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UN NOUVEAU MUR DES LAMENTATIONS
en complément ou en réponse à :
Le Hamas, la démocratie et la lutte nationale palestinienne
En guise de réponse à certaines inquiétudes de Denis Collin
Jean-Pierre Garnier
Le Monde libertaire, 9-15 février 2006

Origine http://monde-libertaire.info

Le concert de jérémiades et les cris de désolation émanant du complexe politico-médiatico-intellectuel hexagonal au lendemain de la victoire électorale du Hamas serait à pleurer, s’il n’était pas, tout compte fait, risible. « L’effrayante victoire du Hamas », titrait l’hebdomadaire Marianne, trois jours après l’annonce des résultats des élections législatives palestiniennes. Un titre qui résumait à lui seul les déplorations affichées, à quelques rares exceptions près, par l’ensemble de la corporation médiatique et, plus largement, par tout ce que la France compte de commentateurs patentés de l’« actualité du Proche-Orient ».

Comme à l’accoutumé, les uns et les autres se faisaient l’écho, quand ils ne les anticipaient pas, des réactions attendues des gouvernements occidentaux qui ne pouvaient manquer de s’indigner, ou feindre de le faire, de l’arrivée au pouvoir d’une « organisation terroriste ». Et par la voie des urnes, de surcroît. Au regard des pratiques présentes ou passées des membres qui le composent, le directoire mondial du capitalisme globalisé, plus connu sous l’appellation de « communauté internationale », n’apparaît pourtant pas des plus qualifiés pour se poser en fer de lance d’une croisade anti-terroriste.

Pas plus que l’Union européenne, l’une des branches continentales de ce directoire, qui, par la bouche unanime de ses ministres des affaires étrangères réunis à Bruxelles, a tenu à signaler, pour justifier le chantage aux subventions qu’elle s’apprêtait à exercer au détriment d’électeurs qui avaient eu le tort de mal voter, que « la violence et la terreur sont incompatibles avec les processus démocratiques ».

Outre qu’elles s’accommodent fort bien du terrorisme d’État pratiqué en interne par certains régimes amis, y compris islamistes parmi les plus intégristes quand cela les arrange, ces entités burlesques ne se soucient guère non plus des centaines de milliers de morts parmi la population civile provoquées par les embargos auxquels elles jugent bon de soumettre de temps à autre les « États voyous. Avec les « guerres humanitaires » menées contre ces mêmes États ou d’autres jugés dangereux pour le « nouvel ordre mondial », ces blocus mortifères constituent les deux mamelles de ce qu’il faut bien nommer un terrorisme d’État agissant à l’échelle planétaire.

À tout cela s’ajoute le scandale, qualifié de « récent » parce qu’on fait mine de le découvrir, des détentions arbitraires, séquestrations, tortures, exécutions extra-judicaires et autres « disparitions », qu’elles soient sous-traitées et délocalisées ou non, d’« ennemis combattants » ou supposés tels, de l’Occident. Les États ayant commis ou couvert ces hauts faits, plus quelques autres qu’il semble inutile de rappeler ici, mériteraient de figurer eux-mêmes en bonne place sur la liste des organisations terroristes qu’ils ont dressée.

Autant dire que le Quartet (États-Unis, Europe, Russie et ONU), qui redonne de la voix depuis quelques jours, pourrait peut-être mettre un bé mol aux injonctions qu’il adresse au Hamas victorieux à « s’engager en faveur de la non-violence ». Ou alors, qu’il intime à l’État hébreu d’en faire de même, en commençant par mettre un terme à cette violence initiale à la fois injuste et injustifiable qu’est la colonisation et l’occupation des territoires situés au-delà de la « ligne verte ». On sait, cependant, ce qu’il en est : qu’ils soient de droite ou de gauche, les gouvernements sionistes n’ont cessé de refuser obstinément les propositions européennes et étasuniennes d’envoi d’une force internationale sur une frontière reconnue par tous sauf par eux-mêmes, considérant comme un chiffon de papier la résolution 242 votée il y a des lustres par l’ONU. Inutile, donc, de leur demander s’il comptent faire cesser l’occupation. Ehoud Olmert, le Premier ministre par intérim, a pris les devants en faisant savoir qu’il ne renoncerait jamais « aux blocs de colonies juives, ni à Jérusalem Est ».

Or, voici le Hamas, qui n’a été impliqué dans aucune opération militaire depuis un an, respectant une trêve qu’Israël a continuellement violé durant la même période, maintenant sommé de déposer les armes sans plus attendre. « Le problème du Hamas n’est pas tant l’idéologie que les armes, et on ne discute pas face à des armes », avait asséné, quelques mois auparavant, l’insubmersible Shimon Pérès, devenu le numéro 2 du gouvernement d’Ariel Sharon. Le problème des sionistes est de ne pas avoir encore compris qu’en ce qui les concerne, seules les armes peuvent les amener à discuter. Ainsi voudraient-ils, relayés par leurs réseaux d’influence à l’étranger, qu’Israël puisse continuer à utiliser ses tanks, ses missiles et toute l’artillerie lourde pour maintenir par la force son occupation, mais que cesse la résistance armée à l’occupant sous prétexte qu’elle seule, selon ce dernier, relèverait du terrorisme. Ce qui, s’agissant de l’État hébreu, s’appelle avoir la mémoire courte

Pour ce qui est d’Israël, en effet, nul n’ignore que son droit à l’existence, menacé aujourd’hui, dit-on, par l’installation éventuelle du Hamas au leviers de commandes d’une soi-disant Autorité placée sous tutelle, a tout de même été conquis au prix de sanglantes actions contre le mandataire britannique, d’abord, puis d’exactions, plus sanglantes encore, contre les habitants de Palestine, commises par des organisations telles l’Irgoun, la Haganah ou le groupe Stern qui n’avaient rien de caritatives. La plupart des premiers dirigeants du nouvel l’État en étaient issus sans que cela ne conduise les gouvernements occidentaux, leurs idéologues et leurs plumitifs à contester son caractère démocratique. Pas plus d’ailleurs que les méthodes mises en œuvre ensuite par ces dirigeants ou leurs successeurs pour préserver puis agrandir l’espace vital du peuple juif : massacres de villageois, bombardements de représailles, assassinats plus ou moins bien « ciblés », « mauvais traitements » des résistants ou des suspects, destructions de maisons, assèchement de points d’eau, arrachages d’oliviers... Et pour couronner le tout, l’édification d’un nouveau mur de la honte jugé illégal par la Cour internationale de Justice. Dans la série « La mémoire courte », tous ceux qui, parmi nos éditorialistes, nos spécialistes et autres voix autorisées à dire n’importe quoi sur le Moyen Orient, gémissent à l’idée que « l’ennemi juré d’Israël » ait pu l’emporter sur le Fatah, feraient bien de se souvenir aussi des faveurs dont le premier avait jadis bénéficié de la part de l’État sioniste pour mettre des bâtons dans les roues du second. Aux yeux des stratèges israéliens, en effet, l’essor d’une mouvance islamiste au sein du mouvement de libération palestinien devait permettre de contrer l’influence de l’organisation d’Arafat, mais aussi celle du Front Populaire de Libération de la Palestine et du Front démocratique et populaire de la Libération de la Palestine, tous deux fortement influencés par les idéaux progressistes et anti-impérialistes. C’est pourquoi les dirigeants sionistes avaient considéré d’un œil pour le moins bienveillant la fondation, dans les années 70, du Moujama al-Islami par le cheik Ahmed Yassine, chef de ce qui devait devenir par la suite le Hamas - et qu’ils feraient assassiner par la suite -, allant jusqu’à aider au financement d’écoles coraniques, d’institutions religieuses à but social et même de la construction de mosquées. Avec trois objectifs : affaiblir de leader de l’OLP en laissant faire un rival potentiel ; ensuite, diviser la résistance palestinienne ; enfin, barrer la route à deux organisations laïques, qui, au grand déplaisir des agents de la CIA œuvrant dans la région et, plus largement, d’une administration étasunienne en pleine croisade contre l’« Empire du Mal », se réclamaient du socialisme voire, dans le cas du FDPLP, du marxisme.

Nul n’ignore, en effet, même s’il est de bon ton de l’oublier, que la régression de la politique au religieux dans le monde musulman a été sciemment encouragée par les États impérialistes, États-Unis en tête. Pendant une trentaine d’années, tout a été mis en œuvre pour étouffer toute forme d’opposition d’inspiration nationaliste ou socialiste à leur domination, que ce soit au Moyen-Orient ou en Afghanistan. Quel que puisse être le jugement que l’on porte sur le panarabisme ou le « socialisme » nassérien ou baasiste des années 60, et sur les régimes autoritaires pour ne pas dire dictatoriaux qui les avaient pris pour drapeau, ces idéologies exprimaient tout de même l’aspiration des peuples concernés à sortir de la situation d’oppression et d’humiliation où l’Occident capitaliste les avaient maintenus par le truchement de régimes encore plus oppressifs et plus corrompus. En empêchant l’expression politique de cette volonté - que cela plaise ou non, le nationalisme ou le socialisme, participent de la politique -, il est logique qu’elle emprunte d’autres voies, au risque de se dévoyer : racisme xénophobe, fanatisme mystique, communautarisme identitaire...

À cet égard, le retour du fondamentalisme et de l’intégrisme n’est qu’un retour du refoulé facilité par ceux-là mêmes qui en font maintenant les frais. Autrement dit, les terroristes islamistes ne tombent pas du ciel, si j’ose dire, mais sont l’un des produits d’une politique visant à verrouiller toute issue politique à l’aspiration des peuples des pays musulmans à vivre dans un monde moins injuste ici-bas. Que dire alors du Hamas, sinon que cette organisation « extrémiste » s’assagira comme bien d’autres au fur et à mesure que ses leaders et ses cadres seront confrontés aux responsabilités gouvernementales, aussi restreinte soient elles. Sans aller jusqu’à augurer, comme le fait David Frum, le très réactionnaire co-auteur du discours de Bush sur l’« Axe du Mal », que « le Hamas va devenir aussi corrompu que la Fatah », on peut prévoir que le « principe de réalité » auquel il devra se soumettre s’il veut faire la preuve de ses capacités gestionnaires aura tôt ou tard raison de sa radicalité. Certes, dans son article 11, la Charte du mouvement de la résistance islamique, adoptée en 1988, « considère que la terre de la Palestine est une terre islamique confiée aux générations musulmanes jusqu’au jour du Jugement dernier », précisant que « personne n’a le droit d’y renoncer, ce serait-ce qu’à une partie ». Ce qui revient à priver Israël de toute légitimité. Mais, que ceux qui se lamentent devant pareille intransigeance se rassurent. S’ils avaient pris la peine de lire le programme électoral du Hamas, ils auraient pu noter qu’il ne fait aucune mention de cette Charte. Et s’ils avaient prêté attention aux déclarations publiques de certains leaders du Hamas, ils auraient relevé que le « péril vert » dont cette organisation est supposée être l’une des incarnations est peut-être moins redoutable qu’ils l’imaginent. Dans un entretien accordé à l’agence Reuters en septembre 2005, par exemple, Mohammed Ghazal, responsable du Hamas à Naplouse, avait indiqué qu’il était « prématuré de parler de la reconnaissance d’Israël tant qu’Israël ne reconnaît pas les Palestiniens comme victimes ». « Mais notre Charte n’est pas le Coran, ajoutait-il, et nous pourrions négocier avec Israël, à partir du moment où Israël se retire des territoires conquis en 1967, c’est-à-dire Jérusalem-Est et la Cisjordanie. Cela permettrait la création d’un Etat palestinien et le droit au retour des Palestiniens réfugiés de 1948, ainsi que de leurs descendants. » Un langage qui, aux yeux des Islamistes, pourrait apparaître quelque peu blasphématoire.

Mais il devrait au moins rassurer les Juifs et les Croisés, comme dirait Ben Laden !

Jean-Pierre Garnier