportements de fécondité
(16). Or, alors qu’à Bucarest, la plupart des pays du Sud
s’opposent aux plans de l’ONU en matière de politiques
de population, les considérant comme un reflet des intérêts
de l’impérialisme nord-américain, en 1984, lors
de la deuxième conférence de l’ONU sur la population,
à Mexico, ils se sont presque tous convaincus de la nécessité
de réduire leur croissance démographique (Más allá
de Beijin, 1994). Lors de la Conférence suivante, en 1994 au
Caire, l’ONU réussit même à se poser en grande
alliée des femmes face aux intégrismes catholique et islamique,
en défendant leur accès à la contraception. Mais
s’agit-il vraiment de « libérer » les femmes
ou simplement de réduire leur « dangereuse » fécondité
?
Quand on y regarde de plus près, la démarche généreuse,
ou pour le moins favorable aux femmes, de l’ONU, largement épaulée
par la Banque mondiale et le FMI, change de visage. En effet, la notion
protéiforme de « surpopulation », largement critiquée
par les féministes du Sud, recouvre une théorie raciste,
sexiste et profondément perverse, qui présente les femmes
latinas, indiennes, noires, arabes et asiatiques comme « trop
prolifiques » et par là coupables de leur propre pauvreté,
responsables de la faim dans le monde et de la pression sur l’environnement.
La féministe allemande Ingrid Ströbl, qui a payé
ses réflexions de la prison, a dénoncé vigoureusement
les politiques internationales de population comme une « sélection»
eugéniste qui passe en premier lieu par la mise en coupe réglée
des corps des femmes autorisées ou non à se reproduire
(Ströbl, 1994). Même s’il a été largement
démontré que le problème environnemental majeur
de la planète réside dans les schémas de production
et de consommation des pays riches, qui, comme le souligne l’éco-féministe
Maria Mies (Mies, 1992), avec 20% de la population mondiale, consomment
85% des ressources et produisent 80% des déchets polluants, de
fait, plus qu’éliminer la pauvreté, il semble s’agir
d’éliminer les pauvres. Pour cela, les politiques de contrôle
de la fécondité des femmes constituent un enjeu majeur.
Or d’où viennent ces politiques ? Certes, le mouvement
féministe, qui dans le monde entier fait de l’accès
des femmes au contrôle de leur fécondité une de
ses priorités, peut se sentir en quelque sorte appuyé
par des instances comme le Fonds des Nations unies pour la population
(FNUAP), qui a repris une partie de son discours. Cependant, l’instance
principale qui travaille actuellement dans ce domaine est l’Agence
internationale pour le développement (AID, ou USAID, agence de
coopération du gouvernement nord-américain). Les (auto)attributions
de l’AID en matière de contraception sont immenses (AID,
1990 ; Más allá de Beijin, 1994). D’abord, l’AID
finance la recherche internationale, en se concentrant sur les contraceptifs
peu chers et de longue durée destinés à contenir
la fécondité des femmes pauvres du Sud, depuis la Depo-provera
qui dure cinq ans, jusqu’au « vaccin contraceptif »,
qui serait permanent et équivaudrait à la stérilisation
mécanique (17). Ensuite, l’AID finance la traduction et
la publication dans des dizaines de langues des résultats de
ses recherches expérimentales « grandeur nature »
sur les femmes du Sud, et la distribution de ces publications, en particulier
auprès des « décideurs », notamment gouvernementaux.
L’AID promeut également la formation d’unités
de recherche démographiques dans chaque pays, fournissant les
ordinateurs, les programmes et la formation correspondante en statistiques
démographiques. Par ailleurs, l’AID centralise les commandes
de contraceptifs à l’échelle nationale et parfois
régionale, et a confié la question de leur transport et
stockage à une entreprise appelée « Matrix international
». Enfin, l’AID forme le personnel de santé publique
de nombreux pays et lui fournit les contraceptifs qu’elle juge
bons afin qu’il les diffuse parmi les femmes. Il arrive même
que l’AID fournisse aussi les pharmacies privées, comme
au Salvador par exemple, où n’existe pratiquement qu’une
seule marque de contraceptif hormonal. De sorte qu’en matière
de contraception, la seule chose dont l’AID ne se charge pas est
la production, qui est majoritairement le fait de laboratoires nord-américains
et européens.
Pourtant, les agissements concrets de l’AID sur le continent latino-américain
et aux Caraïbes ont été stigmatisés à
de nombreuses reprises (Cuenca, 1992 ; Rosa, 1993). Fréquemment
accusée d’être une espèce de paravent de la
CIA dans une région où l’influence nord-américaine
a souvent pris un tour brutal, l’AID a aussi été
dénoncée à de nombreuses reprises pour fomenter
la stérilisation forcée des femmes, et tout particulièrement
des femmes noires et indiennes. Cependant, le point le plus frappant
de tout cela est que c’est précisément l’AID
que l’ONU avait chargée de coordonner les préparatifs
du Forum des ONGs de la conférence de Pékin pour la région
latino-américaine et des Caraïbes. Et, alors que les préparatifs
de Pékin sont déjà commencés, en novembre
1993, durant la VIème rencontre féministe LAC, seules
deux Brésiliennes font connaître publiquement leur indignation
face à cette intervention de l’AID dans leur mouvement
(Falquet, 1994). Il s’agit précisément d’un
des déclencheurs de la polémique sur l’institutionnalisation
qui traverse le mouvement féministe de la région depuis
les années 90, et que nous avons évoquée plus haut
(18).
Femmes, micro-crédit et néolibéralisme
Pour terminer, le considérable développement des politiques
de micro-crédits pour les femmes achève d’illustrer
la collusion entre les intérêts privés, le FMI,
la Banque mondiale, l’ONU et l’AID, dans une même
perspective néolibérale éminemment préjudiciable
aux femmes. Or il est inquiétant de voir combien d’organisations
féministes et de femmes se battent précisément
pour développer ces micro-crédits.
Si le mécanisme de la dette comme un facteur d’aggravation
des inégalités entre Sud et Nord a été abondamment
dénoncé, les politiques de micro-crédits pour les
femmes pauvres font actuellement en revanche l’objet d’un
engouement sans précédent. Or il ne s’agit pas d’autre
chose que du droit, ou du « devoir » des femmes à
s’endetter, en même temps que d’une manière
de faire entrer dans les circuits bancaires du Nord les immenses «
gisements d’épargne », souvent organisés par
les femmes, qui existent dans le Sud. Il s’agit de « mobiliser
cette épargne, de la faire servir au financement de l’économie,
de l’orienter vers les projets […] les plus rentables. »
(Lelart, Lespes, 1985).
Nous nous appuierons ici sur le passionnant travail de la féministe
belge Hedwige Peemans Poullet sur la Grameen bank, fondée en
1983 au Bangladesh par Mohammad Yunus, professeur d’économie
diplômé aux Etats-Unis, et qui constitue le principal modèle
des initiatives de « micro-crédit » pour les femmes
(Peemans Poullet, 2000). Elle explique comment « le projet de
lutter contre la « paupérisation » en endettant tous
les pauvres (traduction en langage bancaire : en leur donnant accès
au crédit) fait l’objet d’une promotion sans précédent.
Outre l’aide fournie dès le début par la Banque
centrale du Bangladesh, Yunus a pu compter, en 1981-1982, sur un fonds
de 80.000 dollars octroyé par la Fondation Ford et sur 3,4 millions
de dollars octroyés par le Fonds international de développement
agricole des Nations unies (FIDA). Mais le soutien idéologique
est encore plus considérable. Le président Clinton considère
qu’il faudrait octroyer le prix Nobel au fondateur de la Grameen
bank, celle-ci a bénéficié, en Belgique (1993)
du Prix international roi Baudoin pour le développement, elle
a reçu la plus haute distinction de l’UNESCO et bien d’autres
encore… [le président Clinton] a annoncé que le
gouvernement américain s’engageait [à promouvoir
le micro-crédit] notamment par le biais de l’USAID. […]
La Banque mondiale et le FMI soutiennent activement toutes les initiatives
du type Grameen bank. ». ONU, FMI, Banque mondiale et AID : nous
retrouvons bien ici tous les « bienfaiteurs » des femmes,
unis derrière Washington, où avait lieu, en 1997, le Sommet
du micro-crédit, présidé notamment par Hillary
Clinton.
Elle poursuit : « l’essentiel de l’offensive idéologique
a été menée du côté des organisations
de femmes. En mai 1995, en vue de la IVème conférence
mondiale sur les femmes, le rapport du PNUD consacrait la plus grande
partie de son dossier à dénoncer les inégalités
et discriminations dont les femmes sont victimes [… et] affirmait
que si les femmes sont « restées » si pauvres, c’est
qu’elles ne sont pas assez endettées. […] En fait,
le thème n’est pas nouveau. Il était déjà
présent à Nairobi, en 1985. Depuis lors, il a été
développé de manière de plus en plus systématique,
notamment par l’INSTRAW (Institut international de recherche et
de formation des Nations unies pour la promotion de la femme) qui a
diffusé les recherches sur ce sujet et organisé des séminaires.
En 1989, la Banque mondiale a crée un groupe de travail sur les
femmes et le crédit. » Tant et si bien qu’après
Pékin : « ce n’était plus l’appauvrissement
spécifique des femmes (conséquence des politiques d’ajustement
structurel découlant précisément de l’endettement
des Etats ou conséquence des privatisations des terres agricoles
découlant de la mondialisation) qui faisait désormais
l’objet du scandale majeur mais bien le fait que des coutumes
patriarcales discriminatoires ou des exigences bancaires inadaptées
empêchent les femmes pauvres de jouir de l’égalité
face à l’endettement. »
Or, suivant l’analyse de Peemans Poullet, il faut d’abord
remarquer que dans de nombreux pays, les femmes organisent entre elles
toutes sortes de formes d’emprunts et de prêts et ne sont
donc pas des victimes passives attendant d’être sauvées
par les banques. Ensuite, s’il n’est pas certain que les
femmes s’enrichissent grâce au micro-crédit, il est
net en revanche qu’au Bangladesh par exemple, « les femmes
pauvres fournissent un travail rémunéré à
plus de 11.000 employés de la Grameen bank, dont la grande majorité,
surtout parmi les cadres, sont des hommes. Alors qu’à la
base, les femmes, comme présidentes de groupes, font en partie
du travail bénévole. » Quant aux intérêts
des prêts exigés par la Grameen bank, ils sont de 20%,
c’est-à-dire supérieurs à ce qui est demandé
par les banques normales, et largement supérieur au taux zéro
qui préside à la circulation monétaire informelle
dans la plupart des systèmes traditionnels. Or précisément,
les initiatives du type de la Grameen bank ont pour but principal de
capter pour le marché l’immense « trésor caché
» que constituent ces systèmes économiques traditionnels,
largement tributaires des femmes.
Peemans Poullet rappelle par ailleurs que les systèmes de protection
sociale européens ont été construits depuis le
XIXème siècle sur des modèles mutualistes, qui,
un peu comme les systèmes traditionnels actuels du Sud, n’impliquent
ni épargne individuelle, ni taux d’intérêts.
Le projet de Yunus, exactement inverse, s’en prend directement
à la protection sociale par le biais du crédit à
taux d’intérêt : « Selon une étude faite
sur les emprunteurs, si 25% des emprunteurs restent pauvres, c’est
pour des raisons de santé. Donc Yunus a lancé des assurances
santé, retraite, éducation… […] Yunus veut
remplacer la protection sociale par des mécanismes de marché.
Pour réaliser cela, il a ciblé les femmes pauvres des
pays les plus pauvres. » Et comme elle le souligne : « Les
entreprises de Yunus ne s’arrêtent pas là. Entreprises
de pisciculture, de télécommunications : au Bangladesh,
Yunus est au premier rang pour les opérations de privatisation
des biens et services publics. » On voit ici encore comment les
programmes « d’aide aux femmes » soutenus par des
institutions comme l’ONU se combinent harmonieusement avec les
politiques prônées par le FMI et la Banque mondiale.
Peemans Poullet conclut avec une clarté méridienne : «
Il y a quelques années, la problématique de la paupérisation
des femmes était une question centrale pour les féministes
alors que les femmes faisaient peu l’objet des préoccupations
des ONGs. Aujourd’hui, beaucoup d’ONG se préoccupent
des femmes mais la pauvreté de celles-ci n’est pas analysée
comme un processus, c’est-à-dire comme le résultat
d’un rapport de genre et d’un rapport capital/travail. […]
Les opérateurs de micro-crédits présentent la pauvreté
des femmes comme un « état de nature » et leur propre
intervention comme une passerelle vers un « état de culture
» où les femmes, qu’il faudrait continuellement «
encadrer, former, initier », auraient finalement prise sur leur
destin. Or, la réalité est exactement inverse. Les pays
en développement et les femmes populaires de ces pays sont «
rendues pauvres » par les programmes d’ajustement structurel
et la sauvagerie de la globalisation. Elles sont maintenant amenées
à payer, éventuellement en s’endettant, des biens
dont elles disposaient « naturellement » ou des services
qui étaient ou devraient être accessibles gratuitement
à l’ensemble de la population. » Par exemple, dans
le domaine de la santé, au lieu d’ouvrir des hôpitaux
gratuits, les autorités préfèrent privatiser les
système de santé et prêter aux femmes des sommes
microscopiques pour monter des projets « productifs » balayés
à la première difficulté, mais leur permettant
de dégager quelque argent… qui sera englouti immédiatement
dans l’achat de médicaments pour leurs enfants. Par ce
mécanisme, les femmes doivent affronter un surcroît de
travail, doublé d’un appauvrissement quasi systématique,
tandis que les cliniques et les laboratoires pharmaceutiques prospèrent
proportionnellement.
Ainsi, on constate que derrière le but affiché «
d’aider » les femmes, les plus appauvries par le modèle
de développement dominant, le micro-crédit, présenté
comme une panacée par le FMI, la Banque mondiale et l’ONU,
non seulement ne produit pas l’effet escompté, mais au
contraire appauvrit les femmes et permet le renforcement du modèle
néolibéral qui leur est si préjudiciable. Le micro-endettement
des femmes fait en quelque sorte d’une pierre deux coups : il
permet de poursuivre la mise en coupe réglée du Sud et
l’enrichissement du Nord, tout en aggravant la situation des femmes
et en détournant l’attention des origines réelles
de leur oppression-exploitation. Par un véritable phénomène
de « Novlangue » généralisé, toutes
les réalités s’inversent : les affameurs deviennent
les rédempteurs et les armes du système néolibéral,
raciste et patriarcal, apparaissent comme autant de mains charitables
tendues vers les femmes pauvres du Sud.
Après ce panorama rapide d’un certain nombre de stratégies
et d’actions en matière de développement menées
par les institutions internationales qui nous gouvernent, que pouvons-nous
conclure ?
D’abord, à propos de l’ONU, nous avons vu comment
elle était parvenue à s’imposer comme une instance
centrale des politiques de développement ou de gestion de la
planète, légitime et même souvent perçue
comme « bienveillante » et « sage ». Elle apparaît
comme la principale source de formation de concepts et d’élaboration
de stratégies, grâce à un système qu’elle
a mis en place et qui lui permet de récupérer le travail
(pratique et conceptuel) des mouvement sociaux, transformés en
ONGs de gestion. Derrière les mécanismes de « participation
» de la « société civile », se dessine
plutôt une subtile dénaturalisation des propositions alternatives,
en particulier portées par le féminisme. L’ONU crée
ainsi progressivement une pensée et une action de plus en plus
unifiée ou unique, qui prétend substituer la planification
et l’administration paisible du statu-quo à la recherche
d’alternatives réelles. Pourtant, plus l’ONU travaille
au développement, plus la situation empire, en particulier pour
les pays « en voie de développement » et pour les
femmes qui y sont nées.
Ensuite, quand on replace l’action de l’ONU dans son contexte,
qui est l’action d’autres institutions du même système
international, en particulier le FMI, la Banque mondiale et l’AID,
on comprend mieux les causes de cet échec à améliorer,
ou plus encore à transformer, la situation des femmes —en
particulier de celles qui se trouvent placées à l’intersection
de l’exploitation de sexe, de classe et de « race »
et qui constituent le gros bataillon des personnes condamnées
par le modèle néolibéral global dominant. Que ce
soit en termes d’environnement, de politiques de population ou
de micro-crédits pour les femmes, le « développement
» préconisé par ces institutions internationales,
et qui recueille l’adhésion d’une partie du mouvement
féministe, est un véritable désastre pour la plupart
des femmes dans le monde. Or les politiques de l’ONU ne sont pas
un « rattrapage » de la brutalité des politiques
néolibérales, mais bel et bien un élément
central de la mise en place du nouvel ordre mondial, intimement lié
aux agissements de la Banque mondiale, du FMI et de l’AID. Ironiquement,
la légitimité de ces politiques internationales repose
en grande partie sur l’image que l’ONU a réussi à
se donner, notamment comme protectrice de « La Femme » et
de « La Nature » totalement mythifiées, et sur la
participation de la « société civile », en
particulier des femmes, à ce processus. Devant l’accablant
résultat de ce système international, n’est-il pas
temps, comme femmes et plus encore peut-être comme féministes,
de lui retirer une fois pour toutes notre appui et de l’affronter
comme un de nos principaux ennemis?
Notes :
1. Cette présentation simplifie évidemment un panorama
bien plus complexe. Notamment, il faudrait, pour être plus réaliste,
ajouter quelque part les décideurs de l’économie
« souterraine » : mafia de la drogue, des armes et de la
prostitution, avec les milliards de la corruption « blanchis »
dans les paradis fiscaux. Mais la question dépasse largement
le cadre de cet article.
2. Le concept de « société civile » possède
les acceptations les plus variées, depuis un usage « fourre-tout
» et dépolitisé, jusqu’à un sens contestaire.
Nous ne pouvons ici en faire une analyse critique détaillée.
Cependant, il est certain qu’il faudrait se pencher avec beaucoup
plus d’attention sur les rapports entre ONGs et mouvement sociaux,
entre ONGs, syndicats et partis, et d’une manière générale
sur les « nouvelles » formes d’expression et d’organisation
de la population. Par ailleurs, l’histoire de l’évolution
des ONGs et les importantes différences qui existent dans cet
univers, au sein de chaque pays et au plan international, mériteraient
une réflexion à part entière.
3. En ce qui concerne les débats généraux sur les
femmes et le développement, largement analysés ailleurs,
et en particulier la successive adoption des paradigmes “”femmes
dans le développement” (WID), “femmes et développement”
(WAD), “femmes, environnement et développement” (WED)
et enfin “genre et développement” (GAD), nous recommandons
la présentation synthétique qu’en fait la revue
belge Chronique féministe, ainsi que le recueil de textes de
Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur (Bisilliat & Verschuur,
2000; Degarve, 2000).
4. Son intitulé exact est : Conférence sur l’environnement
et le développement.
5. Dont est issue en particulier le fameux document de la Convention
pour l’élimination de la discrimination contre les femmes
(CEDAW) de 1979.
6. Sans cesser de participer aux rencontres féministes latino-américaines
et des Caraïbes, le courant “féministe autonome”,
apparu avec clarté après la VII ème rencontre,
au Chili en 1996, a réalisé deux rencontres spécifiques,
en 1998 en Bolivie et en 2001 en Uruguay, afin d’approfondir ses
positions.
7. La région latino-américaine et des Caraïbes possède
une longue tradition de rencontres continentales organisées de
manière autonome par le mouvement, depuis 1981, et qui permettent
notamment de faire le point sur l’état du féminisme
et ses stratégies. Le débat sur “l’autonomie”
du mouvement, un des axes récurrents de questionnements internes,
s’est déplacé de l’autonomie face aux partis
politiques à la questions du financement et de l’influence
idéologique du Nord et/ou des institutions internationales.
8. Le rôle des femmes dans la reproduction culturelle est variable
selon les lieux et les époques. On verra à ce sujet les
travaux de Nicole Claude Mathieu sur la division sexuelle du travail
“culturel” (Mathieu, 1991). Cependant, elles sont généralement
obligées socialement à “préserver”
la culture du groupe, tandis que les hommes bénéficient
en premier des aspects “positifs” des contacts : ils sont
généralement les premiers à avoir accès
aux moyens de transport, aux emplois, aux revenus etc… Souvent,
les femmes qui voudraient leur emboîter le pas sont sanctionnées,
ce qui augmente la « brèche » entre les sexes. Ce
point mériterait évidemment un développement qui
va au-delà des possibilités de ce travail.
9. Il existait à l’origine deux statuts consultatifs seulement
(catégories I et II), avec une procédure d’admission
assez lourde. En plus de la création d’un troisième
statut en 1996, la décision 1996/297 prévoit que l’Assemblée
générale de l’ONU examine la question de la participation
des ONGs dans tous les domaines de son activité.
10. On notera cependant qu’existent différentes instances
chargées du développement à l’ONU, et la
CSD n’est que l’une d’entre elles, qu’on pourrait
dire “pilote” et dont le futur n’est pas assuré.
11. “Steering comittee” des ONGs selon sa désignation
officielle.
12. On verra plus particulièrement les brochures d’évaluation
des actions de coopération du gouvernement espagnol, réalisée
par pays par le Ministère des Affaires Etrangères, notamment
: Fortalecimiento municipal en Flores, Guatemala (39 pp), Programa de
cooperación hispano-peruano (46 pp), Programa de subvenciones
y ayudas a ONGD en Haití, República Dominicana y Filipinas
(59 pp).
13. Une analyse des conditions de travail dans les ONGs, que nous ne
pouvons faire ici, ferait apparaître les graves manquements au
droit du travail qui prévalent presque partout, justifiées
par le caractère soi-disant “militant” du travail,
d’un côté, et de l’autre, la rétribution
démesurée de certaines personnes, qui frise la tentative
de corruption.
14. Dans cet ordre d’idées, comme le fait remarquer le
nord-américain James Petras dans sa critique de l’impérialisme
mondial, de fait, aujourd’hui, même les critiques les plus
féroces de la Banque mondiale et du FMI utilisent dans leurs
argumentaires … les chiffres du FMI et de la Banque mondiale (Petras,
2001).
15. Nous ne pouvons ici détailler ce point, mais le fait est
que par socialisation —et non par nature—, les femmes sont
généralement celles qui souffrent le plus de tout déplacement,
car elles sont à la fois responsables du maintien du tissu social
et familial, et de la gestion des ressources de proximité : les
obliger à quitter leur environnement aj des conséquences
plus profondes que pour les hommes.
16. Une des conditions posées par les Etats-Unis pour signer
avec le Mexique le Traité de libre échange qui les unit
depuis 1994, était précisément la réduction
de la fécondité des Mexicaines.
17. Rappelons que la stérilisation n’est pas une forme
de contraception mais une pratique définitive qui appartient
à un autre registre —surtout quand elle est forcée
ou réalisée sans le consentement pleinement informé
de la personne.
18. Bien entendu, d’autres débats et clivages existente
dans le mouvement féministe de la région. Pour une analyse
de la période comprise entre la Ière et la Vème
rencontre féministe Latino-américaine et des Caraïbes,
on verra par exemple l’intéressant article de synthèse
de Saporta Sternbach et Al. (Saporta Sternbach et Al., 1992).
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