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Origine :
http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/vernag/EH/F/cons/lectures/Lobbying_CIO.htm
Ancien professeur de philologie et ex-apparatchik communiste, le
Mongol Shagdarjav Magvan n'est pas, a priori, le plus influent des
122 membres du CIO. Pourtant, ces derniers mois, peu d'entre eux
auront été aussi courtisés que ce passionné
de lutte dont le désir le plus cher est d'organiser un championnat
du monde de la discipline dans son pays. Dans leur course aux voix
des indécis - ou des girouettes -, les représentants
de certaines des cinq villes candidates ont eu la promesse facile
pour gagner le vote du camarade d'Oulan-Bator. Certes, comme le
souligne un responsable de Paris 2008, «les promesses n'engagent
que ceux qui veulent y croire». N'empêche. La question
se pose: combien seront-ils à désigner vraiment en
leur âme et conscience le meilleur dossier?
«Autrefois, il suffisait de contrôler quelques personnages
clefs du CIO pour gagner, c'est comme cela que nous avons obtenu
les Jeux à Moscou, malgré l'opposition farouche des
Américains», affirme l'homme d'influence André
Guelfi (1), ami à la fois de Horst Dassler, le défunt
PDG d'Adidas, et de Juan Antonio Samaranch, le très bientôt
ex-président du CIO. Cette époque est paraît-il
révolue, balayée en 1999 par le scandale des pots-de-vin
versés lors du choix de Salt Lake City pour les Jeux d'hiver
2002. Il serait désormais impensable, sauf à prendre
un énorme risque, d'acheter ouvertement des délégués
avec du liquide ou des virements bancaires, des présents
somptueux ou même des prostitués, comme ce fut parfois
le cas. Après un ravalement de façade et les exclusions
symboliques de quelques brebis galeuses, le CIO veille à
la probité des candidatures et garantit la transparence des
procédures.
Aide médicale, dettes effacées. Alors, pour glaner
les quelques voix qui feront la différence, Pékin,
Paris et Toronto, les trois villes possédant une véritable
chance de l'emporter, ont appris, ou révisé, les grandes
leçons du lobbying. Les deux premières ont beaucoup
misé sur leur réseau diplomatique afin de tester les
intentions de leurs alliés «naturels» ou pour
essayer de capter les voix des pays du Sud. Signes tangibles de
cette mobilisation: un regain de l'aide médicale et économique
à plusieurs pays africains possédant des représentants
au CIO, des annulations de dettes annoncées au cours des
derniers mois. Efficacité? «Variable, estime un vieux
routier du CIO. Probablement réelle avec les membres très
liés au pouvoir politique du pays "ami", a fortiori
quand il s'agit d'ex-ministres ou de hauts fonctionnaires.»
Les deux capitales se sont ainsi assurées d'un certain quota
de voix. Restait ensuite à draguer toutes les autres. Pour
y parvenir, les stratèges de Paris 2008 ont défini
trois cibles principales: d'abord les membres du CIO eux-mêmes,
puis les présidents des grandes fédérations
sportives et enfin les athlètes. Depuis la réforme
des statuts votée en 1999, les premiers, les «votants
directs», ont été mis à l'abri des tentations
: les villes ne peuvent plus les accueillir - et éventuellement
les «régaler» - à la seule exception des
membres de la commission d'évaluation conduite par le Néerlandais
Hein Verbruggen. Les candidats sont donc allés à eux.
Officiellement, les rencontres organisées dans le cadre de
«manifestations du mouvement olympique» ont été
tolérées. «Car il fallait bien tout de même
que les villes fassent leur lobbying», estime le Français
François Carrard, directeur général du CIO.
On a donc vu les uns et les autres, quelquefois au même moment,
à New York, à Boston, au Brésil, au Paraguay,
en Asie à plusieurs reprises, à Saint-Marin ou encore
à Rome. Avec comme point d'orgue la réunion de la
commission d'évaluation du CIO - et parallèlement
celle des fédérations sportives - mi-mai à
Lausanne. Une semaine de chassés-croisés dans les
palaces et les restaurants de la molle cité lémanienne
où les lobbyistes des différentes villes se disputaient
les faveurs des «CIO boys». A ce petit jeu, John Bitove,
le patron de Toronto 2008 s'est montré le plus agressif,
sinon le plus efficace.
Petits déjeuners discrets. Mais Claude Bébéar
n'a pas chômé non plus. Le jour où il a été
placé en garde à vue pour un délit bancaire,
le fondateur d'Axa et président de Paris 2008 était
sur le point de rallier Monbassa (Kenya) pour une réunion
des comités olympiques africains puis, après, vers
une destination moyen-orientale. En groupes au cours de dîners
réunissant plusieurs centaines de convives, ou bien en tête
à tête au cours de petits déjeuners discrets,
il aura vu presque tous les délégués. Certains
à plusieurs reprises. Seul ou accompagné d'autres
globe-trotters chargés de «vendre» Paris 2008:
Jean-Claude Killy, Guy Drut, Henri Sérandour, Alain Danet
et Maurice Herzog, tous membres actifs ou honoraires du CIO. Les
deux premiers ont diffusé la bonne parole au sein même
du Comité où ils jouissent d'une réelle influence,
en particulier le Savoyard, un temps pressenti pour briguer la succession
de Samaranch. Longtemps membre du conseil d'administration de Coca-Cola
France et familier des milieux d'affaires américains, Killy
a pu aussi compléter le carnet d'adresses de Bébéar
pour se rapprocher des sponsors des Jeux. Essentiellement des firmes
américaines, alléchées par l'ouverture du marché
chinois et donc a priori favorables à Pékin. Les compagnies
américaines ne sont pas les seules dans ce cas: plusieurs
grosses entreprises françaises (bâtiment, transports,
logistique, environnement) ont discrètement fait savoir leur
soutien aux autorités chinoises. Un nom a filtré (Airbus),
suivi d'un démenti embarrassé. Un autre, sans réelle
preuve, a été fréquemment cité parmi
les pro-Pékin: Vivendi, très à l'affût
de contrats avec l'empire du Milieu.
Du coup, tous les efforts de Paris se sont concentrés contre
la capitale chinoise, incontestable favorite, et sur les meilleurs
moyens de réduire l'avance de celle-ci. Du contre-lobbying.
Publiquement, Bébéar s'est abstenu de tacler trop
durement sur le terrain des droits de l'homme et les risques d'un
choix «non sécurisé». En privé,
ce fut une autre histoire, notamment aux Etats-Unis où les
médias ont chauffé à blanc l'opinion. Sans
que l'efficacité de cette campagne «off» soit
bien certaine : «Contrairement à ce que les gens de
Paris et de Toronto imaginent, les attaques sur ce terrain, dans
la presse et sur de nombreux sites Internet, nous ont beaucoup agacés
et n'auront certainement pas le résultat escompté»,
affirme un membre européen du CIO.
De Pinochet à Pékin. En prévision de la polémique,
Pékin a très tôt confié son image et
son marketing à plusieurs groupes de relations publiques
de réputation mondiale. Pour les Etats-Unis et l'Asie, Weber
Shandwick Worldwide; pour l'Europe, Bell-Pottinger, agence chargée,
entre autres dossiers difficiles, de la communication de Pinochet
lors de son «séjour» anglais. Avec une idée
à défendre: les JO et le vote du CIO doivent échapper
aux contingences politiques, idée somme toute paradoxale
puisque le choix probable de la capitale chinoise sera surtout politique.
Les Canadiens de leur côté ont porté leurs efforts
sur les médias, chouchoutés, surinformés, ultra-alimentés
en brochures, e-mails, invitations à découvrir les
futurs sites olympiques, et même soutenus «logistiquement»:
le congrès de l'Association internationale de la presse sportive
(Aips) s'est tenu à Toronto fin mai.
En coulisses, les coups bas n'ont pas manqué, même
si à la commission d'éthique du CIO on a trouvé
la campagne moins dure que les précédentes. Paris
s'est par exemple plaint des affichages tonitruants et non autorisés
des Canadiens. Lesquels ont largement médiatisé les
incidents survenus lors du concert - pas bénévole
- des trois ténors (Pavarotti, Domingo et Carreras) dans
la Cité interdite de Pékin, où un journaliste
américain a été malmené. Pendant que
les Chinois, eux, protestaient avec la dernière énergie
contre les stands de démonstration non conformes des Français
à Lausanne.
Les trois villes ont surtout réalisé que la fin des
grands blocs politiques Est-Ouest, puis le scandale Salt Lake City
ont considérablement brouillé la carte électorale
du CIO. Les alliances passées se défont et se recomposent
au gré d'intérêts mouvants: sportifs, politiques
ou économiques. Il ne faut pas une ou deux mais cinq, dix
grilles de lecture pour saisir et comprendre les différentes
couches du mille-feuille CIO. «C'est comme une élection
politique, résume un animateur de Paris 2008. En beaucoup,
beaucoup plus compliqué.».
(1) Mis en examen pour son rôle d'intermédiaire dans
l'affaire Elf.
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