Lorsque,
avec d’autres camarades anarchosyndicalistes, je suis entré à
la Fédération anarchiste (FA), aux alentours de 1981, plusieurs
raisons motivaient cette décision. Toutes provenaient de la période
qui avait suivi Mai 68, période qui s’achevait alors et qui allait
se clore définitivement avec l’élection à la présidence de la
République du premier secrétaire du parti socialiste, apothéose
de la stratégie réformiste mise en œuvre à partir de 1970 par
les partis de gauche.
Cette
apothéose, notez-le bien, correspondait à notre défaite, à la
défaite du mouvement de Mai 68, mieux à son écrasement.
Ce
« nous » auquel je m’assimile représentait ces groupes
et ces personnes, mis en mouvement par la grève générale de 1968,
qui ont cherché à reconstituer, en France et si possible ailleurs,
un mouvement révolutionnaire d’orientation libertaire ou syndicaliste
révolutionnaire, en tentant de faire en sorte que ce mouvement
fût comme un poisson dans l’eau à l’intérieur de la mouvance soixante-huitarde,
dans son ensemble non léniniste ou opposée au léninisme…
A
titre d’illustration de ce sentiment partagé par beaucoup de soixante-huitards,
je citerai l’intervention que Christian Lagant
prononça à la Mutualité, quelques semaines après l’embrasement,
au cours d’une réunion débat organisée par l’OCI.
L’opposition
entre marxisme et anarchisme, disait Christian, est dépassée,
ou plutôt a changé de forme depuis 1871 et le Congrès de La Haye.
Après 1968, poursuivait-il, dans le mouvement révolutionnaire,
l’opposition réelle se situe entre les militants qui veulent renforcer
ou reconstituer les organisations bâties selon les schémas du
léninisme et celles et ceux dont l’objectif consiste à donner
force à un mouvement révolutionnaire « autogestionnaire »
récusant toute idée de rôle dirigeant et d’avant-garde politique.
Je partageai, pour l’essentiel, l’opinion de Christian.
A
l’orée des années quatre-vingt, c’est-à-dire dix ans plus tard,
cet ensemble de personnes et de groupes s’était quasi disloqué.
On
commençait à parler de résistance et non plus, comme dans la décennie
précédente, d’offensive ; dans les entreprises, dans les
syndicats et même dans l’opinion publique, les idées de 68 comme
les groupes qui les soutenaient s’effritaient ou disparaissaient.
Au
sein de l’Alliance syndicaliste,
dans laquelle je militais activement depuis 1969 – auparavant,
à dater de 1966-1967, j’avais été proche du noyau de la Révolution
prolétarienne, adhérent de l’Union des syndicalistes et membre
assidu du Centre de sociologie libertaire de Gaston Leval et Roger
Hagnauer – naquit alors l’idée de participer à un regroupement
des forces plutôt déclinantes du mouvement libertaire.
Un
rapprochement avec une partie de ceux et celles qui avaient milité
à l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) avant son explosion
avait déjà échoué au cours d’une conférence dite des travailleurs
libertaires, quelque temps auparavant.
Une
grande incompréhension était apparue entre les parties présentes
durant les débats de cette conférence : les uns se réclamaient
de l’anarchosyndicalisme, revisité par la Révolution espagnole
et Mai 68 ; les autres, qui se déclaraient communistes libertaires,
essayaient de formuler quelque chose qu’ils voulaient être nouveau… Ce
sont les militants qui constituèrent ultérieurement l’Union des
travailleurs communistes libertaires (UTCL) puis, plus tard, avec
d’autres, Alternative libertaire (AL).
Au
cours de ces débats, mon sentiment fut double. Autant je réprouvais
l’idée du « nouveau libertarisme » en politique, l’assimilant
à un gadget propagandiste, et considérais la théorie dite « communiste
libertaire » comme quasi inexistante et sans expérience historique
dans les sociétés développées,
autant l’analyse concrète des coparticipants qui allaient former
l’UTCL me paraissait pertinente et recoupait ma propre expérience
syndicale d’ouvrier du Livre (les syndicats du Livre parisien,
dont le Syndicat des correcteurs, auquel je suis affilié depuis
1963, sortaient du conflit contre le Parisien libéré).
Formés à l’ORA, sur ce qui avait été l’orientation de son courant
majoritaire, à savoir la formation de groupes d’usine, de chantier
ou de bureau, lesdits militants, lors des grandes grèves des postes
et des banques de 1974, constatèrent que ces groupes, fort utiles
pour l’agitation et la mobilisation locale, n’avaient aucune influence
réelle sur l’orientation des luttes, surtout des luttes de grande
ampleur. Ce qui dirigeait ces luttes, de fait et quoi qu’on pense
de leur direction, c’étaient les syndicats.
Si
on voulait peser vraiment dans les luttes, continuaient-ils, il
fallait s’investir dans les syndicats, y organiser des tendances
d’opposition et, si possible, en prendre le contrôle… D’une certaine
manière, ces camarades venus de l’ORA reprenaient, pour l’essentiel,
ce qui avait été le sentiment anarchosyndicaliste dominant d’après
1968, sentiment qui avait donné naissance à l’Alliance syndicaliste.
Durant
cette conférence, la grande majorité des anarchosyndicalistes
présents ne partagea pas mon opinion – je pensais que
la pratique effective serait plus forte que l’idéologie, même
communiste libertaire, et qu’il serait possible de constituer,
avec les anciens de l’ORA qui partageaient cette option de travail
dans le mouvement syndical, des tendances au sein des confédérations – et
les contacts ne furent pas poursuivis.
Plusieurs
camarades, alors, parlèrent d’entrer à la Fédération anarchiste.
Cette dernière, argumentèrent-ils, parce qu’elle se reconnaissait
dans l’idée de synthèse anarchiste, accepterait des anarchosyndicalistes
dans ses rangs.
Une
opinion quasi unanime se constitua alors sur les axes suivants :
Les
militants de l’Alliance et les anarchosyndicalistes qui travaillaient
avec eux avaient tenté de constituer, après 1968, une tendance
syndicaliste révolutionnaire et anarchosyndicaliste interconfédérale
afin d’organiser un échange permanent d’informations et d’élaborer,
pour le plus grand nombre de militants libertaires investis dans
les syndicats, une stratégie coordonnée ; pour ce faire,
l’Alliance entendait demeurer une « tendance » et non
pas se constituer en organisation politique ou « spécifique ».
Cette
tentative a échoué,
y compris dans ses propositions en direction du mouvement libertaire,
pour de multiples raisons :
– la
collaboration avec les oppositions plus anciennes, ou prétendues
telles, comme les libertaires ou les anarchosyndicalistes de la
CGT-Force ouvrière,
fut très difficiles et s’arrêta très vite, en particulier avec
celle de l’Ouest alors dominée par Alexandre Hébert. Ce dernier
essaya d’entraîner l’Alliance dans une sorte de pacte, dont il
aurait été l’interface, avec la fraction OCI de FO ; une
déclaration impliquant l’Alliance dans Informations ouvrières,
sans que les groupes parisiens et bordelais ne soient informés
de rien, stoppa net les rapports…
– la
plupart des libertaires ne comprirent pas le concept de « tendance
anarchosyndicaliste » et ne virent dans l’Alliance qu’une
nouvelle organisation politique libertaire, à l’idéologie spécifique,
–
la coordination syndicale entre les libertaires des divers groupes
spécifiques se heurta sans cesse à la défiance de ces groupes,
aux anathèmes de certains
ainsi qu’aux sottises banales et habituelles de beaucoup d’autres,
– l’utilité
de militer dans le mouvement syndical réellement existant (à ce
moment-là, la Confédération nationale du travail de France [CNTF]
n’existait quasiment pas) n’apparaissait pas évidente pour un
grand nombre de libertaires.
Au
cours des années de l’existence de l’Alliance, il fut confirmé
néanmoins que par leur activité et leurs affinités, notamment
avec la tendance « Frente libertario » du mouvement
libertaire espagnol au sein du Comité Espagne libre, la majorité
de ses adhérents et de ses sympathisants se reconnaissaient dans
les idées et les pratiques libertaires. Ceux qui, vers 1975, furent
séduits par l’idéologie d’ultra-gauche et le communisme de conseils
opérèrent une scission et se rapprochèrent de divers groupes tels
que Pour une intervention communiste (PIC).
Il
fut, en conséquence, décidé de dissoudre l’Alliance et d’intégrer
la FA sur les options suivantes :
– travailler
à l’unité du mouvement libertaire national et international et
à la solidarité entre les diverses composantes, sur une orientation
réaliste et de lutte de classes,
– participer
loyalement à l’activité de la FA et à la propagande de l’anarchisme
telle qu’elle la met en œuvre,
– organiser,
à partir des anarchosyndicalistes de la FA, une coordination des
libertaires présents dans le mouvement syndical et proposer à
cet effet que soit constitué un secrétariat aux affaires syndicales
et sociales.
L’autre
possibilité aurait été de se transformer en une Fédération anarchosyndicaliste – je
n’étais pas, pour ma part, opposé à cette idée. Elle ne fut pas
retenue pour, me semble-t-il, éviter d’accroître l’entropie du
mouvement, déjà si grande…
II. –
À la Fédération anarchiste
Pour
moi, la découverte de la vie interne de la FA fut une surprise
totale. Sans doute, est-il besoin de préciser que mon expérience
de militant jusqu’alors s’était déroulée dans le mouvement syndical
ou au sein des milieux syndicalistes ; même le Centre de
Gaston Leval, lui-même très influencé par les mouvements libertaires
espagnol et argentin, se situait dans cette ambiance particulière
de l’anarchosyndicalisme version hispanique.
La
manière d’être et de faire de tous ces militants ne m’avait pas
préparé au fonctionnement si atypique de la FA.
Au
commencement des années quatre-vingt, une sorte de guerre interne
déchirait les groupes parisiens de la FA, composés, pour la plupart,
de jeunes gens des deux sexes.
Se
disputaient sans cesse, et sans qu’on comprît l’objet réel de
la disputation,
les groupes – je cite de mémoire – Malatesta, Jacob,
Libertad, de Fresnes-Antony, Varlin et d’autres que j’oublie.
Ils s’affrontaient à tout moment et en toute occasion, pour quoi
que ce soit, avec une fureur vengeresse.
Les
membres du groupe Malatesta de l’époque, en particulier, me sont
apparus, de par leur comportement individuel, comme antagoniques
de ce que devaient être les militants libertaires : sectaires
jusqu’à l’absurde, méprisants, sûrs d’eux et de leur doctrine – d’autant
plus qu’ils ne l’exposaient jamais –, machos, rigides comme
des lames d’acier mal trempées… Ils venaient d’expulser,
ou de faire partir, des militants de la FA, en roulaient encore
des épaules, et donnaient l’impression de vouloir débusquer et
anéantir ceux et celles qu’ils considéraient comme tièdes, hésitants,
pas clairs. Sans oublier les marxistes camouflés, innombrables,
selon eux.
Un
des sports préférés de l’époque, en effet, était la chasse aux
marxistes… ou supposés tels. Les discours, les articles,
les textes internes étaient examinés à la loupe, que dis-je ?
au microscope, par les gardiens autoproclamés de la sainte doctrine
et, régulièrement, les dénonciations et les anathèmes tombaient :
celui-là ou celle-là étaient marxistes. Suivait bientôt la demande
d’excommunication…
Le
pire de tout, l’abomination de la désolation, c’était le marxisme
libertaire, monstre conceptuel inventé pour dévorer notre mère
l’Anarchie, après qu’il l’aura déflorée et avilie…
J’avais,
a contrario, avec les camarades qui avaient suivi aussi
assidûment que moi la formation de Leval, la conviction profonde
qu’il y a plusieurs pièces dans la maison Libertaire, et beaucoup
de chemins pour s’y rendre. Gaston fournissait à chacun de celles
et ceux qui suivaient son enseignement des brochures qu’il avait
écrites et qui résumaient la doctrine de Bakounine, celle de Proudhon,
celle de Kropotkine, de Malatesta, de Reclus, de Tucker, etc.
Un des exercices, ensuite, consistait à comparer les divers points
de vue de « nos auteurs », comme disait notre vieux
maître, de noter ce qui les rapprochait ou les opposait. L’extrême
diversité de l’anarchisme apparaissait alors, en même temps que
les convergences.
En
était-il de même dans la Fédération anarchiste d’alors ?
Nullement. Peu ou pas de formation, peu d’explicitation des concepts.
D’où peut-être l’absurde obscurantisme qui présidait à l’analyse
du « marxisme libertaire ».
On
en connaît l’origine : l’expression a été inventée par Daniel
Guérin à la fin de sa longue vie militante.
D’origine
bourgeoise et de formation marxiste, adhérent de la SFIO puis
du PSOP, un instant tenté par le trotskisme, à la pointe du combat
contre l’homophobie, anticolonialiste et antimilitariste actif,
Guérin a porté très tôt un regard critique sur les réalisations
concrètes issues des formations et des militants se réclamant
du marxisme.
Dans
divers ouvrages, dont Jeunesse du socialisme libertaire,
paru vers 1965, il exprimait l’idée qu’un certain nombre de concepts
libertaires ou anarchistes – quasi oubliés en cet instant de l’histoire
– devaient être réintroduits dans le corpus de l’idéologie socialiste,
prise dans son acception d’origine, afin que les erreurs qu’on
percevait en Union soviétique ou en Europe occidentale s’agissant
de la social-démocratie ne puissent plus se produire à l’avenir.
Sur la plupart des questions politiques qui opposaient marxisme
et anarchisme, centralisme ou fédéralisme, parlementarisme ou
action directe sociale, dictature du prolétariat ou démocratie
directe, Guérin donnait raison à l’anarchisme, notamment à Bakounine.
Mutatis
mutandis,
Guérin a suivi le même chemin que Georges Sorel qui, venu lui
aussi du marxisme orthodoxe, après bien des études et des réflexions,
finit par affirmer que « le socialisme se trouvait tout entier
dans les syndicats ouvriers » et qu’il était nécessaire de
se débarrasser de toute influence blanquiste, c’est-à-dire qu’il
répudiait toute idée d’avant-garde dirigeante et de dictature
de parti, fondements de la politique marxiste.
Le
marxisme libertaire de Guérin n’était nullement une attaque contre
l’anarchisme ; il était, au contraire, l’introduction de
concepts politiques anarchistes dans le marxisme… Avait-il, d’ailleurs,
un avenir politique ? Aujourd’hui, toutes les formes de marxisme
sont très dévaluées et sa formulation a quasi disparu.
Toutes
ces choses, m’objecterez-vous, ne sont que de vieilles histoires.
Certes, mais ces vieilles histoires sont récurrentes : elles
se répètent selon un cycle de quatre, cinq, six ans, avec, pour
l’essentiel, un scénario toujours identique : des jeunes
groupes formés de jeunes gens s’agitent très fort, s’invectivent
les uns les autres puis disparaissent. Ainsi disparurent tout
d’un coup, comme une volée de moineaux, le groupe Malatesta et
ceux auxquels il s’opposait avec tant de vigueur, sans que l’on
sache pourquoi la lame d’acier si brillante s’était brisée en
mille morceaux – de tout cela, il ne reste rien, ou
quasiment : quelques correcteurs ou correctrices qui travaillent
plutôt tranquillement dans les entreprises de presse. Quelquefois,
j’ai entraperçu un des anciens de Malatesta au cours de manifestations ;
il travaillerait dans une municipalité communiste. Les autres,
des dizaines de personnes, toutes plus révolutionnaires et anarchistes
les unes que les autres, ont disparu du paysage libertaire.
Cette
évaporation est exceptionnellement importante, sans doute une
des plus graves du monde politique. Ne s’agit-il que d’un phénomène
dont la cause première réside dans le fait que le système de recrutement
de la FA et de l’anarchisme s’appuie beaucoup sur la révolte adolescente ?
Avec pour conséquence principale qu’avec la maturité s’évanouit
ou s’estompe l’anarchisme révolté des jeunes années ?
Il
est sans aucun doute positif que la FA et l’anarchisme séduisent
des personnes jeunes et que celles-ci trouvent dans les rangs
libertaires l’endroit où exprimer leur indignation devant l’état
de la société et leurs aspirations à bouleverser le monde. La
difficulté se résume, en conséquence, en la continuité de l’engagement.
En la permanence, avec plus ou moins d’intensité, du militantisme
libertaire : comment faire perdurer le lien militant lorsque
survient la maturité ? Tel est, me semble-t-il, un des réels
problèmes qui est posé à la FA, un problème sur lequel elle bute
depuis plusieurs générations.
En
outre, de la non-résolution de cette difficulté résulte le départ,
comme une deuxième hémorragie, de nombreux militants ayant une
certaine expérience, ou même anciens, comme moi-même, qui partent
bien qu’ils ne soient nullement décidés à prendre une retraite
militante.
Quelques
militants demeurent néanmoins présents dans l’organisation bien
après les années de la formation et de l’adolescence ; on
remarquera qu’il s’agit le plus souvent de personnes qui assurent
des responsabilités de gestion, soit des secrétariats fédéraux,
soit des « œuvres », selon le vocabulaire utilisé en
interne, c’est-à-dire les éditions, le Monde libertaire,
Radio-Libertaire ou les diverses librairies que possède la FA.
En dehors de ces tâches, souvent techniques, qui demandent un
certain savoir-faire, et qui sont quelquefois ingrates, ni aurait-il,
dans la structure interne de la FA, rien qui ne retienne les militants
devenus adultes ? En d’autres termes, la FA élabore-t-elle
une « politique » anarchiste et propose-t-elle à tous
ses adhérents et sympathisants des deux sexes de la mettre en
œuvre ou bien fait-elle autre chose ?
La
Fédération anarchiste n’est pas réellement
une organisation anarchiste
Si
on compare la FA actuelle à deux de ses devancières qui firent,
ô combien, parler d’elles dans l’histoire, à savoir l’Alliance
internationale de la démocratie socialiste (AIDS), et sa partie
cachée dite « Fraternité internationale », des années
de la première Internationale, ou bien la Fédération anarchiste
ibérique (FAI), constituée en 1926, on ne peut qu’être frappé
par cette évidence : la FA, s’agissant de l’action, en particulier
l’action sociale, ne leur ressemble en rien.
Dans
aucune des publications de ces organisations, par exemple, on
aurait pu lire les phrases suivantes : « En tant qu’organisation
la Fédération n’a aucune politique syndicale. […] Chacun est libre
de militer à la base et dans l’appareil, selon ce qu’il juge opportun.
L’ensemble peut se coordonner, de la volonté des seuls intéressés
et sans qu’ils aient à en rendre de compte à l’organisation […].
Il n’y a pas d’effort fédéral pour orienter telle ou telle confédération
dans une direction déterminée, pas plus que de tentatives pour
conquérir des positions dans les appareils directeurs. Et nous
pensons que c’est comme ça que les choses doivent être. »
On
ne pourra lire d’équivalence à cette déclaration de principe chez
les Internationaux proches de Bakounine ou de Guillaume, pas plus
que sous la plume de « faïstes », parce que ceux-ci
et ceux-là pratiquaient exactement le contraire de ce qui y est
écrit !
Giuseppe
Fanelli n’a pas décidé sur un coup de tête de se rendre en Espagne
pour y fonder une section de l’Internationale. Parce qu’il aurait
été libre de le faire, ou quelque autre niaiserie. Non, le groupe
de révolutionnaires auquel il faisait partie a jugé utile d’envoyer
dans la péninsule Ibérique un militant expérimenté et compétent
pour informer et éclairer les jeunes adhérents de l’AIT –
on sait que de ce voyage résulta l’orientation socialiste révolutionnaire
fédéraliste, autrement dit anarchiste, de la Fédération espagnole :
Fanelli sut convaincre les plus actifs des militants, ceux qui
allaient devenir l’armature et la direction de la Fédération,
et les armer pour résister aux intrigues des divers envoyés de
Karl Marx.
A
quoi aurait-il servi de constituer une Alliance internationale
si les militants qui la composaient ne s’étaient, grâce à elle,
informés mutuellement et coordonnés ?
Quant
à la FAI, il suffit d’ouvrir l’ouvrage rédigé par Juan Gomez-Casas
sur l’histoire de l’organisation spécifique
de l’anarchisme espagnol
et y lire les ordres du jour des congrès de cette glorieuse fédération
pour constater que nos camarades espagnols s’intéressaient, comme
individus et comme anarchistes fédérés, au détail de la vie sociale
et syndicale. Et qu’ils ne se gênaient guère pour orienter « telle
confédération dans une direction déterminée ».
Et ils avaient bien raison. Je me souviens d’ailleurs que Gaston
Leval, pourtant scrupuleux et réticent quant au travail de tendance – et
quelque peu réservé s’agissant des méthodes parfois expéditives
des compañeros – considérait qu’une fédération anarchiste,
ou socialiste libertaire, ça servait, entre autres, à ça !
La
politique – ou plutôt l’absence de politique –
décrite plus haut est la matrice principale de nos défaites historiques
en Russie centrale lors de la Révolution de 1917-1920, comme le
déclaraient ensemble Voline et Archinov, et en Europe occidentale.
A l’exception de l’Espagne, seul territoire où les libertaires
surent maintenir leurs positions jusqu’en 1939, surtout parce
que la conception bakouninienne de l’organisation y fut hégémonique.
Or
est-il sérieux d’envisager de participer à un mouvement social
contestataire, à des moments de rupture qui pourraient déboucher
sur des tentatives révolutionnaires, voire tenter de les influencer,
sans un minimum de cohésion politique et structurelle ? Toutes
celles et tous ceux qui ont vécu ou observé les instants de bouleversement –
modestes mais réels – qui ont secoué les sociétés d’Europe
depuis quarante ans (mai 68 en France, en Italie et en Allemagne,
le Portugal de 1974, la Transition en Espagne, les mouvements
allemands de 1989, la grève de novembre et décembre 1995) ont
pu constater l’importance décisive des quelques semaines d’effervescence
et combien il est important alors de prendre des initiatives,
que ces initiatives aillent dans le même sens et qu’elles soient
coordonnées.
Lorsque
le mouvement libertaire espagnol, à Barcelone, à Valence, dans
de nombreuses villes d’Andalousie brise le coup d’Etat militaire
de Mola et Franco – alors que Séville la Rouge où est implanté
le PCF tombe tout de suite – ne croyez-vous pas qu’il s’est
agi de la résultante d’années de travail assidu de coordination,
opéré grâce à la structure syndicale et à celle des groupes libertaires
fédérés ? Chaque syndicat, chaque groupe syndical d’entreprise
possédait son secrétaire à la défense, responsable des groupes
d’autodéfense, qui se coordonnait avec tous les autres, formant
sur tout le territoire sur lequel s’étendait la fédération locale
des syndicats un organisme collectif de défense – c’est
ce type de fonctionnement, qui s’étend sur toute l’Espagne confédérale,
qui opère les 18 et 19 juillet 1936, avec le succès qu’on lui
connaît…
Ce
qui est vrai dans les occasions historiques l’est aussi dans l’activité
et la lutte quotidiennes.
Le
groupe Elisée-Reclus,
à propos d’Alternative libertaire et des syndicats Sud, et peut-être
aussi de la gauche syndicale de la CFDT qui les a précédés, écrit
les phrases suivantes, qui sont très intéressantes, parce qu’elles
résument, a contrario, le problème :
« AL
a choisi […] de gagner, en tant qu’organisation, une influence
syndicale. Cela les a conduits dans le passé à s’allier avec la
LCR dans des oppositions structurelles plus ou moins structurées.
Les politiques proposées n’étaient pas, et ne sont toujours pas,
élaborées par l’ensemble des syndiqués, et encore moins des travailleurs,
mais par un marchandage entre des « élites » organisés
séparément. C’est une manière de faire qui nous met mal à l’aise.
Nous comprenons qu’individuellement, ou collectivement, des camarades
jugent ces procédés utiles […]. Par contre, nous nions avec la
dernière énergie que cela doive être un choix collectif de l’ensemble
de l’organisation. »
Ce
texte appelle, nous semble-t-il, les remarques suivantes :
1.
Les camarades du groupe E-Reclus ont rédigé de manière trop concise
leur première phrase : « AL a choisi de gagner, en tant
qu’organisation,
une influence syndicale. » Cette façon de dire laisse entendre
qu’il serait possible qu’une organisation politique soit représentée
en tant que telle dans les syndicats. Ce qui n’est pas autorisé
dans le mouvement syndical français, si on excepte les syndicats
d’enseignants réunis dans la FSU, survivance de la motion Bonnissel-Vallières
de la scission de 1947-1948.
J’image
que le groupe E-R veut dire que les camarades d’AL ont coordonné,
à l’intérieur de leur organisation, leurs activités syndicales,
réfléchi ensemble aux orientations qu’ils allaient proposer ou
soutenir. Sur ces bases, des militants membres d’AL se sont portés
candidats aux postes de responsabilité des syndicats et des sections
dans lesquels ils militent ; certains de ces militants ont
été élus par les syndiqués.
2.
Je me demande sur quelle expérience concrète les camarades du
groupe E-R s’appuient lorsqu’ils écrivent : « Les politiques
proposées n’étaient pas, et ne sont toujours pas, élaborées par
l’ensemble des syndiqués, et encore moins des travailleurs, mais
par un marchandage entre des “élites” organisés séparément. »
Comment,
de fait, sont élaborées les politiques syndicales, en particulier
au niveau des entreprises et des branches professionnelles ?
Les textes d’orientation, quelle que soit leur origine, sont examinés,
discutés et amendés par les organes élus, commissions exécutives
ou comités syndicaux, puis publiés par les organes de presse syndicaux
pour être votés et adoptés par les syndiqués au moyen de votes
lors d’assemblées générales ou de congrès. Telles sont les formes
statutaires ; sont-elles respectées ? Dans certains
secteurs, oui ; dans d’autres, plus ou moins. En tout cas,
la manière de faire décrite par le groupe E-R n’existe pratiquement
nulle part ; quelle que soit l’intensité du rôle dirigeant
exercé par un groupe politique dans un syndicat, la décision,
même si on considère qu’il ne s’agit que de formalisme, sera prise
par une des structures du syndicat.
L’erreur
de fond que répètent sans cesse nombre de militants libertaires
ou d’ultra-gauche qui n’ont pas réellement milité dans le mouvement
syndical, c’est qu’ils ignorent l’existence de la démocratie syndicale – qui
n’est, pour eux, qu’une farce ou un attrape-nigauds. Or aucune
opposition ou gauche syndicale ne peut se développer ni même perdurer
si elle ne respecte et promeut la démocratie syndicale, c’est-à-dire,
en dernière analyse, qu’il soit fait en sorte que les adhérents
s’expriment dans les instances du syndicat. Parce que la force
de la gauche syndicale, c’est la démocratie directe. C’est grâce
à l’appui qu’elle peut ainsi obtenir de la base qu’elle peut résister
à la bureaucratie centrale. Qu’il y ait « marchandage » – le
mot choisi est porteur de dénigrement et de mépris, sans doute
parce qu’il n’y a pas de « marchandage » entre les anarchistes – ou
plutôt contacts et négociations entre les minorités actives présentes
dans le syndicat, ou entre des groupes ou des fractions, alliés
un jour et opposés le lendemain, peut-être ; mais il s’agit
d’une erreur fondamentale de penser que la décision finale, la
décision syndicale s’acquiert par ce moyen-là. La décision s’obtient
par un vote, à la commission exécutive, à l’assemblée générale,
au congrès, après un débat contradictoire et souvent en compétition
avec d’autres propositions.
Ce
que ne comprennent pas les camarades du groupe E-R, c’est que
la démocratie syndicale est faussée, ou même quasi supprimée parfois,
en raison de l’activité des fractions politiques, qui tentent
de faire adopter par le syndicat les positions du parti auquel
la fraction adhère, souvent à l’aide de procédés manipulatoires.
Deux
exemples illustreront cette question :
• En
1980, avant l’élection présidentielle, la totalité de l’appareil
du PCF présent dans les directions de la CGT – ce sont très
souvent les mêmes personnes – s’est mobilisée pour que les
diverses organisations de la confédération appellent à voter en
faveur de Georges Marchais ; la plupart des adhérents de
la CGT ignoraient que pratiquer ainsi était antistatutaire, et
les militants du PCF se gardaient bien de les en informer… Ce
sont les adhérents des autres partis, des syndicalistes partisans
déterminés de l’indépendance syndicale et des libertaires qui
durent rappeler la direction confédérale au respect des statuts,
à savoir qu’il n’était pas dans la nature d’une confédération
syndicale de lancer des consignes de vote politiques.
• En
1975-1980, les militants trotskistes de l’OCI actifs dans les
syndicats parisiens du Livre CGT, et tout particulièrement, hélas !
au Syndicat des correcteurs, y reprirent leur mot d’ordre du moment –
un de leurs habituels gadgets agitatoires – qui proposait
d’obtenir du patronat une prime de vie chère.
Pourquoi
pas…, répondait-on dans les entreprises. Puis, quelques militants,
notamment libertaires, firent remarquer que dans des industries
régies par des conventions collectives comportant l’échelle mobile
des prix et des salaires, avec déclenchement à + 2,5 %, comme
dans le livre ou la presse, la notion même de prime de vie chère –
c’est-à-dire un rattrapage brusque de pouvoir d’achat parce que
le différentiel dû à l’inflation s’était trop accru – ne
signifiait rien, ou presque.
Le
mot d’ordre adapté à la situation était donc une revalorisation
de salaire, hors de la question de l’échelle mobile, qu’on pouvait
justifier parce que les indices de référence, en l’occurrence
ceux de l’Insee, ne mesuraient pas complètement l’inflation ;
en outre, une revalorisation est permanente, à la différence d’une
prime. Et nous voilà partis, avec inscrit sur notre petite bannière :
Revalorisation des salaires !
Quelle
fureur ne reçûmes-nous pas en réponse des petits copains de l’OCI,
totalement déchaînés de rage qu’on pût ainsi interpréter leur
mot d’ordre. Ils se moquaient bien que les revendications soient
correctement formulées ; ce qui les intéressait, c’était
que les syndicats appliquent leur consigne, pour affirmer leur
rôle dirigeant. Et que ce soient des « anars » qui se
soient permis d’ergoter sur des pourcentages les enrageait encore
plus… L’affaire n’eut pas de suite, heureusement. Adopter leur
mot d’ordre aurait signifié envoyer une délégation ouvrière se
faire déchirer par les vieux renards de négociateurs du syndicat
patronal.
Ajoutons,
pour la petite histoire, que, quelques années plus tard, la CGT,
en pleine phase gauchiste, lança, elle aussi, une revendication
de prime de vie chère ; le même processus se reproduisit,
cette fois avec les « orthodoxes » ; les militants
du PCF étant moins bornés que ceux de l’OCI, la position de revalorisation
fut adoptée, et lorsque nous nous présentâmes devant le syndicat
patronal, sa délégation avait la tête des mauvais jours. « Il
va falloir encore payer ! » pensaient-ils sans doute.
Le
travail des libertaires dans le syndicalisme, me semble-t-il,
est, outre l’animation des luttes et des débats, de créer et de
faire fonctionner des « contre-fractions » libertaires
et syndicalistes, dont l’activité principale sera le rétablissement
ou le maintien de la démocratie syndicale ainsi que la lutte contre
les tentatives de manipulation des fractions politiques.
Cette
contre-fraction, qui doit être organisée, exige une coordination,
des débats internes, un suivi régulier des affaires syndicales,
l’observation attentive des candidatures aux postes de responsabilité,
la vérification de la régularité des élections, la vigilance sur
la tenue des assemblées générales. Elle implique également une
politique de création de tribunes libres dans les bulletins syndicaux,
de propositions de rotation des mandats, en particulier pour les
postes de permanents, etc.
Si
le Syndicat des correcteurs CGT n’est pas tombé entre les mains
de l’OCI, de la LCR, des écologistes alliés aux socialistes –
et à la coalition des trois derniers groupes cités – entre
1968 et 1993 (je parle pour la période où j’y militais activement),
s’il a réussi à résister aux diverses manœuvres de déstabilisation
et d’absorption mises en œuvre par la bureaucratie de la Fédération
du livre, c’est essentiellement parce que les libertaires – A.
Devriendt, R. Berthier, Th. Porré, F. Gomez, J. Nuevo, moi-même
et quelques autres – , alliés de manière serrée à quelques
bons camarades syndicalistes, y constituèrent une contre-fraction
aussi discrète dans ses apparitions qu’efficace dans la coordination
de ses membres. Une information régulière sur les décisions et
les ordres du jour, la préparation des assemblées générales, la
dénonciation publique des manœuvres des fractions, la présentation
de candidats aux élections syndicales permirent de faire échouer
toutes les tentatives de prise de contrôle, nombreuses et répétées :
quel porte-parole aurait pu être ce syndicat presque centenaire
de la CGT pour les sectes trotskistes ! Quant à l’appareil
confédéral, la disparition du Syndicat des correcteurs aurait
signifié un souci de moins, puisque ce dernier intervenait à chaque
fois que le bureau confédéral négligeait d’appliquer les statuts…
Il
s’agit là d’une toute petite expérience. Mais multipliez-la par
10 ou 50 ou 100 et vous verrez bien des choses syndicales changer !
J’ajouterai
que c’est en constatant cette pratique-là que j’ai commencé à
penser – moi qui viens de la Révolution prolétarienne,
où on n’aimait guère « les partis et les sectes » –
que les groupes spécifiques pouvaient servir à quelque chose.
3.
Le groupe E-R commet la même erreur que celle faite par la direction
de la CFDT lorsque cette dernière a décidé d’exclure les responsables
de ses syndicats parisiens des PTT : « Ce ne sont que
des « élites organisés séparément » dont la politique
n’est pas élaborée par l’ensemble des syndiqués », pensait-elle.
« Il suffira de chasser ce petit groupe de gauchistes, continuait-elle,
pour retrouver tous nos bons syndiqués abusés. »
Manque
de chance pour Edmond Maire, Mme Notat et consorts :
il y avait bien relation et confiance entre la base, les syndiqués,
et celles et ceux que la direction a exclus sans autre forme de
procès. On connaît la suite ; aujourd’hui, Sud-PTT regroupe
près de 13 000 adhérents ; Sud-Rail gagne sur la CGT,
etc. Lorsque M. Seillière parle en privé à Nicole Notat , sans
doute lui conseille-t-il d’y aller doucement avec les exclusions,
sinon, bientôt, pourraient apparaître de encore nouveaux syndicats ;
et tout ça, ensemble, pourrait peut-être gêner la libéralisation
en cours…
4.
Le point de vue défendu par le groupe E-R, sans doute partagé
par beaucoup de membres de la FA, qui prétend que celle-ci ou
les organisations anarchistes n’ont pas à organiser et coordonner
l’activité de leurs membres dans le mouvement social et les syndicats
peut s’assimiler à une capitulation sur le terrain social, à rendre
les armes sans combattre devant les post-staliniens, les sociaux-démocrates
et les trotskistes, sans oublier, demain, les Verts…
Elle justifie et prépare les abandons et les défaites futurs.
Ce qui devrait mettre « mal à l’aise » les anarchistes,
ce n’est pas ce genre de travail, c’est plutôt que les sociaux-démocrates
et les staliniens, à dater de 1920, ont expulsé, en France, les
libertaires du mouvement ouvrier organisé. Ecrire « nous
nions » que la coordination des militants de la FA dans le
mouvement social et syndicat « doive être un choix collectif
de l’ensemble de l’organisation » revient à avouer que la
Fédération anarchiste ne se donne pas les moyens d’être une organisation
révolutionnaire !
La
Fédération anarchiste n’est pas une fédération
au sens plein du terme
La
comparaison avec la pratique des organisations anarchistes spécifiques
du passé, comme l’AIDS de Bakounine ou la FAI, sans même parler
du Nabat, montre à l’évidence que la FA ne remplit pas le rôle
qu’on pourrait attendre légitimement d’une fédération libertaire.
Cette
insuffisance se constate également dans la conception qu’elle
applique du fédéralisme. Le fédéralisme de la FA est un fédéralisme
a minima, qui correspond à la nature du mouvement après la crise
et l’effondrement dus à la constitution de la Fédération communiste
libertaire (FCL) et à l’exclusion des personnes et des groupes
qui s’opposaient à Georges Fontenis et à l’Organisation pensée
et bataille (OPB).
La
nouvelle FA reconstituée, composée de peu de personnes, souvent
des militants anciens et formés [M. Joyeux, P. Rosel, S. Chevet,
M. Laisant, A.. Devriendt à Paris ; A.. Prudhommeaux
et M. Fayolle à Versailles ; Perrisaguet à Saint-Étienne ;
les frères Lapeyre, J. Barrué à Bordeaux pour les plus connus],
se donna des structures minimales qui, à l’époque, ont dû paraître
suffisantes – elles l’étaient sans doute. Il s’agissait
surtout de survivre et de maintenir un lieu libertaire dans un
contexte qui était celui, tout à la fois, de la guerre froide,
de la domination des staliniens sur une grande partie du mouvement
ouvrier et du commencement de ce que, plus tard, on appellera
les Trente Glorieuses. Cette dernière période, comme on le sait,
verra se développer, en Europe de l’Ouest, une telle augmentation
de la production et de la consommation que les conditions de vie
des travailleurs salariés en seront réellement changées (conventions
collectives, droits syndicaux à l’entreprise, accession à la petite
propriété individuelle, congés payés en accroissement continuel,
quasi plein emploi [30 000 chômeurs vers la fin des années
50], lente et progressive augmentation du niveau de vie).
Aujourd’hui
encore, la Fédération anarchiste conserve dans ses structures
le souvenir du trauma profond que fut la captation de l’organisation,
de son local et du journal fédéral par un groupe de personnes
constituées en fraction : unanimité des fédérés réunis en
congrès nécessaire pour prendre une orientation qui concerne la
fédération ; absence de vote majoritaire au sein d’un comité
de relations qui, de toute façon, ne peut rien arrêter s’agissant
des questions de fond ; des secrétaires responsables « individuels »
seulement devant le congrès, c’est-à-dire, en fait, si l’on s’en
tient à la lettre des principes de base, où il est seulement dit
qu’il peut « s’entourer […] d’un ou plusieurs militants »,
incontrôlés pendant un an.
Ceux
et celles qui ont fondé la nouvelle Fédération anarchiste ont
sans doute vécu l’affaire comme une sorte de hold-up. Pour se
garantir qu’à l’avenir rien de pareil ne pourrait jamais se reproduire,
ces derniers prohibèrent définitivement quelque application que
ce fût du vote majoritaire dans la FA ; seul a été conservé
le scrutin à l’unanimité, sous une forme négative puisqu’on n’y
peut adopter quelque chose que si aucun des présents au congrès
ne s’y oppose…
Cette
étrange réaction s’explique par la pratique même de ceux qui s’étaient
organisés en OPB, telle que j’ai pu la lire décrite dans le Rapport
du groupe Kronstadt, si je ne m’abuse, probablement écrit
par Christian Lagant, dont on doit bien trouver encore, de ci
de là, quelques exemplaires.
Pour
contrôler une organisation qui pratique le vote majoritaire, pour
définir à sa place son orientation, quelle qu’elle soit, il suffit
simplement qu’une fraction soit majoritaire dans la majorité ou
la totalité des instances décisionnelles. Simplement, à chaque
fois, la moitié plus un des membres de ladite instance… Cela
est vrai du comité ou du bureau fédéral, des comités régionaux,
des secrétariats des principaux groupes jusqu’au congrès – où
il s’agit de voter par mandats – et jusqu’au comité de rédaction
du journal. Il n’est pas nécessaire d’être très nombreux, surtout
si, en même temps, on peut occuper plusieurs responsabilités ;
il faut seulement être disciplinés et sans scrupules…
C’est
une vieille technique, celle du noyautage, aussi vieille que les
jésuites et les francs-maçons, dans laquelle les staliniens, grâce
à leurs fractions et à leurs « compagnons de route »,
étaient passés maîtres.
Une
fois conquises les principales instances, l’organisation d’origine
est totalement privée de son droit à l’autodétermination. C’est
la fraction, qui fonctionne alors comme un parasite, qui décide
de tout sans partage ; si des parties du mouvement sont trop
réticentes ou commencent à s’organiser en une résistance commune,
on les expulse sous divers prétextes.
Par
réaction et pour se prémunir d’un retour possible de pareilles
vilenies, on peut en supprimer radicalement le moyen : le
suffrage majoritaire, et en réduire au minimum le champ d’action :
les instances décisionnelles.
On
trouve alors la forme actuelle de la FA. C’est-à-dire un système
d’une extraordinaire inefficacité si on envisage quelque jour
de devoir prendre des décisions collectives – par exemple
en cas de conflit social grave – qui engagent ensemble dans
l’action un certain nombre de militants.
Parce
qu’une des conséquences de cette éradication quasi totale des
instances, outre la transformation d’une commission administrative
fédérale en un comité de relations croupion sans responsabilités,
c’est la suppression de toutes les structures intermédiaires entre
le groupe et la fédération. C’est-à-dire la disparition d’un des
éléments constitutifs d’une vraie fédération, tel que l’affirme
Bakounine dans son discours connu sous le nom de Socialisme,
fédéralisme et antithéologisme : Pour être vraiment une
fédération, il importe qu’il existe au moins un échelon entre
le groupe de base, ou la commune, et l’instance fédérale, la fédération.
Nos
camarades de l’historique FA ibérique, aussi anarchistes que nous
et tout aussi attachés à leur autonomie – mais qu’ils
n’opposaient pas, là encore, à la coordination avec les autres –
, l’avaient bien compris. La structure de base de la FAI était
le groupe affinitaire – affinité personnelle ou selon un
projet partagé – qui se fédérait localement, par ville ou
par groupe de villages, avec les autres groupes affinitaires,
de proche en proche jusqu’au comité péninsulaire.
Le
modèle organique de la FA ne semble avoir été élaboré que pour
favoriser l’action individuelle ou seulement groupe par groupe.
N’importe quelle personne, à condition d’affirmer qu’elle est
anarchiste, peut faire en son nom tout ce qui lui semble bon ;
il en ait résulté pour la FA, en conséquence, divers déboires
sur lesquels je ne reviendra pas.
Quoi que ce soit peut être proposé …
Une
telle structure, qui semble s’adresser plutôt à des surhommes – et
des surfemmes, bien sûr – qu’à des humains ordinaires, n’encourage
nullement la formation du lien de solidarité ; un tel sentiment
n’apparaît le plus souvent que par la participation commune à
une lutte collective.
Faut-il
voir dans cet excès d’individualisme l’origine de l’exaspération
permanente des oppositions de personnes et de groupes, qui transforme
souvent les congrès en foire d’empoigne ?
Des
camarades objecteront, sans doute, que depuis quelques années
des modifications sont apparues ; des unions régionales ou
locales ont été constituées ; les comités de relations élargies
permettent des débats moins affrontés et plus riches que les congrès…
Ces
réformes, indiscutablement positives, ne sont pas « statutaires » ;
elles résultent d’initiatives de personnes et de groupes. Un retour
en arrière est toujours possible, comme le démontre le dernier
congrès en date. La règle de l’unanimité fait que tout ce qui
se construit s’édifie sur du sable, que les plus heureuses initiatives
peuvent être mises à mal, anéanties par une minorité de blocage
dont le seul objectif est que rien ne change jamais…
La
Fédération anarchiste n’est pas une organisation synthésiste
Bien
que la FA prétende être synthésiste, dans le sens donné à ce terme
par Faure et Voline, dans les faits, il n’en est rien, quand on
examine ces derniers avec un minimum d’objectivité.
Quelques
mots s’imposent d’abord au sujet de la Synthèse anarchiste. Celle-ci,
telle qu’en parle Voline, aurait été le produit, en Russie, durant
les événements de 1917-1920, de la nécessité de formuler
un corpus idéologique qui permettait de créer une organisation
libertaire unifiée, alors que de fortes oppositions théoriques
divisaient les groupes existants.
En novembre 1918, continue Voline, au cours d’un congrès de la
Confédération anarchiste de l’Ukraine Nabat, fut adoptée
une Déclaration qui permettait, selon notre camarade russe,
aux anarchistes de « prendre part à la création d’un mouvement
unifié ».
Voline
précise le contenu idéologique de cette Déclaration de
la manière suivant :
« 1.
Admission définitive du principe syndicaliste, lequel indique la vraie
méthode de la révolution sociale ;
« 2.
Admission définitive du principe communiste (libertaire), lequel établit la
base d’organisation de la société nouvelle en construction ;
« 3.
Admission définitive du principe individualiste, l’émancipation totale et le
bonheur de l’individu étant le vrai but de la révolution sociale
et de la société nouvelle. »
Et
Voline continuait :
« …Nous
ne nous représentons pas cette unification comme un assemblage
“mécanique” des anarchistes de diverses tendances en une sorte
de camp bigarré où chacun resterait sur sa position intransigeante.
Une telle unification serait non pas une synthèse mais un chaos
[…].
« Il
faut commencer immédiatement un travail théorique cherchant à
concilier, à combiner, à synthétiser nos diverses idées […]. Cet
ensemble devra être accepté par tous les militants sérieux et
actifs de l’anarchisme comme base de formation d’un organisme
libertaire uni […].
« Ce
n’est que dans l’ambiance d’un élan commun, ce n’est que dans
les conditions de recherche de thèses justes et leur acceptation
que nos aspirations […] seront utiles et fécondes. Quant aux disputes
et aux polémiques entre de petites chapelles prêchant chacune
“sa” vérité unique, elles ne pourront aboutir qu’à la continuation
du chaos actuel, des querelles intestines interminables et de
la stagnation du mouvement. »
Et
Voline concluait son raisonnement et son appel avec les phrases
suivantes, hélas ! toujours d’actualité pour l’essentiel :
«
Face aux grandes tâches qui nous attendent, il est indigne, il
est honteux de nous occuper de […] mesquineries. Les libertaires
devront s’unir sur la base de la synthèse anarchiste. Ils devront créer
un mouvement anarchiste uni, entier, vigoureux. Tant qu’ils ne
l’auront pas créé, ils resteront en dehors de la vie. »
L’actuelle
FA n’est pas un « chaos » parce que les tendances traditionnelles
de l’anarchisme s’y affrontent ; elle l’est, ô combien, parce
que les principes constitutifs de l’organisation synthésiste n’ont
pas été appliqués lorsque ses structures, sa manière d’être ensemble,
en un mot son fédéralisme ont été mis sur pied.
Peut-être
une situation d’opposition et de disputes entre les tendances
historiques serait-elle plus profitable, plus formatrice, pour
les adhérents de la Fédération et le mouvement tout entier, que
les « mesquineries » récentes.
Je
dois vous confier que les dernières querelles (les dernières en
date, parce que, si c’étaient les dernières, je serais peut-être
resté !) m’ont inexorablement fait songer à la guerre qui
aurait dressé les habitants de Lilliput contre leurs voisins,
si on en croit le voyageur Gulliver, parce qu’une divergence les
opposait sur la manière d’ouvrir, une fois cuits, les œufs à la
coque. Les uns, Gros-Boutiers, jugeaient insupportable, inexpiable
même que le peuple d’au-delà la frontière ait l’indécente habitude
d’ouvrir les œufs par le petit bout ! Les seconds, qu’ils
nous faut bien désigner comme les Petits-Boutiers, professaient
pour les premiers des sentiments aussi déterminés dans l’indignation :
« Par le gros bout, mais c’est insensé ! » Et tous
ensemble étaient prêts à apprendre, par la guerre, la bonne manière
de faire à leurs voisins…
Supposez
que le pamphlétaire irlandais vive encore et qu’il lui prenne
la fantaisie de prendre pour cible nos petits travers. Ceux qui
se sont révélés au sujet des groupes belges ainsi que des adjectifs
« française » et « francophone » – nous
autres qui déclamons, à grands cris et à tout bout de champ, que
nous sommes antipatriotes, internationalistes ou même, selon certains,
anationalistes. Et imaginez que les mânes du vieux Jonathan projettent,
de par le monde, merveilleusement moquée par son génie, une telle
image ridicule des « anarchistes organisés »…
On
ne peut qualifier le modèle organisationnel de Voline de plural,
ou de pluraliste – il ne sera plural qu’au-delà, si on peut
dire ainsi, du corpus idéologique commun qui résulte de l’acceptation
par tous les fédérés des trois principes fondamentaux décrits
plus haut, dont l’acceptation est déclarée « définitive ».
Puisque tel est le contrat de base qui permet la constitution
de l’organisation.
Relisez-les
soigneusement, s’il vous plaît, ces trois principes.
Le
troisième d’abord, le principe individualiste.
Sa
formule résume bien l’objectif réel du mouvement libertaire, l’émancipation
et le bonheur des individus des deux sexes,
de chacune et de chacun d’entre nous, compris comme entité biologique
unique et non comme une abstraction politique et philosophique.
En ce sens, l’anarchisme est un humanisme qui s’adresse à l’ensemble
de l’humanité vivante et non pas seulement à telle ou telle classe
sociale ou groupe ethnique. Le but de tout le mouvement libertaire
est d’organiser la société afin que chacune et chacune des individus
y soit libre, affranchi des vieilles dominations, celles qui résultaient
des sociétés à ordres ou à classes sociales, appuyées sur leurs
appareils d’Etat de police, de justice, de prisons et d’armée ;
de l’émanciper de la pauvreté et de la misère, ainsi que de la
recherche acharnée de la richesse. Ces conditions sont nécessaires,
pensent les libertaires, pour que les individus ainsi émancipés
puissent réaliser librement leurs aspirations, vivre ici ou là
comme ils l’entendent ; alternativement étudier ou produire ;
vivre, simplement, et rechercher le bonheur, c’est-à-dire ce que
chacun comprend par ces mots-là…
Voilà
bien le but final de l’anarchisme, qu’on peut d’ailleurs penser
comme asymptotique, quelque chose qu’on approche toujours sans
l’atteindre jamais.
La
base d’organisation, d’aucuns diraient le mode de production,
qui permet cette émancipation et rend possible, pour toutes et
tous, la recherche du bonheur, c’est le communisme, dont
tous les anarchistes, affirme la Synthèse de Voline, doivent reconnaître
comme leur le principe. Lequel se définit par la formule suivante,
« de chacun selon ses forces à chacun selon ses besoins ».
Si le socialisme, disait Kropotkine, est la collectivisation de
la production, le communisme est la socialisation de la consommation.
Cette dernière doit être libre, chacune et chacun consommant en
fonction de ses besoins et de ses envies. Les biens seront distribués
selon ces derniers critères et non vendus ou échangés.
Sans
doute, est-il besoin de préciser que ce communisme-là ne peut
être confondu avec le « communisme » d’Auguste Blanqui
ou encore celui de Karl Marx, dont le point commun est l’organisation
« socialiste » de la société au moyen d’un Etat ,
qu’on dénomme libre, démocratique, populaire, prolétarien, temporaire,
etc.
Pour
cette raison, et parce que la confusion pouvait apparaître après
l’apparent succès des bolcheviks, les libertaires ont pris l’habitude
d’adjoindre l’adjectif « libertaire », ou « libre »,
à « communisme » pour exprimer la manière dont ils proposent
d’organiser la production et la consommation de la société humaine.
Aujourd’hui,
en ce commencement du xxie
siècle et après les événements dramatiques qui se sont produits
durant le siècle passé, il est sans doute indispensable de repenser
le contenu concret de ce communisme libre ou libertaire ;
les principes qui l’ont fondé demeurent inchangés mais la forme
doit en être repensée pour l’humanité de maintenant. La solution
du problème social, et donc la question de la libération, de l’émancipation
tout entière, ne peut se trouver « ni dans la communauté
ni dans la propriété », résumait Pierre-Joseph : les
cent dernières années ont montré clairement combien les analyses
de notre Bisontin préféré étaient pertinentes. L’adoration de
la communauté – le communisme d’Etat – qui a dominé
pendant tout le xxe siècle a quasi fait mourir l’espoir socialiste,
comme la propriété et sa religion ont dévoré les républicains
et les sociaux-démocrates.
L’anarchisme
entendu comme socialisme non étatique est la seule idéologie qui
peut encore porter la revendication d’une nouvelle société humaine,
à la condition de savoir traduire ses idées-forces dans le langage
de notre temps, de montrer leur pertinence comme contre-propositions
à la mondialisation libérale. Afin qu’il interpelle avec une vigueur
toujours croissante les habitants de la troisième planète du système
solaire, parce que son projet fournit une solution à nombre de
questions qui agitent l’espèce humaine depuis le commencement
des âges historiques.
Quant
au dernier principe « définitif » que Voline déclare
nécessaire, le principe « syndicaliste »,
il faut l’entendre dans son sens original, c’est-à-dire comme
synonyme de l’activité et l’organisation des « vastes masses
populaires » hors de l’influence de l’Etat, du capital et
des partis politiques.
J’oserai
vous faire remarquer, en outre, que ce principe-là s’applique,
dans la pensée de Voline, à l’activité pratique, à ce qu’on fait
tous les jours. A ce que devrait faire une fédération anarchiste
synthésiste.
A
savoir faire tout son possible pour mettre sur pied, ou renforcer,
ou défendre, une organisation populaire « de masse »
nationale et internationale, bâtie sur un mode fédéraliste vrai
et dont l’orientation est la subversion de l’ordre établi, suivie
de la reconstruction de la société humaine sur une base égalitaire
et libertaire, ce que le principe précédent appelle communisme
« libertaire ».
Notre
bon camarade Voline, d’ailleurs n’invente guère ; il rédige,
dans la langue de son temps, des orientations politiques proches
de celles que Michel Bakounine développait dans divers textes,
en particulier « Protestation de l’Alliance », afin
de renforcer dans l’Internationale – l’organisation
des masses exploitées et opprimées – l’influence des libertaires.
Dans
l’article « Lutte des classes » de l’Encyclopédie
anarchiste,
Voline expose la question de la manière suivante :
« Ils
[la majorité des anarchistes] déclarent que l’anarchisme est justement,
essentiellement la conception susceptible de concilier, de satisfaire,
aussi bien théoriquement que pratiquement, les trois sortes d’intérêts
paraissant contradictoires : ceux des classes exploitées,
travailleuses, ceux de l’humanité, ceux de l’individu. Les anarchistes
affirment qu’il n’y a pas lieu d’opposer ses trois sortes d’intérêts,
mais qu’il faut, au contraire, s’efforcer de les rapprocher, de
les souder […]. L’une des tâches les plus pressantes de l’anarchisme
est celle d’apporter à la synthèse de ces trois éléments :
lutte des classes, mouvement humanitaire et principe individuel,
le plus de précision possible. Ce serait le moyen le plus sûr
de mettre un terme à la dispersion des anarchistes, d’activer
leur unification. Or cette tâche exige préalablement la définition
plus exacte des notions : « classe » et « lutte
des classes ». Ce n’est que par cette voie qu’on pourra arriver
à une formule plus nette et plus complète, qui réconciliera définitivement,
dans une motion harmonieuse et entière, les trois éléments en
question, et précisera leur rôle respectif : la lutte des
classes comme méthode ; l’organisation sociale humanitaire
comme résultat de la victoire et de l’émancipation des classes
opprimées, et aussi comme base matérielle de tout progrès social
et individuel ; la liberté, l’épanouissement illimité de
l’individualité, comme le grand but de toute l’évolution sociale. »
Il
résulte de ces déclarations de principes quelques éléments d’application :
1.
La préoccupation permanente de l’organisation synthésiste des
anarchistes, en application du principe « syndicaliste »,
est l’activité autonome des masses opprimées et exploitées, dans
ses diverses manifestations, dont la forme historique peut varier
(groupes autonomes d’entreprise, de quartier, de travailleurs,
de chômeurs, d’étudiants, de consommateurs, de locataires, de
sans-logis ; syndicats de salariés et d’artisans locaux de
métier et d’industrie ; confédérations syndicales ;
associations par centre d’intérêt, de solidarité et d’entraide,
pour l’étude et le culture populaire…). Le travail concret d’influence
dans cette galaxie des initiatives populaires est, ou devrait
être, l’essentiel même de l’activité des anarchistes organisés
dans une fédération synthésiste : il vise à constituer, en
fédérant le plus de groupes possible, et en faisant connaître
les tactiques et la stratégie de l’anarchisme, un mouvement révolutionnaire
des masses opprimées et exploitées.
Comme
l’essentiel des recherches et des réflexions théoriques porte
sur l’affinement du principe communiste et les conditions de sa
mise en œuvre.
2.
On pourrait déduire de tout ce qui précède, surtout du primat
du principe « syndicaliste » parce que ce dernier préside
à l’action, que l’organisation elle-même et son fédéralisme de
fonctionnement seraient conformes aux modes opératoires élaborés
par les anarchistes dans l’Internationale antiautoritaire d’après
1872, le syndicalisme révolutionnaire des premières années de
la CGT et l’anarchosyndicalisme de la CNT historique.
Or
ces formes organiques comprennent un fédéralisme à la Bakounine,
ou à la Proudhon,
qui possède plusieurs niveaux – le local, le départemental,
le régional, le national, l’international.
En
outre, ces fédéralismes-là pratiquent le… vote. Majoritaire. Parce
que, quoi qu’il arrive, il est impossible d’accepter quelque chose
qui pourrait bloquer la fédération : l’action implique la
décision.
L’affaire
est entendue, me semble-t-il.
La
Fédération anarchiste, si on l’observe sans passion, ne peut prétendre
en quoi que ce soit appliquer un modèle organique se basant sur
la Synthèse élaborée par V. M. Voline à la suite de la Révolution
russe ; elle n’est pas, de plus, une vraie fédération, qui
suppose plusieurs niveaux fédéraux et des processus décisionnels
n’autorisant pas les blocages ; enfin, elle ne remplit pas
toutes les tâches, toutes les activités qu’on serait en droit
d’attendre d’un regroupement qui se dénomme anarchiste.
La
juxtaposition à peine solidaire, souvent conflictuelle, des groupes
et des individus supposés fédérés qu’elle met en œuvre, l’autonomie
jalouse et sourcilleuse que les uns et les autres pratiquent avec
acharnement – comme s’il s’agissait du principe unique
de l’anarchisme – montrent que l’équilibre qui doit régir
le fonctionnement fédératif a été rompu. Equilibre entre les individus,
les groupes et les divers étages de la fédération.
Il
s’agit d’un modèle organique particulier, adapté surtout aux « personnalités »,
celui du groupement minimal. Qui correspondait aux militants qui
ont recréé la FA dans les années cinquante.
Il
n’est pas inutile de rappeler que jusqu’en 1978 (à peu près) la
FA ne faisait aucune référence à la lutte des classes ; ce
qui s’opposait à l’anarchie, c’étaient les « positions d’esprit ».
Voline ne partageait nullement ce point de vue :
« On
comprend, généralement, sous le mot classe , un groupe social
caractérisé par certaines propriétés par rapport à l’avoir, à
la profession, et à l’étendue des droits dont il dispose. La différence
énorme entre les groupes ayant à eux tout l’avoir, tous les droits
et tous les avantages […] et ceux qui, n’ayant ni avoir ni droits,
n’ont pour eux qu’un travail meurtrier, exploités par les premiers,
est un fait historiquement certain et démontré.
« L’anomalie
de ce fait, à tous les points de vue et, partant, la nécessité
historique d’un redressement social, sont des vérités acquises
à tout homme sensé. La résistance des classes avantagées à ce
redressement, pourtant historiquement nécessaire, est un fait
indéniable. La lutte des classes désavantagées et exploitées,
intéressées à ce redressement, contre les classes privilégiées
et exploiteuses, est un fait qui joue un rôle de plus en plus
prépondérant sans les événements sociaux des siècles derniers.
Cette lutte remplit de son fracas toute l’histoire moderne. Ce
sont ses succès qui, conjointement avec les conquêtes techniques
de notre époque, marquent le pas du progrès humain. Il n’y a que
les aveugles pour ne pas le voir. »
Un
anarchisme « humanitaire » ou « individualiste »
qui ne tiendrait pas compte de la lutte des classes, « fait
social saillant de l’histoire humaine durant des siècles »,
serait, « précisément, une abstraction, une fiction qui ne
saurait avoir aucune valeur, ni sociale, ni humanitaire, ni individuelle.
Elle ne saurait être qu’une doctrine d’aveugles… »
Les
anarchistes, continuait Voline, refusent cependant de considérer
qu’un facteur unique détermine l’histoire humaine : « Les
anarchistes s’opposent à réduire tout le processus historique
à l’unique facteur de la lutte des classes. » Alors que le
marxisme, « établi par Marx lui-même », soutient « que
toutes les luttes ayant eu lieu au sein des sociétés humaines
au cours de l’histoire étaient, au fond, des luttes de classes ?
Plus encore, le marxisme considère la lutte des classes comme
l’élément réel, déterminant, de toutes les manifestations de la
vie humaine. D’après lui, l’intérêt de classe se trouve invariablement
à la base de toutes ces manifestations. »
Remarquons
la modernité de l’affirmation de Voline, qui rallie de nos jours
la plupart des philosophes et des historiens, mais particulièrement
iconoclaste dans les années vingt, où beaucoup de personnes de
la gauche révolutionnaire considéraient le marxisme comme une
« science » et le « facteur unique » comme
une évidence.
La
FA est bâtie sur un schéma de rassemblement d’individus plus ou
moins individualistes. Dans son élaboration, les conceptions des
autres tendances, syndicaliste et communiste, ont été oubliées.
Son
vrai modèle, ce n’est pas la Synthèse de Voline mais quelque chose
qui s’approcherait plutôt de l’association des égoïstes de Stirner.
C’est-à-dire un modèle organique qui comprend et promeut l’activité
libertaire essentiellement comme une aventure personnelle de résistance
et de révolte individuelles : seul contre tous, la visière
levée, l’anar défit le monde.
Jacques
Toublet,
Paris,
le 4 juin 2001
Au
secrétaire général,
au
secrétaire aux relations intérieures,
aux
mandatés du comité de relations,
aux
membres de la Fédération anarchiste française ou francophone ou
bien
encore de langue française.
Chères
et chers camarades,
En
refusant de donner son accord à un texte en cinq points présenté
par quelques-uns de ses mandatés, le 58e Congrès de
la Fédération anarchiste, lors de sa séance du 3 juin courant,
dans la soirée, s’est déclaré incapable d’être solidaire dans
la répression avec les autres composantes du mouvement libertaire ;
il a, de plus, exprimé qu’il ne pouvait s’engager à échanger des
informations ou à organiser des débats et des actions communes
avec ces autres composantes.
Tel
était, en effet, le contenu de l’accord soumis aux suffrages du
congrès, qui n’était que la formulation d’un code de relations
civilisées entre des personnes et des groupes dont les finalités
s’affirment communes.
En
repoussant cet accord minimal, le 58e Congrès a démontré
que la fermeture d’esprit à tout ce qui bouge à l’extérieur de
la Fédération anarchiste, la complaisance dans le sectarisme et
un isolement qu’on ne peut qualifier de splendide tant il est
dérisoire sont la véritable politique d’une minorité de blocage
crispée sur des certitudes dont on doute que l’origine se trouve
dans l’anarchisme, quelles ques soient ses formes.
En
bloquant le congrès, la minorité qui a rejeté l’accord confirme,
une fois de plus, une fois de trop pour ce qui me concerne, que
le système de prise de décision à l’unanimité obligatoire est
notoirement pervers : prétendument mis en œuvre pour préserver
les anarchistes organisés de la dictature de la majorité, il se
révèle, dans les faits, comme un moyen permanent de leur faire
subir les diktats de la minorité.
Il
n’est plus possible pour moi de cautionner une telle situation.
Dans mon activité quotidienne, syndicale et associative, au cours
de laquelle je côtoie des militants de toutes tendances, comment
pourrais-je jamais justifier que l’organisation spécifique anarchiste
à laquelle j’adhère depuis maintenant une vingtaine d’années ne
peut s’engager à être solidaire dans la répression avec tous les
libertaires et qu’elle n’a pas daigné répondre favorablement à
des propositions de débats avec celles et ceux qui sont le plus
proches d’elle ?
Je
me vois, en conséquence, dans l’obligation de présenter ma démission
de la Fédération anarchiste à dater de cette soirée du 3 juin
2001 ; je vous prie également de pourvoir, dans les meilleurs
délais, à mon remplacement comme directeur-gérant du Monde
libertaire.
Je
vous prie, chères et chers camarades, d’accepter mes salutations
libertaires.
Jacques
Toublet.
J’ai
lu avec la plus grande surprise la phrase suivante sous la plume
de Daniel, du groupe du Gard-Vaucluse (BI, mai 2001, p. III-31),
au sujet de l’expression « organisation spécifique » :
« … sachez donc que ces organisations sont dites « spécifiques »
en Amérique latine, comprendre, pour nous, en France, “plates-formistes” ».
Voilà
une affirmation qui, pour ce que je connais du mouvement libertaire
de langue espagnole, frôle le contresens. Elle peut, en outre,
induire de graves erreurs de jugement politique.
L’expression
« organisation spécifique » provient du système
d’organisation des libertaires espagnols, très différent de celui des
anarchistes français, pour lesquels, d’ailleurs, il serait sans
doute plus exact de parler d’absence d’organisation…
Les
camarades espagnols appelaient souvent leur doctrine, outre anarchosyndicalisme,
apolitisme révolutionnaire ; dans cette acception,
le mot « politique » signifiait exclusivement parlementarisme,
parti politique parlementaire et électoralisme, dans la droite
ligne de l’orientation du Congrès de La Haye de l’AIT, où marxistes
et blanquistes avaient expulsé les libertaires. Parce que les
premiers cités envisageaient de transformer l’Internationale en
partis politiques nationaux, dont la stratégie serait la conquête
des pouvoirs publics au moyen de la démocratie politique.
Le
mouvement libertaire espagnol (MLE) récusait le mot politique
dans ce sens précis. Et pour le remplacer employait d’autres vocables.
Souvent, par exemple, les prisonniers de la CNT historique n’étaient
pas qualifiés comme « politiques » mais « sociaux ».
Le
MLE était composé de plusieurs organisations : une syndicale,
la CNT ; une juvénile, la Fédération ibérique des jeunesses
libertaires (FIJL) ; une féminine, les Femmes libres ;
une culturelle, les Ateneos libertarios. Comment nommer
alors une organisation « d’opinion » anarchiste dans
un ensemble de formations, toutes libertaires, lorsqu’on n’emploie
pas, ou peu et de manière péjorative, le mot « politique » ?
L’organisation qu’en France on aurait été tenté d’appeler « politique » devint, chez nos camarades
d’outre-Pyrénées, « spécifique », « spécifiquement
anarchiste ».
Du
mouvement libertaire espagnol, l’expression a été peu à peu employée
par les mouvements des autres nations. Avec ce type de vocabulaire,
la FA française est une organisation spécifique ;
dans le Préambule des Principes de base de la FA, on peut lire
la phrase suivante : « Nous, anarchistes, réunis
à la FA, sommes conscients de la nécessité de l’organisation
spécifique. » Que je sache, la FA française, ou francophone
comme il vous plaira de la nommer, n’est pas « plate-formiste »…
Des
organisations spécifiques peuvent adopter le mode de fonctionnement
préconisé par Archinov et Makhno dans la Plate-Forme, comme la
Fédération anarchiste-communiste de Bulgarie d’autrefois ;
d’autres organisations spécifiques, comme la Fédération espagnole
ou la Fédération italienne, peuvent choisir une autre manière
de faire.
En
gros, « spécifique », selon le vocabulaire espagnol
et ceux qui l’emploient à son exemple, est le synonyme de « politique
anarchiste » et non de « plate-formiste ».
Depuis
quelque temps, par exemple, de nombreux militants libertaires
espagnols, dans leur plus grand nombre membres de la CGTE, constituent
une nouvelle organisation « spécifique », provisoirement
nommée Red Apuyo Mutuo (Réseau d’entraide) ; une première
réunion a eu lieu en juin 2001 et un congrès constitutif se tiendrait
l’année prochaine – il s’agirait, si j’ai bien compris, d’une
fédération de groupes affinitaires fédérés par localités, régions
et au niveau « estatal », un peu comme l’était la FAI
mais publique et non clandestine.
Tout
cela n’a rien à voir avec la Plate-Forme !
S’agissant
des informations fournies dans le BI de mai 2001 par le camarade
Daniel et concernant les organisations libertaires sud-américaines,
le fait qu’elles se dénomment « spécifiques »
n’impliquent nullement qu’elles soient « plates-formistes » ;
certaines le sont peut-être mais qu’elles se caractérisent comme
« spécifiques » ne le prouve pas, pas plus que
cela prouve le contraire…
Quid de la Plate-Forme ?
Il
serait, en tout cas, souhaitable que la Plate-Forme ne redevienne
pas, comme en France dans les années vingt et trente, une aussi
désastreuse pomme de discorde qu’elle le fut alors.
Ajoutons
que le mouvement espagnol, alors en pleine force, n’a pas été
touché par les polémiques déclenchées par le texte du groupe Diélo
Trouda. Je me souviens d’avoir lu un papier de Federica Montseny
parlant de ce problème et qui concluait que, pour les libertaires
espagnols, la Plate-Forme n’avait rien apporté, que ses propositions
ne pouvaient concerner le MLE.
Je
crois bien que notre vieille camarade avait parfaitement raison.
Quel était l’objectif de la Plate-Forme, s’agissant du fond de
la question, et quels étaient les défauts qu’elle entendait rectifier ?
La
défaite des libertaires dans la Révolution russe provient, pour
l’essentiel, prétendait Archinov, de leur dispersion, de leur
manque de cohésion. L’Union générale des anarchistes et son comité
fédéral – c’est-à-dire une fédération coiffée par un
organe de direction politique et non un comité d’échanges d’informations – est
une manière de pallier cette absence de cohésion ; ils étaient
sans doute suffisamment efficaces s’agissant de l’Ukraine pour
être la colonne vertébrale de l’Armée insurrectionnelle révolutionnaire,
l’armée anarchiste conduite par Nestor Makhno, et des diverses
initiatives de reconstruction sociale opérées par les makhnovistes.
Or
le MLE, structuré tout autrement que par les schémas d’Archinov,
a atteint, malgré des polémiques et des rivalités internes intenses,
avant et pendant la Révolution de 1936-1939, une capacité de cohésion
hors de pair qui désespérait tous ses adversaires, y compris ceux
de gauche, dont un des objectifs était de disloquer l’ensemble
formé par la CNT et la FAI – le POUM n’était pas le dernier
dans ces opérations. Le comité national de la CNT-FAI a joué,
avec les plénums de régionales, dans les temps redoutables de
la guerre civile et du « circonstancialisme », le rôle
qu’Archinov destinait à son comité fédéral.
La
comparaison entre expérience russe et espagnole permet d’avancer
vers l’origine du désaccord qui tient pour beaucoup, me semble-t-il,
aux conditions spécifiques dans lesquelles ces mouvements révolutionnaires.
Pour
la majorité des libertaires de France, d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne,
en bref d’Europe de l’Ouest, après la période de la dynamite individuelle
et de l’appel à la révolte, la stratégie organisationnelle était
l’anarchosyndicalisme – ce mode opératoire permettait
de gagner à l’action directe et à l’idée révolutionnaire une partie
des masses populaires séduites un temps par le mirage de la démocratie
politique et du suffrage universel : les diverses organisations
syndicales révolutionnaires (CNT, USI, CGT, industrialistes allemands,
SAC, les syndicats d’Amérique latine, etc.) représentaient alors
une force réelle.
Après
1918, les pressions conjuguées des bilans de la guerre mondiale
et de la réaction bourgeoise et militariste, qui en Allemagne
et en Italie prenait le masque du fascisme, à droite, ainsi que
du modèle bolchevique, apparemment triomphant à gauche, démantelèrent
la plupart de ces organisations, décrédibilisèrent les idées qui
leur avaient donné naissance, imposèrent de nouvelles manières
de voir, d’autres références. Dans ce contexte très difficile,
les libertaires et les anarchosyndicalistes d’Europe occidentale –
à l’exception de l’Espagne, restée neutre pendant le conflit –
étaient en situation permanente de défense ; en France, en
outre, ils devaient sans cesse se démarquer de leurs anciens camarades
de la direction de la CGT qui s’étaient ralliés à « l’union
sacrée » et collaboraient déjà avec les pouvoirs publics.
Tous avaient à se défendre contre le modèle bolchevique :
parti de type nouveau, rôle dirigeant sur les organisations populaires,
centralisme démocratique, Etat ouvrier de dictature du prolétariat.
Outre
la diffusion d’informations au sujet de la situation réelle en
Russie soviétique et des conditions que les bolcheviks y imposaient
aux travailleurs, leur ligne de défense, pour l’essentiel,
se concentra sur l’indépendance du syndicalisme, contre la
direction des cellules et des fractions communistes, et la promotion
du modèle syndicaliste révolutionnaire, qui commençait à paraître
ancien, voire dépassé.
Or
les orientations d’Archinov et du groupe Diélo Trouda,
qu’ils firent connaître en publiant la célèbre Plate-Forme, affirmaient
que l’anarchosyndicalisme n’étaient pas suffisant pour réaliser
la révolution sociale. Pour les anarchistes-communistes russes
et ukrainiens, l’organisation anarchiste devenait le groupement
essentiel ; elle avait pour tâche « d’anarchiser » les formations du mouvement
populaire, y compris les syndicats. Beaucoup de camarades de l’époque
crurent comprendre que tout cela était pas très loin du « rôle
dirigeant » de Lénine et du bolchevisme.
On
peut aussi comprendre que l’origine de la divergence provient
de la manière de faire du socialisme russe dans l’empire des Romanov,
depuis les premiers groupes de narodniki jusqu’à Lénine
et Archinov, entièrement différente de celle qui avait existé
en Europe occidentale.
L’absence,
pendant longtemps, de la moindre démocratie politique, le flicage
permanent et la répression qui s’abattait à tout instant, un droit
d’association et syndical très récent et très restrictif avaient
favorisé l’activité, conspirative ou non, des groupes politiques
formés par des personnes le plus souvent issues de la bourgeoisie,
grande et petite, et de l’intelligentsia. Et gêné considérablement
la constitution d’organisations ouvrières à l’image des syndicats
de l’Occident.
En
outre, la situation économico-politique de la Russie était contrastée
à l’extrême ; si elle était en passe de devenir, vers 1910,
la cinquième puissance économique du globe, 85 pour cent de la
population de l’empire se composaient de paysans chez qui demeuraient
encore vivant le souvenir des communautés de naguère, tel le mir.
Dans
ce milieu rural, entre le gendarme, le propriétaire, barine
ou bourgeois, et le pope, se sont développées de nombreuses petites
structures qui portaient les revendications des paysans –
leurs aspirations à la terre et à vivre librement dans leurs villages. Nombre de ces groupes
étaient animés par les « populistes » ou des membres
du parti socialiste révolutionnaire ; d’autres étaient « anarchistes-communistes »,
comme celui de Goulaï-Polié, surtout après le mouvement de 1905.
Les
deux mouvements socialistes, dans ces conditions, ne pouvaient
qu’être profondément différents.
En
Europe de l’Ouest, peu à peu, à partir des associations de secours
mutuels des ouvriers se sont constituées des sociétés de résistance,
illégales puis légales ; les bases de l’association, à l’origine,
en sont les affinités dues aux métiers et la solidarité. Le mouvement
s’est enflé avec les revendications et les grèves. Le mouvement
ouvrier d’Occident, formés de syndicats, de partis, de groupes
d’action, d’associations culturelles, de mutuelles, s’est constitué
progressivement en mouvement de masse.
Dans
la plaine russe, à partir de 1860, avec le mouvement Vers le
peuple,
se sont constitués des noyaux socialistes, formés de groupes d’études
et d’action, qui mêlent membres de l’intelligentsia, ouvriers
des petites villes rurales et quelques paysans. Malgré son implantation
et le dévouement de ses membres, ce mouvement n’atteindra jamais
le caractère de masse qui sera celui du socialisme d’Occident ;
en outre, fait capital, l’autocratie tsariste combattait toutes
les expressions populaires démocratiques – y compris
en donnant naissance à des bandes de pogromistes et d’assassins
comme les Cent Noirs – et empêchait, en conséquence, la naissance
d’un réformisme enraciné dans les masses paysannes.
Avec
la guerre, la mobilisation des millions de paysans et la succession
des défaites, le nombre toujours croissant des morts et des blessés,
le mécontentement était tel qu’en février 1917 l’Etat central,
à Pétrograd, s’écroula devant quelques manifestations.
En
Ukraine, comme le souligne Voline dans son ouvrage la Révolution
inconnue,
avec encore plus de force qu’en Russie, se développa alors un
mouvement autonome des masses, surtout des masses paysannes, en
particulier parce qu’aucune organisation politique locale n’avait
suffisamment de puissance pour contrôler ce mouvement.
Après
le traité de Brest-Litovsk, qui ouvrit toutes grandes les portes
de l’Ukraine aux troupes des empires centraux qui s’y livrèrent
à toutes sortes de pillages de vivres et de matières premières,
certains éléments de ce mouvement autonome, pour résister aux
exactions, commencèrent des actions de guérilla et de représailles.
C’est
dans ce contexte général que s’est constitué le mouvement makhnoviste.
L’objectif de ce dernier n’était rien de moins que d’organiser
les « vastes masses paysannes » sur un programme
de répartition et de collectivisation des terres, au moyen de
communautés, de communes et de syndicats de paysans, appuyé par
une armée paysanne déterminée à « mener une lutte armée implacable »
contre tous les ennemis des paysans.
Ce programme, pour ce qu’on sait, a rencontré un indiscutable
succès auprès des paysans du sud-est de l’Ukraine.
L’outil
de cette lutte fut une sorte d’organisation politico-militaire
qui comprenait plusieurs branches. L’Armée insurrectionnelle,
bien sûr, en premier lieu, mais également, pour le travail politique,
d’explication, de formation, de recrutement, une organisation
libertaire, la Confédération des organisations anarchistes de
l’Ukraine, qu’on nomme souvent Nabat,
du nom de son journal.
Ensemble,
la branche militaire et la branche politique organisaient des
soviets et des congrès de paysans, d’ouvriers et d’habitants là
où l’armée avait détruit ou repoussé les diverses forces armées –
nationalistes ukrainiens, bandes de partisans pogromistes, armées
blanches qui tentaient de marcher sur Moscou, troupes de l’Armée
rouge – qui battaient la campagne d’Ukraine à cette époque.
« Organisez-vous vous-mêmes comme vous l’entendez »,
disaient-ils aux participants. « Gardez-vous seulement, continuaient-ils,
de reconstituer un pouvoir nouveau qui vous exploitera de nouveau ! »
Voline affirme même que, lors de l’occupation d’Ekatérinoslav,
plusieurs journaux socialistes (SR et SD, même bolchevik) furent
édités avec l’accord des makhnovistes. Le débat d’idées est possible,
affirmaient ces derniers, mais « aucune tentative de préparer,
d’organiser et d’imposer aux masses laborieuses une autorité politique
ne saurait être admise par les insurgés révolutionnaires ».
Comme
on le voit, ce système politique et militaire correspondait et
était le produit d’une guerre sociale « implacable » ;
il est la première apparition d’un anarchisme de guerre,
dans un contexte particulier, celui d’une guerre paysanne menée
dans une contrée où la majorité de la population était rurale
et souvent très pauvre ; il s’exerce sans médiation, sans
délai ; le programme anarchiste de collectivisation et d’égalité
des conditions de vie s’y applique immédiatement par l’utilisation de
la violence la plus extrême.
C’est
le souvenir de ces luttes, de son mode d’organisation, qui forme
le substrat des propositions du groupe Diélo Trouda. En
particulier, tout ce qui est décision collective et qui relève
de la lutte armée et de son indispensable discipline.
L’erreur
réside dans la transposition de ce que furent les principes des
makhnovistes en un modèle universel de l’organisation anarchiste.
Alors qu’en Occident les forces principales, même après la guerre
mondiale, résidaient encore dans l’anarchosyndicalisme et dans
ses idées-forces, issues et adaptées à la société industrielle.
Surtout, l’idée totalement absente des préoccupations des « insurgés
révolutionnaires », et pour cause, de la « double besogne »
du mouvement syndical : en particulier la lutte quotidienne
revendicative.
En
tout cas, quelques-unes des leçons qu’Archinov tirait de la Révolution
russe paraissent encore d’actualité : le mouvement libertaire,
s’il veut réaliser les buts historiques de l’anarchisme, doit
tendre son énergie à donner naissance à des organisations de masse,
spécifiques, syndicales, associatives, qui lui permettent d’orienter
sur une voie libertaire le plus grand nombre possible d’individus
des classes populaires ; les formes organiques du fédéralisme
doivent permettre l’union des personnes et des structures, accroître
leur cohésion et non favoriser l’action individuelle et la dispersion.
René Berthier
J’ai écrit ce texte aussitôt
après le congrès de Rouen qui s’est tenu, si ma mémoire est bonne,
en 1992. Je l’avais transmis à Jacky pour qu’il me dise ce qu’il
en pensait. Nous en avons pas mal discuté, et nos analyses se
rejoignaient. C’est sans doute pour
cela qu’il l’a ajouté en annexe de son dossier de démission
de la Fédération anarchiste. J’ai donc choisi de ne pas dissocier
mon texte de ce dossier.
On trouvera d’ailleurs
dans les deux textes des analyses très proches sur la question
du mode de scrutin au sein de la FA ; l’idée que celle-ci
n’est pas fondée sur le fédéralisme ; le constat de l’absence
statutaire de structures intermédiaires propres au fédéralisme,
etc..
« À propos de la
FA et de l’organisation » était suivi d’un projet de statuts
pour la Fédération anarchiste. Sans illusion, bien sûr. Il s’agissait
d’imaginer ce que pourrait être une organisation libertaire qui
fonctionnerait sur un mode réellement fédéraliste. L’idée venait
du principe qu’il ne suffit pas de critiquer, il faut proposer
autre chose. A vrai dire, je ne suis pas allé très loin pour rédiger
ce projet : j’ai tout simplement repris ceux de la CGT-SR
en les adaptant un peu, avec une pincée des statuts du Syndicat
des correcteurs…
R.B.
* * *
Il
y a une relation entre un mode d’organisation et les possibilités
de développement de cette organisation. Certains modes d’organisation
rencontrent à un moment donné des limites au-delà desquelles il
n’est plus possible de grandir. Je pense que la FA, dans sa forme
actuelle, a atteint ses limites.
Il
y a, à mon avis, plusieurs raisons à cela.
I. – Le mode de scrutin
En
principe, les décisions sont prises à l’unanimité. Les raisons
qui ont présidé à ce mode de scrutin tiennent à l’histoire particulière
à la FA plus qu’à la référence à un principe propre au mouvement
anarchiste. Ce mode de scrutin a permis sans doute à la FA de
se protéger à un moment où elle était mise en danger par des forces
qui voulaient la détruire de l’intérieur. Une telle préoccupation
est parfaitement compréhensible, mais il faut aussi envisager
la possibilité que ce mode de scrutin puisse se retourner contre
l’objectif pour lequel il a été instauré et être utilisé aujourd’hui
par des forces qui veulent la détruire de l’intérieur, ou tout
au moins, l’empêcher de se développer, ce qui revient à peu près
au même, en fin de compte.
Un
mode d’organisation peut proclamer des principes très nobles et
très sympathiques. Il faut cependant savoir « lire »,
derrière l’apparence, la réalité qui s’y trouve. Le principe d’unanimité
se fonde sur l’idée de relation fusionnelle au sein du groupe.
Pour ne léser, voire pour n’ « opprimer » aucun
des membres du groupe, les décisions ne peuvent être prises que
si tout le monde est d’accord. C’est une sorte de fraternité mystique.
Le point de vue d’un seul membre du groupe vaut celui de tous
les autres réunis. C’est un système parfaitement totalitaire,
en ce sens qu’il ne fonctionne que comme une totalité cohérente,
ou encore comme un organisme biologique.
Je
pense que si le principe de l’unanimité n’est pas, en soi, un
inconvénient pour notre fonctionnement tel que nous sommes actuellement,
il est devenu une des entraves à notre développement. Nous avons
atteint le niveau maximum de développement que notre mode d’organisation
permet. On peut également dire les choses autrement : notre
mode d’organisation, avec le principe de l’unanimité, est un mode
qui établit et garantit une certaine confidentialité dans nos
structures : nous restons entre nous.
Nous
pourrions continuer indéfiniment à fonctionner tel que nous sommes
aujourd’hui, mais que nous ne dépasserions pas de beaucoup notre
importance actuelle. A contrario, peut-on imaginer qu’avec notre
fonctionnement actuel nous soyons 15 000 ? C’est absurde.
Ce
que j’avance me semble en fait attesté par la réalité de notre
évolution depuis quelques années.
On
a ainsi progressivement introduit la pratique de l’« abstention
amicale », afin de ne pas bloquer certaines situations. C’est
en fait un signe de sagesse et de maturité. On est donc passé
à une situation où un congrès pouvait, cas extrême, être bloqué
par le veto d’un individu, à une situation où, une fois les désaccords
éventuels se sont exprimés, des décisions peuvent être prises
et appliquées.
Si
j’émets des réserves sur le principe d’unanimité, ce n’est en
fait pas parce que je suis contre l’idée que tout le monde soit
d’accord – c’est un idéal auquel on peut aspirer – mais parce
qu’il peut être une entrave à l’action et à l’évolution naturelle
de l’organisation.
Les
arguments des camarades qui sont favorables à ce principe me paraissent
cependant tout à fait justifiés. Il constitue d’abord une garantie
contre l’inacceptable, c’est-à-dire contre une décision qui serait
en contradiction totale avec les principes fondamentaux de notre
mouvement. Mais là se pose un problème plus philosophique qu’organisationnel :
qui décide de l’« orthodoxie » ? Si on peut parfaitement
admettre que 50,5 % d’adhérents puissent avoir tort contre
49,5 %, on peut aussi admettre, dans le cas limite, qu’un
adhérent n’a pas forcément raison contre tous les autres.
La
pratique de l’ « abstention amicale » maintient
en dernier recours la possibilité d’un blocage définitif d’une
décision jugée inadmissible, tout en permettant à l’organisation
de fonctionner. Mais l’application de l’« abstention amicale »
ne vaut que si elle fait l’objet d’un consensus.
L’un
des arguments des partisans du principe d’unanimité est que les
minoritaires, lorsqu’ils maintiennent leur position, sont contraints
de s’expliquer et d’argumenter leur choix. Cela impose un véritable
débat. Ainsi sont évités les votes vite faits, à la sauvette,
sans explications, imposés par une majorité sûre d’elle contre
une minorité qui n’a d’autre solution que de se soumettre. En
outre, alors que le vote majoritaire est une forme de violence
faite aux minoritaires, le vote à l’unanimité impose la recherche
d’un consensus à travers des concessions mutuelles. Cet argument
me paraît tout à fait pertinent. C’est en fait ce qui se passe
aujourd’hui.
On
pourrait donc parfaitement se satisfaire de la situation telle
qu’elle est, dans la mesure où, comme c’est l’usage, les minoritaires
ne sont pas contraints d’appliquer une décision.
Pourtant,
il serait plus simple de dire les choses telles qu’elles sont :
nous ne fonctionnons plus sur le principe de l’unanimité. Si en
théorie subsiste la possibilité d’exiger une décision unanime,
elle devrait s’appeler droit de veto. Ce qui se passe en réalité,
c’est que nous fonctionnons sur le principe de la décision majoritaire
sans obligation pour la minorité d’appliquer les décisions prises,
mais avec droit de veto. Une telle définition correspond mieux
à la réalité d’aujourd’hui. Mais à tout moment le veto d’une seule
personne peut complètement bloquer l’organisation. Si on pousse
le système à sa limite, on a donc le cas d’une organisation anarchiste
où la dictature d’une seule personne peut imposer son point de
vue à tous les autres !
Il
me paraît intéressant de constater que la pratique de l’abstention
amicale s’est progressivement instaurée en même temps qu’une évolution
de la composition de la FA, qui s’est lentement transformée d’organisation
d’idée en organisation axée sur des pratiques sociales. Cela est
dû me semble-t-il à deux choses :
1)
l’arrivée d’un nombre croissant de militantes et de militants
issus du mouvement associatif et/ou syndical, qui avaient donc
une expérience préalable de l’organisation, de l’action collective,
des processus de prise de décision, etc. ;
2)
l’arrivée d’un nombre croissant de femmes qui ont introduit des
problématiques nouvelles, en se heurtant d’ailleurs aux résistances
farouches de certains militants de l’organisation que je qualifierai
d’« anarchistes conservateurs ».
Dans
la mesure où la FA s’ancre progressivement de plus en plus dans
la réalité sociale et dans les luttes, il me semble naturel qu’une
évolution soit apparue dans le mode de détermination des choix
de l’organisation. Cela prouve tout simplement sa capacité d’adaptation
et sa dynamique. Cependant, cette évolution qui se fait jour dans
les faits doit s’inscrire dans les règles. Mais si se faisait
jour une volonté réelle de changer les règles, on se trouverait
confronté à une situation curieuse : cette modification des
règles devrait se faire par une décision unanime…
Je
pense qu’une organisation qui est fondée sur le principe de l’unanimité
est une organisation qui est sur la défensive, qui a des choses
à protéger, à conserver. C’est aussi un mode de scrutin qui convient
à un groupe dont la fonction est essentiellement celle de l’intervention
au niveau des idées. La FA avait effectivement à conserver des
principes. C’est sans doute grâce à cela qu’elle a pu se préserver
jusqu’à maintenant et qu’aujourd’hui elle a la possibilité de
se développer. (On peut quand même se demander si elle n’a pas,
à plusieurs reprises, raté le coche, mais passons...)
La
pratique a donc démontré que l’intervention dans le réel a imposé
de fait certains aménagements au principe de l’unanimité.
Sur
le fond, je pense que si une décision était prise à 51 %
contre 49 %, cela ne me satisferait pas, dans l’hypothèse
où je sois du côté des 51 %, car je n’estimerais pas le choix
légitime. Je reste convaincu qu’une décision doit être prise avec
un consensus le plus large possible, sans que je sois en mesure
de dire où se trouve le seuil acceptable.
Je
pense également qu’il faut distinguer deux types de décisions :
celles qui concernent les problèmes qui mettent en jeu les principes
fondamentaux, qui nécessitent au moins un consensus très large ;
celles qui concernent l’activité pratique quotidienne, les choix
politiques conjoncturels qui, à mon sens, n’impliquent pas nécessairement
un consensus très, très large, pourvu que soit maintenue l’autonomie
des groupes.
La
réserve que je formulerais au principe d’unanimité tel qu’il est
pratiqué actuellement, c’est qu’en dernière instance subsiste
la possibilité statutaire qu’un individu isolé, ou un petit groupe
d’individus, puissent bloquer une décision importante. Il est
vrai que cela impliquerait de leur part une force de caractère
peu commune, car il n’est pas facile de s’opposer à la pression
sociale. Cela est cependant déjà arrivé au moins une fois, et
l’opposant isolé s’est vu menacer d’exclusion. Si c’est là la
seule solution pour résoudre une situation bloquée, cela me paraît
tout à fait malsain.
La
dernière remarque que je ferai sur le mode de scrutin est que,
en principe, l’unité de base de la FA est l’individu-adhérent.
Or, dans la pratique, on a pu constater que, progressivement,
depuis quelques années, les décisions au congrès sont prises systématiquement
par groupe. La présidence de séance demande l’avis des groupes
sur chaque question, pas celle des individus.
Cette
évolution me semble personnellement positive. Je pense que la
disparition progressive des « individuels » (qui ne
sont pas forcément des individualistes) est un progrès pour l’organisation,
non pas qu’il faille les juger mal, mais parce que sans doute
la FA est aujourd’hui mieux en mesure de leur proposer une structure
d’accueil dans laquelle ils puissent trouver leur place. C’est
également un progrès parce que cela marque le fait que le mode
d’intervention des militants et militantes de la FA a évolué,
qu’il est devenu un mode d’intervention collectif. L’existence
d’unions régionales a sans doute été un fait déterminant dans
ce processus.
II. – La
structure de l’organisation
Cependant,
le mode de scrutin, s’il pose quelques problèmes, ne me paraît
pas être, dans un avenir proche, la principale entrave à notre
développement.
En
revanche, la structure de l’organisation en est une, importante.
En
théorie, l’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme reposent sur le
fédéralisme. Or, la FA n’est pas une organisation fédéraliste.
C’est
un conglomérat de groupes autonomes avec un centre, sans initiative
politique, qui administre un capital mobilier et immobilier.
L’ensemble
des groupes autonomes constituant la FA ne sont liés entre eux
par rien sinon leur rattachement au centre. En fait, dans une
large mesure, la FA est une organisation centralisée !
Si
la FA était une organisation fédéraliste, voici en gros comment
elle fonctionnerait :
–
Il y aurait tout d’abord des groupes locaux, avec leur fonctionnement
propre. Dans les villes ayant plusieurs groupes, ceux-ci auraient
un fonctionnement en tant que fédération de groupes dans la ville,
et une apparition publique en tant que groupe de ville. Appelons
cela une union locale, ou section, peu importe. C’est un peu comme
cela que ça se passe en fait, bien que l’organisation FA dans
une localité ait une apparition publique en tant que groupes distincts,
et non en tant qu’organisation fédérée de la FA dans la ville.
Car le fédéralisme commence dès lors que deux unités de base de
l’organisation s’organisent entre elles.
–
Il y aurait ensuite, selon l’importance numérique de l’organisation,
une fédération des groupes départementaux ou régionaux. Là encore,
c’est un peu ce qui se passe dans les faits, mais ce n’est pas
une règle, et surtout, ce n’est pas prévu par les statuts de la
FA (les principes de base), c’est-à-dire que ça se fait, mais
ça n’a pas d’existence « légale ». Ces instances n’ont
en théorie aucun pouvoir décisionnel, ce qui serait le cas si
le mode d’organisation fédératif était une réalité.
En
fait, je dirais que la FA a commencé à avoir un fonctionnement
fédéraliste le jour où se sont constituées des unions régionales.
Les
unions régionales devraient être des instances reconnues, à part
entière, de l’organisation, avec un fonctionnement effectif, autonomie
d’action et assemblée générale ou congrès au même titre que le
congrès national.
Certains
camarades sont choqués à l’idée que l’organisation puisse avoir
un sommet, ou un centre. Gaston Leval disait en plaisantant que
si une organisation a une base, elle a forcément un sommet, et
que si elle a une circonférence, elle forcément un centre. Tout
dépend quelle est la fonction et le mode de désignation de ce
sommet ou de ce centre. Une organisation fédéraliste a un centre,
sinon elle n’est pas une fédération. C’est le lieu d’aboutissement
de l’influx qui lui vient de la base et des instances intermédiaires,
c’est aussi le lieu de départ de l’information qui retourne à
la base.
Par
définition même, une organisation fédéraliste un tant soit peu
importante crée des instances intermédiaires entre la base et
le sommet, et ces instances sont des organes de décision à part
entière, qui ont une autonomie dans le cadre du champ d’action
dans lequel elles interviennent.
Une
organisation dans laquelle existent des groupes de base et dont
la seule instance de décision est un congrès national constitué
des groupes de base n’est pas une organisation fédérale. C’est
une organisation centralisée.
Trois
points essentiels distinguent le fédéralisme du centralisme –
je pense en particulier au « centralisme démocratique » :
–
dans le centralisme démocratique, les décisions qui sont prises
sont applicables par tous. Les bolcheviks poussaient la perversion
jusqu’à faire défendre publiquement par les minoritaires les positions
qui avaient été adoptées par la majorité.
–
les candidatures aux postes de responsabilité à chaque niveau
de l’organisation sont déterminés par l’instance supérieure, ou
en tout cas avec l’approbation de celle-ci.
–
les différentes instances de l’organisation n’ont pas le droit
d’entrer en relation avec d’autres instances de l’organisation
sans autorisation de l’instance supérieure. Appliqué à la FA,
cela signifierait par exemple que le groupe de Lille ne pourrait
pas contacter le groupe de Perpignan pour demander une information
ou pour mettre au point du projet commun.
Laissons
de côté les deux premiers points, et attardons-nous sur le troisième.
Dans le système centraliste, n’existent que des relations verticales,
base-sommet et sommet-base. Les flux d’information vont du bas
vers le sommet, ils sont traités par celui-ci et retombent vers
la base sous forme de consignes ou d’ordres. Le traitement de
l’information, son interprétation, sont faits par l’organe dirigeant
sans contrôle des instances intermédiaires et de base. Par exemple,
toujours appliqué à la FA, le groupe de Besançon n’aurait aucun
moyen de vérifier à la source des informations concernant le groupe
de Nancy répercutées par le centre, puisqu’ils ne pourraient pas
se contacter.
Le
fédéralisme libertaire implique nécessairement le contrôle de
l’information par les liaisons horizontales : c’est même
cela, dirais-je, qui définit le fédéralisme.
Lorsque
je dis que la FA est une organisation centraliste parce qu’il
n’y a aucun intermédiaire entre la base et le sommet (les unions
régionales n’ayant aucune existence statutaire), ce n’est pas
une formule de style. Une organisation centralisée peut très bien
s’accommoder de l’existence de groupes autonomes, dans la mesure
où ceux-ci restent isolés entre eux et dépendants du centre, et
dans la mesure où il n’y a entre eux et le centre, aucune autre
instance intermédiaire de décision et d’élaboration.
Prenons
un exemple. Le congrès de la FA décide de lancer un débat sur
une question vitale pour l’organisation et se donne un délai d’un
an, jusqu’au prochain congrès, pour élaborer des projets. Que
va-t-il se passer ? Les groupes de base, autonomes et souverains,
etc., vont rentrer chez eux, ils auront, ou ils n’auront pas,
le temps de rédiger un projet, ils auront ou pas le temps, ou
l’idée, d’en parler de façon informelle au groupe de la ville
d’à côté. Ils rédigeront peut-être un texte pour le BI qui sera
peut-être lu par d’autres groupes mais qui n’aura été discuté
que par le groupe qui l’aura rédigé : il n’aura pas subi
l’épreuve d’un débat préalable. En somme, ce texte n’aura jamais
été débattu de façon un tant soit peu large et contradictoire
ailleurs qu’au congrès, l’année suivante. Un tel fonctionnement
n’a rien, mais rien du tout de fédéraliste.
Pour
qu’un réel débat ait lieu, et pour qu’une réelle existence fédéraliste
s’impose, il faut que les liaisons horizontales s’établissent
de façon statutaire à travers les unions régionales en tant qu’organes
d’élaboration et de décision autonomes entre les
congrès (et dans le cadre des décisions du congrès, évidemment).
Ainsi, dans l’hypothèse où un débat général est lancé, l’union
régionale devient le lieu où s’établit le débat entre les groupes,
où s’affinent les arguments. L’autonomie des groupes n’est en
rien menacée dans la mesure où ils gardent la possibilité de conserver
leur position propre, si celle-ci diverge de celle qui s’élabore
au sein de l’union régionale.
Dans
l’état actuel des choses, si un groupe local ne peut venir au
congrès annuel, il n’est pas représenté. Si l’union régionale
est une instance intermédiaire d’élaboration et de décision entre
les congrès, et si elle s’exprime en tant que telle au congrès
annuel, le point de vue du groupe local absent est exprimé à travers
les positions qu’il a défendues dans l’union régionale.
« Mais
c’est de la délégation de pouvoir », objectera-t-on. Oui,
c’est de la délégation de pouvoir, et ce n’est pas forcément
une mauvaise chose. Il y a me semble-t-il, dans le mouvement libertaire,
une confusion entre les notions de délégation de pouvoir
et de substitution de pouvoir. La délégation de pouvoir
n’est pas en soi condamnable, ce qui l’est, c’est la substitution
de pouvoir. La substitution de pouvoir se définit par le fait
qu’au sein d’une organisation une instance décide à la place
d’une autre.
Si
un jour nous sommes 15 000, l’organisation de congrès deviendra
problématique, même si tout le monde ne vient pas. Il faudra bien
envisager une forme de délégation de pouvoir et de représentation.
Celle-ci, une fois de plus, existe déjà, mais de façon informelle.
Tous les membres d’un groupe ne viennent pas au congrès. Or, en
général, les points de vue qui sont donnés sont les points de
vue de groupes ; c’est donc qu’il y a eu dans les groupes
des discussions, et que les participants au congrès représentent
ceux qui ne sont pas là. Il est rare, lors d’un congrès, qu’au
sein d’un même groupe s’expriment des positions radicalement différentes
sur un même problème ; il y a donc eu un minimum d’élaboration
à l’intérieur du groupe. Par la force des choses, progressivement,
s’est insinuée une pratique qui n’est plus celle du mandat impératif.
III. – Sur les congrès
Notre
fonctionnement actuel n’est pas adapté à la possibilité que nous
puissions être par exemple 2 000 adhérents. Si une telle
situation survient un jour, il faudra bien envisager une autre
façon d’organiser les congrès. En fait, les congrès nationaux
devront inévitablement être précédés d’assemblées générales dans
les villes où il y aura plusieurs groupes, puis d’assemblées générales
d’unions régionales. C’est dans ces instances que se feront les
débats en vue de prendre des décisions au congrès.
Le
congrès ne devrait pas être le lieu où s’établit le débat,
où il commence à se formuler ; il devrait, en application
précisément des principes du fédéralisme, être le lieu où aboutissent
les débats qui auront déjà été formulés ailleurs, le lieu
où se fera la synthèse des problèmes.
Nous
avons le choix entre deux solutions :
1. Attendre
que les événements nous imposent ce type d’organisation, après
des tâtonnements, beaucoup de temps perdu et d’énergie gaspillée ;
2. Prendre
les devants et créer une organisation adaptée à l’accueil d’un
nombre plus important de militants.
Les
instances intermédiaires dans l’organisation fédérale (union locale,
départementale ou régionale) ne sont pas une bureaucratie de plus
mais :
– une
garantie de la continuité de l’organisation dans l’intervalle
des congrès ;
– une
réappropriation d’un pouvoir de décision qu’autrement le centre
accapare ;
– une
instance de consultation pour les secrétariats mandatés du congrès,
au cas où une décision importante doit être prise.
L’autonomie
des groupes, dans une organisation fédérale, n’a de sens que si
elle s’accompagne de l’autonomie des instances intermédiaires
de l’organisation dans l’intervalle des congrès.
Il
n’y a en fait rien de plus antidémocratique qu’un congrès, et
en particulier un congrès de la FA : ne peuvent s’exprimer
que ceux qui y viennent. Ça a l’air évident, et pourtant ça ne
l’est pas. Que l’assemblée générale d’un club de basket fonctionne
de cette façon, c’est normal, parce qu’un club de basket fonctionne
sur une localité et avec un nombre d’adhérents relativement limité.
Qu’une
organisation qui intervient sur le champ politique et social à
une échelle géographique large, qui dépasse le territoire national,
puisque nous avons un groupe en Belgique, fonctionne de cette
façon, n’est pas normal. Un tel mode d’organisation est tout à
fait révélateur de l’esprit dans lequel fonctionnait ce groupe
à l’origine de sa constitution : repli sur soi, pas de perspectives
d’expansion, pas d’intervention concrète sur le terrain. Que nous
ayons pu nous développer malgré tout révèle le dynamisme de la
FA, en dépit de ses crises ; mais on peut dire que notre
développement s’est fait malgré, voire contre ces
structures archaïques.
Le
fait qu’un groupe qui n’est pas au congrès ne puisse pas y avoir
d’expression est justifié par l’idée que c’est le congrès qui
est souverain. C’est une notion aberrante. Le congrès, dans une
instance fédéraliste, n’est qu’un des lieux où s’établit
la souveraineté. L’absence d’intermédiaire entre le groupe local
et le congrès annuel révèle précisément l’absence de fédéralisme.
L’existence d’unions régionales tempère un peu ce fait, mais les
UR n’ont pas d’existence statutaire. Les unions régionales (voire
départementales dans le cas d’organisations suffisamment vastes)
sont un lieu de souveraineté au même titre que le congrès :
il s’y conduit des débats sur la politique de l’organisation,
il s’y détermine des orientations, au même titre qu’au congrès.
Les structures locales de l’organisation y ont plus facilement
la possibilité de s’exprimer. Ainsi, celles qui ne peuvent se
rendre au congrès ont quand même participé aux débats dont l’union
régionale se fait l’écho au congrès ; mais cela implique
que l’ensemble des UR s’expriment en tant que telles au congrès,
ce qui pose le problème du mode de représentation.
IV. – Mode de représentation
Il
reste, dans cette perspective, à déterminer quel sera le contenu
de la représentation au congrès. On peut envisager deux cas de
figure :
–
Si l’organisation, tout en s’agrandissant, reste relativement
modeste, elle peut s’accommoder d’un congrès constitué de groupes
ou de délégués de groupes. Les unions régionales resteraient alors
des instances dont la fonction serait d’assurer de façon décentralisée
la continuité de l’organisation dans l’intervalle des congrès.
–
Si l’organisation prend une ampleur importante, il sera difficile
d’organiser des congrès de trois jours avec plusieurs milliers
de personnes. Il faudra alors envisager l’application intégrale
du mode fédéraliste, c’est-à-dire que les groupes locaux détermineront
des orientations en assemblée générale d’union régionale et nommeront
des délégués d’UR pour aller au congrès. On n’en est pas encore
là, mais qui sait ?
Les
camarades qui défendent l’idée de mandat impératif s’opposeront
évidemment à cette dernière optique. Sans être opposé au mandat
impératif dans les lieux et moments où son application est opportune,
je pense que celui-ci est inapplicable dans le cas d’une organisation
permanente un tant soit peu large. C’était d’ailleurs, faut-il
le rappeler, le point de vue de Proudhon.
Qu’est-ce
que le mandat impératif et quelle est sa fonction ? L’idée
de base est de garantir le maximum de démocratie dans une instance
de décision, et de garantir que le mandaté applique sans les déformer
les décisions prises par les mandants. Mais un tel système ne
peut fonctionner que dans certaines circonstances, et dans certains
types d’organisation. Il s’applique parfaitement lors d’une lutte,
dans une structure temporaire, par exemple un comité de grève.
Mais
dans une organisation permanente, c’est-à-dire dont l’existence
n’est pas liée à une situation fortuite, et un tant soit peu large,
un tel système est vite synonyme de paralysie. La preuve par défaut,
c’est qu’à la FA on ne le pratique plus dans les faits. Imaginons
en effet 50 groupes dont les délégués auraient chacun des mandats
impératifs sur tous les problèmes qui doivent être débattus...
L’immobilité totale de l’organisation en découlerait inévitablement.
L’idée
de mandat impératif ne peut être valable que lorsque les mandatés
qui détiennent un tel mandat peuvent, si celui-ci ne peut être
appliqué, en référer immédiatement à leurs mandants pour obtenir
de nouvelles consignes. C’est le mode de fonctionnement de la
démocratie directe, qui implique une proximité permanente des
mandatés avec les mandants, une disponibilité permanente de la
base. Ce fonctionnement est valable par définition lorsque les
mandants sont rassemblés en un lieu, sans autre activité que le
contrôle des mandatés : c’est le cas lors d’une grève, d’un
mouvement insurrectionnel, etc. C’est un mode de lutte, pas un
mode de gestion.
Appliqué
à d’autres circonstances, il n’a aucune effectivité. Une organisation
politique qui fonctionnerait de cette façon serait « démocratique »
pendant les deux ou trois jours de son congrès (et encore) et
immobile le reste de l’année. Je dis « et encore » parce
que la « démocratie » s’appliquerait pour les groupes
qui sont présents, alors que dans une organisation réellement
fédéraliste les groupes absents au congrès ont, à un moment donné,
participé aux élaborations.
Au
risque de choquer certains camarades, je dirai donc que le mandat
impératif et la démocratie directe sont tout à fait contraires
aux principes de fonctionnement fédéralistes...
Ce
qui est contestable, en fait, ce n’est pas la délégation
de pouvoir mais la substitution de pouvoir.
Conclusion
Le
projet libertaire implique une vision qui dépasse largement le
cadre de la localité. Mettre l’accent sur les seuls problèmes
locaux du fédéralisme est en fait lui retirer sa dimension politique,
et une telle attitude n’est pas innocente.
Dans
une société où les relations sociales sont extrêmement complexes,
une grande quantité de décisions ne peuvent se prendre au niveau
d’une simple unité de base ou d’une seule ville. C’est précisément
là que se situent les divergences politiques les plus importantes
entre l’anarchisme et ceux qui ont découvert l’autogestion en
1968. Il est évidemment impensable qu’il n’y ait pas une coordination
globale des activités de l’ensemble. Cette coordination, qui permet
de lier l’auto-administration à l’échelle locale et à l’échelle
globale, s’appelle le fédéralisme.
La
Fédération anarchiste est régie par les présents statuts :
Article
1er. – La Fédération anarchiste est constituée :
1°
De groupes de base par localité ;
2°
Ces groupes de base, lorsqu’il en existe plusieurs dans la même
localité, sont fédérés dans des fédérations locales, ou unions
locales ;
3°
D’Unions régionales qui fédèrent les groupes de base dans chaque
région ;
4°
Par la Fédération, qui rassemble les groupes de base fédérés dans
les
unions
régionales ;
5°
Par le comité fédéral.
ADMINISTRATION
Art
2.- La Fédération anarchiste est administrée suivant les directives
données par les groupes réunis en congrès chaque année.
COMITÉ
FÉDÉRAL
Art.
3. – Le comité fédéral est constitué de .............. délégués/es
proposé/es par chaque union régionale et élus/es par le congrès
fédéral. Il a pour fonction de veiller à l’application des décisions
de congrès et de prendre toute initiative dans ce sens.
Les
candidatures au comité fédéral et les propositions d’orientation
seront portées à la connaissance des groupes dans les documents
préparatoires au congrès, dans les délais prévus à l’article 21.
Le
comité fédéral met en application les décisions du congrès. Il
prend, dans l’intervalle des congrès, sous sa responsabilité et
après consultation des instances dont il est l’émanation, les
initiatives d’action de la Fédération anarchiste imposées par
les événements imprévus.
Le
comité fédéral se réunit une fois par ......... dans l’intervalle
des congrès, et extraordinairement en cas de circonstances graves
à la demande d’un tiers des unions régionales.
COMMISSION
ADMINISTRATIVE
Art.
4. – Dans l’intervalle des comités fédéraux la Fédération anarchiste
est administrée par la commission administrative, composée de
........ membres titulaires et de ......... membres suppléants
nommés par le congrès et présentés par leurs groupes respectifs.
Les
membres de la commission administrative assistent avec voix consultative
aux comités fédéraux. Ils ne sont pas nécessairement membres de
groupes de la région où se trouve le siège de la Fédération anarchiste.
BUREAU
Art.5.
– Le bureau, agent d’exécution et de liaison, est nommé par le
congrès fédéral parmi les membres de la commission administrative
ou, en cas de circonstances exceptionnelles, par le comité fédéral
et révocable par eux. Chaque membre du bureau n’est rééligible
et ne peut faire acte de candidature pour quelque fonction que
ce soit que pendant cinq années consécutives, à la suite desquelles
il ne peut se représenter avant une période de deux ans. Ce principe
sera appliqué à tous les échelons de l’organisation.
LES
SECRÉTAIRES
Le
bureau est composé de ....... secrétaires nommés par le congrès
parmi les membres de la commission administrative :
1°
Un/e secrétaire aux relations intérieures chargé d’assurer la
liaison entre les unions régionales et de coordonner l’action,
d’organiser la propagande nationale et de maintenir des rapports
constants entre les différentes unions régionales et groupes de
l’organisation.
2°
Un/e secrétaire aux relations extérieures chargé de représenter
la Fédération anarchiste auprès des autres organisations anarchistes,
auprès des médias ou toute autre organisation avec laquelle il
sera jugé utile d’établir des rapports.
3°
Un/e secrétaire aux relations internationales chargé des liaisons
avec le mouvement libertaire international ; il sera également
chargé de rassembler des informations et de proposer des initiatives
concernant les luttes sociales en général à l’échelle internationale.
4°
Un/e secrétaire ...... etc.
Les
secrétaires pourront s’adjoindre, avec l’accord de la commission
administrative ou du comité fédéral, le nombre d’aides qu’ils
jugeront utile pour l’accomplissement de leur tâche.
La
commission administrative ou le comité fédéral peuvent s’adjoindre
des militants pour les aider dans leur tâche. Ces militants, ainsi
que ceux évoqués au paragraphe ci-dessus, ne sont pourvus d’aucun
mandat décisionnel.
CANDIDATURES
Art.6.
– Les membres de la commission administrative et du bureau fédéral
sont présentés par les groupes.
Les
groupes doivent faire parvenir à la Fédération anarchiste la liste
de leurs candidats au moins ........... mois avant la date du
congrès fédéral.
La
liste des candidats est immédiatement communiquée à tous les groupes
par le bureau fédéral.
Art.
7. – L’appartenance d’un militant de la Fédération anarchiste
à un parti politique, à une Eglise ou à une secte philosophique
entraîne sa radiation à la Fédération anarchiste.
Art.
8. – Le congrès fédéral élit les responsables chargés de l’administration
des oeuvres de la Fédération anarchiste : la librairie, l’imprimerie,
Le Monde Libertaire, Radio libertaire. Ces responsables ont une
fonction administrative et non décisionnelle. Néanmoins, ils ont
voix consultative dans les instances de la Fédération anarchiste.
COMMISSION
DE CONTROLE
Art.
9. – La commission de contrôle est composée de ...... membres
nommés par le congrès fédéral et proposés par les groupes.
La
commission de contrôle a pour but de veiller à la bonne gestion
financière des diverses instances et œuvres fédérales de la Fédération
anarchiste. Les résultats de ces opérations sont consignés dans
un rapport qui est soumis au comité fédéral et adressé à chaque
groupe deux mois avant le congrès fédéral.
Cette
commission choisit son/sa secrétaire chargé(e) de la convocation
des réunions, qui auront lieu tous les ....., ainsi que de la
rédaction des procès-verbaux.
COMMISSION
DES CONFLITS
Art.
10. – Tout conflit survenant entre les instances de la Fédération
anarchiste, ou entre un(e) militant(e) et une instance de la Fédération
anarchiste sera examiné par une commission composée de ........
représentant(s) par union régionale, après due présentation d’un
dossier circonstancié développant les positions des parties en
conflit.
Les
conclusions établies par cette commission seront soumises à la
commission administrative, qui sera chargée de trouver une solution.
Un recours pourra être fait au comité fédéral et, en dernier ressort,
au congrès fédéral.
Art.
11. – En cas de manquement grave aux pratiques et aux principes
libertaires, l’exclusion d’un militant pourra être prononcée,
à la demande d’une des instances statutaires de la Fédération
anarchiste, après avoir suivi les procédures mentionnées à l’article
10.
Ces
manquements devront être dûment constatés après enquête, sur la
base de faits patents : documents, témoignages concordants.
Toutefois,
en cas de circonstance particulièrement sérieuse, le comité fédéral
peut prononcer la suspension d’un militant ou d’un groupe pendant
l’enquête de la commission des conflits, jusqu’à l’épuisement
des recours prévus à l’article 10.
Art.
12. – Tout militant qui ne sera pas à jour de ses cotisations
...... mois avant le congrès fédéral sera tenu pour démissionnaire
de la Fédération anarchiste après avis resté sans effet et décision
du comité fédéral.
ADHÉSIONS
Art.
13. – Les adhésions à la Fédération anarchiste se font sous la
responsabilité des groupes. [ Le reste à débattre ]
COTISATIONS
Art.
14. – Les ressources indispensables pour mener à bien la propagande
et l’action libertaires proviennent des cotisations des militants.
Le
montant de la cotisation fédérale est décidé par le congrès fédéral.
Les
groupes et les unions régionales ont toute autonomie pour l’établissement
d’une cotisation nécessaire à leur fonctionnement, et déterminent
eux mêmes le taux de leurs propres cotisations.
Les
groupes n’appartenant à aucune union régionale versent leurs cotisations
directement au comité fédéral.
UNIONS
RÉGIONALES ET GROUPES LOCAUX
Art.
15. – Les unions régionales sont constituées de groupes locaux
ou de fédérations de groupes locaux qui, pour des raisons d’efficacité,
décident de se fédérer sur la base d’un ensemble géographique
cohérent.
Art.
16. – Les unions régionales ont pour fonction de favoriser la
constitution de groupes de la Fédération anarchiste dans le secteur
géographique de leur compétence, et d’apporter un soutien aux
groupes existants.
Art.
17. – Les unions régionales, émanation des groupes, sont, dans
l’intervalle des congrès fédéraux, l’expression de la Fédération
anarchiste au niveau de la région ; elles sont chargées d’appliquer
les décisions des congrès ; elles assurent la diffusion de l’information
; elles prennent toutes initiatives indispensables à la propagande
et à l’action ; elles organisent les débats internes en préparation
des congrès fédéraux.
Art.
18. – Les unions régionales organisent des assemblées générales
tous les .... mois, avec les groupes de la région, pour débattre
des problèmes relevant de leurs attributions, pour organiser la
propagande et l’action de la Fédération anarchiste au niveau régional.
Elles
sont également chargées de veiller à l’organisation des débats
internes en préparation des congrès.
Art.
19. – Les groupes locaux jouent le même rôle dans la localité
que l’union régionale dans la région.
La
décision d’adhérer à une union régionale relève de la souveraineté
du groupe.
CONGRÈS
Art.
20. – Les groupes se réunissent en congrès tous les ...........
ans. En cas d’événement grave, la commission administrative ou
le comité fédéral peuvent convoquer un congrès extraordinaire.
Si
la majorité des groupes de la Fédération anarchiste en fait la
demande, un congrès devra également être convoqué.
Pour
les congrès ordinaires, les groupes seront consultés sur les questions
figurant sur un ordre du jour diffusé au moins .....................................
à l’avance.
Le
comité fédéral peut déléguer pour la préparation des congrès ses
attributions au groupe local de la ville où se tiendra le congrès,
ou à l’union régionale intéressée.
Art.
21. – La Fédération anarchiste prépare pour chaque congrès des
rapports moraux et financiers sur sa gestion qui, avant d’être
soumis à l’approbation du congrès fédéral, doivent être portés
à la connaissance des groupes au moins .................. mois
à l’avance. Un compte rendu du congrès sera publié.
Art.
22. – Chaque groupe représenté au congrès aura une voix.
Un
groupe qui ne serait pas présent au congrès peut se faire représenter
par un autre groupe de la même région.
Un
groupe ne peut représenter qu’un seul autre groupe.
Art.
23. – Avant toute prise de décision, des représentants des unions
régionales pourront faire la synthèse des débats qui ont eu lieu
sur la question dans leurs régions, pour l’information des autres
groupes. Néanmoins, la décision finale revient aux seuls groupes.
Art.
24. – Les présents statuts ne peuvent être modifiés que par un
congrès, à la majorité de ............................., et à
condition que le texte des modifications ait été porté à la connaissance
des groupes au moins ................ mois à l’avance.
1. –
Avant la Fédération anarchiste. 1
Annexe I Lettre de démission de la Fédération anarchiste.
24
Annexe II A propos des organisations spécifiques et de la Plate-Forme. 24
Annexe III À propos de la FA et de l’organisation. 31
Annexe IV Projet de statuts pour la Fédération anarchiste.
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