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Prisons « La situation française est désastreuse »
Entretien avec Jacques Lesage de La Haye
mercredi 6 février 2002

Origine : http://www.politis.fr/article74.html


Un entretien avec le psychologue* Jacques Lesage de La Haye. Il défend depuis vingt-cinq ans le droit des prisonniers à une vie familiale, convaincu qu’elle peut être un pivot pour leur réinsertion.

Quelle importance un parent détenu accorde-t-il à son enfant ?

Les parents qui viennent dans nos groupes de parole sont dans une souffrance extrême et parlent presque exclusivement de leurs enfants. Pour certains, la séparation brutale réveille quelque chose qui peut les amener à créer un lien qu’ils ne ressentaient pas, ou à ressouder un lien qui s’était distendu. Dès lors, leur souffrance devient terrible parce qu’ils se responsabilisent, ils prennent conscience du fait qu’ils sont pères et commencent à se dire : « Je n’ai pas fait ce que je devais avec mon enfant ». Puis ils décident de s’en occuper très sérieusement. Dans un des groupes de Bois d’Arcy, encadré par mon collègue Pascal Matra, un prisonnier a fait une prise de conscience absolument remarquable. Lors d’une réunion de synthèse, il nous a dit : « Avant d’entrer en prison, seuls comptaient pour moi les copains, avec qui je faisais mes coups. Mes enfants n’avaient pas d’importance. Le travail que j’ai fait m’a amené à prendre conscience de l’existence de mes enfants et même de leur importance. Quand je sortirai, mes enfants seront ma priorité. Les copains et toutes les erreurs que j’ai commises ne compteront plus ».

Le rôle d’un enfant pour la réinsertion de son parent libéré peut donc être énorme ?

Oui. Parce que certains, qui ont tendance à vivre comme des immatures, c’est-à-dire comme des adultes qui n’ont pas conscience de cette responsabilité, se mettent à « grandir » pendant leur incarcération. Ils font souvent un travail sur eux-mêmes et s’interrogent sur ce qu’ils étaient avant de passer la porte de la prison. Il faut dire qu’ils vivaient dans une telle précarité économique et sociale que la délinquance pouvait leur apparaître comme le seul moyen de s’en sortir. Mais l’enfant les amène à une sorte de responsabilité qui va les pousser à chercher d’autres solutions.

Ce lien enfant-parent détenu est-il valorisé par l’institution pénitentiaire ?

En général, les services sociaux et éducatifs valorisent cette relation. Ils considèrent même que cela s’inscrit dans un processus d’insertion ou de réinsertion. Le malheur c’est que les gens qui sont concernés par ces problèmes-là, éducateurs, assistantes sociales, médecins, sont en nombre totalement insuffisant. Ce sont des gens débordés qui n’arrivent pas à s’occuper des détenus comme ils le voudraient. Il arrive souvent que l’on compte un psychologue pour 400 détenus, un psychiatre pour 200 ou 400 détenus, un éducateur ou une assistante sociale pour 100 ou 200 détenus ! Un éducateur me disait un jour : « Ici nous sommes 4 éducateurs pour 400 détenus. Nous avons 100 détenus en charge chacun, moi je ne m’occupe que de 30 détenus », ce qui était déjà prodigieux ! Le détenu, confronté au manque et à l’absence de réponse, accuse les éducateurs et thérapeutes d’abandon. Il en résulte une incompréhension totale, née d’une insuffisance de moyens.

Les infrastructures pénitentiaires sont-elles encourageantes pour la relation enfant-parent ?

Les conditions d’accueil des familles et des enfants de détenus sont déplorables, je dirais même que c’est un désastre. Des enfants et une mère se retrouvent dans un misérable placard, avec en plus, selon les cas, une table ou un muret de séparation à mi-hauteur. Dans certains établissements, quelques améliorations ont été apportées. Mais en règle générale, c’est une véritable catastrophe. On arrive d’ailleurs à un paradoxe assez étonnant. Dans les établissements comme Bois d’Arcy, un parloir spécial a été créé pour les enfants qui viennent accompagnés par le Relais enfants parents. Les conditions sont bien meilleures : la durée du parloir peut être plus longue, les locaux sont accueillants. C’est presque respectueux pour l’intimité familiale...

Pourquoi qualifiez-vous cette situation de paradoxale ?

Quand une famille va bien, on la met dans un placard, un peu comme si ce n’était pas la peine de s’en occuper ! Et quand il y a une situation difficile et que la famille ne vient pas, ne veut pas venir, ou ne peut pas venir, le service du Relais enfants parents intervient et dispose de locaux améliorés. C’est un comble !

La solution se résumerait donc en deux mots : plus de personnel et de meilleures conditions d’accueil ?

Exactement. Il faudrait aussi cesser de faire des effets d’annonce comme Mmes Guigou et Lebranchu, qui promettent de mettre en place des unités d’accueil pour les familles et qui ne font jamais rien. Leurs prédécesseurs n’ont d’ailleurs pas été plus actifs. Depuis ving-cinq ans, je n’arrête pas d’interpeller les gardes des Sceaux sur cette question. Nous sommes plusieurs aujourd’hui à défendre le parloir intime. Mais rien n’est mis en route pour autant. Cette unité de visite familiale est dénoncée par ses détracteurs comme étant un lieu où les gens vont avoir le droit de faire l’amour - comme si c’était un crime ! On oublie que c’est aussi le lieu où, pendant un laps de temps allant de huit heures à soixante-douze heures, on reconstitue les conditions de vie à la maison. La réinsertion des prisonniers en sera facilitée. Lorsque l’on maintient les liens familiaux des détenus, une structure les soutient pendant l’incarcération, et ce soutien va continuer à l’extérieur. Il y aura une continuité. Cela permettrait aussi d’éviter que les détenus, à leur sortie, ressemblent à des monstres inaffectifs (1).

Ces unités de famille familiales n’existent nulle part ?

En France, non. Au Canada cela existe depuis 1979, on appelle ça « la roulotte ». Le système existe aussi en Suède, en Espagne, au Mexique... Il y a au moins 25 pays qui connaissent ce genre de dispositif. La situation française est désastreuse. Notre pays est vraiment à la traîne. Certes, des efforts sont faits par des organismes, des associations et des individus motivés. Mais ce sont souvent des associations de type caritatif qui se mobilisent. L’État ne faisant pas son travail, on compte sur elles pour combler le manque. C’est absolument ridicule !

Propos recueillis par Nolwenn Weiler


(1) À propos des frustrations affective et sexuelle des détenus lire : la Guillotine du sexe (éditions de l’atelier) ou l’Homme de métal (éditions de l’existence).

*Jacques Lesage de La Haye exerce à l’établissement public de santé de Ville Evrard, il est chargé de cours à l’université de Paris VIII et formateur à L’école des parents et des éducateurs, un organisme qui intervient en milieu carcéral depuis 1986.