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Origine : échanges avec René Berthier
Ce texte de J. Toublet a été publié
par le Monde Libertaire n° 1205 Colloque « Un autre futur »organisé par la CNT en mai 2000
Refonder le syndicalisme révolutionnaire ?
Le 27 avril dernier, à la Bourse du travail de Paris,
à l’occasion de l’initiative de la CNT Pour un autre futur, s’est
tenu un intéressant débat public dont le thème était : Y
a-t-il aujourd’hui renaissance d’un syndicalisme révolutionnaire ?
Il est impossible, en ce bref article, de citer toutes les idées
et propositions exposées durant cette soirée par les nombreux
participants. Nous ne présenterons à nos lecteurs qu’un résumé
des interventions d’introduction de Thierry Renard, de Sud-PTT, et de Raphaël Romnée, de
la CNT, chacune représentative de leur organisation syndicale
respective.
Une refondation du mouvement syndical Thierry Renard,
qui a tenu à préciser qu’il s’exprimait en son nom propre, rappela
dans un premier temps que Sud-PTT et
tous les Sud ne se réclament pas explicitement du syndicalisme
révolutionnaire. Dans leur charte identitaire, les Sud se revendiquent
d’une double filiation, celle de la Charte d’Amiens et celle du
socialisme autogestionnaire de la CFDT des années soixante-dix.
Quelques faits, quelques tendances observés dans
le mouvement social, selon le camarade Renard, incitent à penser
que quelques-unes des idées-forces et des pratiques du syndicalisme
révolutionnaire sont en train de renaître : en particulier
une revendication d’indépendance et d’autonomie très présente
ainsi qu’une résurgence d’une action directe de masse, due principalement
au fait que la moindre lutte exige un rapport de force très important.
En outre, un nombre de plus en plus grand de personnes estiment
qu’on doit non seulement combattre les effets du capitalisme mais
également s’attaquer à ses causes. Et la réflexion sur le type
de transformation sociale à opérer n’est plus si incongrue qu’elle
le fut qu’il y a quelques années. Cette recherche s’accompagne
aussi d’une demande relativement forte d’un syndicalisme authentique,
sans connivence avec le patronat, syndicalisme qui pourrait être
un réel outil collectif pour les travailleurs.
On doit, pourtant, continue Renard, observer nombre
de différences d’avec le syndicalisme révolutionnaire historique.
Aujourd’hui il y a pluralité d’organisations dont la pratique
et les valeurs ne sont pas sans rappeler le syndicalisme révolutionnaire.
Il constate aussi, dans cette même mouvance, qu’on a coutume d’appeler
mouvement social, l’existence d’associations, de mouvements de
lutte qui ne sont pas des organisations syndicales, parce que
les organisations confédérées d’aujourd’hui ont déserté la pratique
interprofessionnelle sur toute une série de questions importantes,
comme le logement ou la lutte contre le chômage, à la différence
du syndicalisme révolutionnaire, qui était lui réellement interprofessionnel...
Puis Renard énumère quelques-unes des grandes différences
politiques et sociales d’avec les périodes historiques précédentes :
ce qu’on a présenté comme étant un communisme d’État, comme un
Etat ouvrier, s’est écroulé ; les partis se réclamant du
marxisme-léninisme sont en crise d’orientation très importante,
ils n’ont plus ni projet ni stratégie ; la gauche a montré
ses limites, ceux qui croyaient qu’elle pourrait initier un changement
de société commencent à comprendre qu’ils se sont fourvoyés ;
le réformisme syndical n’existe plus, les grandes centrales ont
abandonné toute idée de transformer la société, même par réformes
progressives...
En revanche, nombre de revendications d’aujourd’hui
viennent directement du mouvement social, comme le partage des
richesses, les luttes contre la précarité et pour l’accroissement
des minima sociaux.
L’étape d’aujourd’hui se formule donc de la manière
suivante : Comment, face au Medef et à son projet de société
libérale, organiser une riposte du mouvement social qui pèsera
concrètement sur la réalité. Commencer à répondre à cette question,
c’est préparer une refondation du mouvement syndicaliste révolutionnaire.
Exprimer un objectif révolutionnaire Si se pose
aujourd’hui la question de la renaissance d’un syndicalisme révolutionnaire,
commence Raphaël Romnée, c’est parce
que, sous des formes multiples, syndicales ou extrasyndicales,
depuis plusieurs années, au moins depuis 1995, dans divers secteurs
de la société et dans une partie de la jeunesse, s’est exprimé
un fort besoin d’auto-organisation. Ce fait, ce renouveau est désormais un
acquis.
Le point essentiel à examiner, la question la plus
importante, c’est le contenu de ces diverses formes d’auto-organisation,
leur orientation, leur mode de fonctionnement. Contenu qui ne
peut être compris que replacé dans la perspective de ce que fut
le syndicalisme révolutionnaire du début du siècle et de sa progressive
dégénérescence...
Qu’est-ce qu’a donc été le syndicalisme révolutionnaire
du commencement du siècle et la Charte d’Amiens ? Ça a été
l’affirmation du monde du travail, du parti du travail, comme
le disait Emile Pouget, à un moment donné, face aux institutions
bourgeoises ; une sorte de contre-société ouvrière qui se
dressait en opposition au monde de la bourgeoisie, avec ses syndicats,
ses bourses du travail, ses universités populaires, etc. C’était
la volonté, pour les travailleurs, d’avoir des outils bien à eux.
Telle était la démarche première, qui s’était construite contre
la bourgeoisie et aussi contre les différents partis politiques,
y compris ceux qualifiés d’ouvriers ou de socialistes. Il en était
résulté un compromis, la Charte d’Amiens, affirmation que tous
devaient s’accepter. On était à côté des partis politiques et,
grâce aux syndicats, les travailleurs se réappropriaient leurs
luttes.
C’est en 1914 que cet équilibre se rompt. Parce
que des militants, issus du mouvement syndical, vont tendre la
main à la bourgeoisie et apporter une caution ouvrière à la boucherie
impérialiste. C’est la première brèche : celle de la collaboration
de classe dans la défense de la patrie puis dans la gestion de
la société, la recherche d’un fallacieux intérêt général entre
le travail et le capital...
La deuxième brèche dans le syndicalisme révolutionnaire
fut l’organisation de séduction opérée par l’Internationale communiste
auprès des militants syndicalistes et anarchistes dans le but
de construire le parti communiste, opération qui s’appuyait sur
l’apparent succès de la Révolution russe et réussit à tromper
nombre de camarades, au moins dans un premier temps. Les résistances
qui s’organisèrent, comme la CGTSR, approfondirent la réflexion
et affirmèrent que pour que le syndicalisme existe il était nécessaire
qu’il s’oppose et combatte les partis politiques en tant que tels.
Une troisième phase viendra plus tard, celle de
l’intégration progressive du syndicalisme à l’État, au travers
du paritarisme et de la cogestion. Des résistances à cette intégration
ont toujours existé, avec plus ou moins d’intensité. Durant les
années soixante-dix, des comités de base tentèrent de s’y opposer,
sans grand succès. Divers courants politiques, y compris libertaires,
s’essayèrent à construire des oppositions syndicales dont l’objectif
était de changer la nature des confédérations intégrées. Toutes
furent plus ou moins brisées...
Aujourd’hui, l’axe de construction d’un nouveau
syndicalisme révolutionnaire se résume à reprendre en main les
luttes ; c’est cela le syndicalisme d’action directe :
gérer les luttes aujourd’hui pour gérer la société demain. Et,
si on veut être crédible, c’est promouvoir l’indépendance par
rapport aux institutions et refuser toute forme de paritarisme
et de cogestion.
Enfin, même si aujourd’hui la volonté révolutionnaire
n’est pas majoritaire parmi les travailleurs, si on parle de syndicalisme
révolutionnaire, on se doit de dire explicitement, en tant qu’organisation,
que l’objectif est de transformer la société. C’est le premier
acte d’indépendance et d’autonomie ouvrière face à tous ceux qui
veulent nous représenter, que ce soit sur le plan électoral ou,
comme ce fut la situation hier, ceux qui prétendent se constituer
en avant-garde dirigeante. C’est le premier acte de refondation
du syndicalisme révolutionnaire.
Compte rendu rédigé par J. Toublet
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