Origine : Les fiches de lecture http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/index.htm
L’AUTEUR
Jean-Pierre LE GOFF, 51 ans, est philosophe de formation et sociologue
au CNAM. Il travaille au sein du laboratoire de sociologie Georges
Friedmann. Il préside également "le club politique
autrement" dont les travaux concernent les conditions d’un
renouveau de la démocratie et de la citoyenneté dans
les sociétés développées.
Avec le service de Formation Professionnelle d’EDF, il réalise
en 1995, une étude visant à développer une
nouvelle approche de la formation du management.
Il écrit en 1996, "les illusions du management".
Auparavant, il avait écrit Le mythe de l’entreprise
qui est publiée une 1ère fois en 1992, puis en 1995,
sous le titre réactualisé "Le mythe de l’entreprise
: critique de l’idéologie managériale".
Son dernier ouvrage est sorti en 1998 "Mai 68 : l’héritage
impossible".
QUESTION POSEE PAR LE TEXTE
Qu’est ce que manager et en corollaire à cette question,
comment enseigner le management ? (et non comment former au management)
POSTULATS
Le management moderniste considère l’activité
de management comme une affaire d’outils et de techniques
manipulés par des spécialistes. Cette orientation
s’explique selon l’auteur par les théories néobehavioristes
qui servent de sous bassement à la théorie managériale.
Celles-ci réduisent l’homme a un ensemble de mécanismes
que l’on peut actionner. Le premier postulat de l’auteur
est d’aller contre cette idée d’ "homme
sans intérieur", "actionnable". La motivation
par exemple n’est pas une donnée que l’on peut
déclencher à loisir, elle met en jeu de multiples
facteurs dont on ne saurait se rendre maître.
Le Management moderniste veut mettre tous les "acteurs"
de l’entreprise sur un pied d’égalité
sur le plan de l’implication et de la responsabilité
individuelle. Prenant en compte la subjectivité individuelle,
il pense pouvoir amener chacun à s’impliquer de la
même manière dans l’organisation niant de fait
la distance existant entre dirigeants et dirigés.
L’auteur se porte contre cette négation des différences
de situation (fonctions…), d’aspirations et de responsabilité.
Des écarts existent, ce que confirment les entretiens réalisés
avec de nombreux managers dont le problème vient précisément
de cet écart entre le haut et le bas qui rend difficile la
mise en place des stratégies décidées par la
direction.
Cette négation des différences conduit à une
dilution de la figure du pouvoir.
Pour l’auteur, la figure du pouvoir est indispensable dans
l’entreprise et on ne peut écarter la part nécessaire
de contrainte dans le travail
HYPOTHÈSES OU IDÉES QUE LE TEXTE S’ATTACHE
A DÉMONTRER
Le Management est un art (1) : il implique une grande habileté
un savoir faire qui ne peut se résumer à l’application
de technique (non aux outils et au formalisme) ; Un manager gagne
sa légitimité sur le terrain, "au feu",
par sa capacité à bien gérer (performance du
résultat, équité vis à vis de ses subordonnés)
les situations auxquelles il est confronté. JPLG s’attachera
à le démontrer en ayant recours à l’analyse
d’entretiens qu’il a réalisés avec des
managers. A partir des qualités que les managers considèrent
comme essentielles (expériences, capacité de décentrement),
il identifie 4 grandes dimensions de l’activité de
management.
De cette étude de l’activité de management,
il déduira les modalités d’un enseignement de
management.
(1) Manière de disposer, combiner habilement
Depuis le début des années 80, le contexte économique
est devenu plus instable ; la concurrence s’est accentuée,
l’avenir est devenu plus incertain. Le management moderniste
a amplifié cette déstabilisation due à l’environnement.
Il établit le changement comme norme et "instaure une
vision chaotique du monde" ; ce changement permanent auquel
on ne peut s’adapter mais qui impose une rupture n’est
pas de nature à rassurer les salariés, qui perdent
leur repères : "le monde devient un vaste chantier en
reconstruction permanente, une course contre la montre".
Le discours qu’il instaure et l’utilisation du langage
(critère de reconnaissance) qu’il impose altèrent
et dénaturent la perception que les individus ont de l’environnement.
Le recours constant à des outils "miracles" ne
fait qu’augmenter le phénomène de diffraction.
Ainsi, le monde devient encore plus incompréhensible, et
les gens ne se comprennent plus.
La négation des écarts entre dirigeants et dirigés
(cf. supra) qu’il opère ne fait que renforcer ce phénomène,
car les messages du management qui ne tiennent pas compte de la
situation, des aspirations des individus ne font plus sens à
leurs yeux. Selon l’auteur, il s’agit aussi d’une
récupération d’aspiration sociales qui ont voulu
voir dans l’entreprise le reflet de la société
celle-ci devenant à ce titre devrait donc être le lieu
de l’exercice d’un pouvoir démocratique. Mais
cette confusion ne vise qu’à endormir les tensions
au sein de l’entreprise. Elle est dangereuse car elle occulte
la nature profonde de l’entreprise qui est de faire du profit.
On pourrait croire que comme ce modèle mène l’entreprise
dans le mur, il s’adaptera et prendra en compte la pluralité
des points de vue… mais rien n’est moins sûr,
car il n’est pas "apprenant" : Il glorifie une performance
sans faille et l’échec n’est vu que comme une
contre-performance dû à une mauvaise application des
paradigmes du modèle. Il n’est donc pas source d’apprentissage
MODE DE DÉMONSTRATION
Volonté de faire table rase de toutes les conceptions modernistes
du management et de tous les mythes qui gravitaient autour de l’entreprise
dans les années 80 et 90 pour partir de la seule chose indubitable
en management : c’est une pratique. Il se réfère
donc aux practiciens pour mettre en lumière le management
d’aujourd’hui et critiquer les dogmes du management
moderniste. Puis il s’appuie sur cette réalité
pour définir l’activité de management et les
attentes que peut avoir un manager vis à vis d’une
formation de management. Il conclut sur les aspects de cette formation
et l’importance à accorder à ce qui ne semble
pas être directement utilisable dans l’activité
quotidienne du manager et qui joue pourtant un rôle considérable
: la culture générale.
RÉSUMÉ
Le management est une notion dont les contours sont difficiles
à cerner et Jean-Pierre Le Goff choisit de s’intéresser
à la partie du management qui concerne "l’encadrement
d’équipes de travail au sein des services, des ateliers
et des bureaux", c’est à dire le management de
la ressource humaine. Une fois cette précision effectuée,
l’auteur nous convie à remettre en cause la conception
dominante de cette activité : celle du management moderniste
qui l’envisage comme une affaire de techniques et d’outils
manipulés par des spécialistes.
Il critique également le parler-creux voire le penser-creux
des ténors de cette discipline qui tendent de fait à
imposer un vocabulaire, une façon de voir le monde qui le
dénaturent et qui empêchent les individus de se comprendre.
Les outils que développe et sacralise le management reposent
sur les théories néobehavioristes américaines
qui réduisent l’être humain à une série
de mécanismes élémentaires. Le comportement
humain est déterminé par un ensemble de paramètres
qu’il est possible de maîtriser. On n’a plus recours
au compromis, à la négociation mais au maniement d’une
technique, parfaite. Ainsi l’erreur devient une erreur technique
(mauvaise prise en compte des paramètres) et perd son rôle
formateur. Cette logique est aussi à l’œuvre,
selon l’auteur, derrière les travaux de Taylor et même
si aujourd’hui le management moderne y adjoint une dose d’éthique,
le changement ne semble pas radical, puisque le management reste
sourd, incapable de penser autrement qu’avec sa propre logique
et ses propres références.
A l’entendre, le management moderniste souhaite "réconcilier
en une vaste synthèse harmonieuse, l’économique,
le social, et le culturel. Il entend faire en sorte que les objectifs
de l’entreprise moderne soient partagés par tous […]
répondre à une demande de participation […]
aux aspirations à l’autonomie et à la responsabilité."
On pourrait à première vue être conquis par
de si louables intentions, mais le management moderniste veut véhiculer
l’image d’une entreprise consensuelle, homogène.
Il nie les écarts résultant des différences
de fonction, d’aspiration, tout le monde doit s’impliquer
et adhérer de la même façon aux objectifs et
valeurs de l’entreprise. La communication surabondante et
totale à tous les niveaux de l’entreprise a cherché
à imposer cette "fusion" des objectifs. Il en appelle
à l’autonomie et à la responsabilité
à tous les niveaux. Ce qui est gênant dans cette conception,
outre le fait que les salariés n’y adhèrent
pas, est cette démission du pouvoir vis à vis de ses
responsabilités : c’est pourtant à lui d’assumer
les conséquences des orientations qu’il détermine.
Les salariés doivent se déterminer vis à vis
des orientations décidées, mais en aucun cas s’engager
et assumer directement les conséquences de telles orientations.
Exiger cette attitude des salariés et du management, c’est
les placer dans une position délicate et dans un grand désarroi
: le management est ainsi censé promouvoir l’autonomie
et la responsabilité auprès des subordonnés,
tout en devant assurer la "convergence des objectifs et des
actions".
Ce sont les notions de pouvoir, d’autorité qui sont
ici en apparence contestées par le management moderniste,
et dont il s’agit d’expliciter le rôle fondamental.
JPLG commence par définir ces deux notions :
Le pouvoir doit être envisagé comme "une instance
décisionnelle qui incarne l’unité d’une
collectivité et qui a la charge du maintien d’un ordre
nécessaire et de la réalisation d’objectifs
communs à cette collectivité. Pour ce faire, il est
doté de ressources, de moyens et dispose d’un système
de sanctions. Les relations sont asymétriques (le pouvoir
met en jeu deux entités qui ne sont pas comparables) de commandement
et d’obéissance qui peuvent s’exercer par la
persuasion ou la force."
L’autorité ne se confond pas avec le pouvoir, puisqu’elle
implique une relation dissymétrique (les deux entités
sont comparables) qui est acceptée d’emblée
comme légitime. Il n’est d’autorité que
reconnue et ses fondements sont divers (tradition, souveraineté
populaire, compétences…).
Par exemple on parlera du pouvoir de l’entreprise sur les
salariés, mais de l’autorité d’un manager.
Si l’on s’intéresse au pouvoir dans l’entreprise,
on s’aperçoit que depuis le XIXème siècle,
différentes idéologies ont tenté "d’étendre
les conquêtes républicaines au sein des rapports économiques".
En fait, l’idéologie socialiste a voulu faire fonctionner
l’entreprise sur le mode républicain (élection
des chefs, appropriation collective des moyens de production…).
Le management moderne a détourné ces aspirations à
l’autonomie et à la responsabilité à
son profit. Il cherche à mobiliser davantage les salariés,
et se décharger d’une partie de ses responsabilités
"sociales" (le salarié est responsable de son employabilité…).
Si l’on veut considérer objectivement la situation,
la question de la nature du pouvoir dans l’entreprise reste
posée. Peut on finalement parler d’une citoyenneté
dans l’entreprise voire d’une entreprise citoyenne comme
un certain nombre de discours l’ont proclamé ces dernières
années ? Pour JPLG il est important d’éviter
toute confusion entre les notions de citoyenneté qui fait
référence à une situation d’égalité
politique de doit que confère le statut de citoyen et la
situation du salarié qui est lié à l’entreprise
par un contrat de fait, il s’agit avant tout de savoir travail
qui inclut la notion de subordination. Certes, cette subordination
est encadrée par la loi, mais elle demeure. Car des règles
(et donc la subordination des individus à ces règles)
sont nécessaires pour assurer la coexistence entre membres
de la collectivité de travail et l’atteinte de l’objectif
économique. En fait, il ne faut pas oublier la spécificité
économique de l’entreprise : "entité produisant
des biens et services destinés à être vendus
sur un marché". Finalement, le pouvoir en entreprise
renvoit à deux domaines : le pouvoir comme instance qui définit
les orientations et effectue des choix et le pouvoir d’encadrement.
Le premier reste essentiellement le domaine des dirigeants. Certes,
les salariés interviennent via les comités d’entreprise
"sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation
du travail, mais ce n’est finalement pas le domaine du management.
Le domaine du management c’est la direction du processus de
production (au sens large), la mise en commun et la coordination
des ressources. Ainsi, il est responsable du respect d’un
certain nombre de règles nécessaires. Mais le management
ne peut être réduit à ce seul encadrement de
la production, car si l’on ne revient pas sur la nécessité
du maintien d’un certain ordre, le contrôle que cherche
à exercer le management va bien au delà des seules
exigences du processus de production, notamment au travers des exigences
d’implication et de motivation que nous avons vu précédemment.
Pour atteindre ce niveau d’implication, le management cherche
à actionner des leviers qui visent à faire tomber
les résistances au changement individuelles (liées
au passé, à la peur du changement), les barrières
psychologiques, occultant de fait des facteurs objectifs de motivation
que sont l’intérêt que l’on porte à
l’activité, la satisfaction que l’on retire (nature
de l’objet produit…). En clair, la "motivation
[…] suppose des conditions, met en jeu de multiples facteurs
dont on ne saurait prétendre se rendre maître".
JPLG démontre son point de vue en s’appuyant sur les
entretiens qu’il a réalisé avec des managers,
redonnant ainsi la parole à la pratique. Ces quelques pages
sont essentielles puisqu’il reprend et "démontre"
les idées qu’il vient d’avancer, tout en annonçant
les développements ultérieurs sur la nature réelle
de l’activité de management.
On ne peut dissoudre la relation hiérarchique, et "si
désormais on ne commande plus les hommes de la même
façon dans le travail, on n’en continue pas moins à
les commander". L’activité de management ne peut
se résumer à la mise en œuvre de techniques,
les managers soulignent l’importance de l’expérience
humaine, de la confrontation à des situations réelles,
tout comme ils mettent en avant cette "part d’inné,
de feeling". Ils valorisent ainsi la personnalité, l’expérience
et l’ouverture d’esprit : "avoir des qualités
dans les contacts humains, cela veut dire être capable d’écouter
[…] pour comprendre et bien comprendre les autres".
Pour conclure, JPLG écrit : "Le management en entreprise
implique un savoir faire, une habileté qui n’est pas
pure application de techniques […] mais suppose une ouverture
d’esprit, une souplesse dans les relations humaines et un
grand sens pratique. L’expérience sur le terrain avec
sa part irréductible d’échec, est incontournable".
Après cette mise au point sur le pouvoir en entreprise et
les techniques de management, JPLG s’attaque à la notion
de métier que le management moderniste tend à nier.
En effet, le management, face aux évolutions des réalités
productives est amené à considérer que la notion
de métier a perdu toute signification, niant à nouveau,
mais d’un point de vue identitaire cette fois-ci, les écarts
existant entre les salariés de l’entreprise. Il organise
de ce fait une déstabilisation des repères de l’identité
individuelle et collective. JPLG prend l’exemple du métier
d’ingénieur dont l’essentiel de l’activité
n’est plus aujourd’hui centré autour de la technique
mais du management. Ainsi, "la figure classique de l’ingénieur
disposant de solides connaissances tend à s’estomper
au profit du manager." Certes l’ingénieur est
amené à exercer bon nombre de responsabilité
qui sortent du cadre stricte de la technique pour gérer des
aspects financiers, organisationnels, relationnels…
En fait il est possible d’identifier 3 grands pôles
de l’activité d’ingénieur que l’on
peut relier aux changements dans le fonctionnement de l’entreprise
:
Pôles de l’activité
Changements organisationnels
Coordination entre différents secteurs organisationnellement
distincts
Décloisonnement et meilleure gestion des interfaces pour
assurer la flexibilité nécessaire au recentrage sur
les exigences du client.
Pilotage de projets ou d’affaires
Mise en place d’équipes et groupes spécifiques
Encadrement d’une ou plusieurs équipes dans ateliers
ou services.
Mise en place de groupes autonomes spécialisés autour
d’un produit
Ces nouvelles activités semblent faire plus appel aux compétences
d’un manager qu’à celles d’un ingénieur…et
pourtant on ne peut faire fi de la notion de "métier"
comme semble le faire le management moderniste : un ingénieur
n’est pas qu’un manager et la technique demeure une
référence centrale. Elle est le fondement de l’autorité
professionnelle et c’est elle qui détermine le biais
par lequel l’ingénieur va aborder ses activités
: ce biais technique est essentiel dans la coordination, la mobilisation,
le chiffrage de projets qui ne peuvent être correctement effectués
que si "l'on connaît le métier" et ses exigences.
Les erreurs du management ne se limitent pas au domaine du pouvoir
dans l’entreprise ou à la notion de métier,
elles concernent également la gestion des évolutions
imposées à l’entreprise par l’environnement
et les orientations qu’il a choisi pour s’y adapter.
Du fait des évolutions de l’environnement (internationalisation
et concurrence plus intense), l’entreprise attend davantage
de ses salariés en termes d’implication, de niveau
de compétences, mais les différents messages qu’elle
fait passer, loin de rassurer les employés, les démotivent,
d’autant qu’ils peuvent se retrouver tiraillés
entre des exigences contradictoires : "On a des consignes en
termes de management. On nous demande d’être plus participatif,
mais de mettre davantage de pression pour tenir les objectifs".
Ce que JPLG reproche aux approches managériales, c’est
de croire qu’on peut gérer mécaniquement ces
transformations (avec des outils) en n’ayant à prendre
en compte que des facteurs d’ordre psychologiques (résistance
au changement) ou structurels (cloisonnements…). Le nouveau
type de management ne cesse d’en appeler à l’autonomie
et à la responsabilité de tous, à la remise
en question d’habitudes voire de rapport au travail (concept
du client roi), à l’évolution des compétences
et à l’implication. Mais, prisonnier de ses conceptions
qui ne reconnaissent par les écarts de situations, de fonctions,
le management échoue à atteindre son but : faire passer
le changement…
Par exemple, le concept du client roi, et donc l’abandon
de la culture de métier au profit de la priorité à
accorder aux exigences du client n’a rien d’évident.
Cela suppose un autre type de relation au métier, l’implication
et la gratification que le salarié peut en retirer ne sont
pas du même ordre. Les pratiques managériales ne prennent
pas en compte ces changements qu’impliquent ces transformations
au niveau du "bas", car le haut ne sait pas se mettre
à la place du bas (il considère par exemple que tout
le monde peut appréhender le changement, alors que certaines
catégories de salariés, oubliées pendant de
nombreuses années n’ont pas les outils, la formation
de base) . Elles ne font que renforcer les inquiétudes. L’utilisation
abusive d’outils (évaluation…) ne fait que brouiller
encore plus les messages et donnent l’impression à
l’encadrement – qui a la charge de les mettre en œuvre
en plus de son travail quotidien - d’être le nez dans
le guidon et de perdre toute capacité à prendre du
recul.
Après avoir douté de tout et fait table rase, JPLG
entame sa refondation du management en s’inspirant de la pratique
des managers qu’il a interviewé.
Il identifie 4 dimensions de l’activité de management.
Une Ethique de situation
"C’est un ensemble de principes que les acteurs se donnent
en dehors de tout cadre prescrit." Ce sont des références
qui orientent , mais elles ne prennent de sens que dans leur application.
Elles ne peuvent être formalisées. Elles visent à
éviter la manipulation. Ce sont :
La cohérence entre les paroles et les actes
Elle fonde la crédibilité. De plus, elle légitime
les exigences : il faut être exemplaire pour pouvoir exiger
des autres.
Le courage de dire les choses
Il ne va pas de soi, si l’on veut protéger sa carrière
; pourtant il faut savoir dire non quand on ne peut faire, tout
comme il faut savoir défendre son équipe (pour la
cohésion). Il faut aussi éviter les malentendus. Cette
franchise doit toutefois être tempérée et diplomate
(sans être manipulateur).
Le respect
Il existe une crainte de nombreux cadres vis à vis des tendances
au rapprochement et à la familiarité prônées
par certains courants du management moderne. Vouvoyer et respecter
les règles élémentaires de la politesse montrent
que l’on reconnaît l’existence de l’autre.
La modestie
Elle est indispensable si l’on veut pouvoir apprendre de
ses erreurs (les reconnaître implique la modestie, et en tirer
les leçons implique d’écouter l’autre).
Il faut que l’autre ose contredire.
Les Qualités de Base
Elles dépendent de la personnalité et de l’éducation,
déterminant une manière d’être globale.
Savoir décider
C’est essentiel. Mais ça ne va pas de soi : décider
implique de choisir entre plusieurs solutions possibles dans une
situation qu’on ne maîtrise pas pleinement (sinon, on
ne décide pas, on entérine) : on prend un risque .
De plus, décider impose de donner des explications pour démontrer
le bien-fondé des orientations que l’on a choisies
notamment à ceux qui sont en désaccord prouvant ainsi
que la décision n’est pas arbitraire. Il faut également
savoir se mettre à la place de ceux qui vont devoir exécuter
l’ordre (pour comprendre leur contrainte).
C’est difficile et l’on peut être tenté
de ne pas décider (ordre flous… responsabilité
collective). Le management participatif a d’ailleurs entraîné
des confusions (faire participer n’enlève en rien la
décision).
Qualité et efficience de la parole
Elle n’est pas qu’un simple vecteur d’information,
elle détermine un rapport humain entre supérieur et
subordonné qui participe à donner du sens à
l’action .
Elle doit donc être claire, pour éviter toute ambiguïté,
mais également nuancée pour ne pas froisser les susceptibilités
Elle ne doit pas non plus nier les écarts entre individus.
Finalement, il faut être compréhensible et compris
(rapport humains), ce qui implique des qualités de décentrement,
d’ouverture que peut éveiller la culture générale
(nuances de la langue française, empathie pour comprendre
l’autre...).
L’écoute
Il s’agit d’être capable de se situer à
l’intérieur de l’univers de l’autre, sans
pour autant prétendre que l’on est dans la même
situation. Pour cela, reconnaître la différence de
l’autre (pas seulement psychologique, mais aussi de situation),
ne pas chercher à le faire venir à nous, mais chercher
à aller vers lui, saisir ses enjeux, ne pas chercher à
imposer les siens, se mettre à sa place sans pour autant
oublier la sienne. Pour cerner ainsi son interlocuteur, c’est
avant tout affaire de d’intuition et d’esprit de synthèse.
Or les contraintes quotidiennes incitent davantage à être
directif que participatif. Il faut se contraindre à écouter,
à être disponible pour susciter la confiance et disposer
du savoir et de l’expérience d’autres acteurs.
Le savoir faire de l’encadrement
Fondé sur l’expérience humaine.
Concilier et négocier
On ne peut manager en jouant uniquement sur les rapports de force
(direct ou indirect : peur du chômage), bien souvent, il s’agit
de discuter en vue de parvenir à un accord. Les négociations
s’effectuent avec des partenaires différents dans des
situations différentes avec des enjeux variés. Il
faut opérer un subtil dosage entre ces tiraillements, arbitrer
au mieux des intérêts de tous, en sachant prendre garde
à la désinformation qui peut s’opérer.
Dans la pratique, identifier les faits incontournables, et arbitrer
en fonction de principes clairs et connus de tous, tout en tenant
compte de la spécificité des situations, pour parvenir
à un accord effectif (organiser suivi d’objectifs).
Connaître les hommes et leurs compétences
Connaître au mieux les potentiels de ceux dont on a la charge
pour accorder aux mieux les compétences et les exigences
de la production. Cette connaissance s’acquiert dans le temps,
par l’observation directe en situation pratique de travail
et les contacts répétés.
Le Tact
Il faut être clair et ferme, mais "tout n’est
pas bon à dire", "choisir le bon moment, trouver
les bons mots". Il ne s’agit pas de "casser",
d’humilier, mais de donner la possibilité de se défendre
et de reconnaître ensemble l’existence de dysfonctionnements
pour progresser. Il faut un état d’esprit constructif.
Humaniser les rapports de travail
Certains comportements quotidiens permettent de favoriser le bons
rapports de travail et de créer un climat de confiance :
politesse élémentaire, parler des faits quotidiens
(préoccupations communes et partage). Il faut savoir prendre
en compte les susceptibilités des individus qui travaillent
ensemble et gérer au quotidien les petits conflits qui peuvent
détériorer l’ambiance de travail. Il faut savoir
se mettre à la place des autres pour juger des problèmes
qu’ils rencontrent à leur niveau.
Les Compétences
Capacités d’analyse et de synthèse pour résoudre
les problèmes pratiques
C’est être capable d’intégrer des logiques
différentes et propres à chaque domaine. Il faut être
"capable de cerner rapidement les déterminants et facettes
du problème posé, envisager plusieurs hypothèses
possibles quant à sa résolution, anticiper les effets
pratiques" Il faut substituer cette démarche analytique
au traditionnel essai, erreur, rectification.
Des Capacités d’expression et d’argumentation
Pour dialoguer, négocier, et mobiliser des compétences
diverses, il faut posséder le vocabulaire technique, être
capable de formuler clairement et synthétiquement ce que
l’on veut. Il faut aussi connaître sa marge de manœuvre
sur le plan légal, organisationnel…
Une fois développé ces caractéristiques du
management, on peut s’interroger sur l’enseignement
de celui-ci.
Quelle formation au management ?
Il s’agit de proposer des formations qui soient autre chose
que des gadgets et de la manipulation et prendre en compte la parole
de ceux qui exercent l’activité de management au plus
près des réalités.
Prendre en compte l’expérience des acteurs
La formation au management ne saurait remplacer l’expérience
humaine, mais la formation garde son utilité ; elle devra
prendre en compte cette dimension et s’effectuer en alternance
pour aider à acquérir les qualités, savoir-faire
et compétences (cf. 4 dim).
Ainsi, pour l’éthique, qui ne peut être disjointe
de la pratique (principes d’ordre personnel et qui ne prennent
sens qu’en situation), elle peut être transmise lors
d’un libre échange en référence à
des situations pratiques. On pense au tutorat. Elle doit demeurer
libre et on ne saurait la formaliser. Il s’agit de l’acquisition
de l’expérience de base qui sert de référence
Pour l’ouverture d’esprit, le décentrement (mise
entre parenthèse du souci de l’efficacité immédiate)
et la capacité à saisir tous les effets de la parole,
ils seront d’autant mieux appréhendés avec une
culture générale plus solide. Celle-ci offre aux étudiants
la confrontation à des logiques qui ne sont pas celles d’efficience
ou d’efficacité dans des domaines nouveaux. Elles ouvrent
l’esprit à ce qui est autre et prépare donc
mieux au décentrement et au recul réflexif par rapport
à l’activité de travail. Ainsi, à côté
de la pratique, un peu de théories est nécessaire.
Concernant le savoir-faire qui implique une souplesse d’esprit,
une habileté, il s’appuie sur les leçons de
la pratique ; il s’agit donc d’être confronté
à des situations réelles, des pratiques puis avoir
la possibilité d’échanger directement pour être
guidé dans l’apprentissage des leçons de cette
expérience.
Enfin, les compétences directement opérationnelles
qui mettent en jeu des démarches intellectuelles et pratique
qui n’ont rien de spontané nécessitent l’apprentissage
spécifique de mécanismes de formalisation, d’ordonnancement,
de procédures d’action lors de stages qui ne devront
pas toutefois trop s’éloigner de la pratique pour éviter
le formalisme.
Ainsi, dans tous les cas de figure, pour bien appréhender
le management il sera nécessaire d’associer théorie
et pratique.
Sur ces bases, JPLG propose 3 modalités pour le dispositif
de formation au management.
Formation en situation de travail sur le modèle de l’apprentissage
A la différence d’un stage, l’individu est directement
confronté à la réalité de tâches
qu’il devra maîtriser. Cette pratique lui donne les
bases pour monter lui-même une démarche de compréhension
du management, qu’il s’agira d’aiguiller via le
tutorat ou le formateur (problème, il est moins pratique).
De plus, la richesse des situations auxquelles il est confronté
ne pourrait être recrée "in vitro" pendant
un stage de formation.
Modalités et conditions
Le cadre doit avoir une expérience solide et être
volontaire. Il ne doit pas chercher à contrôler l’apprenti
mais être en situation d’observateur jouant un rôle
de conseil. Il n’appartient pas forcément à
la hiérarchie directe mais doit pouvoir constituer une référence.
Des réunions regroupant plusieurs tuteurs et plusieurs apprentis
sont souhaitables pour permettre un suivi global et un partage d’expérience.
A chaque fois il faut essayer de rester au plus près des
faits, éviter le formalisme des grilles d’analyses
des procédures pour assurer une transmission authentique
du savoir faire et de l’expérience humaine. Les tuteurs
doivent davantage se référer à une expérience
qu’à un corpus théorique.
L’indispensable formation à la culture générale
Son but est d’appréhender d’autres logiques
que celles répondant à un déterminisme mécaniste
et mettre en lumière l’importance du langage et de
la culture (au sens ethnologique, étude des populations)
dans l’abord des problèmes sociaux et humains dans
l’entreprise.
Un contenu structuré de connaissances
Il ne s’agit pas de bricoler de nouveaux outils mais de transmettre
des connaissances rigoureuses et de favoriser l’échange
argumenté sur des contenus. Il s’agit d’éveiller
à la démarche interprétative des sciences humaines
et à un nouveau type de questionnement, le questionnement
philosophique.
Il s’agit de mieux cerner les différentes logiques
à l’œuvre dans une situation de travail et son
environnement
* "mieux cerner, analyser et comprendre les différents
déterminants des situations de travail (det humains, sociaux,
culturels)
* resituer les mutations du travail et les rapports sociaux dans
un cadre plus large (historique, économique, social)
* sur ces bases, ouvrir un libre questionnement sur les principaux
enjeux de l’entreprise et de son environnement".
Il faudra veiller à replacer les contenus évoqués
dans le cadre de l’activité de travail et de son environnement,
car il s’agit de s’initier à d’autres logiques
et de pouvoir utiliser le travail effectué au quotidien,
la culture ne doit pas être un "vernis" qui servirait
à accentuer les différences entre les cadres et les
autres salariés. On ne cherche pas à communiquer du
capital symbolique mais une réelle ouverture d’esprit.
Comment l’enseigner ?
On procèdera tout d’abord à une interprétation
guidée de textes choisis. Il s’agit moins de recueillir
l’avis des participants que de leur inculquer des structures
d’analyses, une capacité à comprendre le texte
de l’intérieur et donc à favoriser le décentrement.
Puis au cours de l’explicitation des réflexions personnelles
suivant l’analyse, le formateur s’attachera à
forcer chaque participant au maximum de précision, de nuance
dans son élocution. Le langage est un animal rétif
qu’il faut domestiquer.
Enfin un exposé final permettra de resituer et de stabiliser
les leçons à tirer de l’étude d’un
texte : consolider pour avancer.
Des exercices pratiques
Pour trier parmi ce qui existe, il faut faire attention à
ce que la pratique prime le formel.
Par exemple, pour les exercices visant à améliorer
l’expression orale :
* faire prendre conscience de la pluralité des perceptions
en étudiant différents point de vue, puis en opérant
des traductions à destinations de ces points de vue.
* Analyser et dégager les idées forces d’un
texte
* Apprendre la précision du langage
* Apprendre à développer une argumentation.
Dans tous les cas, éviter la fétichisation des outils.
Conclusion :
Le management ne peut se résumer à de la technique,
l’acquisition de compétences dans la maîtrise
d’outils. Il correspond à un art, manière de
disposer, combiner habilement, c’est ce qui semble ressortir
de la pratique des agents. Il est une autorité qui ne s’acquiert
que dans la capacité à affronter des situations inédites
et dans l’équité des décisions.
Pour enseigner le management et faire de bons managers, il faut
apprendre l’écoute, le décentrement et redonner
à l’expérience la place qui lui convient.
ILLUSTRATIONS PERSONNELLES
Comme l’a fait JPLG, nous allons nous intéresser au
management moderne et au danger potentiels qui le guettent en le
rapprochant du totalitarisme.
En quoi le management moderne, son idéologie, son fonctionnement
peuvent ils être comparés à l’idéologie
et au fonctionnement du système totalitaire perçu
au travers du livre de Hannah Arendt : Le Système Totalitaire.
Certes, l’ampleur, la dangerosité, les fondements
sont incommensurables, mais nous avons toutefois pensé qu’un
rapprochement pouvait être éclairant sur certaines
parties de l’esprit et à certaines dérives du
management moderniste.
La première caractéristique du totalitarisme que
Arendt met en avant est que celui-ci s’appuie sur les masses.
Le totalitarisme est né dans une société atomisée
dans laquelle la notion de classe a perdu son sens. Elle écrit
que ce qui caractérise ces masses, "[ce n’est
pas] la brutalité ou le retard mental mais l’isolement
et le manque de rapports sociaux". Ainsi, les mouvements totalitaires
nient l’existence d’autres partis, de mouvements différents
du leur, non parce qu’ils pourraient représenter une
menace mais parce qu’ils n’ont pas lieu d’exister.
Les classes sociales ont éclaté et on est face à
des individus extrême.
Le management moderniste en utilisant la communication de masse,
et en s’adressant directement aux individus nie les "classes",
c’est à dire les syndicats. La négation des
différences qu’évoque JPLG peut être rapprochée
de la négation des classes que fait le totalitarisme.
Quel est l’intérêt pour le management moderniste
? H Arendt écrit, concernant le totalitarisme, que si les
mouvements totalitaires s’appuient sur les masses, c’est
parce qu’on peut exiger d’elles "une loyauté
illimitée, inconditionnelle car ils [les individus] ne tirent
leur sentiment d’utilité que de l’appartenance
au mouvement". Finalement, c’est un peu ce que cherche
le management moderne, obtenir des individus une loyauté
et une dévotion totale, faire en sorte que leur appartence
à l’entreprise soit le fondement de leur identité
: "on est un Bouygues avant d’être M. X".
Dans les start-ups c’est encore plus flagrant. On donne l’impression
d’être à l’écoute des individus,
de faire appel à leur autonomie, mais si on installe des
cuisines dans les locaux des bureaux et des lits, ce n’est
pas par simple charité…
De plus, Arendt évoque un autre avantage de cette fusion
de l’individu dans l’organisation : on peut faire de
ceux-ci de parfaits meurtriers. Pour tuer en entreprise, on licencie,
et si personne ne renvoie de gaieté de cœur, on le fait
pour le bien de l’entreprise…
Le but d’un parti totalitaire n’est pas de prendre
le pouvoir mais de contrôler les individus dans toutes les
sphères de la vie de ceux-ci. Il s’agit par ce contrôle
total de rendre l’univers totalement prédictif en le
façonnant pour le mettre en accord avec les lois historiques
ou naturelles (cf. infra). Pour le management moderniste, l’objectif
affiché est de faire du profit. Pourtant une entreprise managée
de la sorte et qui se respecte ne s’arrêtera certainement
pas là. Elle cherchera à devenir leader sur son marché,
puis sur d’autres segments…on retrouve cette volonté
de domination universelle qui caractérise le totalitarisme.
Mais cette domination totale s’applique aussi aux individus,
comme nous l’avons vu, avec l’aspiration du management
moderne a changé les hommes. C’est pour cela que le
management moderne entend contrôler le savoir faire, mais
aussi le savoir et le savoir-être comme l’explicite
JPLG qui montre ainsi bien cette trangression de la frontière
entre vie privée et vie sociale qu’opèrent certains
outils d’évaluations (on évalue le "courage,
la capacité à communiquer, la loyauté").
Ici comme dans le totalitarisme, on retrouve le fantasme d’un
homme total, optimum dans ses performances. L’échec
est signe de contre-performance, de faiblesse.
Les contraintes qui pèsent sur un système totalitaire
rappellent un peu celles qui pèsent sur l’entreprise.
Selon H A, le système totalitaire (qu’elle qualifie
de "mouvement", avant qu’il prenne le pouvoir…)
est contraint de rester en mouvement, d’évoluer pour
ne pas être, car les masses haïssent le status quo qui
caractérisaient les démocraties. Ainsi, le système
totalitaire s’évertue à les placer face "à
une activité incessante dans le cadre d’une fatalité
écrasante". De plus, étant donné que le
système repose sur une idéologie qui se doit de se
réaliser, pour supporter l’écart qui existe
sur le moment entre ce qui est et ce qui va être, on se doit
de "bouger" pour être en progression vers à
l’idéal.
Or quand il évoque les traits du management moderniste JPLG
souligne l’importance du changement "qui doit devenir
la norme". Ce changement n’est pas juste une adaptation
mais une rupture brutale, cassante, une révolution permanente.
Ainsi, les managers qu’il interroge ont l’impression
de participer à une course contre la montre permanente.
Dans les deux cas, le système en place se doit de buter
sur des obstacles pour garder cette impression de progression. De
plus, il permet de renforcer le sentiment d’utilité
vis à vis du système : on mesure cette utilité
dans le fait de participer à cette révolution permanente
qui est bien visible.
Les outils employés peuvent dans une certaine mesure être
rapprochés.
Les systèmes totalitaires divisent le monde en deux catégories
: les exclus et les inclus (en fait, HA compare la société
totalitaire à un oignon, chaque couche fonctionnement sur
ce système on a donc un enchevêtrement des rapports
d’exclusion/inclusion), renforçant ainsi la cohésion.
De même l’entreprise, est présentée comme
un tout unifié qui se heurte à l’environnement
extérieur où le conflit est roi. C’est encore
plus sensible dans les start-ups.
Ensuite, le rappel insistant de la menace extérieure, qu’elle
soit terroriste ou économique est observable dans les deux
modèles. Pour le système totalitaire, HA écrit
: "On ne voit pas la guerre comme source de valeurs nouvelles
mais comme la plus puissante action de masse qui oblitère
toutes les différences individuelles". Pour l’entreprise,
elle joue un rôle semblable : la mobilisation.
Le dernier outil commun aux deux mondes est plus difficile à
comparer. Dans le système totalitaire il porte le nom de
police. Il s’agit de l’organe exécutif du régime.
Il n’élimine pas des opposants, dont la culpabilité
serait liée à une faute suspectée, mais il
élimine des individus coupables selon "des anticipations
logiques d’évolutions objectives". Finalement,
elle sert à organiser des purges constantes, évitant
la formation d’une classe dirigeante, elle impose une terreur
qui renforce le contrôle des individus, mais surtout elle
permet de mettre la réalité en conformité avec
l’idéologie (elle "efface" ce qui ne cadre
pas avec l’idéologie…pour mettre du sens en lieu
et place de la coïncidence). Dans l’entreprise, il faut
être en conformité avec la loi économique (les
théories managériales qui définissent ce qui
est économiquement faisable ou pas…), et des services
peuvent être déclarés coupables de non productivité
"future", jugée en anticipant des évolutions
objectives (chiffrées…). On pourrait assimiler la police
à l’audit, ou au contrôle de gestion…certains
auteurs en donnent la définition suivante "processus
qui articulent la stratégie et le quotidien"…c’est
un outil au service du pouvoir qui rend cohérent l’organisation
et la loi économique (on suppose que la stratégie
est fondée sur la loi économique).
Le cœur des deux modèles est finalement l’idéologie
:
L’idéologie est le fondement du système totalitaire
car elle explique la volonté de domination, les différents
outils et leur utilisations, et l’attraction qu’exerce
le totalitarisme sur les masses. "Elle sert à mettre
de la cohérence où il n’y a que de la coïncidence".
Pour cela il faut contrôler la réalité. Elle
pose des principes universels, inspirés des lois de la nature
ou de l’histoire et établit un système de cohérence
qui se veut totalement englobant. Elle doit tout expliquer et pose
comme corollaire la transformation de l’homme vers une étape
supérieure de l’évolution.
L’idéologie managériale vise principalement
à donner du sens à ce que vivent les acteurs. Il règne
une impression de confusion "dans un monde qui tourne de plus
en plus vite", la théorie managériale veut donner
du sens à cet environnement. Les lois du marché ont
le statut de lois naturelles, et il s’agit de changer les
hommes pour les transformer en homo oeconomicus rationnels. Quand
il existe des dysfonctionnement, ceux-ci sont analysés rationnellement,
et on cherche à se ramener dans une situation de "concurrence
pure et parfaite". On applique des méthodes, on utilise
des outils qui seraient adaptés à un univers "idéal".
Nous ne prétendons pas pouvoir tirer une conclusion (qui
serait trop hâtive) de cette comparaison, d’autant qu’elle
reposerait sur un implicte dénoncé par JPLG : on ne
peut pas comparer directement la société et l’entreprise,
car cette dernière a une finalité fondamentalement
économique…Cependant, la comparaison reste éclairante
pour comprendre les manifestations de l’idéologie managériale
dans l’entreprise.
Les fiches de lecture
http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/index.htm
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