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Origine : http://www.cndp.fr/tr_exclusion/nl_ranc.html
RANCIÈRE Jacques La Mésentente : politique et philosophie Paris : Galilée, 1995. 187 p. (La philosophie en effet).
« La mésentente n’est pas le conflit entre celui
qui dit blanc et celui qui dit noir. Elle est le conflit entre celui
qui dit blanc et celui qui dit blanc mais n’entend point la
même chose ou n’entend point que l’autre dit la
même chose sous le nom de la blancheur. »
Bien que ce livre de Jacques Rancière se situe à
un très haut niveau de généralité, celui
de la rencontre polémique entre la philosophie et la politique,
il nous apporte des outils pour interpréter plus particulièrement
la question de l’exclusion. C’est cette perspective
particulière, partielle, qui nous intéresse ici, et
non toutes les implications de l’ouvrage.
Comme tout philosophe qui se respecte, Rancière part de
la Grèce antique, de Platon, d’Aristote… Ce voyage
nous rappelle que la justice qui fonde la cité commence là
« où l’on cesse de répartir des utilités,
d’équilibrer des profits et des pertes […] ;
elle commence là où il est question de ce que les
citoyens possèdent en commun » (p. 23). Pour la philosophie
antique la subordination de la logique échangiste (qui s’applique
aux échanges marchands et aux peines judiciaires) s’effectue
par la soumission de l’égalité arithmétique
(une table vaut deux chaises, un vol « vaut » six mois
de prison, etc.) à l’égalité géométrique,
qui proportionne les parts de bien commun à la valeur que
chaque partie apporte à la communauté, à son
axia. Or Aristote distingue trois axiaï : la richesse du petit
nombre, la vertu ou l’excellence des meilleurs, la liberté
du peuple, le problème étant de les combiner harmonieusement
pour obtenir la société bien ordonnée. On constate
que le démos ne possède comme propriété,
que la liberté, donc une propriété qui ne lui
est pas propre, une propriété impropre, puisque la
liberté est ce que possèdent à égalité
tous les citoyens, l’égalité de n’importe
qui avec n’importe qui. Mais ce peuple, exclu de la richesse
oligarchique et de l’excellence aristocratique, qui ne possède
rien en propre, s’identifie pourtant au tout de la communauté,
à la cité athénienne (dont les lois expriment
les décisions du « peuple »). Selon Rancière,
c’est cette configuration, la partie qui n’est rien
s’identifiant au tout, qui fonde la politique : dans la communauté
divisée par la lutte des classes, la politique institue une
part des sans-part. A contrario, Platon, en cherchant à remplacer
l’égalité arithmétique par l’égalité
géométrique, nie la politique : admettre l’intrusion
des sans-part ce serait reconnaître l’égalité
de n’importe qui avec n’importe qui, donc la contingence
de l’ordre social.
La politique ne doit pas être confondue avec la police, qui
est « en son essence, la loi, généralement implicite,
qui définit la part ou l’absence de part des parties
» (p. 52). Au contraire, par la revendication d’égalité
de n’importe qui avec n’importe qui, la politique rompt
cette distribution policière des corps assignés à
leur place et à leur fonction. Là où la police
veille à ce que chacun soit à sa place, la politique
pose la question de la part des sans-part : « une subjectivisation
politique redécoupe le champ de l’expérience
qui donnait à chacun son identité avec sa part »
(p. 65). La politique exclut donc la domination absolue (d’une
classe sur une autre) et « la démocratie est l’institution
de sujets qui ne coïncident pas avec des parties de l’État
ou de la société, des sujets flottants qui dérèglent
toute représentation des places et des parts » (p.
140).
Les « exclus » ne sont-ils pas des « sans-part
» ? Mais parviennent-ils à s’instituer en «
sujets », à apparaître sur une scène commune
et litigieuse, au nom d’un tort qui leur est fait, comme le
démos athénien ?
Dans une démocratie, la réponse serait positive.
Mais nous vivons dans la post-démocratie, la démocratie
d’après le démos, une démocratie consensuelle
qui a liquidé « l’apparence, le mécompte
et le litige du peuple » : plus d’apparence (action
d’apparaître sur une scène commune), puisque
tout se voit dans une société qui se veut transparente
; plus de mécompte (de ceux qui ne comptent pas) puisque
l’on compte en permanence (sondages d’opinion) ; plus
de litige du peuple (litige autour de la part des sans-part), mais
seulement des problèmes que l’on objective, des intérêts
que l’on négocie. L’État consensuel contemporain,
qui accepte d’additionner des individus, des groupes, des
communautés identitaires, dès lors que la somme des
parties correspond à la communauté, ne supporte pas
l’existence d’une partie « surnuméraire
». En effet, en présupposant l’inclusion de toutes
les parties et de leurs problèmes, le consensus, contrairement
à la mésentente, interdit la subjectivisation politique
de la part des sans-part ; il leur interdit de « s’inclure
comme exclus », sur le mode politique du litige. C’est
pourquoi « l’exclusion n’est que l’autre
nom du consensus » (p. 158). Comme d’autres maux (le
racisme, les régressions identitaires, etc.), elle est un
effet du reflux de la politique.
Note de lecture rédigée par Pascal Combemale.
CNDP 2001 - Lycée / La table ronde pédagogique «
L’exclusion existe-t-elle ? »
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