Origine : http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/legoff.html
L’AUTEUR
Jean-Pierre LE GOFF, 51 ans, est philosophe de formation et sociologue
au CNAM. Il travaille au sein du laboratoire de sociologie Georges
Friedmann. Il préside également "le club politique
autrement" dont les travaux concernent les conditions d’un
renouveau de la démocratie et de la citoyenneté dans
les sociétés développées.
Le mythe de l’entreprise est publiée une 1ère
fois en 1992, puis en 1995, sous le titre réactualisé
"Le mythe de l’entreprise : critique de l’idéologie
managériale". Ses travaux au sein du laboratoire Georges
Friedmann puisent dans 2 disciplines et il ajoute à ce propos
:
"Pour moi, la philosophie ne doit pas rester simplement une
idée académique. Son questionnement et ses enjeux
peuvent concerner les acteurs de terrain. De son côté,
la sociologie est indispensable pour comprendre le réel.
L’optique de ma réflexion est ainsi de permettre aux
gens de terrain de prendre un recul réfléxif et critique".
Avec le service de Formation Professionnelle d’EDF, il réalise
en 1995, une étude visant à développer une
nouvelle approche de la formation du management.
Il écrit en 1996, "les illusions du management"
puis son dernier ouvrage en 1998 "Mai 68 : l’héritage
impossible".
LA OU LES QUESTIONS POSÉES PAR L’AUTEUR
* Quels sont les dangers et les impostures de l’idéologie
managériale et les logiques à l’œuvre derrière
le mythe ?
* En quoi la domination excessive des règles morales dans
l’entreprise donne naissance à un citoyen d’entreprise
privé de ses droits ?
* Le management par les valeurs doit-il changer les hommes en "hommes
nouveaux" ?
LES POSTULATS
A partir de l’analyse du mythe, il a été mis
en évidence les pratiques de manipulation dans l’entreprise
et les "bibles d’entreprise" que constituent les
chartes et les projets
La manipulation où la conformité à la loi
de l’entreprise
A travers la culture d’entreprise, on essaye de développer
le sentiment d’appartenance du salarié. Pour cela,
on met en place une autorité qui se présente comme
une émanation du pouvoir collectif. La recette est simple
: on pique des éléments, des habitudes à la
base, on mélange avec les objectifs de la direction. Et on
ressort le tout sous forme de normes et de lois à obéir.
C’est une forme de manipulation, car vous n’avez plus
qu’à vous identifier à ces normes qui sont incontestable,
puisqu’elles sont censées émaner naturellement
de la base. En fait, le salarié tend à ne plus être
considéré comme un individu autonome et un citoyen
à part entière. Mais avant tout comme un membre de
la communauté entreprise. Exemple : il va être un IBM,
un Bouygues avant d’être lui-même.
Les chartes et les projets d’entreprise où l’implication
totale des salariés
L’entreprise du 3ème type est censé réconcilier
l’homme et la production, oubliant que l’entreprise
permet avant tout de "gagner sa vie", elle veut se faire
passer pour le lieu où l’individu se réalise
pleinement. Pour créer cette illusion, pour impliquer totalement
les salariés dans leur travail, plusieurs slogans sont inventés
:
* La mobilisation totale, selon laquelle le salarié doit
se livrer corps et âme à son entreprise.
* Le sentiment d’appartenance qui conduisent les dirigeants
à rechercher des mythes fondateurs, organiser des rites,
des universités d’entreprise, à fabriquer un
langage d’entreprise.
* Les méthodes religieuses, la crise des idéologies
et de la culture constituent un terrain favorable "au retour
du religieux". Si l’idéologie managériale
est si prompte à récupérer, c’est pour
s’emparer du modèle d’intégration communautaire
qu’elle représente.
* La servitude volontaire en entreprise : les chartes et les projets
induisent une logique d’obéissance, appelant à
l’exemplarité vertueuse. L’éthique prônée
est une éthique sur mesure pour améliorer la productivité
des salariés, mais son ambition semble vouloir déborder
le cadre de la production. Elle demande aux salariés de s’investir
dans leur entreprise comme s’il s’agirait d’un
lieu d’épanouissement individuel et collectif.
LES HYPOTHÈSES
La propension de l’entreprise à exercer de façon
excessive les règles morales ne sont pas nouvelles. L’auteur
en décèle la source dans :
* Les pratiques patronales du 19ème siècle, qui normalisaient
déjà les comportements. Le management moderniste trouve
tout son sens dans la naissance de l’industrie.
* Auparavant, ces pratiques ont été largement influencées
par les théories de Saint-Simon qui affirmait que la société
toute entière doit être organisée en vue de
la production industrielle. Ici, la science devait se confondre
avec la religion.
La moralité de l’entreprise était essentiel
pour Saint-Simon, et il n’était pas le seul à
avoir pensé cela puisque :
* La théologie du travail du père M.D Chenu en est
un exemple. La conception chrétienne du travail doit être
établi comme une pénitence, un châtiment, au
regard de Dieu.
* Dans l’immédiate après guerre, Emmanuel Mounier
et ses disciples ont défendu aussi une conception ambiguë
du travail qui est celle du personnalisme. Le patronat n’ayant
eu aucun mal à récupérer et le débarrasser
de ses accents critiques. Ce rappel des normes ne doit pas masquer
ce qui est nouveau. "d’une part, on exige des acteurs
qu’ils mobilisent leur propre subjectivité et simultanément,
on leur demande d’intégrer une entreprise communautaire,
de partager les mêmes valeurs que tous". Celui qui se
refuserait à entrer dans cette logique contradictoire, peut
alors être classé dans la catégorie du dysfonctionnel.
On mise sur une intériorisation des contraintes et des normes.
Selon Jean-Pierre le Goff "l’entreprise broie les hommes
et se nourrit de leurs blessures".
LES IDÉES CLES
L’idéologie moderniste pour "la démocratie"
Durant les années 80, l’entreprise a été
soudain portée aux nues. Ce changement de cap a permis de
réconcilier "les salariés" avec l’entreprise
où c’est ce que nous avons voulu croire. On est passé
d’une image de lutte des classes à une représentation
angélique et consensuelle. On pensait que l’univers
de l’entreprise allait créer un monde nouveau et générer
en quelque sorte des "hommes parfaits", n’était
pas réaliste.
Au lieu de devenir plus pragmatique, on a donc développé
une nouvelle idéologie.
On a confondu le plan individuel et le plan collectif. Le rêve
de ce monde nouveau de l’entreprise reposait sur l’ambition
de fondre l’économique, le social, la compétitivité
et l’éthique.
L’entreprise homogénéisée
Dans l’entreprise, chacun est censé s’épanouir,
participer, communiquer dans la plus grande transparence avec une
hiérarchie débarrassée de vieux tabous. Ici,
les normes et le objectifs à atteindre, la place et le rôle
assignés à chacun ne sont plus fixés autoritairement
et imposé par la contrainte.
Il en résulte néanmoins une dualité importante
permettant d’appliquer certaines règles, tout dysfonctionnement
doit être réduit, annulé, de sorte qu’il
n’y ait plus de conflits. Tout le monde doit avoir les mêmes
objectifs, les groupes doivent être unis sans tension permanente
pour arriver enfin à une entreprise qui forme un tout homogène.
"le rêve quoi ! !".
Loin de parvenir à l’efficacité dont elle se
réclame, ces discours et pratiques déstabilisent les
collectifs de travail et les individus, entretiennent et renforcent
malgré tout le désarroi ambiant. Mais les échecs
répétés par la pratique peuvent-ils suffire
pour remettre en cause cette idéologie ?
La glorification des concepts d’autonomie et de responsabilité
Le paradoxe est tel que l’on prône l’autonomie
de chaque salarié mais qu’en même temps, on s’attache
et on fait appel à des spécialistes en management,
ressources humaines et formation qui ont des méthodes sophistiqués
d’évaluation et de contrôle.
Car on assiste en fait à un double phénomène,
d’un côté le développement constant de
l’autonomie et de la responsabilité de chacun, de l’autre,
le développement sans précédent d’outils
d’évaluations et de contrôle de la performance
individuelle et collective.
L’autonomie ne se décrète pas. Toute initiative
qui permette la libre expression des salariés est nécessaire.
Il faut que les gens puissent s’exprimer sans être instrumentalisés
ou manipulés mentalement et qui évite toute démagogie.
Loin de parvenir à l’efficacité dont elle se
réclame, cette orientation managériale aboutit en
fait à une déstabilisation individuelle et collective
qui renforce le stress, l’angoisse et le mal être au
travail.
LE RÉSUMÉ
Depuis les années 1980, l’entreprise est au centre
de toutes les préoccupations. Dans tous les pays industrialisés,
la volonté de faire de chaque individu un "militant
de l’entreprise" est à son apogée. Pour
"mobiliser les troupes", se développe un ensemble
de discours managériaux qui mêlent l’économique,
le social et l’éthique et visent à inciter les
salariés à s’investir pour la compétitivité
de leur entreprise, à intérioriser les contraintes.
Jean-Pierre Le Goff veut tenter d’amorcer une critique de
cette idéologie et de ces pratiques managériales :
il cherche tout d’abord à mettre en lumière
le projet caché que véhiculent ces discours, les représentations
qu’ils développent et le dangers qu’ils peuvent
contenir ; prolongeant sa critique par une réflexion historique,
il montre ensuite que ces discours prétendus nouveaux ne
sont que la reprise de thèmes développés à
la naissance du développement industriel.
Les outils du management moderniste
L’objectif des managers modernistes est aujourd’hui
d’accroître la motivation et l’efficacité
du salarié dans l’entreprise. Pour ce faire, un certain
nombre de méthodes simples se présentant sous un label
à la fois scientifique et technique sont proposées
au personnel dans le cadre de stages : analyse transactionnelle,
assertivité, méthode Herman, programmation neuro-linguistique
sont autant de pseudo-clés livrées à l’individu
pour l’aider à gérer son "énergie
psychique" et à communiquer plus efficacement grâce
à une meilleure connaissance de lui-même et des autres.
Ceci prétend pouvoir disposer d’un accès aux
processus internes de représentation de l’interlocuteur.
Voyons d’un peu plus près ces différents outils
:
Le 1er outil est l’analyse transactionnelle
Il concerne les états du moi enfant, parent et adulte. L’état
enfant désigne les comportements d’un individu se trouvant
dans un état de sensibilité en vrac, pulsions, émotions,
sentiments, sensations, ressentiments.
L’état parent désigne des comportements induits
par l’expérience et ce que l’on a appris.
L’état adulte désigne les comportements d’une
personne qui informe et s’informe, traite et analyse.
Le but étant de développer son énergie positive
et à transformer le négatif en positif.
Le 2ème outil est la méthode Coué : l’assertivité
L’assertivité étant tout simplement de mettre
l’individu en mesure d’exprimer sa personnalité,
tout en continuant d’être accepté socialement
sans crainte de susciter l’hostilité de son environnement.
Le 3ème outil est la méthode Herman : les richesses
insoupçonnées du cerveau
Ici le cerveau est présenté en 4 zones : le cortical
gauche (logique et rationalité), le limbique gauche (contrôle
et organisation), le cortical droit (création et synthèse),
le limbique droit (relationnel et sensitif).
Le but étant l’aptitude à solliciter les 4 zones
de façon équilibrée et maximale.
Le 4ème outil est la programmation neuro-linguistique :
les sens en émoi
Le terme neuro étant nos perceptions sensorielles qui déterminent
notre état intérieur.
Le terme linguistique se réfère à la communication
et plus précisément aux comportements verbal et non
verbal :
V = Visuel, K = Kinesthésique, A = Auditif, O = Sens olfactif.
Une idée maîtresse est à la base de ces stages
: les phénomènes relationnels obéiraient aux
mêmes lois que les sciences exactes et il serait possible
de les contrôler entièrement.
Les émotions, les sentiments, les relations seraient traduit
en équations, schémas et statistiques.
L’homme dans l’entreprise ne serait qu’une machine
animée, son cerveau étant comparable à un logiciel
d’ordinateur : muni du bon code d’interprétation
et des consignes d’utilisation, on pourrait le faire agir
à sa guise.
L’homme : une machine animée
Cette approche s’inspire directement des théories
behavioristes américaines et Pavlovien décrivant le
rapport à soi et aux autres à partir d’un schéma
de base simple stimulus/réponse.
L’étude du comportement animal est appliqué
à l’être humain (ex : le chien de Pavlov).
Ces théories prennent le pas sur la psychanalyse, elles
écartent volontairement de ces stages le traitement de cas
pathologiques qui posent à chaque situation correspondante
un sentiment précis et une réponse adaptée.
Ce sont donc avant tout des outils d’adaptation et de manipulation
qui sont recherchés et non un quelconque mode de compréhension
du psychisme.
Ces pratiques managériales modernes adoptent ainsi une démarche
proche de celle du taylorisme, "consistant à décomposer
l’être humain en mouvements où comportements
élémentaires codifiés que l’on prétend
maîtriser et manipuler en vue d’une utilisation optimale".
Confiance, dialogue et retour aux sources
Le succès de ces stages s’explique plus par l’intérêt
personnel que peuvent y trouver les participants que par leur efficacité
pratique : ces séances permettent de s’échapper
de l’univers clos et routinier de l’entreprise et de
découvrir un certain nombre de choses dans le domaine des
relations humaines. L’individu peut à cette occasion
se permettre de s’intéresser à lui-même
et entendre parler de lui de manière positive.
"Ces discours idyllique sont tenus par des 68 huitards rêveurs,
idéalistes déconnectés des réalités
économiques et sociales".
Renvoyer aux participants une image d’eux flatteuse, celle
de perpétuels gagnants, héros de l’économie
moderne, fait en effet partie du jeu. Le cadre est censé
acquérir la capacité de dominer en toutes circonstances
ses interlocuteurs futurs. Quant à l’efficacité
pratique de ces manifestations, personne n’est capable de
les mesurer. Face aux situations réelles de conflit dans
l’entreprise, ces beaux outils n’apportent pas toute
l’aide prétendue.
En effet, nous allons de plus en plus vers une thérapeutique
globale d’entreprise.
L’entreprise du "troisième type" serait
ainsi devenue un lieu où l’individu peut se réaliser,
où rien n’est laissé au hasard, pas plus la
santé que les éventuelles difficultés familiales.
En effet, il s’agit d’être à l’écoute
des salariés, d’instaurer un climat de confiance, de
prendre soin par des stages divers de leur corps et de leur esprit.
"Le gage d’une bonne santé morale passe par une
bonne santé physique et psychologique."
La culture d’appartenance
Ces innovations managériales visent toutes à développer
le sentiment d’appartenance des salariés à la
firme. Les méthodes utilisées sont variées
: l’institution d’une "culture d’entreprise",
fonds culturel commun auquel les salariés adhérent
car ils retrouvent en lui un certain nombre de valeurs qui leur
sont propres ; le retour fréquent dans les discours des métaphores
militaires ("guerre économique", "mobilisation
générale"), la célébration de rites
(pots de départ, d’anniversaire), l’invention
d’une histoire commune ; enfin le développement de
la formation interne et la création "d’universités
d’entreprises" qui doivent permettre de "transmettre
à l’équipe le code génétique de
l’entreprise, de souder les troupes contre les concurrents".
Le but dans tout çà est de regrouper dans un même
lieu, la formation professionnelle, le management et la culture
d’entreprise, afin que les jeunes embauchés et les
cadres soient façonnés de telles manières que
les individus rentrent dans le même moule.
L’exemple de Bouygues pour le développement de la culture
: "Bouygues affirme que les hommes ont besoin de former une
communauté et les mêmes idéaux en conjuguant
l’économique et le social."
Mais paradoxalement, en cherchant à exercer une emprise
totale sur les salariés, les managers modernistes vont à
l’inverse de leurs prétentions en éliminant
de ce fait tout ce qui contribue à donner figure humaine
à la production à savoir la libre parole ou encore
l’institution d’un lien social autonome, non dicté
par la direction.
"ce management s’applique à quantifier et mesurer
le comportement, les habitudes et la culture des salariés
au sens ethnologique du terme ".
L’éthique : outil de management interne
Une des caractéristiques du management moderniste est l’entrée
en force de l’éthique dans l’entreprise et parfois
même du religieux. Ainsi le prieuré de Ganagobie dans
les Alpes de Haute-Provence accueille t’il des séminaires
d’entreprise et anime t’il ceux portant sur tous "les
sujets touchant à l’éthique".
L’éthique chrétienne tend à ne plus
mettre en jeu les différentes rationalités de l’entreprise.
Elle attend au contraire que les intérêts divergents
et conflictuels cesse afin que les rapports avec les autres soient
remplis de sollicitudes et de compassion. Alors que la logique de
l’entreprise est de toute autre nature. "En ce sens il
est éthique de démystifier l’éthique".
Bon nombre de patrons voient en effet dans la religion un modèle
fascinant d’intégration communautaire. "Au nom
de quoi peut-on prétendre vouloir le bien des hommes en entreprise,
alors que ceux-ci n’en demandent pas tant ?".
Des chartes et projets destinés aux membres de l’entreprise
et à ses clients affichent objectifs et ambitions du groupe
: éthique, valeurs, morale, règles de fonctionnement
et de conduite, tout y est. Ces petits livrets contiennent les préceptes
qui guideront quotidiennement l’individu dans son travail
: l’éthique y apparaît comme un véritable
outil de management. Les chartes publiées par les directions
des groupes donnent la ligne générale ; elles sont
reprises par chaque unité qui s’en inspire. Ce dernier
apparaît surtout comme un instrument de communication interne,
destiné à diffuser les principes moralisants établis
par la charte.
Considérés comme un levier important de la mobilisation
de la ressource humaine, les chartes et projets d’entreprise
tendent de réconcilier l’éthique et l’entreprise.
"le mot charte nous renvoie en effet à l’époque
féodale, au règne des seigneurs et des rois. La charte
était précisément le document par lequel ces
derniers concédaient des franchises et des privilèges
à une partie ou à la totalité de leurs sujets".
Le modèle de l’entreprise moderne "déborde"
du secteur privé : chartes et projets commencent à
apparaître dans les entreprises nationalisées ou rattachées
au service public. Partout, sur des tons divers, l’éthique
et les valeurs sont brandies pour interpeller le salarié
et l’impliquer dans le projet de l’entreprise. Le service
public de santé n’est pas épargné : on
y parle dorénavant de "créneaux", "gisement
de productivité".
Le flou et la confusion dominent toutefois ces textes : si toutes
les entreprises se réfèrent à l’éthique,
elles ne lui donnent pas forcément le même contenu.
Ainsi les groupes américains reproduisent-ils le moralisme
anglo-saxon alors que le respect de la vie privée demeure
une référence pour beaucoup de patrons français.
"Elle se trouve intégrée dans un discours dont
la cohérence n’est pas à chercher dans les vertus
qu’il décline. Il ne suffit pas de montrer l’inconsistance
d’un tel discours au vu de la réflexion éthique,
encore faut-il essayer de cerner la logique qui le sous-tend".
L’entreprise idéale
L’idéal à atteindre est quoi qu’il en
soit celui d’une entreprise vertueuse où le "créatif"
est maître. Mais sous les thèmes de l’éthique
et des valeurs à la française ne se profile-t-il pas
le retour d’un courant patronal ancien ? L’éthique
dont se réclament les patrons chrétiens français
participe d’une logique du mouvement incluant le sacrifice
: il s’agit de "travailler sans compter pour le bien
de tous". Un tel sens du devoir ne peut que légitimer
aux yeux des salariés le volontarisme éthique de ces
patrons et les pratiques qui l’accompagnent. La pluralité,
le conflit pourtant inséparables du concept d’entreprise
sont niés.
"Homme supérieur idéalisé, sans défaut,
doit renvoyer une sorte de héros illimité."
L’objectif non dit mais pourtant réel, est de contourner
les acquis démocratiques obtenus dans le domaine du travail
: cette "éthique commune" permet d’étendre
au delà des barrières protectrices du droit la subordination
du salarié à l’employeur et son implication
dans l’entreprise. Elle se place au dessus de tous les compromis
ou accords établis entre les partenaires sociaux.
L’entreprise est présentée comme un tout unifié
qui se heurte à un environnement extérieur où
le conflit est roi. Le rappel insistant de la menace extérieure
participe à cette volonté de rendre maximale la cohésion
interne. Mais, poussée à son terme, cette logique
n’aboutit qu’à une destruction symbolique de
l’individu. Le "management des ressources humaines"
utilise pleinement ces arguments pour accroître l’esprit
de compétitivité du personnel mais génère
par là même un sentiment de mal être généralisé
: l’échec devient proprement insupportable, peut entraîner
la révolte ou la dépression de celui qui le subit.
Le terme de "stratégies de gestion par le stress"
employé par certains paraît justifié !
Ce type de système est pervers, il tente d’instrumentaliser
le désir des autres, et quand le problème arrive,
l’image idéale de la performance est sérieusement
remise en cause. La défaillance n’a pas de mise dans
ce système et il faut tout de suite l’évacuer
"blessure narcissique" car cela devient inadmissible.
Si les projets et chartes d’entreprises enthousiasment le
personnel des services de relations humaines, de communication,
de formation, séduisent les nouveaux arrivants et les jeunes
diplômés, ils laissent perplexes la masse des salariés
qui se demande où cela doit mener.
Les gens ont plutôt un sentiment que çà ne
change pas grand chose. Sur le plan concret, ils attendent plus
du côté des rémunérations. Car quand
ils veulent remonter une information à la direction générale,
leurs propositions ne sont jamais retenus, AGF en est l’exemple
type.
Les discours sur l’éthique, les valeurs apparaissent
décalés et coupés de ce qui préoccupent
les salariés, en particulier la conservation de leur emploi.
Quand l’entreprise connaît des difficultés, ces
chartes ne dissipent pas les craintes mais accroissent le sentiment
de désarroi.
Les rapports de confiance apparaissent vide de sens face à
la logique implacable de la rentabilité qui démotive
les hommes. Les salariés se sentent floués.
EDF règle les problèmes : "les projets d’entreprise
sont remis en cause, même par le cadres, et le chaos surgit
manifestement, oppositions, conflits de pouvoir et règlements
de compte qui vont à l’encontre des objectifs poursuivis
et qui renvoie à une logique de réalité. Ces
mouvements de balancier finissent par décourager ceux qui
veulent changer les choses".
L’éthique instrument commercial
L’éthique des affaires rend sensible certains cadres
chrétiens qui croient réconcilier les affaires avec
la morale. Elle concerne les affaires financières mais aussi
l’environnement de la société et intègre
le nouveau management des valeurs.
L’éthique, outil de management interne, apparaît
également dans la manière dont les entreprises définissent
leur rapport à la société. Des règles
strictes, une éthique définie, régissent les
relations entretenues par les salariés avec leur environnement
extérieur (comportement politique, diffusion d’information
sur les activités de leur entreprise…).
Mais tout type de transmission d’information, à l’extérieur
comme à l’intérieur d’une société
est soumise à une réglementation stricte.
"Ne discutez jamais avec des personnes non autoritaires d’information
qui n’ont pas déjà été rendues
publiques". C’est le cas d’IBM.
L’éthique est partout, s’enseigne dans les Business
School américaines et dans les écoles françaises
et devient un objet d’investissement : ainsi aux Etats-Unis
les entreprises placent-elles leur argent dans les activités
de santé, le logement social…
Une firme "propre" dans son comportement bénéficiera
de la faveur des clients. Très développé aux
Etats-Unis, ce phénomène n’en est qu’à
ses tous débuts en France.
Les codes déontologiques croissent au sein des entreprises
et redéfinissent les règles erronées.
Certaines valeurs sont exclus : l’alcool, le tabac, les éditions
pornographiques, l’armement, le nucléaire, les industries
polluantes.
D’après les chrétiens de nouveaux produits
moraux peuvent bénéficier d’un créneau
porteur non négligeable "le label éthique"
qui sera peut être la garantie de la qualité.
L’éthique doit contribuer à donner une bonne
image de l’entreprise et de ses produits.
Après avoir envahi la sphère managériale,
l’éthique s’intègre désormais à
la stratégie commerciale des groupes. Les investissements
dans l’écologie, dans la culture, sont autant de "bonnes
actions" qui prennent racine dans cette logique. L’entreprise
veut devenir la "référence d’une nouvelle
morale de la vie".
L’entreprise et l’éducation
L’entreprise se dit prête à assumer ses devoirs
envers la société et entend grâce à un
transfert du pouvoir de l’Etat en direction de l’entreprise,
occuper un rôle totalement nouveau. Ses prétentions
dépassent largement la sphère strictement économique
et le premier domaine dans lequel doivent s’exercer ses nouvelles
responsabilités est celui de l’éducation et
de la formation.
A la faveur des développements technologiques, les compétences
requises par les entreprises modernes se sont modifiées :
d’ordre technique, elles font désormais appel à
la logique, au raisonnement, à l’expression orale…
Mais les salariés ne suivent pas l’évolution
: pénurie de main d’œuvre qualifiée, changement
important des connaissances requises, besoin d’un personnel
plus qualifié et doté d’une capacité
d’adaptation et d’évolution, développement
des nouvelles technologies.
Une nouvelle vision de la formation du personnel, considérée
comme un investissement rentable à terme apparaît.
Mais les stages de formation se caractérisent par l’absence
de démocratie dans le choix des salariés, le contenu…
Ceux que la direction juge inaptes à les suivre risquent
de se retrouver rapidement exclus de la vie de l’entreprise.
"Ces formations demandent souvent de tels efforts d’assimilation
intellectuelle que beaucoup de salariés estiment, à
juste titre qu’on leur demande d’accomplir l’impossible".
L’exclusion de certains suite à un problème
de compétence, ouvriers, femmes, travailleurs immigrés,
âge sont fréquents et les sans grades sont présentés
avec un modèle de valeurs des plus bas. L’entreprise
est un terrain de lutte favoris entre 2 classes bien distinctes
:
* "les hommes nouveaux", les "références"
en quelque sorte, puisqu’ils se comportent d’une manière
rationnelle.
* "Les hommes frustres", qui réagissent de manière
affective et qui doivent être en quelque sorte réhabilités
dans le système.
La culture est difficile à définir dans la société,
la stratégie de culture veut maîtriser et gérer
les différences. La culture vue par le management moderniste
se veut au contraire réductionniste.
"la culture est un état d’esprit transnational"
libre de déstructurer tous les repères. Ici, elle
supprime l’héritage des nations, les traditions, les
civilisations, la culture générale de l’éducation
et surtout l’acquisition d’une autonomie de jugement
contre les milieux et pouvoirs en place afin de lutter contre la
manipulation. Mais au contraire faire en sorte de changer les comportements.
La culture générale se trouve réduite à
déceler les réelles compétences chez autrui
pour l’adapter au social et au professionnel.
Les firmes ont de plus en plus une vision spécifique de
leur collaboration avec l’enseignement professionnel, y voyant
un moyen de former à court terme des élèves
pour des postes bien définis.
De même leur conception en matière d’enseignement
général sont-elles terriblement réductrices
: la culture générale est instrumentalisée,
le français considéré sous l’angle de
la communication, les mathématiques sous celui de leur application
pratique dans le domaine de la production…
Dans ses discours internes et externes, l’entreprise manie
ainsi des notions floues, développe de "grandes théories"
dans la confusion la plus totale, pour arriver à une idée
centrale : l’individu est un être conditionné
et qu’il s’agit de modeler pour faire de lui un gagnant.
Par les stages, séminaires, c’est une façon
d’agir et de penser que l’on tente de lui inculquer.
Et on arrive ainsi à tout codifié, voici quelques
exemples :
1.
"Les stages en comportement" qui sont développés
avec les conseils et organismes de formation.
2.
"La motivation" est aussi un vaste sujet en élaborant
l’histoire de ses théories.
3.
"Les conflits en entreprise", manuel divisé en
16 types différents.
4.
"Les 4R du pouvoir", inventaire de codification philosophique
et métaphysique.
On procède à de vastes typologies et de classement
avec des indicateurs à chaque catégorie.
Codage dans des tableaux synoptiques pour appréhender de
façon globale l’Etre Humain au regard du management.
Ceci définit un modèle de conduite à tenir
dans l’entreprise et dans la société.
Apparaît aujourd’hui un danger, celui de voir la conception
managériale de l’éducation pénétrer
l’ensemble du système éducatif. Or, la spéculation
désintéressée, la recherche sans application
immédiate doivent impérativement garder leur place
dans l’éducation.
Un retour aux sources du paternalisme
Ces théories du management moderniste, ne sont pas radicalement
nouvelles, mais trouvent leurs sources dans les idéologies
qui ont accompagné, au 19ème siècle, le développement
de l’industrie.
Le rapport de soumission instauré entre le patron et l’ouvrier
ne se limitait alors pas au salaire et les règlements intérieurs
régentaient de manière très stricte le comportement
des salariés. Il s’agissait par la contrainte de normaliser
les comportements, de réprimer toutes les manifestations
spontanées de l’individu. On retrouve là, "la
philosophie" des managers modernistes. De même, "la
lutte contre la paresse" et le "retour de la morale"
dans l’usine, prônée en 1870 par F. Le Play (inspecteur
général des mines et sénateur) sont autant
d’idées reprises par nos nouveaux managers.
L’auteur dégage 6 pratiques essentielles qui sont
"le vrai symptôme de la santé matérielle
et morales des ateliers".
La 1ère - la permanence des engagements réciproques
du patron et de l’ouvrier.
La 2ème - l’ouvrier doit se contenter de ce qu’il
gagne.
La 3ème - l’alliance des travaux de l’atelier
et des industries domestiques rurales ou manufactures.
La 4ème - les habitudes d’épargne.
La 5ème - veiller à leur procurer un logement stable.
La 6ème - le respect et protection accordée à
la femme.
On promut des méthodes de direction sur le modèle
féodal, rural et artisanal.
Avec la naissance du syndicalisme, il faut encore davantage encadrer
plus activement les ouvriers. Morale et religion s’intègre
dans le dispositif d’encadrement.
La réconciliation de l’économique, du social
et de la morale date elle du Second Empire : le développement
doit apporter à la fois bien-être économique
et harmonie sociale. "ordre productif, ordre social et ordre
moral ne font qu’un, et la religion est là pour en
garantir la légitimité". "la morale paternaliste
règne en maître".
Discipline et bienveillance s’incarnent dans une même
figure, celle du patron français, industriel philanthrope.
L’autorité patronale au 19ème siècle,
emprunte le modèle à l’armée avec sa
discipline strictement réglementaire et à celui de
la famille avec ses liens affectueux autour de la volonté
du père.
"Le patron français : chef père, sévère
mais juste, voulant le bien de son personnel". Le développement
de la production, l’œuvre sociale et la morale sont étroitement
imbriquée dans la bonne conscience des industriels de l’époque.
Le retour de la morale est présente aujourd’hui sous
les formes de l’éthique. Elle se démarque du
moralisme traditionnel en appelant à l’autonomie et
au libre choix des individus. Mais c’est le retour paternaliste
ancien qui en est la principale source.
3 sources d’inspiration de l’idéologie managériale
L’idéologie Saint-Simonienne
Selon Saint-Simon, le développement de la production était
un facteur d’accroissement du bien-être pour les prolétaires
et pour les plus riches. Toute la société devait être
organisée en fonction de l’activité productive,
pensée comme un vaste corps dont tous les organes concourent
à la production et qui sécrète son propre système
de régulation interne.
Le pacte social Saint-Simonnien fonde une communauté non
pas de citoyen mais de producteurs qui reconnaissent la nécessité
de s’unir pour le développement de la production.
Avec le pacte social, nous avons :
* un nouveau dispositif d’encadrement de la société
: technocratie qui assigne à chacun sa place et sa fonction
utile dans l’organisation sociale.
* l’attention à la classe la plus pauvre, l’amour
du prochain.. Nouvelle morale qui institue que les bons sentiments
sont les seuls capables d’amener la société
vers le bonheur industriel.
* réappropriation du christiannisme en l’intégrant
au système industriel . "Tout doit être fait pour
améliorer le sort des plus pauvres". Pour lui le clergé
a failli a sa mission divine en se mettant du côté
des puissants et des riches. "La doctrine chrétienne
a dévié vers des abstractions théologiques
et mystiques au lieu de perfectionner le principe moral fondamental
par une organisation sociale appropriée".
Les nouveaux pouvoirs du système industriel seront scientifiques
et fonctionnels et ne reposeront pas sur la contrainte. La religion
est très présente dans le système de régulation
de cette société, le christiannisme étant envisagé
comme une "doctrine morale socialement utile supérieure
aux autres" qu’il faut cependant "régénérer",
c’est-à-dire débarrasser de la rupture qu’il
opère entre l’ordre spirituel et l’ordre temporel.
Saint-Simon voit dans le système industriel la marche inéluctable
de la société : l’âge d’or serait
à venir.
La théologie du travail du Père M.D Chenu et le catholicisme
réactualisé
Elle apparaît en France au début des années
cinquante et considérait le développement économique
et technique comme une possibilité nouvelle de promotion
spirituelle de l’humanité. Il s’agissait alors
d’établir le champs de la réflexion théologique
en tenant compte des réalités économiques et
sociales.
L’économie humano-chrétienne du père
M.D Chenu, qui a fait des travaux de recherche en théologie
du travail se veut utopique, irréaliste et fantaisiste. Mais
ne l’est pas pour l’idéologie managériale.
L’institution de prêtres ouvriers était le christianisme
revisitée sous le mode de la classe ouvrière qui entendait
prendre en compte ses problèmes.
La finalité du travail va au delà des nécessités
de la subsistance ; ce dernier est facteur d’humanisation,
il structure à terme l’humanité toute entière
dans un vaste corps qui viserait à la promotion du bien commun.
L’existence d’un prolétariat, le taylorisme,
ne seraient que des étapes à franchir avant que le
travail ne trouve sa pleine consistance humaine. Certaines idées
de la théologie du travail qui apparaissaient à l’époque
révolutionnaires sont aujourd’hui reprises par l’Eglise
et par certains théologiens :
* Teilhard de Chardin pense que l’évolution naturelle
et l’histoire humaine sont pensées dans une même
continuité, elles participent d’un mouvement d’unification
de l’humanité en un vaste corps mystique.
* Jean-Paul II écrit "laborem exercems" en 1981,
un texte particulièrement révélateur de la
conception du travail et de l’église. "par le
travail, l’homme ne transforme pas seulement la nature mais
se transforme lui-même, et devient plus homme". Il lie
en même temps, la famille et la nation et se réfère
au texte de la genèse.
Celui qui travaille n’est pas simplement membre d’une
famille, il est relié à la grande société.
Ici l’homme par son travail imite Dieu, il complète,
développe son œuvre de création. Cette conscience
de cette dimension spirituelle du travail constitue la motivation
la plus profonde. Le christ étant présenté
comme l’homme au travail.
* Avec "centesimus Amus" en 1991, le pape rappelle plus
nettement le rôle positif du conflit. Il souligne notamment
"le droit d’exprimer sa personnalité sur les lieux
de travail, sans être violenté en aucune manière
dans sa conscience ou dans sa dignité". Le pape rajoute
le bon fonctionnement de l’entreprise est le profit et la
prise en compte du facteur humain.
Nous constatons ici que la doctrine de Jean-Paul II mélange
allègrement l’analyse sociologique, l’éthique
et la théologie ; l’église tentant de résoudre
une idéologie de remplacement laissé par la crise
du marxisme et des grands systèmes d’interprétation
du monde.
De nouveau, mais sous des modalités différentes, le
catholicisme peut se révéler une "religion socialement
utile". Les managers modernistes l’ont compris.
Le personnalisme d’Emmanuel Mounier
Les patrons chrétiens et managers modernistes y puisent
une conception de la personne, du travail, de la communauté,
mais se gardent d’évoquer ses critiques virulentes
concernant le moralisme et le paternalisme.
Le travail est vu comme l’un des modes d’engagement
de l’homme dans le monde. Il existerait une nature vertueuse
du travail qui se confond alors avec l’œuvre. On en appelle
à l’avènement d’une "cité
du travail" qui doit s’ordonner entièrement autour
de cette valeur de création personnelle et communautaire.
On retrouve l’éthique… La planification devrait
permettre de maîtriser le développement de l’économie
moderne et de la réconcilier ainsi avec la démocratie.
Des auteurs comme P. Ricoeur ou A. Béguin, ont apporté
ensemble quelques critiques à cette doctrine.
Car l’apologie marque les réalités, "on
ne peut transfigurer le travail en acte purement créateur,
du fait du développement du machinisme, de l’évolution
de la technique, qui n’enlève pas au travailleur sa
pénibilité physique mais au contraire son esprit innovant".
L’évolutionnisme est une idéologie. Béguin
postule, "on ne peut pas prévoir qu’une nouvelle
civilisation est en train de naître de façon naturelle
ou surnaturelle."
Ricoeur voit plutôt l’émergence d’une
nouvelle civilisation qui prend racine après une lente maturation
des forces vives qui se reconstituent dans l’ombre.
Pour, A. Béguin de nouveau, la notion de "civilisation
du travail" et ses prétentions doivent être remises
en cause. En effet, on ne peut selon lui englober l’espèce
humaine dans un seul principe unifiant car il existe une parole
autonome qui témoigne de l’irréductibilité
de l’existence humaine à toute norme. Le danger de
ces théories viendrait du fait qu’elles réduisent
le langage à sa dimension instrumentale sans tenir compte
de ce qui importe le plus : la parole créatrice. Cette critique
pourrait s’adresser dans les mêmes termes aux managers
modernistes qui ont aujourd’hui acquis droit de cité…
L’idéologie managériale : une conséquence
de Mai 68
Ainsi l’idéologie managériale ne serait qu’une
"version abâtardie" de toutes ces doctrines, tentant
de recoller les morceaux d’un imaginaire industriel en perdition
depuis Mai 68. Les soixante-huitards ont dénoncé l’humanisme
modernisateur qui a accompagné le développement industriel
mais qui n’a pas tenu ses promesses et ont exprimé
l’exigence d’une plus forte autonomie individuelle.
Mais son refus du compromis et de la négociation, le mouvement
en est resté à l’utopie. Profitant du vide idéologique
qui a suivi cette période et face aux nouvelles contraintes
économique, est apparu le management moderniste, accompagné
de ses folles prétentions et des ses méthodes de manipulation
dont l’auteur a tenté de souligner ici les dangers.
ILLUSTRATIONS PERSONNELLES
En partant du même principe que Jean-Pierre Le Goff, je pense
qu’il faut rompre avec les folles prétentions du management
moderniste et prendre conscience qu’il n’est pas possible
de "changer les hommes" mais qu’il faut plutôt
reconnaître l’autonomie et le bon sens des salariés,
arrêter de les démotiver en inventant de soi-disant
outils miracles. Développer la culture générale
pour former le capacité de jugement de chacun et particulièrement
des cadres est nécessaire, car ce sont les premiers visés
par les campagnes de mobilisation. D’autre part, il ne faut
pas oublier que c’est la compétence professionnelle
et technique qui donne l’autorité dans le travail.
Quand aux conseillers d’entreprise, qu’ils permettent
d’éviter le conformisme et les nouvelles formes de
manipulation de l’intérieur comme de l’extérieur
(voir sectes dans l’entreprise) seraient une bonne chose.
Ce serait la condition d’un renouveau de la démocratie
en terme de citoyenneté active.
* Dans un premier élan, nous allons nous tourner dans le
passé et voir ce que pensent nos chers penseurs et théoriciens
sur l’autonomie et la loi et d’essayer d’en dégager
un fil conducteur.
* Puis dans un deuxième temps, nous mettrons en parallèle
la religion protestante et le travail.
* Pour finir, nous analyserons ensemble "l’effet secte"
dans les entreprises et par quels moyens elles s’infiltrent.
Entretien réalisé avec M. Bousquet, membre de l’Association
CCMM, (Centre de documentation, d’Education et d’Action
Contre les Manipulations Mentales).
Cette association fait partie du Comité Interministériel
de lutte contre les sectes.
Autonomie et lois vont-ils ensemble ? ?
Les penseurs vont tenter de répondre de façon scientifique
et philosophique à cette problématique.
Ainsi, les théorèmes de la théorie des jeux
et la théorie des "effets pervers" montrent bien
que de la simple interaction d’individus supposés parfaitement
libres et rationnels résultent immédiatement d’un
monde de lois universels et nécessaires constituant un obstacle
radical à tout rêve de transparence absolue.
Kant peut nous servir de guide, c’est lui qui a introduit
en philosophie les termes d’autonomie et d’hétéronomie,
ainsi que l’usage de distinguer 2 définitions de la
liberté :
Une définition négative qui est l’indépendance
et une définition positive qui est l’autonomie.
Car il n’y a pas de liberté sans loi. De plus, il
est clair qu’énoncer une loi quelconque, c’est
toujours énoncer implicitement ce que Kant appelle "un
impératif hypothétique" du type "si tu veux
obtenir tel résultat, alors tu dois nécessairement
te soumettre à telle ou telle condition et ceci quoi qu’il
t’en coûte".
Kant postule pour ainsi dire que la transcendance de l’homme
par rapport à lui-même ou la transcendance de la raison
sur la sensibilité, de la chose en soi sur le phénomène.
Mais ceci est commun à toutes les axiomatiques de la modernité,
comme le suggère un bref examen des théories de Hobbes
et d’Adam Smith.
Dans le système de Hobbes, l’homme est autonome et
la société assure sa régulation, en ce sens
que le politique est indépendant du religieux, mais tous
les hommes sont assujettis à un souverain absolu, c’est-à-dire
au détenteur du pouvoir suprême qui peut décider
du contenu des lois sans être lui-même lié par
elles.
Chez Adam Smith, l’auto-régulation de la société
est semble t’il d’autant plus parfaite qu’en principe
le lieu de la souveraineté est vide puisque aucune main invisible
n’est requise pour assurer l’ordre social.
Newton nous incite à nous pencher sur l’attraction
universelle au pur espace vide des épicuriens (l’ordre
émergerait spontanément du désordre), on parlera
d’auto-organisation de la matière.
Car la possibilité de faire de la physique sans faire de
théologie n’implique évidemment pas que le monde
soit indépendant de Dieu.
Rousseau dit quant à lui, avec son contrat social, qu’il
semble bien réaliser les conditions d’une parfaite
autonomie et d’une authentique auto-régulation de la
société : tous les hommes, sans exception, sont en
effet les auteurs des lois auxquelles ils sont soumis et le gouvernent.
Selon une tradition qui remonte aux Stoïciens, le droit s’enracine
dans un ordre transcendant et éternel dont les Dieux sont
les gardiens plutôt que les auteurs.
Pour nous, un droit est avant tout un pouvoir, pouvoir qui est
conféré et garanti par la puissance publique aux membres
d’une organisation par exemple. Que sont les lois positives
et celles négatives ?
Traditionnellement, c’est la réponse des Stoïciens
et c’est celle de la théologie classique que tels droits
sont déterminés :
* soit par des normes transcendantes découvertes par la
raison : le droit naturel est alors le droit rationnel.
* soit par des lois positives elles aussi, mais établies
par Dieu et connues par la révélation : c’est
le droit divin révélé.
Mais revenons au droit, le droit est un pouvoir et le droit naturel
est le pouvoir d’agir que la nature confère immédiatement
à chaque individu, à savoir l’état de
nature, le droit avec la force ou plus exactement avec la puissance.
"les gros poissons mangent les petits" selon Hobbes et
Spinoza.
Chez Locke et Montesquieu, ils sont proches de la théorie
du droit divin selon laquelle la souveraineté n’appartient
qu’à Dieu et non au chef de l’état qui
est tenu de faire respecter par tous les hommes.
Mais pour Rousseau, Dieu seul a le pouvoir et en est la source
et il est hors d’atteinte. Aucune autorité spirituelle
n’est habilitée à parler en son nom. Il ne peut
y avoir aucune loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple,
pas même le contrat social.
Dans nos sociétés et dans les entreprises, "le
contrat social" est partout, il vise à mettre en place
une procédure de décision qui permette, non pas de
construire la volonté générale à partir
de volontés particulières, mais qui recueille ou non
la force de loi.
"Le contrat social" s’impose aux irréductibles.
Pour Rousseau, il faudrait que la volonté générale
par définition soit conforme au droit.
Celui qui détient le pouvoir sait que son pouvoir est indivisible
et que celui qui est en conflit ne peut rien faire contre le système
idéologique du pouvoir.
Mais celui qui détient le pouvoir s’il le veut doit
s’assurer que les sujets honoreront leurs engagements car
chaque individu peut avoir comme homme, une volonté particulière
contraire ou dissemblable à la volonté générale
qu’il a comme citoyen, son intérêt particulier
peut lui parler tout autrement que l’intérêt
commun. Rousseau fait bien la distinction entre la volonté
générale et la volonté du peuple, car elle
procède ici de volontés particulières.
Dans quelles mesures, un agent donné peut-il influencer
le comportement global ?
Von Foerster répond "plus les éléments
d’un système sont trivialement connectés, moindre
est leur influence sur son comportement global, ils sont aliénés,
l’influence de l’état du système sur l’action
des éléments prend la forme de détermination
rigide et univoque. Il faut que les comportements soient complexes
pour que les agents aient une même chance d’exercer
une influence sur le système".
Quand la loi et la doctrine religieuse deviennent un régime
sectaire totalitaire
La religion est à la secte ce que le costume est au théâtre.
Si pour une majorité de croyants, les voies du seigneur doivent
conduire au ciel, pour les victimes des sectes, les voies que le
gourou ou le groupe dirigeant pratiquent conduisent inévitablement
à votre portefeuille, à votre patrimoine et d’une
façon plus générale à l’argent.
"Pour les cercles de qualité, fortement motivé
tu seras. La méthode, tu respecteras. Le volontariat tu favoriseras.
De leur travail, tu ne te mêleras. Ta confiance absolue, tu
manifesteras. L’avarice tu banniras. La vocation tu susciteras"
.
Cette sorte de bible taylorienne nous montre que l’homme
est un acteur qui n’est pas libre par un manque d’autonomie
car il doit en référer à "Dieu",
à son supérieur. Ici, l’homme doit travailler
et capitaliser davantage pour amasser, produire en conséquence.
Pour être tout à fait complet, il faut souligner qu’accéder
à l’argent, au capital, les masses monétaires
sont considérables et ceci n’est pas le seul objectif
puisqu’on retrouve le pouvoir économique le conditionnement
du comportement.
Max Weber l’illustre bien dans son livre "l’éthique
protestante et l’esprit du capitalisme".
Il montre qu’à partir des convictions religieuses
protestantisme, est né en même temps le capitalisme
sous le signe de la productivité, de la rigueur et de la
raison, et, l’origine d’un comportement ascétique
pour la plupart reconnu des sectes protestantes à travers
le monde (quakers, mormons, église du christ de Paris, etc…).
Ils reposent en effet sur les mêmes dogmes depuis le 17ème
siècle.
"Car lorsque l’ascétisme se trouva transféré
de la cellule des moines dans la vie professionnelle et qu’il
commença à dominer la moralité séculière,
ce fut pour participer à l’édification du cosmos
prodigieux de l’ordre économique moderne. Ordre lié
aux conditions techniques et économiques de la production
mécanique et machiniste qui détermine, avec une force
irrésistible, le style de vie de l’ensemble des individus
nés dans ce mécanisme et pas seulement de ceux que
concerne directement l’acquisition économique".
En somme appartenir à une secte, confirme Max Weber, était
l’équivalent d’un certificat de qualification
éthique ; en particulier cela témoignait de sa moralité
en affaires, à la différence de l’appartenance
à une église. Une secte dit Max Weber constitue en
principe l’association volontaire, exclusive, ce sont ceux
qui sont religieusement et moralement qualifiés pour y adhérer.
Ils peuvent être assurés en retour, de par la constitution
de ses membres, qu’ils pourront avoir toutes les aides nécessaires
pour monter les affaires ou pour accéder au pouvoir.
L’exclusion de la secte pour infraction d’ordre éthique
signifiait perte du crédit en affaires et déclassement
social.
3ème millénaire : quand les sectes s’emparent
des entreprises !!
Actuellement la dérive spirituelle est bien d’actualité,
elle touche de nombreuses personnes, mais aussi de nombreuses sociétés.
Par la récupération d’organisations d’origines
sectaires, l’entreprise est peu à peu imprégnée
par leur totalitarisme, puisqu’elle vise actuellement tous
les champs de la culture, de l’éthique et surtout certains
centres stratégiques : les organismes de formation.
En établissant leurs dogmes, elles visent à adopter
le même principe idéologique : l’homogénéité
des individus et la manipulation mentale y compris celle de la haute
hiérarchie, mais bien sûr avec une dimension beaucoup
plus grave que celle abordée par Jean-Pierre Le Goff, qui
était celle des outils de management.
1) Le choix de la cible = l’entreprise
Les entreprises sont une cible privilégiée des sectes,
c’est un fait indéniable mais également un paradoxe.
En effet n’est-il pas étonnant que ces groupes totalitaires
cherchent une image de marque, un masque d’honorabilité,
aux yeux d’une société qu’ils cherchent
à détruire définitivement ? une des réponses
que nous pourrions apporter à ce phénomène
est celle de la puissance financière et par ce biais de la
prise de pouvoir, les sectes font feu de tout bois et s’intéressent
tout aussi bien aux multinationales qu’aux petites structures.
Quelles sont leurs motivations ?
* tout d’abord l’argent,
* ensuite les cautions d’honorabilité,
* le blanchiment d’argent sale,
* et se rapprocher le plus du pouvoir central.
2) Comment infiltrer l’entreprise ?
* Infiltrer des hommes dans les organisations déjà
reconnues
Certains adeptes travaillent dans diverses sociétés,
diverses administrations ou exercent de façon libérale.
Ils convainquent leurs collègues de travail, leurs clients
ou leurs patients d’adhérer au bien fondé de
l’enseignement qu’ils ont reçu dans les sectes.
Ceux qui ont des responsabilités importantes et qui ont
un pouvoir de décision dans l’entreprise, imposent
à leurs salariés de suivre tel ou tel stage, de se
rendre à telle ou telle réunion.
* Visée stratégique du pouvoir concernant les nouvelles
entreprises, "du style start-up"
Puisque leur devise, est de rechercher là où il y
a profit, avec l’éclosion des start-up, c’est
de nouveau un bon moyen pour s’y infiltrer. Tout ce qui est
à la pointe du progrès constitue pour les sectes un
terrain d’investigation intéressant : entreprises tournées
vers les nouvelles technologies, télécoms, internet,
etc…
* S’apparenter à des organismes de formation
Un organisme peut dispenser une formation apparemment performante,
assurée par des personnes compétentes et diplômées,
et donner de premiers résultats encourageants sur un plan
personnel et professionnel. Ce n’est pas la preuve que cet
organisme ne dépend pas d’une secte.
En revanche, il y a quantité d’organismes de formation
professionnelle sans aucune compétence, ni références
qui se sont installés sur ce marché particulièrement
juteux. Certains de ces organismes ne sont que la couverture d’une
secte, tandis que d’autres sont animés par la seule
recherche du profit.
3) Pourquoi les organismes de formation ?
Toute personne physique ou morale peut se faire immatriculer en
qualité de "formateur" et utiliser cette déclaration
pour proposer ses services aux entreprises.
* L’absence de contrôle à l’entrée
du marché de la formation professionnelle
Comme aucun contrôle de la valeur de la formation n’est
assuré, n’importe qui peut proposer n’importe
quoi. 2 stratégies s’affrontent sur l’attitude
à adopter à ce sujet :
La première estime que la formation professionnelle est un
marché concurrentiel et qu’il convient donc d’attendre
qu’il se régule de lui-même. Tout juste évoque
t’on le souhait de procéder à un contrôle
en amont du contenu des stages.
On rétorque que le phénomène sectaire est
en extension comme d’ailleurs le nombre d’organismes
de formation, cela prouve bien que le marché ne se régule
pas du tout.
La seconde stratégie est plutôt partisane d’une
législation plus stricte, voire d’une obligation d’agrément
pour les organismes de formation.
On peut dire ici, que le contrôle sur pièces des programmes
est quasiment nul, puisque les sectes s’adaptent malgré
tout au marché. Elles proposent parfois des stages classiques
bien loin d’étranges intitulés, et qu’en
conséquence ces stages seraient vraisemblablement autorisés
par l’état.
* Que proposent les organismes de formation et comment établissent-ils
les contacts ?
Ils proposent pour la plupart, des stages de développement
personnel, mais également des stages d’informatique,
de langues ou de même de formation professionnel. Ils procèdent
par mailing et profitent de la demande des salariés eux-mêmes.
Revenons aux stages de développement personnel, que nous
avons vu auparavant avec Jean-Pierre Le Goff. Le développement
personnel, veut dire sous cette appellation "l’ensemble
des processus psychologiques qui entrent en jeu pour permettre de
satisfaire les besoins d’accomplissement de l’être
humain".
L’individu apprend ainsi à gérer son stress,
à mieux communiquer, à s’affirmer, à
développer son potentiel créatif, bref à mieux
se connaître pour mieux agir. Et pour atteindre ces objectifs,
divers outils lui sont proposés comme la PNL, l’analyse
transactionnelle, la sophrologie, le yoga, la bioénergie
et toutes sortes de techniques particulières voire étranges,
bref un marché porteur pour les sectes. Libre à chacun
de suivre ce type de stage. En revanche que penser lorsque c’est
l’entreprise qui décide d’y envoyer ses salariés
?
4) Quelles sont les sectes les plus dangereuses pour les entreprises
?
Nous en repérerons 15 qui sont les influentes sur le marché
de la formation et de l’entreprise :
AVATARS STAR’S EDGE INTERNATIONAL
Fondateur : Harry Palmer
INSTITUT DES SCIENCES HOLISTIQUES DE L’OUEST
Fondateurs : Jean-Pierre et Joëlle Le Gouguec
ANTHROPOS
Fondateur : Bernard Alexandre
LA MAISON DE JEAN
Fondateur : Jean-Claude Genel
CHEVALIER DU LOTUS D’OR
Fondateur : Gilbert Bourdin
LA MEDITATION TRANSCENDANTALE
Fondateur : Mahesh Prasad Warna
EGLISE DE SCIENTOLOGIE
Fondateur : Lafayette Ron Hubbard
LANDMARK EDUCATION INTERNATIONAL
Fondateur : Werner Erhard
ENERGIE ET CREATION
Fondateur : Marie-France
METHODE SILVA DE CONTROLE MENTAL
Fondateur : José Silva
INNERGY
Fondateurs : Roger Hinkins et Russell Bishop
MOUVEMENT RAËLIEN FRANÇAIS
Fondateur : Claude Vorilhon
NOUVELLE ACROPOLE
Fondateur : Jorge Angel Livraga
SYSTEME DU CORPS MIROIR
Fondateur : Martin Brofman
VITAL HARMONY
Fondateur : Claude Bardin
Pour alimenter l’actualité, voici le cas de la société
SOGETRAM où son PDG était un fervent adepte de l’Eglise
de Scientologie.
Cet extrait est tiré du livre de Thomas Lardeur "les
Sectes dans l’Entreprise" Editions d’Organisation
– 1999.
"Tout débute en 1997. L’entreprise, pionnière
et première en France dans sa spécialité, appartient
alors à un groupe Suédois, Comex Stolt Seaway. Celui-ci,
soucieux de recentrer ses activités, décide de se
séparer de sa filiale Sogetram et se met en quête d’un
repreneur. C’est alors que se présente un belge, M.
Gabriel Boudewijn Van Rompay. Cet industriel, qui dirige déjà
les sociétés Hydrex à Dunkerque et à
Anvers (Belgique), a tout pour séduire. Il connaît
bien la profession de scaphandrier pour avoir été
par le passé plongeur. Et son offre est alléchante.
Il promet l’embauche d’une quarantaine de salariés,
et projette même la création d’un centre de formation
dans le département. Son offre est finalement retenue et
il acquiert la Sogetram pour un franc symbolique le 17 janvier 1997.
L’enthousiasme des premières heures ne tarde pas néanmoins
à retomber lorsque les salariés apprennent au cours
d’une réunion que leur nouveau patron est un fervent
scientologue et qu’il compte faire de la Sogetram la première
"entreprise du monde" et "assainir la planète".
"Notre but est d’employer au mieux la technologie de
management de L. Ron Hubbard dans la Sogetram. Nous voulons faire
de la Sogetram une société épanouie et prospère
où tous les employés peuvent en tirer un plus sur
le plan professionnel". Pour parvenir à ses fins, le
nouveau PDG opte pour le recours à des consultants externes,
tous membres notoires de l’Eglise de Scientologie. C’est
ainsi que défilent dans la société Marc de
Turck (IDEAS= son nom apparaît dans la liste des donateurs
de l’Association Internationale de Scientologues), Victor
Tryfos du cabinet Bernard Gestion (cette société,
spécialisée dans le conseil en gestion, possède
le même numéro de téléphone et est domiciliée
à la même adresse que la société Power
Management), Marc Arrighi du même cabinet comme directeur
commercial, Patrick Arrighi du cabinet Multi-formation (Marseille)
à la direction administrative, Lisa de Haasbelcher de CB
Support Services, Laetitia Lignat, Jean-Marc Dambrin de Jean-Marc
Dambrin Conseil (cette société a pour principale activité,
le conseil en entreprise, la gestion, l’organisation et le
management).
L’entreprise devient peu à peu le terrain d’application
des méthodes de management de la scientologie. Les livres
de Ron Hubbard prennent place dans les bureaux, tandis que le vocabulaire
utilisé s’imprègnent des expressions scientologues.
"Ils utilisaient, me précise Patrice Cotty, secrétaire
du Comité d’entreprise, des expressions particulières.
Ainsi, telle personne était "suppressive" ou "il
faut manier les individus, les situations". Après un
entretien téléphonique avec un client, on nous demandait
de le classer sur l’échelle des tons émotionnels,
bref de les auditer".
A l’extérieur de la société, des rumeurs
commencent à circuler sur les liens qu’entretiennent
la Sogetram avec la scientologie.
En interne, la situation n’est guère plus florissante.
Des salariés donnent leur démission en raison de l’ambiance
de plus en plus pesante qui règne au sein de l’entreprise.
C’est dans ce contexte particulier que des cadres se voient
proposer de suivre un séminaire de vente les 20 et 21 février
1998, organisé par Valgo France. Et en guise de préparation,
on leur propose de remplir le test cher aux scientologues. Les salariés
refusent de le suivre, certains par peur de mettre le doigt dans
l’engrenage, d’autres parce qu’ils ne considèrent
pas cela très sérieux. Coïncidence ou non, les
salariés apprennent peu de temps après, dans le cadre
d’une réunion du CE, la mise en place par la direction
d’un plan social, qui prévoit de faire passer 13 salariés
à temps partiel. Le CE s’oppose à cette décision,
prétextant "le coût exorbitant des consultants
externes". C’est alors que Patrice Cotty, responsable
du CE, est convoqué à un entretien préalable
à licenciement pour faute grave. Dans un élan de solidarité
et exacerbé par leur quotidien, les salariés décident
de se mettre en grève le 11 mai 1998 et d’occuper les
locaux. La presse s’en mêle . Après 4 jours de
grève, les salariés de la Sogetram obtiennent gain
de cause. Le tribunal de Commerce prononce la mise en redressement
judiciaire de la Sogetram et nomme un administrateur provisoire.
Cette décision a pour conséquence d’écarter
Von Rompay de la direction de l’entreprise".
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