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Origine http://monde-libertaire.info
Le concert de jérémiades et les cris de désolation
émanant du complexe politico-médiatico-intellectuel
hexagonal au lendemain de la victoire électorale du Hamas
serait à pleurer, s’il n’était pas, tout
compte fait, risible. « L’effrayante victoire du Hamas
», titrait l’hebdomadaire Marianne, trois jours après
l’annonce des résultats des élections législatives
palestiniennes. Un titre qui résumait à lui seul les
déplorations affichées, à quelques rares exceptions
près, par l’ensemble de la corporation médiatique
et, plus largement, par tout ce que la France compte de commentateurs
patentés de l’« actualité du Proche-Orient
».
Comme à l’accoutumé, les uns et les autres
se faisaient l’écho, quand ils ne les anticipaient
pas, des réactions attendues des gouvernements occidentaux
qui ne pouvaient manquer de s’indigner, ou feindre de le faire,
de l’arrivée au pouvoir d’une « organisation
terroriste ». Et par la voie des urnes, de surcroît.
Au regard des pratiques présentes ou passées des membres
qui le composent, le directoire mondial du capitalisme globalisé,
plus connu sous l’appellation de « communauté
internationale », n’apparaît pourtant pas des
plus qualifiés pour se poser en fer de lance d’une
croisade anti-terroriste.
Pas plus que l’Union européenne, l’une des branches
continentales de ce directoire, qui, par la bouche unanime de ses
ministres des affaires étrangères réunis à
Bruxelles, a tenu à signaler, pour justifier le chantage
aux subventions qu’elle s’apprêtait à exercer
au détriment d’électeurs qui avaient eu le tort
de mal voter, que « la violence et la terreur sont incompatibles
avec les processus démocratiques ».
Outre qu’elles s’accommodent fort bien du terrorisme
d’État pratiqué en interne par certains régimes
amis, y compris islamistes parmi les plus intégristes quand
cela les arrange, ces entités burlesques ne se soucient guère
non plus des centaines de milliers de morts parmi la population
civile provoquées par les embargos auxquels elles jugent
bon de soumettre de temps à autre les « États
voyous. Avec les « guerres humanitaires » menées
contre ces mêmes États ou d’autres jugés
dangereux pour le « nouvel ordre mondial », ces blocus
mortifères constituent les deux mamelles de ce qu’il
faut bien nommer un terrorisme d’État agissant à
l’échelle planétaire.
À tout cela s’ajoute le scandale, qualifié
de « récent » parce qu’on fait mine de
le découvrir, des détentions arbitraires, séquestrations,
tortures, exécutions extra-judicaires et autres « disparitions
», qu’elles soient sous-traitées et délocalisées
ou non, d’« ennemis combattants » ou supposés
tels, de l’Occident. Les États ayant commis ou couvert
ces hauts faits, plus quelques autres qu’il semble inutile
de rappeler ici, mériteraient de figurer eux-mêmes
en bonne place sur la liste des organisations terroristes qu’ils
ont dressée.
Autant dire que le Quartet (États-Unis, Europe, Russie et
ONU), qui redonne de la voix depuis quelques jours, pourrait peut-être
mettre un bé mol aux injonctions qu’il adresse au Hamas
victorieux à « s’engager en faveur de la non-violence
». Ou alors, qu’il intime à l’État
hébreu d’en faire de même, en commençant
par mettre un terme à cette violence initiale à la
fois injuste et injustifiable qu’est la colonisation et l’occupation
des territoires situés au-delà de la « ligne
verte ». On sait, cependant, ce qu’il en est : qu’ils
soient de droite ou de gauche, les gouvernements sionistes n’ont
cessé de refuser obstinément les propositions européennes
et étasuniennes d’envoi d’une force internationale
sur une frontière reconnue par tous sauf par eux-mêmes,
considérant comme un chiffon de papier la résolution
242 votée il y a des lustres par l’ONU. Inutile, donc,
de leur demander s’il comptent faire cesser l’occupation.
Ehoud Olmert, le Premier ministre par intérim, a pris les
devants en faisant savoir qu’il ne renoncerait jamais «
aux blocs de colonies juives, ni à Jérusalem Est ».
Or, voici le Hamas, qui n’a été impliqué
dans aucune opération militaire depuis un an, respectant
une trêve qu’Israël a continuellement violé
durant la même période, maintenant sommé de
déposer les armes sans plus attendre. « Le problème
du Hamas n’est pas tant l’idéologie que les armes,
et on ne discute pas face à des armes », avait asséné,
quelques mois auparavant, l’insubmersible Shimon Pérès,
devenu le numéro 2 du gouvernement d’Ariel Sharon.
Le problème des sionistes est de ne pas avoir encore compris
qu’en ce qui les concerne, seules les armes peuvent les amener
à discuter. Ainsi voudraient-ils, relayés par leurs
réseaux d’influence à l’étranger,
qu’Israël puisse continuer à utiliser ses tanks,
ses missiles et toute l’artillerie lourde pour maintenir par
la force son occupation, mais que cesse la résistance armée
à l’occupant sous prétexte qu’elle seule,
selon ce dernier, relèverait du terrorisme. Ce qui, s’agissant
de l’État hébreu, s’appelle avoir la mémoire
courte
Pour ce qui est d’Israël, en effet, nul n’ignore
que son droit à l’existence, menacé aujourd’hui,
dit-on, par l’installation éventuelle du Hamas au leviers
de commandes d’une soi-disant Autorité placée
sous tutelle, a tout de même été conquis au
prix de sanglantes actions contre le mandataire britannique, d’abord,
puis d’exactions, plus sanglantes encore, contre les habitants
de Palestine, commises par des organisations telles l’Irgoun,
la Haganah ou le groupe Stern qui n’avaient rien de caritatives.
La plupart des premiers dirigeants du nouvel l’État
en étaient issus sans que cela ne conduise les gouvernements
occidentaux, leurs idéologues et leurs plumitifs à
contester son caractère démocratique. Pas plus d’ailleurs
que les méthodes mises en œuvre ensuite par ces dirigeants
ou leurs successeurs pour préserver puis agrandir l’espace
vital du peuple juif : massacres de villageois, bombardements de
représailles, assassinats plus ou moins bien « ciblés
», « mauvais traitements » des résistants
ou des suspects, destructions de maisons, assèchement de
points d’eau, arrachages d’oliviers... Et pour couronner
le tout, l’édification d’un nouveau mur de la
honte jugé illégal par la Cour internationale de Justice.
Dans la série « La mémoire courte », tous
ceux qui, parmi nos éditorialistes, nos spécialistes
et autres voix autorisées à dire n’importe quoi
sur le Moyen Orient, gémissent à l’idée
que « l’ennemi juré d’Israël »
ait pu l’emporter sur le Fatah, feraient bien de se souvenir
aussi des faveurs dont le premier avait jadis bénéficié
de la part de l’État sioniste pour mettre des bâtons
dans les roues du second. Aux yeux des stratèges israéliens,
en effet, l’essor d’une mouvance islamiste au sein du
mouvement de libération palestinien devait permettre de contrer
l’influence de l’organisation d’Arafat, mais aussi
celle du Front Populaire de Libération de la Palestine et
du Front démocratique et populaire de la Libération
de la Palestine, tous deux fortement influencés par les idéaux
progressistes et anti-impérialistes. C’est pourquoi
les dirigeants sionistes avaient considéré d’un
œil pour le moins bienveillant la fondation, dans les années
70, du Moujama al-Islami par le cheik Ahmed Yassine, chef de ce
qui devait devenir par la suite le Hamas - et qu’ils feraient
assassiner par la suite -, allant jusqu’à aider au
financement d’écoles coraniques, d’institutions
religieuses à but social et même de la construction
de mosquées. Avec trois objectifs : affaiblir de leader de
l’OLP en laissant faire un rival potentiel ; ensuite, diviser
la résistance palestinienne ; enfin, barrer la route à
deux organisations laïques, qui, au grand déplaisir
des agents de la CIA œuvrant dans la région et, plus
largement, d’une administration étasunienne en pleine
croisade contre l’« Empire du Mal », se réclamaient
du socialisme voire, dans le cas du FDPLP, du marxisme.
Nul n’ignore, en effet, même s’il est de bon
ton de l’oublier, que la régression de la politique
au religieux dans le monde musulman a été sciemment
encouragée par les États impérialistes, États-Unis
en tête. Pendant une trentaine d’années, tout
a été mis en œuvre pour étouffer toute
forme d’opposition d’inspiration nationaliste ou socialiste
à leur domination, que ce soit au Moyen-Orient ou en Afghanistan.
Quel que puisse être le jugement que l’on porte sur
le panarabisme ou le « socialisme » nassérien
ou baasiste des années 60, et sur les régimes autoritaires
pour ne pas dire dictatoriaux qui les avaient pris pour drapeau,
ces idéologies exprimaient tout de même l’aspiration
des peuples concernés à sortir de la situation d’oppression
et d’humiliation où l’Occident capitaliste les
avaient maintenus par le truchement de régimes encore plus
oppressifs et plus corrompus. En empêchant l’expression
politique de cette volonté - que cela plaise ou non, le nationalisme
ou le socialisme, participent de la politique -, il est logique
qu’elle emprunte d’autres voies, au risque de se dévoyer
: racisme xénophobe, fanatisme mystique, communautarisme
identitaire...
À cet égard, le retour du fondamentalisme et de l’intégrisme
n’est qu’un retour du refoulé facilité
par ceux-là mêmes qui en font maintenant les frais.
Autrement dit, les terroristes islamistes ne tombent pas du ciel,
si j’ose dire, mais sont l’un des produits d’une
politique visant à verrouiller toute issue politique à
l’aspiration des peuples des pays musulmans à vivre
dans un monde moins injuste ici-bas. Que dire alors du Hamas, sinon
que cette organisation « extrémiste » s’assagira
comme bien d’autres au fur et à mesure que ses leaders
et ses cadres seront confrontés aux responsabilités
gouvernementales, aussi restreinte soient elles. Sans aller jusqu’à
augurer, comme le fait David Frum, le très réactionnaire
co-auteur du discours de Bush sur l’« Axe du Mal »,
que « le Hamas va devenir aussi corrompu que la Fatah »,
on peut prévoir que le « principe de réalité
» auquel il devra se soumettre s’il veut faire la preuve
de ses capacités gestionnaires aura tôt ou tard raison
de sa radicalité. Certes, dans son article 11, la Charte
du mouvement de la résistance islamique, adoptée en
1988, « considère que la terre de la Palestine est
une terre islamique confiée aux générations
musulmanes jusqu’au jour du Jugement dernier », précisant
que « personne n’a le droit d’y renoncer, ce serait-ce
qu’à une partie ». Ce qui revient à priver
Israël de toute légitimité. Mais, que ceux qui
se lamentent devant pareille intransigeance se rassurent. S’ils
avaient pris la peine de lire le programme électoral du Hamas,
ils auraient pu noter qu’il ne fait aucune mention de cette
Charte. Et s’ils avaient prêté attention aux
déclarations publiques de certains leaders du Hamas, ils
auraient relevé que le « péril vert »
dont cette organisation est supposée être l’une
des incarnations est peut-être moins redoutable qu’ils
l’imaginent. Dans un entretien accordé à l’agence
Reuters en septembre 2005, par exemple, Mohammed Ghazal, responsable
du Hamas à Naplouse, avait indiqué qu’il était
« prématuré de parler de la reconnaissance d’Israël
tant qu’Israël ne reconnaît pas les Palestiniens
comme victimes ». « Mais notre Charte n’est pas
le Coran, ajoutait-il, et nous pourrions négocier avec Israël,
à partir du moment où Israël se retire des territoires
conquis en 1967, c’est-à-dire Jérusalem-Est
et la Cisjordanie. Cela permettrait la création d’un
Etat palestinien et le droit au retour des Palestiniens réfugiés
de 1948, ainsi que de leurs descendants. » Un langage qui,
aux yeux des Islamistes, pourrait apparaître quelque peu blasphématoire.
Mais il devrait au moins rassurer les Juifs et les Croisés,
comme dirait Ben Laden !
Jean-Pierre Garnier
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