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Origine : http://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/TESTART/13039?var_recherche=nanotechnologies
M. José Bové a été condamné, le
15 novembre, à quatre mois de prison ferme pour avoir fauché
des plants de maïs transgénique. les « faucheurs
» n’expriment-ils pas un doute raisonnable face à
une activité aux conséquences mal évaluées
? Une sorte de « foi » dans le progrès scientifique
empêche tout débat public sur les orientations de la
recherche. Bataille de la raison contre le dogmatisme...
En refusant des avancées de l’esprit qui venaient
contredire les dogmes qu’elles avaient établis, les
religions ont largement marqué l’histoire des sciences.
S’il s’agit essentiellement de la religion catholique,
n’est-ce pas seulement parce que celle-ci était triomphante
au moment de l’irruption de la science moderne ? Quel autre
pouvoir que la sainte Inquisition aurait eu les moyens de bâillonner
Galilée et de brûler Giordano Bruno (1) ? Fort heureusement,
le développement scientifique s’est accompagné
de celui de la démocratie dans les pays industrialisés,
et Charles Darwin fut épargné.
Toutefois, si les religions n’ont plus le pouvoir d’éliminer
les savants impies et les théories sacrilèges, elles
se réfugient souvent dans l’interdit imposé
à leurs ouailles ou même à des populations entières.
Ainsi, dans de nombreux Etats des Etats-Unis, l’Eglise réformée
exige-t-elle encore que l’enseignement de la théorie
de l’évolution ne soit pas privilégié
par rapport au récit biblique. Ainsi l’enseignement
de la physique est-il amputé de la théorie du Big
bang dans nombre de pays où la religion musulmane est officielle.
Ainsi l’Eglise catholique continue-t-elle de s’opposer
partout à la contraception ou à la procréation
assistée. Et on ne saurait négliger le fait que l’islam
ou le judaïsme persistent à proclamer des normes obligatoires,
en particulier alimentaires, dont les fondements n’ont aucune
justification rationnelle.
Mais l’histoire du lyssenkisme et de la pseudo-hérédité
des caractères acquis, en URSS (2), montre que les religions
ne sont pas les seuls pouvoirs qui revendiquent le contrôle
de la science et de ses productions. En fait, toute puissance instituée
cherche soit à nier soit à instrumentaliser la science,
tant celle-ci influence la vie spirituelle et matérielle
des citoyens. Il en va du « socialisme scientifique »
comme des « commissions scientifiques » dont s’affublent
la plupart des partis politiques.
Les pouvoirs politiques européens ont choisi de reconnaître
dans la science la source privilégiée des vérités
et des richesses. Mais il n’en découle pas automatiquement
que la science soit devenue neutre et universelle. En témoigne
la rigidité dont les notables de l’institution scientifique
ont fait preuve, ces dernières années, à l’égard
des rares propositions révolutionnaires émanant de
chercheurs. Comme, par exemple, pour la théorie non démontrée
à ce jour de Jacques Benveniste sur la « mémoire
de l’eau (3) » ou pour celle, depuis couronnée
d’un prix Nobel, de Stanley B. Prusiner sur les prions.
N’est-ce pas le fait d’une idéologie, voire
d’une idéologie religieuse, que d’institutionnaliser
les vérités du moment comme immuables, de les faire
défendre par des prêtres intouchables, gardiens du
grand livre de la science, et de refouler violemment toute idée
nouvelle si elle oblige à corriger les dogmes que constituent
les anciens paradigmes ? L’économiste Serge Latouche
montre que le progrès est une représentation «
auto-évidente » et qu’alors « son émergence
ne peut être racontée que sur le mode du triomphe d’une
vérité lumineuse éternelle, déjà
là mais cachée et bloquée par les ténèbres
(4) ».
Il reste que l’état de la science à chaque
moment demeure insuffisant pour expliquer des situations complexes
et envisager leur dénouement. L’incertitude des prévisions
paraît manifeste puisque les conclusions des experts sont
qualifiées d’« optimistes » ou «
pessimistes » plutôt que de « vraies » ou
« fausses ». Le retour du subjectif vient ainsi clore
l’objectivité proclamée de la méthode
scientifique. Les optimistes ont pour eux un argument imparable
: le pire n’est pas démontré tant qu’il
n’est pas arrivé.
Mais l’option « optimiste » ne devrait pas autoriser,
par exemple, à nier l’effet qu’ont les activités
humaines sur les changements climatiques, tout au plus à
espérer que la température moyenne augmentera de deux
degrés plutôt que de cinq ou six au cours de ce siècle,
une situation qui obligerait cependant aux mêmes mesures de
précaution que l’option pessimiste. De même pour
la dissémination des transgènes dans la nature ou
la pollution radioactive à partir de l’industrie nucléaire
: ce ne sont pas ces phénomènes, raisonnablement inéluctables,
qui devraient faire débat, mais seulement le temps nécessaire
pour qu’ils deviennent insupportables. Alors, ce que dissimule
finalement la discrimination entre optimisme et pessimisme, c’est
la foi. La foi qui laisse croire aux optimistes que le pire ne peut
pas arriver, parce qu’on trouvera une parade encore inimaginable.
Ici, le scientifique, soumis au catéchisme de la technoscience
(voir « Cerveau, mensonge et antiterrorisme »), choisit
souvent la prophétie contre la rigueur. La plus haute instance
française en la matière, l’Académie des
sciences, s’est trompée par optimisme sur tous les
risques d’atteinte à la santé depuis vingt ans
: sur l’amiante, la dioxine, la vache folle, sans parler des
plantes génétiquement modifiées (PGM). Chaque
fois, l’Académie a vanté l’innovation
et condamné l’obscurantisme en proclamant qu’on
ne peut pas arrêter le « progrès de la science
».
Or le progrès de la science n’est pas nécessairement
celui de l’humain, sauf à accepter que notre destin
soit régulé par les intérêts de l’industrie
et de la Bourse. A l’issue du scandaleux rapport sur les PGM
(5), un débat parlementaire sur les éventuels conflits
d’intérêts à l’Académie a
été demandé sans succès par l’association
Attac, mais les incantations des académiciens contre l’«
obscurantisme » (même en l’absence de véritables
arguments scientifiques) montrent qu’il s’agit aussi
de conflits idéologiques. Est-ce la mise en marché
de la science qui a provoqué son dogmatisme missionnaire,
ou l’inverse ? Quand la technoscience devient en toute impunité
la source d’artifices potentiellement dangereux, son pouvoir-faire
révèle et consolide la dimension idéologique
de l’activité scientifique, la croyance est alors érigée
en connaissance exacte et approfondie. Il n’est donc pas exagéré
de considérer que certains aspects de la science relèvent
d’une attitude religieuse, ce qui s’accorde mal avec
la rationalité qu’elle revendique (6).
Selon le credo de la science officielle, qu’on peut qualifier
de magique voire de mystique, tout sera expliqué tôt
ou tard, et cette explication couvrira la réalité
entière, les zones d’ombre et les contradictions étant
toutes surmontables. De ce point de vue, on notera la place privilégiée
qu’occupent les scientifiques croyant en Dieu dans la croyance
à la science toute-puissante. Ceux-là sont parmi les
plus dévots au scientisme, comme pour se faire pardonner
leur intimité avec l’irrationnel. Ou alors est-ce leur
mentalité inamovible de croyant qui les pousse à adorer
le religieux qu’ils devinent en la science s’ils l’estiment
toute-puissante ?
« On ne peut pas arrêter le progrès
! »
Le scientisme peut même venir au secours de la religion,
comme quand le futur pape Benoît XVI déclarait, en
2000, pour « scientifier » sa conception de l’homme
: « Selon mes connaissances en biologie, un être porte
en lui, dès le début, le programme complet de l’être
humain, qui ensuite se développe (7) ... » En considérant
le génome comme programme plutôt que comme information,
le cardinal Ratzinger avalise la science génétique
la plus orthodoxe, sans s’inquiéter de la place de
la liberté... ou de l’âme.
Tandis que « la maison brûle (8) », on peut continuer
à aggraver les choses tout en stigmatisant les « obscurantistes
», ceux qui au nom d’un principe de précaution
« frileux » souhaitent maîtriser les développements
de la technoscience. Pourtant, cette maîtrise politique d’une
prétendue maîtrise technique se trouve justifiée
par le fait que, comme le dit Paul Virilio, la technoscience est
un détournement majeur du savoir. Dans le monde de plus en
plus incertain que nous construisons, l’optimisme ne devrait
pas être considéré comme une valeur positive,
seulement comme un relent puéril de la croyance permettant
de justifier la politique de l’autruche pour masquer une attitude
suicidaire.
Chaque fois que l’on fait observer les risques induits par
la technoscience, une affirmation clôt toute velléité
d’intelligence : « On n’a pas le choix... »
Elle laisse supposer que l’humanité ne serait pas libre
de son destin. Quand, au nom des « intérêts propres
de la science », les plus hauts responsables de la recherche
se déclarent hostiles au principe de précaution, ils
laissent croire à des activités humaines dont l’intérêt
serait supérieur à celui des humains eux-mêmes.
A ceux qui imaginent que le réacteur nucléaire ITER
ou les PGM démontrent que l’époque est à
la « maîtrise », on peut opposer que de tels artifices,
dont les promesses sont toujours à venir, s’inscrivent
au contraire dans la vieille utopie (9).
Et c’est certainement la mystique du progrès et la
croyance en une « providence laïque » qui permettent
à ceux qui y ont intérêt de s’entêter
avec bonne conscience, et aux autres de ne pas réellement
leur résister. Une telle disposition à la croyance
ne vaut plus guère que pour la science, tragique négation
du triomphe annoncé de la rigueur grâce à la
connaissance scientifique !
A côté du souci criminel de soutenir la compétitivité
(des entreprises, des laboratoires, de la région, de l’Etat...),
en courant plus vite que le voisin vers le précipice commun,
une raison moins triviale mais tout aussi misérable explique
la passivité des populations : l’humanité ne
peut pas perdre là où elle affirme le progrès
technologique. Il s’agit d’une conception magique de
l’évolution, laissant croire que, parmi les espèces
animales, la nôtre serait la seule capable de changer le monde
(ce qui est un fait réel), mais aussi de maîtriser
les changements qu’elle y induit (ce qui reste à démontrer).
L’homme est-il capable de résoudre tous les problèmes
qu’il se pose ? Est-il à la hauteur de ses ambitions
de maîtrise ? Répondre affirmativement, c’est
reconnaître une volonté créatrice supra-humaine,
hypothèse qui, d’ordinaire, heurte les scientifiques.
Répondre par la négative, ou au moins par le doute,
c’est se donner des chances d’agir avec précaution,
par humilité.
C’est peut-être dans le domaine de la génétique
que cette croyance est particulièrement manifeste. Selon
deux sociologues américaines, « tout comme la notion
d’âme au sein du christianisme a fourni le concept archétypal
permettant de comprendre la personne et la persistance du moi, l’ADN
a pris, dans la culture de masse, l’apparence d’une
entité semblable à l’âme, ou bien d’un
objet d’adoration, saint et immortel, ou encore d’un
domaine interdit (10) ».
Ainsi, le Téléthon peut recueillir en un jour 100
millions d’euros (équivalant au budget annuel de fonctionnement
de la recherche médicale française) en laissant croire
que la guérison des myopathies n’est qu’une question
de moyens financiers. Quant aux cultures de PGM, qui présentent
des risques encore mal analysés pour l’environnement,
pour la santé publique ou pour l’économie, et
n’apportent à ce jour aucun avantage pour les consommateurs,
elles sont imposées aux sociétés humaines sous
prétexte que leurs avantages arriveront, inéluctablement.
Ce pari que « ça va marcher » relève
d’une attitude dont la conclusion, forcément optimiste,
précède la démonstration, c’est-à-dire
d’une attitude non scientifique. En 2000, le premier ministre
socialiste Lionel Jospin déclarait, à propos des cellules
souches embryonnaires : « Grâce aux cellules de l’espérance
(...) les enfants immobiles pourront enfin se déplacer, des
hommes et des femmes brisés pourront enfin se redresser (11)...
» Et, pourquoi pas, multiplier les pains ? La croyance en
de tels miracles justifierait même qu’on fasse l’impasse
sur la démonstration préalable de faisabilité
et d’innocuité grâce à l’expérience
animale. On pourrait montrer que les développements de l’industrie
nucléaire ou des nanotechnologies, par exemple, échappent
eux aussi à la rigueur scientifique comme à la démocratisation
des choix de société.
Comment justifier qu’en bioéthique il n’existe
pas de « principes » (ou même de simples repères
dans les rêves ou les valeurs), contrairement à ce
qui est arrivé pour les droits humains, par exemple ? Pourquoi
un interdit définitif sur l’esclavage et seulement
des mesures provisoires (ou rien du tout) contre l’artificialisation
de l’humain, ou contre l’eugénisme consensuel
? S’il est admis que toute règle bioéthique
sera révisée par le savoir-faire technique, l’éthique
n’est plus qu’une morale du destin. Parce qu’elle
chante le credo de progrès miraculeux et illimités,
l’éthique utilitariste finit toujours par vaincre les
réticences.
Certitudes et contrevérités
Michel Onfray, philosophe auto-institué porte-parole de
l’athéisme, entend soutenir « tout ce qui, de
près ou de loin, contribue à la mise au point des
techniques indispensables à l’activation de la médecine
postmoderne : ectogenèse, clonage, sélection du sexe,
transgénie (12) ». Il s’oppose ainsi à
l’« option technophobe » en arguant que «
la science en tant que telle est neutre ». Pour parvenir à
cette certitude, il lui faut cependant affirmer des contrevérités
(« l’énergie nucléaire n’a jamais
causé aucun mort... », hormis à Hiroshima et
lors d’autres bourdes qu’on ne pourrait attribuer qu’au
« délire militaire ») et faire prendre des vessies
pour des lanternes, comme dans la succession des deux propositions
suivantes où l’hypothèse devient certitude :
« La révolution transgénique permet d’envisager
des nouvelles façons de soigner : elles éviteront,
grâce aux médecines prédictives, le déclenchement
des maladies... »
La fascination technophile peut fournir des substituts faciles
aux mythes qu’on croit combattre. Alors, et de plus en plus,
une bioéthique d’inspiration scientiste court-circuite
l’étape de l’élaboration de principes,
parce qu’ils risqueraient de figer une situation contraire
à la dynamique compétitive. Alors la bioéthique
devient soluble dans le temps comme elle l’est déjà
dans l’espace (d’où le « tourisme médical
») et dans la casuistique (on cède progressivement,
depuis une concession motivée jusqu’à la généralisation
d’une pratique). C’est la croyance qu’un monde
forcément meilleur va advenir grâce à la science
qui empêche de s’interroger pour définir cet
humanisme laïque qui manque à la bioéthique.
Dire que « la science va plus vite que l’éthique
», c’est signifier en réalité que la techno-science
devance et domine les choix de société.
La science n’est pas cette construction seulement rationnelle
qu’on a idéalisée, imagerie qui l’abrite
des incursions de la critique. Outil forgé par l’homme,
la technoscience témoigne de son savoir-faire et de ses carences,
et elle n’œuvre à la libération de l’espèce
que si on sait contenir sa démesure. Lors des Assises nationales
de la recherche de janvier 1982, le ministre de la recherche, M.
Jean-Pierre Chevènement, proposa de « faire reculer
certains préjugés contre la science et la technologie,
tenir en lisière les mouvements antiscience »... Et
il englobait sous ce dernier terme aussi bien les cartomanciennes
que les écologistes. Or, vingt ans plus tard, les préoccupations
écologistes se trouvent validées et font l’objet
de rapports alarmants de la part de la science officielle. Pourtant,
le scientisme résiste : lors du Sommet de Rio (1992) sur
le « développement durable », des scientifiques
éminents, dont de nombreux prix Nobel, ont lancé l’appel
de Heidelberg contre « l’émergence d’une
idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès
scientifique et industriel et nuit au développement économique
et social »...
L’intérêt des industriels et de nombreux chercheurs
est de mettre au point et diffuser des innovations susceptibles
d’occuper des parts de marché. Cette motivation compétitive
explique largement la mutation de la science en technoscience. Mais
on aurait pu s’attendre à une résistance des
citoyens quand la science, force d’émancipation, dérive
ainsi vers la production d’artifices dont beaucoup posent
des problèmes plus importants que ceux qu’ils résolvent.
Comme l’a montré l’historien et sociologue Jacques
Ellul, « les lois de la science et de la technique sont placées
au-dessus de celles de l’Etat, le peuple et ses représentants
étant alors largement dépossédés de
leur pouvoir (13) ». En fait, le scientisme n’est pas
l’apanage des scientifiques ; c’est une idéologie
largement partagée dans la société, surtout
depuis que le besoin de croyance manque de propositions crédibles
dans les champs de la religion ou de la politique. La promesse mystique
du paradis et celle militante des lendemains qui chantent se sont
essoufflées tandis qu’avançait le Progrès
dans la soutane neuve de la rationalité.
N’ayant pas d’autres saints à qui se vouer,
les citoyens modernes se sont mis en attente des productions de
la techno-science, sans même imaginer qu’ils pourraient
exiger de choisir ce que les chercheurs vont mettre au point en
leur nom. Là est le premier pas à franchir : puisque
technoscience il y a, il faut oser penser qu’on peut la mettre
en démocratie, comme toute activité humaine (transparence,
débat public, contre-expertise, rationalité des choix,
etc.) (14). Ainsi que le dit le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond,
« si l’Eglise jadis condamna Galilée, elle n’a
plus maintenant à craindre de ses successeurs qu’une
certaine concurrence... Convenons qu’une nouvelle laïcisation
de notre rapport au savoir devrait permettre de prendre un certain
recul par rapport à tous les dogmatismes d’aujourd’hui
(15) ».
La laïcité est le « principe de séparation
de la société civile et de la société
religieuse, l’Etat n’exerçant aucun pouvoir religieux
et les Eglises aucun pouvoir politique ». (Il est savoureux
de constater que le dictionnaire Robert illustre cette définition
par une citation d’Ernest Renan, prêtre aspirant devenu
scientiste extrême...) Si on s’accorde à identifier
dans la science un « système de croyances et de pratiques,
impliquant des relations avec un principe supérieur, et propre
à un groupe social » (définition, dans le Robert,
du mot « religion »), on comprend mieux la proposition
de Lévy-Leblond pour une « laïcisation de notre
rapport au savoir ».
Récemment, Bertrand Hervieu, ancien président de
l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), déclarait
que « le processus de désacralisation, la fin des absolus
transcendantaux et le chemin de la reconstruction de la science
dans une société démocratique et laïque
ne sont pas accomplis (16) ». Dans cette direction, on peut
exiger des chercheurs une attitude plus humble et soucieuse du bien
public. C’est ce que nous avions proposé avec le manifeste
« Maîtriser la science » (Le Monde, 19 mars 1988),
et c’est aussi le sens du « Serment des savants »
proposé par Michel Serres en 1997.
En fait, là comme ailleurs, le maître mot est démocratie.
Ellul évoquait le totalitarisme de la technique, qui nous
fait entrer dans une logique « technophage » dont on
ne peut plus sortir, et il craignait qu’une dictature mondiale
ne finisse par constituer « le seul moyen pour permettre à
la technique son plein essor et pour résoudre les prodigieuses
difficultés qu’elle accumule ». Récemment,
des pistes ont été ouvertes pour que les choix scientifiques
n’échappent plus aux citoyens et pour que les développements
technologiques soient conformes aux besoins exprimés par
la société (17). Il reste à aider la société
à rompre avec le mythe du progrès hérité
des Lumières. Il l’empêche de penser que, même
vis-à-vis de la science et de ses productions, les hommes
pourraient être libres et égaux.
Texte extrait d’une conférence tenue lors du colloque
« Laïcité » organisé par la Ligue
de l’enseignement (Valence, avril 2005).
Jacques Testart.
Biologiste de la procréation, directeur de recherche à
l’Institut national de la santé et de la recherche
médicale (Inserm) et président d’Inf’OGM.
Auteur (avec Christian Godin) de Au bazar du vivant, Seuil, coll.
« Point- Virgule », Paris, 2001.
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