Origine : http://www.politis.fr/article74.html
Un entretien avec le psychologue* Jacques Lesage de La Haye. Il
défend depuis vingt-cinq ans le droit des prisonniers à
une vie familiale, convaincu qu’elle peut être un pivot
pour leur réinsertion.
Quelle importance un parent détenu accorde-t-il à
son enfant ?
Les parents qui viennent dans nos groupes de parole sont dans une
souffrance extrême et parlent presque exclusivement de leurs
enfants. Pour certains, la séparation brutale réveille
quelque chose qui peut les amener à créer un lien
qu’ils ne ressentaient pas, ou à ressouder un lien
qui s’était distendu. Dès lors, leur souffrance
devient terrible parce qu’ils se responsabilisent, ils prennent
conscience du fait qu’ils sont pères et commencent
à se dire : « Je n’ai pas fait ce que je devais
avec mon enfant ». Puis ils décident de s’en
occuper très sérieusement. Dans un des groupes de
Bois d’Arcy, encadré par mon collègue Pascal
Matra, un prisonnier a fait une prise de conscience absolument remarquable.
Lors d’une réunion de synthèse, il nous a dit
: « Avant d’entrer en prison, seuls comptaient pour
moi les copains, avec qui je faisais mes coups. Mes enfants n’avaient
pas d’importance. Le travail que j’ai fait m’a
amené à prendre conscience de l’existence de
mes enfants et même de leur importance. Quand je sortirai,
mes enfants seront ma priorité. Les copains et toutes les
erreurs que j’ai commises ne compteront plus ».
Le rôle d’un enfant pour la réinsertion de son
parent libéré peut donc être énorme ?
Oui. Parce que certains, qui ont tendance à vivre comme
des immatures, c’est-à-dire comme des adultes qui n’ont
pas conscience de cette responsabilité, se mettent à
« grandir » pendant leur incarcération. Ils font
souvent un travail sur eux-mêmes et s’interrogent sur
ce qu’ils étaient avant de passer la porte de la prison.
Il faut dire qu’ils vivaient dans une telle précarité
économique et sociale que la délinquance pouvait leur
apparaître comme le seul moyen de s’en sortir. Mais
l’enfant les amène à une sorte de responsabilité
qui va les pousser à chercher d’autres solutions.
Ce lien enfant-parent détenu est-il valorisé par
l’institution pénitentiaire ?
En général, les services sociaux et éducatifs
valorisent cette relation. Ils considèrent même que
cela s’inscrit dans un processus d’insertion ou de réinsertion.
Le malheur c’est que les gens qui sont concernés par
ces problèmes-là, éducateurs, assistantes sociales,
médecins, sont en nombre totalement insuffisant. Ce sont
des gens débordés qui n’arrivent pas à
s’occuper des détenus comme ils le voudraient. Il arrive
souvent que l’on compte un psychologue pour 400 détenus,
un psychiatre pour 200 ou 400 détenus, un éducateur
ou une assistante sociale pour 100 ou 200 détenus ! Un éducateur
me disait un jour : « Ici nous sommes 4 éducateurs
pour 400 détenus. Nous avons 100 détenus en charge
chacun, moi je ne m’occupe que de 30 détenus »,
ce qui était déjà prodigieux ! Le détenu,
confronté au manque et à l’absence de réponse,
accuse les éducateurs et thérapeutes d’abandon.
Il en résulte une incompréhension totale, née
d’une insuffisance de moyens.
Les infrastructures pénitentiaires sont-elles encourageantes
pour la relation enfant-parent ?
Les conditions d’accueil des familles et des enfants de détenus
sont déplorables, je dirais même que c’est un
désastre. Des enfants et une mère se retrouvent dans
un misérable placard, avec en plus, selon les cas, une table
ou un muret de séparation à mi-hauteur. Dans certains
établissements, quelques améliorations ont été
apportées. Mais en règle générale, c’est
une véritable catastrophe. On arrive d’ailleurs à
un paradoxe assez étonnant. Dans les établissements
comme Bois d’Arcy, un parloir spécial a été
créé pour les enfants qui viennent accompagnés
par le Relais enfants parents. Les conditions sont bien meilleures
: la durée du parloir peut être plus longue, les locaux
sont accueillants. C’est presque respectueux pour l’intimité
familiale...
Pourquoi qualifiez-vous cette situation de paradoxale ?
Quand une famille va bien, on la met dans un placard, un peu comme
si ce n’était pas la peine de s’en occuper !
Et quand il y a une situation difficile et que la famille ne vient
pas, ne veut pas venir, ou ne peut pas venir, le service du Relais
enfants parents intervient et dispose de locaux améliorés.
C’est un comble !
La solution se résumerait donc en deux mots : plus de personnel
et de meilleures conditions d’accueil ?
Exactement. Il faudrait aussi cesser de faire des effets d’annonce
comme Mmes Guigou et Lebranchu, qui promettent de mettre en place
des unités d’accueil pour les familles et qui ne font
jamais rien. Leurs prédécesseurs n’ont d’ailleurs
pas été plus actifs. Depuis ving-cinq ans, je n’arrête
pas d’interpeller les gardes des Sceaux sur cette question.
Nous sommes plusieurs aujourd’hui à défendre
le parloir intime. Mais rien n’est mis en route pour autant.
Cette unité de visite familiale est dénoncée
par ses détracteurs comme étant un lieu où
les gens vont avoir le droit de faire l’amour - comme si c’était
un crime ! On oublie que c’est aussi le lieu où, pendant
un laps de temps allant de huit heures à soixante-douze heures,
on reconstitue les conditions de vie à la maison. La réinsertion
des prisonniers en sera facilitée. Lorsque l’on maintient
les liens familiaux des détenus, une structure les soutient
pendant l’incarcération, et ce soutien va continuer
à l’extérieur. Il y aura une continuité.
Cela permettrait aussi d’éviter que les détenus,
à leur sortie, ressemblent à des monstres inaffectifs
(1).
Ces unités de famille familiales n’existent nulle
part ?
En France, non. Au Canada cela existe depuis 1979, on appelle ça
« la roulotte ». Le système existe aussi en Suède,
en Espagne, au Mexique... Il y a au moins 25 pays qui connaissent
ce genre de dispositif. La situation française est désastreuse.
Notre pays est vraiment à la traîne. Certes, des efforts
sont faits par des organismes, des associations et des individus
motivés. Mais ce sont souvent des associations de type caritatif
qui se mobilisent. L’État ne faisant pas son travail,
on compte sur elles pour combler le manque. C’est absolument
ridicule !
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
(1) À propos des frustrations affective et sexuelle des
détenus lire : la Guillotine du sexe (éditions de
l’atelier) ou l’Homme de métal (éditions
de l’existence).
*Jacques Lesage de La Haye exerce à l’établissement
public de santé de Ville Evrard, il est chargé de
cours à l’université de Paris VIII et formateur
à L’école des parents et des éducateurs,
un organisme qui intervient en milieu carcéral depuis 1986.
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