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Origine : http://monde-libertaire.info/article.php3?id_article=1151
Combien a coûté le dernier Woodstock de l’altermondialisation
? Selon les chiffres publiés, 3’485’000 $ (sans
compter l’embauche de personnel et les hébergements
couverts par la mairie de Porto Alegre). Le déficit prévu
était de 246’000 $. La plus grosse rentrée d’argent
est venue de l’inscription des participants (50 $ par tête),
mais les estimations prévoyaient que les quelque 100’000
personnes accourues au Forum devaient dépenser 20 millions
de dollars sur place en trajets, repas, boissons, produits dérivés,
etc. Parmi les autres sources de financement figuraient l’État
de Rio Grande do Sul et la municipalité de Porto Alegre.
Le rassemblement de l’« internationale citoyenne »
bénéficiait également du parrainage de la Banco
do Brasil et de la firme Petrobras (400’000 $), et même
de la Fondation Ford (500’000 $), institution sans lien aucun,
comme chacun sait, avec le « néolibéralisme
» honni. Mais, nous ne sommes pas à un paradoxe près.
Bernard Cassen a bien été mendier du fric, le mois
dernier, en compagnie de Patrick Braouezec, auprès de Raffarin
pour le prochain forum, « régional » cette fois-ci,
de Saint-Denis !
Alors que Petrobras sponsorisait le FSM, on entendait une délégation
bolivienne demander aux « citoyens » brésiliens
de faire pression sur cette firme pétrolière pour
la convaincre de préserver leurs ressources naturelles afin
d’éviter une privatisation du pétrole. Et laissons
de côté le soin mis par les édiles de Porto
Alegre à « nettoyer » la ville de ses pauvres
pour ne pas gâcher la vue des délégués
parlant de justice sociale. La présence trop voyante de mendiants
dans la Mecque de la « démocratie participative »
aurait fait désordre ! Comme la manifestation de dénudés,
qui donna lieu à quelques arrestations. Ou l’entartage
d’un cacique particulièrement arrogant du PT.
Tout le monde a cru bon de se féliciter de l’«
affluence record » à ce troisième forum de la
citoyenneté mondialisée. Trop, c’est trop, s’exclamèrent
pourtant quelques esprits grincheux : trop de gens, trop de conférences,
trop d’ateliers... Les conférences ne permettaient
aucun échange ni aucune discussion entre les intervenants
et les « auditeurs ». Il n’était possible
de débattre que dans les ateliers, un certain nombre étant
d’ailleurs complètement marginalisés, notamment
ceux où il était question d’autogestion, d’horizontalité,
etc. Cette marginalisation résultait tantôt des manœuvres
des organisateurs du Forum, respectueux de la hiérarchie
et déjà imbibés de la « culture de gouvernement
» dont se réclament, à leur tour, les hommes
du nouveau président, tantôt - il faut le reconnaître
- de l’organisation chaotique de ladite horizontalité.
Le tout donnait l’impression d’une grande surface où
chacun venait consommer de la contestation. Une contestation tous
azimuts, mais la plupart du temps limitée à celle
du « néolibéralisme », le capitalisme
passant à travers les mailles du filet.
Si l’on excepte Arundhati Roy, en effet, les conférenciers
se gardèrent bien de remettre en cause l’exploitation,
de même que peu osèrent s’en prendre à
la gauche institutionnelle. Certes, des voix discordantes parvinrent
tout de même à se faire entendre. Non sans mal. Celles
du réseau No-Vox, par exemple, coordination des « sans
» (sans emploi, sans toit, etc.) qui ont dû organiser
leur propre campement, au prix d’une occupation « sauvage
» d’un terrain situé à l’écart,
car ils n’avaient pas les moyens de se payer l’hôtel
ou le « campement pour la jeunesse », bien utile, entre
nous soit dit, pour cantonner les jeunes qui, on ne sait jamais,
auraient pu se révéler incontrôlables. No-Vox
dut même forcer l’entrée pour ses représentants.
En effet, 50 $, c’est une somme pour les sans-le-sous. À
croire que seules les ONG néo-petites-bourgeoises seraient
habilitées à débattre de la pauvreté
dans le monde, les « intéressés », c’est-à-dire
les pauvres, n’ayant que le droit de se taire !
Indymedia Brésil a publié une lettre ouverte aux
organisateurs, demandant pourquoi le Forum soutenait la presse officielle,
mercantile et manipulatrice, et non les médias associatifs,
communautaires et indépendants.
L’accréditation « presse alternative »
donnait droit aux conférences, mais pas à la centaine
d’ordinateurs de la salle de presse. Alors que journalistes
de la presse bourgeoise, nationale ou internationale, bénéficiaient
des infrastructures d’accueil aménagées à
leur intention, les militants du centre Indymedia avaient été
relégués au deuxième étage d’un
immeuble aux canalisations défectueuses.
Une « autre critique du monde » est-elle possible ?
Cela ne semble pas parti pour, à en juger par les dernières
nouvelles officielles - celles colportées par la presse française
de marché - relatives à la dérive droitière,
baptisée « recentrage », des « Lula’s
boys », comme on les appelle déjà au Brésil
(encore qu’une autre appellation serait plus adéquate,
Lula faisant plutôt lui-même office de « boy »
auprès des financiers de Washington et de leurs fondés
de pouvoir brésiliens). Comme dans l’Hexagone, après
le 10 mai 1981, ce sont d’anciens petits chefs de groupuscules
gauchistes qui se chargent de pourfendre... le gauchisme au sein
du « parti de gouvernement » qu’est devenu le
PT.
Promu ministre des Finances, l’ex-trotskiste Antonio Palocci,
« coqueluche de Wall Street », selon Le Monde, s’est
résolument engagé dans la voie de ce néolibéralisme
conspué au même moment à Porto Alegre. Premières
décisions à faire avaler au « peuple de gauche
» brésilien : la réduction des retraites et
l’autonomie de la banque du Brésil. Ce sont là
deux des promesses que Palocci avait réitérées
devant quelques manitous du FMI, lors de sa virée dans la
capitale de l’Empire aux côtés du nouveau président,
sommé, à peine élu, de prêter allégeance
à son homologue étatsunien. Autre renégat,
l’ex-guerrilléro maoïste José Genoino a
été placé à la tête du PT pour
le « normaliser ». Ainsi se fait-il fort d’exclure
du parti les « chiites », c’est-à-dire
les militants demeurés anticapitalistes dont l’agitation
pourrait inquiéter les « marchés ». Comme
le soulignait Braz de Araujo, politologue « de gauche »
en tous points semblable à ceux qui sévissent à
Paris, rue Saint-Guillaume, « le parti doit montrer qu’il
est capable de mater les radicaux pour consolider la confiance déposée
en Lula. Celui-ci est désormais responsable devant tous les
Brésiliens, et plus seulement devant ses électeurs
». Traduction en clair : Lula doit rendre des comptes à
tous les Brésiliens, y compris à ceux qui ont voté
contre lui - sans parler des dirigeants étatsuniens -, sauf
aux travailleurs.
Jean-Pierre Garnier
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