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Origine http://monde-libertaire.info/article.php3?id_article=2190
Les médias viennent de « découvrir »
le nettoyage ethnique à l’albanaise. Découverte
un peu tardive : celui-ci durait depuis déjà cinq
ans. En réalité, la guerre du Kosovo, officiellement
« terminée » en juin 1999, ne l’était
pas du tout. Car ses objectifs réels n’ont toujours
pas été atteints.
La version officielle concoctée pour « l’opinion
» est connue : les États-Unis - avec l’Europe
- attaquaient la Yougoslavie pour arrêter un « génocide
». Les propagateurs de fausses nouvelles ont, depuis lors,
reconnu eux-mêmes - très discrètement, il est
vrai - qu’il n’y avait pas eu de génocide. Le
fabricant en chef de cet énorme mensonge n’est autre
que Alastair Campbell, le conseiller en « communication »
de Tony Blair. Un récidiviste puisqu’il sera l’inventeur
médiatique des « armes de destruction massive »
irakiennes. Un autre média-mensonge qui, combiné avec
celui des liens supposés - mais avérés faux
- du régime de Saddam Hussein avec al-Qaïda, justifiera
l’invasion et l’occupation de l’Irak par les forces
de la « coalition » impérialiste.
En dépit du matraquage puis du black-out sur l’information
imposés par les puissances occidentales depuis l’installation
au Kosovo de la KFOR, la police onusienne chapeautée par
l’Otan, la situation dans la province serbe « libérée
» commence, au moins pour qui veut réellement s’informer,
à être connue. Malgré la présence de
plus de 20 000 soldats de la « force de paix internationale
», ce territoire est le lieu depuis cinq ans d’un nettoyage
ethnique permanent qui a tué plus de 2 500 habitants serbes,
kidnappé et fait disparaître environ 1 200 autres,
et chassé 230 000 non-Albanais : Serbes, mais aussi Roms,
juifs, Turcs, musulmans, Gorans, etc. Tout cela avec la complicité
tacite des proconsuls, Bernard Kouchner en tête, qui se sont
succédé à Pristina en tant que représentants
de l’improbable « communauté internationale ».
C’est ainsi que le « corps de protection du Kosovo »,
façade légale de la persécution anti-serbe,
compte dans ses rangs, y compris aux grades les plus élevés,
un nombre imposant d’anciens militants de l’UCK dont
la place devrait être à La Haye, si le Tribunal pénal
international n’était pas ce qu’il est : une
mascarade judiciaire montée de toutes pièces - et
financée - par les États-Unis pour administrer la
« justice » impériale. On comprend, dans ces
conditions, que la peau des Serbes restés au Kosovo n’ait
pas valu cher.
Chaque fois que les États-Unis se préparent à
une escalade militaire, un « drame » destiné
à émouvoir « l’opinion » survient
opportunément : pseudo-attaque de deux navires US dans la
baie du Tonkin, pour le Vietnam ; rumeurs de préparatifs
terroristes, pour la Grenade ; chasse au trafiquant de drogue et
ex-employé de la CIA Noriega, pour le Panama ; débranchage
bidon de couveuses à Koweït City, pour l’Irak
; attentats meurtriers à Sarajevo imputés aux Serbes
pour la Bosnie, « massacre » de Racak, encore imputé
à ceux-ci, pour le Kosovo, etc.
Le déclenchement du « pogrom » anti-Serbes de
ces jours derniers n’a pas failli à la règle
: il a fait suite à la noyade présumée de trois
enfants albanais prétendument poursuivis par des enfants
serbes. Tout indique, néanmoins, si l’on examine son
déroulement, que cette « réaction populaire
» avait été soigneusement programmée,
pour ne pas dire anticipée. Par l’UCK, bien sûr,
officiellement ralliée au « processus de paix »,
mais qui, forte de sa présence à tous les échelons
de l’administration albanaise du Kosovo, peut en toute quiétude
planifier la « phase finale » devant conduire à
l’indépendance. Mais, derrière les sécessionnistes
albanais, s’activent les services secrets états-uniens,
prêts à instrumentaliser une nouvelle fois les «
affrontements inter-ethniques » pour renforcer la présence
nord-américaine dans les Balkans. Mais, à quelles
fins ?
Pour répondre, il faut revenir sur les vrais buts de la
« guerre humanitaire » menée contre la Yougoslavie.
Les voici, brièvement résumés. 1
Liquider ce qui demeurait d’autogestion et de droits sociaux
dans les entreprises yougoslaves pour les privatiser. Ce qui implique
que l’État qui les garantissait soit démantelé,
par les bombes s’il le faut. La logique globalitaire impose,
en effet, aux multinationales de conquérir sans cesse de
nouvelles « terres », de nouveaux marchés. La
Sécurité sociale et les droits des travailleurs ayant
été piétinés, US Steel, par exemple,
a pu racheter, pour une bouchée de pain, Sartid, la plus
grande usine sidérurgique des Balkans. Une fois la Yougoslavie
démembrée pour laisser la place à une mosaïque
d’États-croupions, le champ semblait libre pour y exploiter
une main-d’œuvre à bas prix qui n’avait
plus que le choix entre une exploitation accrue et l’émigration.
Les multinationales ont cru avoir gagné en Serbie en imposant
à Belgrade un gouvernement FMI, avec la thérapie de
choc ad hoc pour « redresser l’économie ».
Or, l’un est l’autre ont été totalement
désavoués aux récentes élections, ramenant
au pouvoir des « nationalistes », c’est-à-dire
des empêcheurs de globaliser en rond. D’où l’impératif
: achever de désintégrer cette Yougoslavie plus difficile
à avaler qu’on ne le pensait.
Contrôler la voie stratégique des Balkans. Berlin
veut que la route du pétrole passe par le Danube (donc à
Belgrade), pour acheminer vers Hambourg et Rotterdam le pétrole
et le gaz du Caucase et du Moyen-Orient. À cela s’ajoute
l’utilisation du fleuve pour assurer le transit des produits
des usines délocalisées dans les Balkans. Or, soucieux
d’affaiblir et de faire rentrer dans le rang la « vieille
Europe », Washington cherche à établir un tracé
plus au sud à travers quelques états-marionnettes
de la « nouvelle Europe » : Bulgarie, Macédoine,
Albanie. Pour ce faire, le Pentagone a fait construire au Kosovo
une gigantesque base militaire : Camp Bondsteel.
Après les fins, les moyens. L’instrument des États-Unis
pour réaliser ce plan stratégique a déjà
servi. Ce n’est autre que l’UCK, organisation séparatiste
albanaise née de la décomposition du stalinisme à
la mode Enver Hojda, qui rêve de créer une «
Grande Albanie » ethniquement pure (Albanie + Kosovo + morceaux
de Serbie, Macédoine, Monténégro et Grèce).
Initialement, l’UCK avait été dénoncée
par la CIA comme « criminelle » et « terroriste
». Non sans raison : des rapports on ne peut plus officiels
divulgués à la fin des années 90 faisaient
état de ses liens, d’une part, avec des réseaux
internationaux de trafic de drogue et d’armes et, d’autre
part, avec des organisations terroristes animées par un islamisme
radical, dont l’une était dirigée par un certain...
Oussama ben Laden, qui, dès 1996, avait annoncé une
« guerre totale contre les Américains et les intérêts
américains ».
Qu’à cela ne tienne ! Secondé par le BND (les
services secrets allemands, qui avaient déjà fait
leur preuve aux côtés des séparatistes de Croatie),
Washington a, par la suite, littéralement acheté et
équipé l’UCK, rebaptisant au passage «
combattants de la liberté » ses hommes de main, comme
les États-Unis l’avaient fait avec les commandos terroristes
d’al-Qaïda importés en Bosnie pour appuyer le
mouvement sécessionniste musulman d’Izetbegovic. Si
elle a été purgée, entre-temps, de ses éléments
islamistes les plus extrémistes, l’UCK demeure, par-delà
la respectabilité acquise de ses chefs devenus politiciens,
une organisation criminelle. Ce qui n’empêche pas les
occupants états-uniens d’entretenir les meilleures
relations avec elle. Écoutons, par exemple, des policiers
allemands en mission là-bas : « Quand on voit comment
les pires maffieux y jouissent manifestement de la protection des
Américains, on attrape une crise de colère. »
Pourquoi appuyer la création d’un État ethniquement
épuré au Kosovo ? Pour les stratèges de l’Otan,
il ne s’agit, ni plus ni moins, que de créer une sorte
de nouvel Israël dans les Balkans. Il suffit, en effet, de
considérer le rôle de l’État sioniste
au Moyen-Orient ! Un État archidépendant de l’aide
financière états-unienne (plus de 4 milliards de dollars
par an !), une hyper-armée dotée des armements les
plus perfectionnés, armes de destruction massives comprises,
un gendarme qui a déjà agressé tous ses voisins,
un foyer de tension permanent à exciter chaque fois qu’on
veut affaiblir la résistance des peuples de la région.
Créer dans les Balkans un nouvel Israël, lui aussi
fanatisé par une doctrine d’apartheid et de nettoyage
ethnique, sera très utile pour Washington. Un État
aussi dépendant ne remettra pas en question son énorme
base militaire stratégique. Il servira à toutes les
manœuvres du Département d’État pour déstabiliser
le continent européen en cette époque de guerre économique
intense. Voilà pourquoi les États-Unis, selon l’économiste
canadien Michel Chossudovsky, dont les analyses décapantes
sur la nouvelle guerre des Balkans font autorité, ont conclu
« un mariage de raison avec la maffia au Kosovo ».
Aujourd’hui, l’UCK veut « terminer le travail
» en attaquant Mitrovica, seule région où vivent
encore de nombreux Serbes. Mais les incidents récents ont
éclaté partout en même temps ! « Une violence
planifiée, coordonnée, à sens unique contre
les Serbes », s’étonnent des journalistes. Ils
ont tort. « Rien au Kosovo ne se produit spontanément
», expliquait, à ce propos, un officier de la KFOR.
Dommage que les médias aient à nouveau présenté
ces déchaînements albanais comme des « affrontements
interethniques », alors qu’il s’agit d’une
opération concertée de nettoyage ethnique, une «
nuit de cristal », a déclaré un envoyé
de l’ONU. Dommage qu’ils aient relayé la rumeur
selon laquelle trois enfants albanais auraient été
jetés à la rivière et noyés par des
Serbes. Un montage pourtant démenti dès les premières
heures par Derek Chapell, porte-parole de la police onusienne.
Mais une autre question vient tout de suite à l’esprit.
Pourquoi maintenant ? Les lecteurs de Chronique de la guerre civile
d’Éric Hazan n’auront pas de mal à trouver
la réponse. Irak, Palestine, Afghanistan, Balkans = une seule
guerre globale. Avec en prime, la rivalité États-Unis/Europe
véritable clé de la « résurgence (sic)
de la violence » au Kosovo qui fait les gros titres de la
presse de marché. À Mitrovica. ce sont aussi les soldats
français qui constituent la cible. Le coup vient de Washington.
En Irak, en effet, Bush s’enlise, et Chirac comme Schröder
ne font rien pour l’aider à se sortir du pétrin.
De plus, l’attentat de Madrid vient de fragiliser les alliances
européennes des États-Unis. Voici donc les «
représailles » de la Maison Blanche : le feu vert aux
terroristes de l’UCK.
Cependant, le facteur local n’est pas à négliger.
La nouvelle équipe gouvernementale formée par Kostunica
vient de remplacer un gouvernement corrompu de capitulation nationale.
Le peuple serbe manifeste toujours sa résistance, même
si c’est au travers d’un vote confus imprégné
de chauvinisme, faute d’alternative développée
à gauche. Mais, par cette attaque, Washington entend déstabiliser
et soumettre un gouvernement rétif à l’alignement
économique et militaire.
En protégeant et armant les terroristes de l’UCK,
Washington renforce la haine entre Serbes et Albanais. Comme en
Afghanistan - autre trajet de pipeline ! - et en Irak, il faut,
à coups de provocations en forme de massacres, « diviser
pour régner ». L’UCK brûle des monastères
orthodoxes, des racistes serbes ripostent en brûlant une mosquée.
Riposte doublement stupide car les Kosovars ne sont guère
musulmans, et la clique au pouvoir à Washington n’est
pas l’amie, mais l’ennemie des musulmans.
Il est plus que temps de rouvrir le débat sur ce qu’il
est advenu de la Yougoslavie. Le soutien de la gauche européenne
à l’Otan fut, à cet égard, une tragédie
dont les peuples balkaniques ont été et continueront
d’être les victimes. Privatisations, misère sociale,
nettoyage ethnique, règne des maffias, etc. : les résultats
de cinq années de « paix » - celle des cimetières
pour les non-Albanais - au Kosovo devraient enfin dissiper les dernières
illusions. Était-ce cela qu’il fallait soutenir ? Jamais
les guerres déclenchées par les États-Unis
n’ont été « humanitaires ». Par
les autres États non plus, d’ailleurs.
Jean-Pierre Garnier
1. Pour en savoir plus, le meilleur ouvrage paru en français
sur la question demeure Monopoly. L’Otan à la conquête
du monde, de Michel Collon, éditions EPO, Bruxelles, 2000.
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