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Origine : http://monde-libertaire.info/article.php3?id_article=1224
« Il faut que nous mettions une plaque à notre porte
: la Superpuissance habite ici. » (Colin Powell, 1989)
D’un côté, les « colombes », de
l’autre, les « faucons ». Selon une distribution
des rôles parfaitement rodée, on a coutume d’opposer
les uns aux autres ces oiseaux des temps de guerre, alors qu’ils
sont sortis de la même couvée : sionisme israélien
à l’échelle régionale, impérialisme
états-unien à l’échelle globale. La fable
a déjà beaucoup servi, mais sa crédibilité
reste inentamée, y compris en France, comme en témoignent
les pseudo-analyses émanant du complexe médiatico-intellectuel
hexagonal. Aussi nous la ressert-on aujourd’hui pour légitimer
la campagne d’extermination annoncée contre la dernière
en date des incarnations du Mal : l’Irak de Saddam Hussein.
Dans le rôle de la colombe de la paix : Colin Powell, satrape
de l’Empire, bombardé à la tête du Département
d’État. Pour Libération, mais on retrouve le
même type de considérations dans l’ensemble de
la presse, Colin Powell serait un pacifiste que la malignité
de l’adversaire et la maladresse de certains alliés
européens (France, Allemagne, etc.) auraient contraint à
tourner casaque. En fait, suggère le même journal,
citant un diplomate, cette « conversion » était
quelque peu programmée : « Bush avait du mal à
convaincre l’opinion - c’est-à-dire à
la modeler -, et il a demandé à Powell de monter en
puissance, car rien n’est plus convaincant qu’une colombe
sortant ses griffes ». Sauf que, dans le cas de Powell, les
plumes de ladite colombe étaient déjà largement
tachées du sang des autres.
À peine (mal) élu, George W. Bush l’avait nommé
secrétaire d’État en le qualifiant de «
héros américain » ayant toujours su faire preuve
« d’un sens militaire du devoir et de l’honneur
». On ne saurait mieux dire !
Chef d’état-major des armées, lors de la guerre
du Golfe, il a provoqué une catastrophe écologique
de grande ampleur en faisant bombarder les puits de pétrole.
Tout a été mis en œuvre, d’autre part,
sous sa houlette, pour dissiper les histoires d’étranges
cancers qui ont affligé ses propres troupes, parmi les soldats
ayant manipulé des missiles à uranium enrichi. Cette
guerre a, en outre, causé la mort de plusieurs centaines
de milliers de civils irakiens, lors des attaques, mais surtout
en raison de la destruction des installations vitales pour la santé
de la population et des sanctions qui prévalent toujours
sur les vivres et les médicaments. Un génocide à
ciel ouvert que le nouveau secrétaire d’État
s’est bien gardé de condamner, même s’il
n’est pas allé jusqu’à en justifier ouvertement
le bien-fondé, comme sa prédécesseure Madeleine
Albright [1]. Sitôt nommé à la tête du
Département d’État, Powell annoncera d’ailleurs
qu’il maintiendrait et même « énergiserait
» ces mesures. Retraité de l’armée, il
fait, en effet, partie de ces « experts » qui conseillent
les gouvernants sur les meilleurs moyens d’agenouiller un
peuple pour faire plier ses dirigeants.
Colin Powell s’est initié très tôt aux
méthodes qui allaient lui permettre de bâtir sa carrière
: jusqu’au-boutisme des ordres sur le terrain - peu importe
le nombre de victimes ennemies, civiles ou militaires - et, de façon
complémentaire, gestion bureaucratique et médiatique
du dévergondage américain à l’étranger.
En 1963, encore sous-officier, il a mené avec ses hommes
dans la jungle vietnamienne une campagne d’anéantissement
systématique des villages, de destruction des réserves
de nourriture, incendiant les paillotes et intimidant physiquement
les paysans pour les dissuader de tout soutien aux combattants du
Viet-cong, si difficiles à débusquer. Dans ses mémoires,
An American Journey (1995), Powell décrit comment, de l’hélicoptère,
on tirait devant tout paysan vietnamien mâle en âge
de combattre, précisant que, s’il réagissait,
on y allait d’une seconde rafale pour l’abattre, au
cas où il porterait une arme. Powell prônait cette
approche parce que trop de soldats américains, selon lui,
avait été ainsi tués sournoisement en rasant
la campagne. Une blessure au pied mit fin à sa seule véritable
mission de combat.
De retour au Vietnam en 1968, une fois promu officier, il sut se
mettre du bon côté pour préparer ses promotions
futures. Une nouvelle tâche l’attendait où il
ne tardera pas à exceller : la désinformation. Ainsi
fut-il chargé d’empêcher que l’image «
libératrice » des États-Unis ne soit ternie
à la suite du massacre de My Lai. Quelques soldats indignés
avaient révélé que les habitants, tous des
civils, furent entassés au pied des digues d’irrigation
pour être exécutés en groupe, des bébés
aux vieillards en passant par les femmes. 347 Vietnamiens furent
ainsi éliminés. C’était avant l’entrée
en fonction de Powell, mais son rôle consistera à maintenir
l’affaire hors de l’attention des médias et à
égarer dans les méandres de l’appareil bureaucratique
les plaintes suscitées par ce glorieux fait d’armes.
Il émit, entre autres, un « mémo » réfutant
les allégations de Tom Glen, un jeune soldat américain
qui avait fait parvenir une lettre au général Abrams
qui commandait alors l’ensemble des troupes états-uniennes
au Vietnam. Glen y dénonçait une multitude d’abus
commis par ses collègues à l’endroit des Vietnamiens,
qu’on appelait « gooks » (macaques) et à
qui on prêtait peu d’attributs humains. Viols, humiliations
physiques et psychologiques, tirs à vue et non provoqués
sur les villages, tortures pour faire avouer à des hommes
qu’ils étaient Viet-cong... La note de C. Powell concluait
à des cas isolés d’indiscipline, niant qu’il
s’agissait d’un comportement répandu. Elle soutenait
que tous les soldats américains étaient entraînés
à agir respectueusement envers les Vietnamiens et avaient
suivi un cours « d’une heure » (sic) sur la manière
de traiter les prisonniers selon la convention de Genève.
Panama, 1989. Après un coup d’État raté
pour renverser le général Noriega, opération
trop faiblement appuyée par le gouvernement américain
contre l’un de ses anciens collaborateurs - Noriega, en plus
du trafic de drogue, travaillait pour la CIA -, un officier américain
et sa femme furent arrêtés puis relâchés
par les autorités panaméennes. Powell, à la
table des décideurs en matière de « défense
», allait prodiguer ses conseils à George Bush senior,
soupçonné de « mollesse » dans l’histoire.
Évidemment, il fallait frapper fort, par les airs, minimiser
les pertes américaines et ne pas s’embarrasser des
lois internationales concernant l’existence de quartiers résidentiels
à proximité des cibles militaires. Une désinvolture
que l’on rééditera avec l’Irak puis la
Serbie, et ce toujours impunément, au point de laisser croire
aux esprits malveillants que les sites civils constituent aussi
parfois la vraie cible. Toujours est-il qu’en plus de la destruction
des forces militaires les bombardements aériens des États-Unis
contre Panama causèrent la mort de plusieurs centaines de
civils en quelques heures.
Au fil de tous ces hauts faits, et de quelques autres, Colin Powell
en vint à devenir un enfant chéri de la presse américaine.
Toujours considéré comme « l’homme qu’il
faut là où il faut », il faudrait compiler tous
les qualificatifs lyriques qui ont servi à encenser sa personne
et sa carrière, au point d’inciter nombre de gens soi-disant
informés à s’émoustiller en l’imaginant
premier président noir des États-Unis. Il y a quatre
ans, lors de la mascarade mondaine des Oscars, à Hollywood,
Powell apparut sur scène, bardé de ses médailles,
pour délivrer un discours patriotique. C’était
à la veille de l’attaque contre la Yougoslavie.
Il affirme aujourd’hui s’engager « à lutter
contre les armes de destruction massive et les moyens de les produire
». Jamais ce genre de déclaration n’est, dans
les médias officiels, mis en opposition avec l’envergure
du commerce d’armements, de plus en plus lucratif, pratiqué
par les États-Unis à travers le monde. On parle aussi
rarement de la persistance du gouvernement nord-américain
à saboter les accords de désarmement nucléaire.
Powell a dit aussi « aller de l’avant » avec
le faramineux projet du système de « défense
antimissiles ». Dangereuse paranoïa ou prétexte
pour verser des milliards supplémentaires aux conglomérats
militaro-industriels ? On s’inquiéterait, dit-on, du
danger potentiel des nouvelles puissances nucléaires. Parenthèse
: les dirigeants états-uniens sont ceux qui ont le plus largement
contribué à alimenter la hantise d’un cataclysme
nucléaire, en identifiant toujours la menace à un
péril venu de l’extérieur, ce qui, pour bien
des gens, a fini par occulter le simple fait que, dans toute l’histoire,
seuls les États-Unis ont utilisé la bombe atomique
pour balayer d’un coup des millions de vies au Japon. Et,
plus récemment, menacé de recourir à l’usage
d’armes nucléaires, « tactiques », il est
vrai, contre l’ennemi irakien.
Aux États-Unis, comme dans les autres pays « occidentaux
», c’est par le biais d’une politique étrangère
belliciste que l’on se donne une image de « défenseur
des droits humains ». Il est donc parfaitement logique que
ce soit dans ce domaine que l’endiguement de l’information
et la falsification de la vérité soient les plus méthodiques.
Car c’est précisément dans le cadre de leur
politique extérieure que les dirigeants des régimes
« démocratiques » commettent eux-mêmes
des violations de ces droits, ou y consentent selon leurs intérêts.
Colombes supposées ou faucons avoués, tous roulent
- ou volent - de concert pour le compte (en banque) de l’aigle
nord-américain. Quant aux dissensions qu’on leur prête,
autres que de circonstance, elles font partie de ces graines diversionnistes
jetées à profusion pour nourrir d’illusoires
« débats » les éternels pigeons que sont
les « citoyens ».
Jean-Pierre Garnier
[1] « Oui, c’est un fort prix à payer, mais
ça en vaut le coup. » Réplique, qui devrait
passer à la postérité « post-totalitaire
», de Madeleine Albright à une journaliste de la télévision
états-unienne qui lui demandait : « Les sanctions que
nous imposons à l’Irak auraient causé la mort
d’environ 500’000 enfants à ce jour, est-ce que
ça en vaut le prix ? »
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