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POURQUOI TANT DE XENOPHOBIE ?
Jicé

Origine : échange mail

L’acharnement de l’Etat à l’encontre des populations d’origine étrangère n’est plus à démontrer. Depuis des décennies, l’arsenal législatif et policier ne cesse de se durcir. La machine à expulser fonctionne à plein. Mais pourquoi en est-il ainsi ?

Il y a au moins deux raisons motivant la xénophobie d’Etat : l’une d’ordre économique et l’autre relevant de la conception sécuritaire afin de maintenir l’ordre social, politique et économique.


La précarité

Quels que soient les gouvernements, on assiste de leur part à une gesticulation médiatique à l’encontre de l’immigration sous couvert de protéger la société de la misère du monde. C’est à celui qui expulsera plus de sans papiers que son prédécesseur. La politique du chiffre tient lieu d’alpha et oméga.

Si « l’on ne peut accueillir toute la misère du monde », encore faudrait-il combattre ce qui la génère. On ne peut rendre responsables des personnes victimes des rapports Nord/Sud/Est : l’exploitation du Sud, de l’Est et l’abandon de certaines régions africaines par exemple. Lorsque le FMI et la Banque Mondiale imposent à certains gouvernements de développer des cultures d’exportation (coton, café, arachides…) au détriment des cultures vivrières, il ne faut pas s’étonner que la famine se développe. La première fonction des paysans est de produire pour se nourrir et, avec le surplus de la production, d’aider la population à manger. Or, cultiver en premier lieu pour s’insérer dans le commerce mondial ne permet pas de rendre prioritaire la satisfaction des besoins alimentaires de la population.

Encore une fois, la recherche de profits pour la minorité capitaliste prend le pas sur les besoins vitaux de l’humanité. Cette « réorganisation » des fonctions agricoles impose des politiques de remembrements, réduisant le nombre d’agriculteurs. Les paysans, contraints d’émigrer, viennent grossir les populations urbaines qui, à leur tour, devant la situation de plus en plus catastrophique, émigrent vers d’autres pays limitrophes et dans une moindre mesure vers l’Occident. C’est une question de survie ! Seules les multinationales, leurs actionnaires et autres spéculateurs, les classes dominantes et les gouvernants des pays « sous-développés » profitent de cette situation.

Jusqu’à présent les frontières ne sont pas ouvertes – au contraire, elles ont plutôt tendance à se refermer ! – et nos conditions de vie ne cessent de se dégrader : développement du chômage, de la précarité, de la misère, remise en cause d’acquis sociaux… C’est démagogique d’en faire porter la responsabilité sur les immigrés. Plus on durcira les lois concernant l’immigration, plus on renforcera la précarité.

Le ministère de l’immigration et de l’identité nationale estime qu’il y aurait entre 200 000 et 400 000 sans papiers en France. Si Besson arrive à atteindre les objectifs fixés (29 000 expulsions pour l’année 2009), il faudra plus de 10 ans pour reconduire à la frontière l’ensemble des sans papiers estimé à ce jour. Cela suppose aussi que l’Etat arrive à rendre étanche les frontières pour qu’il n’y ait plus de personnes en situation irrégulière. En dehors de l’absurdité de ce raisonnement, il ne pourra jamais expulser tous les sans papiers pour au moins trois raisons :

la première est d’ordre technique. Il faudrait une logistique telle (avions, charters, trains, bateaux), qu’il parait très difficile d’organiser des expulsions aussi massives ;

organiser l’expulsion de l’ensemble des sans papiers supposerait, d’une part, le regroupement de milliers de personnes dans des camps d’une autre dimension que ceux que l’on connaît actuellement, et, d’autre part, l’organisation de manière systématique de multiples rafles d’une autre ampleur que celles que nous connaissons. Cela remémorerait des événements peu glorieux de notre passé et il n’est pas sûr que même Sarkozy puisse l’assumer concrètement. Un des choix des gouvernements européens est plutôt de faire faire le plus possible « le sale boulot » par des Etats de pays situés à la périphérie de la Communauté européenne, comme l’Ukraine, la Libye, etc. Ainsi ils externalisent la gestion (en fait le refoulement) d’une partie des flux de réfugiés ;

la raison profonde est d’ordre économique. L’instrumentalisation des sans papiers permet de renforcer la précarité, donc de faire pression sur le marché du travail en faveur des capitalistes, en mettant en concurrence les salariés de nationalité française ou ayant des titres de séjour avec des travailleurs sans papier. Des secteurs entiers de la production sont rentables grâce à l’exploitation débridée de ces derniers, comme l’agriculture, le bâtiment, la confection, la restauration, l’hôtellerie... Les conditions d’exploitation vécues par ces travailleurs sans statut peuvent inspirer des projets de loi devant être inclus dans le Code du travail. Par exemple, le Contrat Première Embauche (le fameux CPE abandonné par le gouvernement Villepin en 2006 à la suite du mouvement développé à son encontre) avait, entre autres, pour fonction d’essayer de faire vivre à une partie de la jeunesse les conditions de travail précarisé ressemblant à celles que connaissent les travailleurs clandestins. En statuant une période d’essai d’un an, les salariés embauchés sous cette forme de contrat pouvaient être licenciés du jour au lendemain sans aucun préavis durant la première année dudit contrat. De son côté, un travailleur clandestin peut être mis à la porte immédiatement puisqu’il ne peut s’appuyer sur le Code du travail pour faire valoir ses droits.

Les textes internationaux sont aussi rédigés pour le maintien de l’ordre capitaliste. La Convention de Genève (du moins l’interprétation de l’Etat français) est pour le moins tendancieuse. En effet, elle instaure une différence entre les réfugiés politiques et les réfugiés économiques. Les premiers seraient contraints de s’enfuir parce que victimes des exactions de l’Etat du pays dont ils sont ressortissants ; ils doivent donc être protégés par les Etats respectant les droits de l’homme. Les seconds se seraient motivés pour entreprendre leur périple parce qu’ils n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins en raison de la misère (chômage, famine...) que connait leur pays d’origine ; ceux-là ne relèvent d’aucune convention et ne bénéficient d’aucune protection. Ils sont laissés, dans le meilleur des cas, dans l'errance de leur survie.

Admettre cette dichotomie, c’est faire fi que la vie en société relève de choix politiques. Le capitalisme est une construction humaine, ayant une histoire et donc un devenir et sans doute une fin. Cela signifie que, comme les sociétés l’ayant précédée (par exemple la société aristocratique), la société bourgeoise peut également disparaître, pour que d’autres formes d’organisation sociale voient le jour.

Les réfugiés économiques sont victimes des choix politiques de leurs gouvernants, bien souvent à la solde des Etats capitalistes des pays du Centre. Il ne peut y avoir de différence, de ce point de vue, entre réfugiés économiques et politiques. Ou sinon, on admet que le capitalisme ne relève pas d’un choix décidé pour les uns et imposé pour les autres. Cela conduit à une sorte de naturalisation de la société bourgeoise. En effet, les victimes de la misère ne le seraient non plus parce que leurs gouvernants ont fait le choix de les sacrifier sur l’autel du profit. Leurs situations seraient la conséquence d’une évolution inéluctable, dont personne, en tout cas pas les gouvernants, ne serait responsable. Cette vision induit donc à ne plus pouvoir remettre en cause dans ses fondements le capitalisme et l’organisation sociale imposant les rapports de domination et d’exploitation. Ainsi on ne pourrait tout au plus que les aménager, les réformer à la marge.

Admettre ce postulat conduit à renier toute l’histoire des mouvements révolutionnaires ; c’est dire adieu aux luttes contre l’exploitation, la domination, la xénophobie... ; le partage égalitaire des richesses deviendrait une chimère ; nos volontés pour construire une société fondée sur l’égalité sociale, la solidarité, l’entraide ne seraient que de dangereuses utopies. Le capitalisme serait la seule fin possible de l’histoire.

C’est donc autant un enjeu idéologique que politique que de refuser la différence entre réfugiés politiques et économiques. Tous les réfugiés sont des victimes des choix politiques de leurs gouvernants ! On peut tout autant détruire un être humain en le torturant qu’en le réduisant à la misère ; l’une et l’autre de ces causes peuvent tuer une personne et en tout cas portent atteinte à son intégrité physique et morale. Il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur !


Le sécuritaire

L’instrumentalisation des personnes d’origine étrangère, en particulier les sans papiers, ne se limite pas au champ économique. Les politiques sécuritaires s’appuient, en partie, aussi sur la présence « d’immigrés postcoloniaux », pour reprendre le langage de l’Etat.

S’inspirant des théories élaborées pendant la guerre d’Algérie (voir L’ennemi intérieur, M. Rigouste, La Découverte, 2009), les politiques sécuritaires développées, de manière continue, depuis plusieurs années par les gouvernements de gauche et de droite, ont, entre autres, instauré la notion « d’ennemi intérieur ». « ... cet ennemi intérieur pourrait comprendre, au premier chef les casseurs [c’est-à-dire les antisystème en lutte, en dehors des institutions, contre le capitalisme], puis les malfaiteurs..., enfin les islamistes et la menace terroriste qui les accompagne. » Pour justifier la militarisation du maintien de l’ordre il y aurait trois pôles : « la rue et les émeutes urbaines, le ‘‘crime organisé’’ et l’intégrisme musulman. » (colonel Dufour, cité par M. Rigouste, page 238)

Pour l’Etat et les institutions de maintien de l’ordre (police et armée), la société est vue comme un corps vivant. Il peut être atteint par des virus, regroupés au sein de l’ennemi intérieur. L’armée et la police sont les chirurgiens permettant d’assainir ce corps. « L’institution de la menace migratoire dans la pensée d’Etat a déterminé une forme de restructuration du contrôle intérieur autour de trois axes, conçus comme des techniques de lutte contre les menaces globales : intégrer, expulser, pacifier. Les politiques de sécurité et de défense mises en place à ce titre s’appliquent à distinguer des corps sauvages qu’il faut intégrer, des corps barbares à expulser et des territoires intérieurs à pacifier. » (M. Rigouste, op cité, page 238)

Dans cette conception du monde, l’immigration est vécue comme une composante pouvant déstabiliser l’ordre social. Il faut donc s’en prémunir. D’une part l’immigration fait pression aux frontières pour pouvoir venir en Europe, notamment en France. Ces immigrés pourraient importer les comportements terroristes liés à l’intégrisme musulman. D’autre part, on retrouve bon nombre de ressortissants étrangers dans les quartiers paupérisés, qu’il faut pacifier. Beaucoup de leurs habitants sont musulmans pouvant être ou devenir des agents pour le terrorisme international, une cinquième colonne, en quelque sorte. « Les quartiers populaires ségrégués, ceux où le capitalisme a concentré les classes précarisées, sont investis comme des territoires d’exception et les descendants pauvres des colonisés comme des corps d’exception. La temporalité du pouvoir y est celle de l’exception permanente. Comme dans une colonie autrefois, il est donc possible d’y pratiquer une violence d’exception. » (cf. M. Rigouste, page 307)

Depuis plusieurs années, on assiste à une inflation législative concernant le contrôle de l’immigration et des frontières : lois Debré en 1996, Chevènement en 1998, Sarkozy en 2003 (concernant l’entrée et le séjour des étrangers), loi Guigou en 1998 (portant sur la nationalité), loi Villepin en 2003 (réformant le droit d’asile), etc. « Dans le nouvel ordre sécuritaire qui se met progressivement en place en France, surtout à partir des années 1990, on retrouve... certains traits du commandement, cette forme de pouvoir militarisé caractéristique de la domination coloniale et qui traitait ses sujets sur les modes de la domestication et de la chasse. Cette tendance de la puissance d’Etat à déshumaniser les ‘‘indésirables’’ se reformule aujourd’hui dans les dispositifs de chasse mis en œuvre par les rafles policières et les opérations de contrôles d’identité ‘‘coups de poing’’, dans les techniques de disparition qui caractérisent souvent l’arrestation d’un sans papiers expulsé en urgence et empêché de prévenir sa famille et ses amis. Elle se fraie un chemin dans les schémas d’enfermement et d’humiliation que subissent les sans papiers dans les centres de rétention administrative. » (cf, M. Rigouste, op cité, pages 308 et 309)

Cette volonté de restreindre les droits pour les personnes d’origine étrangère, de limiter leur venue en fermant les frontières et d' augmenter les expulsions du territoire est un des piliers de la politique sécuritaire : la xénophobie d’Etat n’est qu’un aspect de la politique sécuritaire.

Son pendant est bien évidemment, la lutte contre tous ceux contestant l’ordre établi. Eux aussi sont vécus comme des virus, qu’il faut éliminer. Pour s’assurer que la « nation » reste saine – c’est-à-dire qu'elle ne souhaite pas remettre en cause l’ordre économique, social et politique et qu’il n’y ait pas en son sein de groupes ou organisations militant pour un autre futur -, il est indispensable de contrôler la population. La création de la Direction centrale du renseignement intérieur en 2008 (fruit de la réunification des renseignements généraux et de la DST) est un aspect important de cette politique. La DCRI a « compétence pour lutter, sur le territoire de la République, contre toutes les activités susceptibles de constituer une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Elle « participe également à la surveillance des individus, groupes , organisations et à l’analyse des phénomènes de société susceptibles, par leur caractère radical, leur inspiration ou leurs modes d’action, de porter atteinte à la sécurité nationale. » (décret n°2008-609 instituant la DCRI)

Ce contrôle peut prendre plusieurs aspects. Montrer à la population ce qui doit être respecté, défendu et promu, mais aussi rendre visible le chaos sous-jacent ou potentiel pour s’assurer que la grande majorité souhaite vivre dans l’ordre existant et participe à son maintien en collaborant avec les services de police, en participant à la surveillance d’autrui et la délation. La mise en spectacle des « anarcho-autonomes » ou « ultra-gauche » rentre dans cette logique, dont le point d’orgue est l’affaire Tarnac. Ainsi émerge « un schéma de domination organisé autour de la diffusion massive de certaines représentations de la menace. Une mécanique visant à gérer la distribution de la peur, afin d’amener la population à s’autocontrôler. L’ordre sécuritaire constitue de ce point de vue une machine liant la désignation d’ennemis intérieurs à la répression des révoltes provoquées par le système économico-politique qu’il cherche à préserver. » (cf, M. Rigouste, page 307) Bien évidemment les médias sont un des agents fondamentaux dans cette volonté de contrôle.


A travers le développement de la précarité et du sécuritaire, on comprend pourquoi la xénophobie est un enjeu important pour l’Etat. La régularisation de tous les sans papiers, la liberté de circulation et d’installation, la fermeture et la disparition des camps de rétention porteraient des coups importants à la précarisation de nos conditions d’existence ainsi qu’à l’ordre sécuritaire et à l’apartheid social. La législation antiterroriste et la machine à expulser sont les deux faces d’une même médaille ; on ne pourra pas abroger l’une sans briser l’autre !

Personne ne peut garantir que, dans un avenir plus ou moins proche, dans les camps de rétention ne seront enfermés uniquement des sans papiers. L’exemple des camps ayant accueilli des réfugiés espagnols en 1939 est pour le moins éloquent. Ensuite ce furent des Juifs, Tziganes... qui y ont été internés par le gouvernement de Vichy. Le camp de Rivesaltes est exemplaire. Après avoir « accueilli » les populations mentionnées précédemment, y furent enfermés des prisonniers de guerre allemands et italiens en 1945 ; puis se furent des Algériens pendant la guerre d’indépendance, ensuite des Harkis lorsque la paix fut signée. De 1986 à 2007, des sans papiers furent retenus en attendant leur expulsion.

Comment en finir avec la précarité, si des travailleurs sans papier continuent de se faire exploiter dans les conditions les plus effroyables et dans l’angoisse du lendemain ? Dans ce contexte, ils sont, bien malgré eux, des instruments aux mains de l’Etat et des patrons pour durcir la concurrence au sein du marché du travail. Ils sont une des composantes servant à dégrader toujours plus les conditions d’exploitation de l’ensemble des travailleurs. Leur régularisation et la liberté d’installation seraient donc un élément important pour tenter de reconstruire un rapport de force dans les luttes sociales, en particulier dans le monde du travail.

L’Etat maintient la cohérence de la société capitaliste ; seule la convergence des luttes et la solidarité de classe pourront déconstruire et laisser place aux utopies créatrices d’où émergera une société fondée sur l’égalité sociale, la solidarité.

En affirmant l’appartenance de classe, on laisse de côté le soutien à caractère humaniste, bien souvent a-politique, confinant l’autre dans une unique dimension : la raison pour laquelle on apporte son soutien. A l’opposé, la solidarité consiste à instaurer des rapports égalitaires entre chacun, chacune, entre groupes sociaux, à envisager les relations en terme d’apports mutuels. Cela impose d’échanger les expériences, les vécus individuels et collectifs, les bilans des luttes, d’établir des convergences d’intérêts : faire en sorte de définir des intérêts communs entre individus, groupes sociaux, terrains de luttes, mais aussi élaborer de nouvelles perspectives. Ainsi, la personne est perçue comme un être humain à part entière, en prenant en compte sa multidimentionalité ; c’est fondamental pour contrecarrer les volontés déhumanisantes de l’Etat et des décideurs économiques et politiques.

Tours, le 03/06/09

JC

ENCART


La guerre d’Algérie inspire grandement la politique sécuritaire. Au cours de celle-ci l’armée française théorisa « la Doctrine de la Guerre Révolutionnaire ». Après sa défaite en Indochine (1954), l’Etat fut de nouveau confronté à une nouvelle lutte d’indépendance en Algérie. Une des caractéristiques de ces conflits armés est qu’ils ont lieu non pas sur des fronts déclarés, mais au sein même de la société. Le combattant n’est plus clairement identifiable, il se fond dans la population. Les méthodes classiques ne peuvent donc être efficaces.

Les cadres de l’armée ont compris l’importance de l’enjeu du contrôle de la population dans ce type de conflit. En effet, les militants indépendantistes fondaient leur lutte aussi sur leur volonté de partager leurs motivations avec la population. L’utilisation des armes n’était qu’un aspect de leur combat qui en retour reposait essentiellement sur la lutte politique.

Pour l’Etat français, il était vital que ce contrôle de la population ne leur échappe. Il fallait qu’une majorité de la population algérienne souhaite rester dans le giron français, quitte à revoir de nouvelles formes de domination coloniale. Pour ce faire les cadres de l’armée mirent en avant une nouvelle conception de la nation. Celle-ci est vu comme un corps vivant dont il faut prémunir des virus que sont les personnes voulant remettre en cause l’ordre politique, économique et social, en l'occurrence, ici les militants indépendantistes. L’armée est « chirurgien » devant « assainir » ce corps vivant. Pour ce faire, il faut donc démonter les réseaux existants, les tentatives de constructions politiques permanentes (organisation, embryon d’Etat...). Les moyens employés sont connus : torture, infiltration des organisations et des mouvements, utilisation de personnes pouvant servir d’indicateur, mais aussi directement dans l’armée (les harkis), décrédibilisation de la lutte en fomentant des attentats dont on attribuera la responsabilité aux indépendantistes, l’utilisation des médias, etc.

Ainsi est née la théorie de l’ennemi intérieur qui se situait tant en métropole, qu’en Algérie. Cette guerre anticolonialiste se fait sur fond de « guerre froide ».

(je laisse de côté la dimension internationale de cette guerre qui se déroulait pendant « la guerre froide ». Cela nous entrainerait trop loin, bien que le contexte mondial de l’époque ait été source de définition spécifique de l’ennemi intérieur – communistes et militants panarabistes. En outre, on ne peut sous-estimer cette dimension dans la mesure où les techniques employées par l’armée française en Algérie ont été très largement exportées de part le monde, comme dans plusieurs pays d’Amérique du sud -Argentine, Chili... -, mais aussi aux Etats-Unis, qui s’en inspirèrent au Vietnam et ailleurs. L’armée française est ainsi devenue une institution experte à l’échelle internationale pour les opérations de maintien de l’ordre dans un contexte de guerre révolutionnaire).