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Conférence débat sur la métropolisation Jean Pierre Garnier
La Gentrification Yoan Miot
Festival Avatarium St Etienne
Samedi 13 avril 2013


Origine : http://www.avataria.org/avatarium2014/journal-avatarium14.pdf

Comme chaque année, le Festival Avatarium propose de s’interroger sur une thématique.

Cette 14ème édition, s’articulant autour de la question de la Transmission, offre ainsi aux avatarien -ne-s l’occasion d’aborder par le biais d’une conférence un thème en étroite relation : la gentrification, un phénomène mettant justement à mal cette idée de transmission, de transmission d’histoire, de culture et de savoirs dans un quartier.

La gentrification (de gentry, petite noblesse en anglais) est le processus par lequel le profil social et économique d’un quartier se transforme au profit d’une couche sociale supérieure. On l’appelle aussi embourgeoisement. * (wikipedia) La gentrification se met notamment en place lorsque des acteurs politiques (municipaux par exemple) choisissent de mettre en avant un quartier en réhabilitant voire en «déconstruisant» des bâtiments, en aménageant l’espace urbain ou encore en construisant des logements de standing, tout cela ayant pour effet une augmentation des valeurs immobilières de ce quartier.

Des groupes sociaux aisés découvrent ou redécouvrent alors ce quartier qui offre des avantages nouveaux, et décident d’y migrer. Il n’est pas rare que cette installation soit accompagnée d’une pression plus forte des nouveaux habitants sur les pouvoirs publics, afin que ces derniers améliorent leur environnement : moins de bruit, encore plus de protection et d’équipements, etc.

Les anciens habitants, n’étant souvent pas propriétaires de leurs logements, se voient souvent contraints de quitter le quartier par manque de moyens financiers face à la montée du prix des loyers. Ils sont ainsi relégués dans des quartiers moins attractifs, moins chers et qui offrent plus d’inconvénients (bruit, pollution, éloignement géographique, …).

La gentrification implique et développe une mutation des quartiers et donc de la ville dans son ensemble. Quelle place prenons-nous dans ces transformations ? Quelle ville allons-nous transmettre aux générations futures ? Si, depuis quelques décennies, nous pouvions observer ce phénomène de gentrification dans de grandes villes françaises (Lyon, Marseille, Lille) nous pouvons dorénavant l’observer à Saint-Étienne.

Sous couvert de politiques de rénovations urbaines, des quartiers (comme ceux du Crêt de Roch, de Châteaucreux, de Carnot, de la Plaine Achille, de Jacquard) prennent une toute autre couleur urbaine, sociale et culturelle.

Pour aborder cette question de la gentrification stéphanoise, et comprendre comment elle se déploie dans notre ville, nous avons invité Jean-Pierre Garnier et Yoan Miot pour qu’ils nous éclairent sur le sujet, lors de la conférence du samedi 13 avril 2013, à 15H, au Musée de la Mine.

La Gentrification

Jean-Pierre Garnier est chercheur et enseignant en sociologie urbaine.

Il est l’auteur de plusieurs livres sur la politique urbaine dont Des barbares dans la cité, Flammarion 1997 - La Bourse ou la ville, Paris Méditerranée 1998 - Le Nouvel Ordre local, L’Harmattan 2000.

Son dernier livre « Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite-bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires. » a été publié en 2010 chez Agone.

Cet ouvrage est la synthèse de quarante années d’observation des réalités urbaines et d’analyse critique des discours dont elles font l’objet.

Il montre comment la gestion politique des villes nourrit les appétits économiques de la bourgeoisie désormais «mondialisée» et les aspirations culturelles de la petite bourgeoisie intellectuelle.

Jean-Pierre Garnier est membre des comités de rédaction des revues «Espaces et Sociétés» et de «L’homme et la Société». Il tient aussi une chronique nommée «Le capital dans tous ses espaces» dans le journal Article 11.

« La « métropolisation » stade suprême de l’urbanisation capitaliste » par Jean-Pierre Garnier

Pour qui s’interroge sur l’évolution en cours et future des principales villes de France, la réponse tient en un seul mot qui revient de manière rituelle voire obsessionnelle dans les documents d’aménagement et d’urbanisme, les plaquettes publicitaires et/ou les vidéo-clips de propagande émanant des municipalités concernées : «métropole». À lire cette prose euphorisante et ces illustrations chatoyantes, il ne fait pas de doute, en effet, que l’avenir, évidemment radieux, de Lyon, Marseille, Lille, Grenoble, Nantes, Rennes, Montpellier, Strasbourg, Bordeaux ou, bien sûr, Paris, ne peut-être que «métropolitain». Et même celui de villes dont la taille (modeste) et l’importance (réduite) ne laissaient pas soupçonner un tel destin : Dijon, par exemple (communauté d’agglo : 250 000 habitants), baptisée «écométropole» par un élu PS acoquiné avec les Verts, ou encore Brest, promue aussi par une municipalité rose-verte avec le sigle «BMO» : «Brest Métropole Océane» (agglo : 215 000 hab.).

Qu’est-ce à dire ? Et pourquoi le dit-on avec un tel ensemble ? Si l’appellation «métropole» fait florès depuis le début de ce siècle, il n’en avait pas pourtant toujours été ainsi au siècle précédent. Il fut une époque, en effet, où elle était synonyme de gigantisme, de massification, d’entassement, de robotisation, d’anonymat, de «foule solitaire»… Beaucoup de gens avaient encore présentes à l’esprit les images cauchemardesques du film de Fritz Lang, Metropolis, anticipation funèbre de la déshumanisation des villes du capitalisme industriel. Mais, qu’à cela ne tienne : il suffira, comme le veut la novlangue dont Georges Orwell avait exposé la logique, de reprendre le même mot tout en changeant sa signification. Dans les années 60, viendra tout d’abord la vogue des «métropoles d’équilibre» promues par la technocratie gaulliste conseillée par des géographes urbains à peine déstalinisés.

Elles étaient censées atténuer le contraste entre Paris, capitale dynamique mais hypertrophiée, et le «désert français» où les «villes de province», anémiées, ne parvenaient pas à «décoller», faute d’avoir atteint la «taille critique» et un niveau suffisant dans l’«armature urbaine» du pays. Grâce à une politique vigoureuse de «rééquilibrage» sous l’égide d’un «État fort», c’est-à-dire autoritaire, interventionniste et planificateur, l’écart commença à se réduire. Mais survint, dans les années 70, la «crise», c’est-à-dire la restructuration du système productif capitaliste à l’échelle planétaire. La désindustrialisation qui s’ensuivit, couplée avec la montée du mouvement écologique donna un coup d’arrêt à la croissance des grandes agglomérations. La mode sera alors à un « urbanisme à visage humain» et à la priorité à accorder aux «villes moyennes et petites». Pas pour longtemps.

Avec l’arrivée de «la gauche» au pouvoir et son ralliement à une vision de la modernisation de l’économie inspirée par les valeurs du marché, de l’entreprise et du profit, la «révolution urbaine», annoncée par le sociologue Henri Lefebvre une dizaine d’années auparavant, va prendre un tour résolument «technologique». Les «métropoles d’équilibre» vont reprendre leur marche en avant sous le nom de «technopoles » en misant sur la combinaison gagnante : activités de pointe + laboratoires + établissements d’enseignement supérieur. Cependant, pour attirer les «investisseurs» et la «matière grise», il fallait des territoires plus vastes que ceux enserrés dans les limites administratives des villes principales. D’où, aux yeux des édiles, désormais pourvus de responsabilités accrues depuis la décentralisation, la nécessité de voir grand et large.

Vue depuis les hôtels de ville, les agences d’urbanisme ou les cellules de com’ municipales et les chambres de commerce, la «bonne échelle», en matière de «développement urbain» ne pouvait plus être celle de la ville ni même de l’agglomération, où les nouveaux venus attendus se sentiraient un peu trop à l’étroit, mais un espace à dimension régionale — les géographes parleront de «région urbaine», englobant non seulement le «suburbain» (américanisme désignant les banlieues), mais aussi le «périurbain»—, c’est-à-dire les petites villes et les villages avoisinants auxquels s’ajoutaient les nouvelles zones urbanisées qui phagocytaient le pourtour rural. Le tout sera donc englobé sous le nom de «métropole », mais «solidaire» et «durable», sera-t-il précisé, deux qualificatifs obligés empreints de positivité pour bien montrer que ce nom recouvre désormais une réalité urbaine beaucoup plus engageante que celle à laquelle il avait été jadis associé.

Solidarité fictive et durablilité à court terme, est-il besoin de le préciser ? Tout d’abord, le «changement d’échelle» ne met pas fin à la ségrégation socio-spatiale inhérente à l’urbanisation capitaliste. Bien au contraire. L’extension sans fin de l’urbain ne fait que renforcer la séparation socio-spatiale et le séparatisme politico-idéologique qui l’accompagnent entre les «beaux quartiers» ou les «banlieues résidentielles» réservés aux riches, et les zones de relégation où sont parqués les pauvres. Mais surtout, tandis qu’une partie de l’urbain se disperse et se dilue au large des agglomérations, l’autre se concentre et se renforce au coeur de la villecentre pour se brancher sur les réseaux de l’économie globalisée et en capter les flux par des aménagements appropriés. C’est là que se regroupent les fonctions «nobles» dites aussi «directionnelles », avec les services et les équipements afférents, ainsi que les bourgeois et les «bobos» attachés, par obligation professionnelle et/ou par inclination culturelle, à la «centralité urbaine ». Pour leur faire de la place, il faut «étendre le centre», comme le serinent les aménageurs. Aussi, des opérations de «reconquête urbaine» sont-elles menées tambour battant.

Sous forme de «rénovation» ou de «réhabilitation», elles sont supposées «requalifier» certains «quartiers délaissés », revaloriser certains «secteurs dégradés», participer au «renouvellement urbain». En fait, comme chacun le sait tout en faisant mine de l’ignorer, le but de la manoeuvre est toujours le même : renouveler la population, mettre en valeur les espaces «libérés » au profit des spéculateurs et des promoteurs et les réserver à des gens de qualité. Bref, déloger les classes populaires dont la présence en tant qu’habitants (mais non comme travailleurs) dans les parties centrales est jugée inutile voire encombrante.

Aussi sont-elles expédiées dans des périphéries de plus en plus lointaines, au même titre que les installations correspondant aux fonctions secondaires ou subalternes, indispensables elles aussi à l’accumulation du capital, mais ne requérant pas d’être localisées dans des lieux prestigieux qui matérialisent et symbolisent le nec plus ultra de la civilisation urbaine.

Comment, dès lors, concilier ce clivage spatial et social accru qui caractérise l’organisation et le fonctionnement des «aires métropolitaines» avec l’«impératif de solidarité» dont les municipalités ne cessent de rebattre les oreilles de leurs administrés ? Tout simplement par une formule magique, «technologique », cela va de soi : la «mobilité». Dépossédés du droit à la ville, les résidents éjectés au loin de celle-ci auront, en effet, tout de même accès aux aménités urbaines comme consommateurs par le biais d’un réseau de transports collectifs «performant» et de voies routières «à circulation rapide». Ce qui autorise des experts ès urbanisme aux ordres sans qu’il soit même besoin de leur en donner, à faire rimer la liberté de ces citadins de deuxième zone avec la mobilité, c’està- dire l’obligation d’effectuer des pérégrinations sans fin pour passer de temps à autre quelques heures à consommer dans les hauts lieux de l’urbanité d’où ils ont été chassés. Et surtout, pour pouvoir, en tant que travailleurs, continuer à occuper les emplois des services haut de gamme (des sièges sociaux, boutiques de luxe, équipements culturels de prestige, hôtels et restaurants étoilés…) concentrés dans le centre-ville dont ils ont été chassés en tant que résidents.

Ce qui vaut pour la «solidarité» vaut pour la «durabilité ». Bien loin d’enrayer la dévastation écologique, la métropolisation ne fait que l’accentuer : prolifération pavillonnaire, essaimage de grandes surfaces commerciales et de «parcs d’activités», multiplication des parkings, des stations-services, des échangeurs et autres rocades... Le bétonnage des alentours bat son plein, repeint en vert à coups d’«écoquartiers» et de bâtiments «HQE». Si le centre se densifie, la périphérie continue de s’étaler, et cela, pour les raisons indiquées plus haut. On rebaptise «métropolitaine» cette «urbanisation désurbanisée», comme la définissait Henri Lefebvre dans «le Droit à la ville», c’est-à-dire une expansion urbaine qui va de pair avec l’extinction de l’urbanité en tant qu’«art de vivre en ville et de vivre la ville», comme s’il s’agissait là d’un phénomène inédit alors qu’il n’est que le produit, à une échelle plus vaste, d’un triple processus propre à l’urbanisation capitaliste : l’homogénéisation, la fragmentation et la hiérarchisation de l’espace construit.

L’homogénéisation, qui implique à la fois l’unification et l’uniformisation, rend peu à peu les villes interchangeables : à force de retrouver partout, en France et ailleurs, les mêmes centres d’affaires, les mêmes galeries marchandes, les mêmes immeubles «de standing», les mêmes quartiers anciennement populaires «gentrifiés», les mêmes «centres historiques» restaurés, piétonnisés et muséifiés, on finit par se retrouver nulle part. La fragmentation, quant à elle — «seules des miettes d’espace se vendent à des clientèles», observait le sociologue Henri Lefebvre — ne fait que s’accroître, comme on l’a dit, impliquant la division, la spécialisation et l’éclatement de ce qui constituait en d’autres temps un tout diversifié et intégré. Et, enfin, la hiérarchisation des espaces selon le rang et le rôle des gens qui les occupent est plus stricte que jamais, depuis les lieux exclusifs réservés aux nantis, enclaves huppées hyper-protégées où Big Brother veille sur eux, jusqu’aux zones de relégation super- quadrillées où les démunis sont confinés et placés sous le regard de Big Brother qui les surveille avant de les réprimer.

Reste à savoir pourquoi ce «modèle métropolitain» fait l’unanimité parmi les «élites» locales, élues ou non. Tout simplement parce qu’elles doivent faire leur, elles aussi, le principe non écrit mais impératif qui régit désormais l’ensemble de la vie en société : la «concurrence libre et non faussée».

Celle-ci, qui oppose les entreprises, les États et les individus entre eux, met également les villes en rivalité.

Comme ne cessent de le proclamer leurs maires, elles doivent se montrer «compétitives» donc «attractives». Dès lors, les règles du jeu sont claires : ou bien elles se donnent les moyens de grandir et de grossir, réorganisant et élargissant leur territoire pour polariser le maximum de ressources à leur profit ou, plus exactement au profit de ceux qui tirent profit de cette polarisation, et faire ainsi partie du «club très sélectif des métropoles», selon une formulation chère aux «décideurs», ou bien elles seront vouées à la marginalisation et au dépérissement. Tout le reste passe après. À commencer par la «cohésion sociale» et la «préservation de l’environnement» rituellement invoquées dans les discours adressés aux habitants, mais que la métropolisation réduit précisément à néant, converties par les « communicants » en baudruches consensuelles gonflées à l’air du temps.


Une politique publique de gentrification ?

Le cas du renouvellement des quartiers anciens

par Yoan Miot

Yoan Miot est docteur en Aménagement de l’espace et en urbanisme.

Il a réalisé son doctorat sur les processus de décroissance urbaine dans les villes de tradition industrielle de Mulhouse, Roubaix et Saint-Étienne.

Dans ce cadre, il s’est intéressé aux politiques locales de l’habitat, et plus particulièrement aux politiques d’attractivité résidentielle.

Il travaille actuellement comme ingénieur de recherche au laboratoire de sociologie et d’économie de l’Université Lille 1, Sciences et Technologies.

La gentrification est un concept faisant l’objet de nombreux débats scientifiques.

Il prend sa source dans une étude de R. Glass (1964) sur les transformations sociales des quartiers populaires londoniens dans une perspective critique. Il vient de gentry, terme anglais regroupant un groupe intermédiaire mal défini, différent de la noblesse sans être pour autant citadin, prolétaire ou paysan. Il se définit d’abord comme un processus de réappropriation symbolique, sociale et spatiale des quartiers anciens centraux des villes américaines et anglaises par les classes moyennes et plus particulièrement les «nouvelles classes moyennes» travaillant dans le tertiaire supérieur. Il s’est progressivement étendu à d’autres contextes et s’est diversifié (Clerval, 2008). Son explication est sujette à débats, notamment entre la théorie du différentiel de rentabilité foncière (Smith, 1979a ; 1979b) et celle de la demande des «nouvelles classes moyennes» (Ley, 1986).

En effet, dans le cadre de la théorie du différentiel de rentabilité foncière, le processus de gentrification serait d’un côté conduit par des coalitions d’acteurs privés, attirées par la faiblesse du marché immobilier dans certains quartiers urbains et la possibilité d’avoir de très rapides retours sur investissement. La coalition d’acteurs privés intègrerait des promoteurs privés, des investisseurs mais aussi de nouveaux propriétaires occupants.

Elle pousserait, dans ce cadre, les collectivités locales à agir en faveur de ce processus, notamment à travers la mise en oeuvre de politiques urbaines en faveur du renouvellement urbain (Smith, 2003).

La théorie des «nouvelles classes moyennes» insiste plutôt sur la demande (Ley, 1994). Il existerait une demande immobilière exerçée par une classe salariée travaillant dans le tertiaire supérieur en recherche d’un cadre de vie spécifique. Ces «nouvelles classes moyennes» possèdent des désirs en termes de logements différents de la bourgeoisie et des classes moyennes traditionnelles : elles rechercheraient les centres villes pour l’accessibilité, les aménités offertes (offre culturelle, mixité sociale, facilité de réaliser des rencontres). Ces nouveaux habitants appartiendraient à des catégories de population ne disposant pas nécessairement d’un important capital économique mais plutôt d’un important capital culturel et symbolique. Ils se rencontrent principalement dans les professions intellectuelles supérieures (enseignants, artistes, cadres de la fonction publique).

Si les deux explications peuvent s’opposer, dans les deux théories, la gentrification demeure un processus convergent de réappropriation matérielle et symbolique d’espaces populaires par des classes plus aisées (Clark, 2005). Au-delà, les années 1990-2000 témoignent d’un changement qualitatif du processus. Celui-ci apparaît de plus en plus accompagné par les politiques publiques.

De véritables modèles de politiques publiques semblent émerger dans les villes occidentales (Van Criekingen, 2003 ; Rousseau, 2008 ; Clerval et Fleury, 2009). De nombreuses villes aux Etats- Unis, en Europe mais aussi en Amérique latine, s’engagent dans des projets de renouvellement et de régénération des centres (Bidou-Zachariasen, 2003), témoignant du passage de la gentrification comme une anomalie à une stratégie urbaine globalisée.

Dans toutes ces politiques, des éléments apparaissent comme récurrents : le développement de la consommation urbaine, la mise en scène patrimoniale et culturelle de la ville, la production de logements, en neuf ou en réhabilitation, tournée vers les classes sociales supérieures (Smith, 2003).

Cependant, la question d’un modèle français de gentrification peut faire débat. S’il existe, il semble prendre racine dans un corpus d’objectifs et d’outils plutôt anciens devenant progressivement convergents. En effet, les politiques de renouvellement de l’habitat ancien apparaissent comme centrales dans l’explication de la transformation sociale des quartiers anciens. Ce n’est pas un débat récent. Dès leur lancement, ces politiques semblent avoir provoqué une transformation sociale des quartiers anciens centraux. Ces politiques ont favorisé l’entrée des classes moyennes dans les quartiers anciens, ainsi qu’une transformation sociale des quartiers, les faisant passer d’espaces populaires traditionnels (De Certeau, 1994 ; Coing, 1966) à des espaces embourgeoisés (Authier, 1997) marqués des phénomènes de micro-ségrégations. Ces politiques de renouvellement de l’habitat des quartiers anciens ont été mises en oeuvre à travers trois objectifs majeurs et stables dans le temps : le maintien de la population locale, l’attraction d’une nouvelle population, la requalification des logements et l’amélioration de la qualité résidentielle (Aballéa, 1987 ; René-Bazin, 2004). Au-delà des outils propres à l’amélioration de l’habitat comme les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat de renouvellement urbain, les politiques de gentrification semblent prendre appui sur les politiques de mixité sociale. Le mot d’ordre de la mixité sociale légitime le processus en favorisant l’entrée de ménages socialement plus favorisés dans les espaces populaires et précarisés.

Dans ce cadre, selon A. Clerval et A. Fleury (2009), les politiques urbaines de gentrification en France se construisent à l’articulation des politiques de mixité sociale et d’une politique en faveur des quartiers anciens. Dans le domaine de l’habitat, il se produit une transformation de l’offre de logements par l’amélioration du parc ancien et le développement d’une offre de logement social en remplacement de l’offre sociale de fait. Dans le domaine de l’aménagement, un embellissement généralisé de la ville est mis en oeuvre par des actions de piétonnisation, de création d’espaces verts et de mise en valeur du paysage urbain. A ces dimensions urbaines et «habitat » s’ajoute une dimension symbolique constituée, dans le cas parisien, de l’affirmation d’une politique culturelle dont les équipements les plus emblématiques sont construits sur les fronts de la gentrification, puisqu’il s’agit de façonner les «paysages urbains que peuvent «consommer» les classes moyennes et les classes moyennes supérieures» (Smith, 2003, p. 58).

En somme, la question de l’existence d’un modèle de politiques publiques de gentrification semble se poser en France, notamment à travers la mobilisation de la politique de renouvellement de l’habitat des quartiers anciens.

C’est, dans ce cadre, que notre intervention analysera dans quelle mesure on peut parler de politiques publiques de gentrification à Saint-Étienne.

Bibliographie

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AUTHIER, J.Y., 1997, Réhabilitation et embourgeoisement des quartiers anciens centraux. Etude des formes et des processus de micro- ségrégation dans le quartier Saint-Georges à Lyon, PUCA, Paris.

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