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La prison a fait son temps, qu’elle crève !
avril 2006

Origine :http://altermonde-levillage.nuxit.net/article.php3?id_article=5676

Source d’origine : http://www.federation-anarchiste.org

Intéressante analyse qui date de quelques années, mais dont la pertinence est de plus en plus évidente. De quoi sérieusement réfléchir pour les luttes à venir. La prison, hormis des cas exceptionnels n’a pas d’autre raison d’être que le maintien de l’ordre social voulu et imposé par les plus puissants.
Jean Dornac

En dépit des archaïsmes qu’elle incarne, la prison est une institution récente. Née sous sa forme moderne avec la société bourgeoise, elle demeure l’instrument privilégié des nantis pour étouffer et gérer au quotidien la révolte contre l’insupportable. Forcément férocement...

Historiquement les anarchistes ont souvent connu la prison. C’est logique. La prison est d’abord une machine de guerre de la bourgeoisie. Les peines requises le 19 octobre dernier à l’encontre de trois militants de l’association des demandeurs d’emploi et des précaires de l’ADEPA en sont un des exemples les plus récents. Il y en a beaucoup d’autres. Arme de classe, la prison a toujours servi à gérer l’exclusion. Tout le monde le sait. Y compris l’institution qui dans ses documents officiels déclare qu’il a : « été démontré que la “sur-représentation” des pauvres en prison était le résultat d’un processus social »

Pour parler clairement, ce sont les pauvres qui constituent la grande majorité de la population carcérale et ils sont en prison parce qu’ils sont pauvres : 85 % de la population pénale se recrute dans les milieux les plus déshérités. Naturellement, le nombre des délits suit la même courbe que celle des crises économiques. C’est ainsi que depuis 1982, les statistiques attestent une progression importante de personnes sans emploi au moment de leur incarcération. En fait, beaucoup de détenus ont des ressources modestes en entrant en prison. Or, celles-ci se trouvent encore réduites du fait de leur emprisonnement. S’ils touchaient les ASSEDIC, le RMI ou l’AAH (allocation adulte handicapé), ils n’y ont rapidement plus droit ou pas dans les mêmes conditions. Quant à ceux qui ont un travail, ils le perdent au moment de leur incarcération. D’où ce cercle infernal dans lequel l’État maintient ses citoyens les plus fragiles : la pauvreté les conduit en prison et la prison les appauvrit un peu plus.
Punir et isoler pour soumettre

On comprend, dans ces conditions, qu’en France, les prisons n’aient jamais été aussi pleines et l’on prévoit la construction de 5 000 places supplémentaires pour l’an 2 000. Pourtant, et cela aussi toutes les statistiques le confirment, le nombre de crimes de sang est resté stable depuis plusieurs décennies. Mais quiconque pénètre dans une prison constate que c’est une fraction de la jeunesse pauvre qu’on prive de liberté. La prison fait partie de l’arsenal répressif indispensable dont dispose une société de plus en plus inégalitaire pour imposer l’injustice aux couches sociales les plus démunies et terroriser ceux qu’elle jette dans la rue et marginalise. Car la prison ne se contente pas de punir ceux qui enfreignent des lois profondément inégalitaires. La privation de liberté est aussi synonyme d’isolement. En les mettant derrière des barreaux, elle retranche du corps social une partie de la population et si cela ne suffit pas, elle isole encore les plus rétifs (ou les plus politiques) à l’intérieur même de cet isolement grâce au mitard, cette prison de la prison. Punir et isoler sont deux des grandes fonctions de l’enfermement, mais sa finalité est de discipliner, de contraindre les individus à « rester à leur place ». Aussi invivable soit cette place. Symboliquement la société capitaliste nous demande de vivre notre vie comme si nous étions tous enfermés dans un ordre qui nous dépasse et nous contraint. D’accepter la mondialisation et la précarisation, l’injustice et ses inégalités, la misère ou les guerres. Avec comme horizon, si nous refusons ces perspectives, de trouver la prison réelle, celle dont le but ultime est de garantir cet ordre en rendant les individus dociles.

C’est pourquoi, en dépit de l’humanisme de façade et des vœux pieux sur l’amélioration du sort des détenus, toute prison ne peut être qu’une institution totalitaire au sens fort. C’est-à-dire un lieu où l’on doit discipliner les corps et les esprits, un lieu où l’on transforme les individus sans soucis de leurs besoins ou de leurs personnalités afin qu’ils entrent dans le moule uniforme voulu par la société. Qu’ils se taisent et se soumettent.
L’imposture de la réinsertion

Ceci explique pourquoi la fonction de réinsertion de la prison ne peut être qu’un échec lamentable. Le taux de récidive qui est déjà très fort s’accroît chaque fois qu’on repasse par la case prison. Chez les mineurs par exemple, ce chiffre peut atteindre jusqu’à 80, 90 % pour les multi-récidivistes. Comme l’écrivait Michel Foucault : « la prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants. Elle en fabrique par le type d’existence qu’elle fait mener aux détenus, qu’on les isole dans des cellules, ou qu’on leur impose un travail inutile, pour lequel ils ne trouveront pas d’emploi ; c’est de toutes façons ne pas songer à l’homme en société ». Jacques Lesage de la Haye parle quant à lui de « machine à fabriquer des délinquants ». Le paradoxe de la prison, censée éradiquer les crimes, c’est qu’elle est l’endroit le plus criminogène de la société. D’autant qu’à leur sortie les ex-taulards se retrouvent sous la surveillance de la police tout en étant sans argent, parfois sans savoir où dormir le soir même et totalement déconnectés de la vie sociale. Ainsi l’ancien détenu n’a d’autres alternatives que de récidiver pour essayer de s’en sortir mais a peu de chances de passer inaperçu. Car, si les plus riches ont de nombreux lieux privés (domicile, résidence secondaire, entreprise, etc.) pour exercer, éventuellement, des activités illégales, les plus pauvres n’ont en général que la voie publique ou le domicile des autres. On sait fort bien que la « délinquance en col blanc », celle des patrons et des politiciens est infiniment plus préjudiciable à la collectivité que les larcins des pauvres bougres. Mais c’est toujours un événement quand on met un des premiers en prisons alors que pour les plus pauvres c’est une banalité qui se reproduit à des milliers d’exemplaires. Il sera toujours plus facile pour un flic d’arrêter l’ex-détenu du coin que d’aller mettre son nez sous certains lambris dorés.
La prison, lieu d’aliénation

Un détenu est avant tout une personne privée de liberté et donc d’autonomie : tout est décidé à sa place, heures des repas, des promenades. Il n’a pas d’autre choix que l’acceptation passive. L’institution en fait un être irresponsable et infantilisé au maximum. Si le corps est en principe respecté, la personnalité du détenu est profondément modifiée, les murs sont dans la tête et l’atteinte psychologique dévastatrice. Un communiqué des détenus de Moulin-Yzeure en août 1996 est à ce sujet très explicite : « nous rappelons que des études psychologiques portant sur la longueur des peines démontrent qu’après 5 ans de détention, un détenu entre dans un processus de rupture avec le système et devient dès lors “irrécupérable pour la société”, donc éliminé du système social. Toujours selon les mêmes études, après 10 ans de détention, un détenu est “psychologiquement mort”, donc éliminé par le système social et pour lui-même [...] à la logique de mort qui nous est imposée, nous avons choisi la vie et la dignité. » Cette atteinte psychologique a des conséquences tragiques : on se suicide 10 fois plus en prison que dehors et les chiffres sont en perpétuelle augmentation. Depuis le début de cette année, 111 détenus au moins se sont ainsi « définitivement évadés ». Le fait que le détenu n’a pas le droit d’association et donc que toutes les solidarités sont cassées en prison n’est pas étranger à ce phénomène.

En avril 1985, des détenus ont pourtant essayé de créer l’ASPF : Association Syndicale des Prisonniers de France. Cette démarche avait pour but de permettre aux détenus de s’associer et d’assumer eux-mêmes leur représentativité, c’était un embryon d’auto-organisation des prisonniers. Bien que le droit d’association soit, paraît-il, constitutionnel et imprescriptible, l’expérience ne put durer au-delà de quelques mois et prit fin en décembre 1985.
Rêve d’exploiteur et cauchemar d’exploités

Preuve, s’il en était besoin, que la revendication du CAP (Comité d’Action des Prisonniers) dans les années soixante-et-dix de fonder un véritable syndicat de détenus reste, plus que jamais, une nécessité. Car, les conditions de détention sont toujours très dures et parfois atroces. Ce qui fait beaucoup pour un système inutile et socialement contre-productif. Il est vrai qu’il est le miroir, à peine caricatural, de notre société. On peut le vérifier dans les conditions de travail faites aux détenus. Le salaire brut moyen en maison d’arrêt est de 1 200 F et de 2 200 F en établissements pour peines ; quant au service général concernant tous les travaux d’entretien de la prison, les salaires sont encore plus faibles : 650 F pour une journée de 6 ou 8 heures ! Rémunérations misérables sur lesquelles on enlève encore 10 % pour frais de justice et 10 % pour charges sociales. Tout ceci sans droit syndical, ni droit de grève, bien sûr. Une situation de rêve pour les patrons qui exploitent cette main-d’œuvre quasi-servile. En revanche, côté taulard, le rêve ressemble plutôt à un cauchemar. Absence ou médiocrité de soins, violences, viols, passages à tabacs, sévices, voire tortures, comme en 1996 à Fleury-Mérogis où trois détenus avaient été maintenus nus, en plein hiver et sans chauffage, dans ce qui est appelé le « frigidaire » : tout cela fait le quotidien des prisons. Quant au problème du SIDA (mais aussi celui de l’hépatite C) dans les prisons françaises, c’est un des problèmes majeurs. Le taux de prévalence du VIH est entre 20 et 30 fois supérieur à celui que connaît le reste de la population. Le système carcéral est un système complètement aberrant et c’est pour cette raison que nous devons lutter contre lui, mais c’est en luttant contre toute oppression et en bâtissant une société fondée sur une économie égalitaire que nous parviendrons à faire tomber ces bastilles... ou, pour reprendre le générique de l’émission Ras-les-Murs (Radio libertaire) : « la prison a fait son temps, qu’elle crève ».

La population pénale recensée au 1er janvier 1998 fait état de 54 000 détenus répartie en 22 920 prévenus et 33 482 détenus pour une capacité d’hébergement de 49 400. Ce chiffre ne cesse d’augmenter au fil des ans et ceci en raison d’un allongement des peines et d’une nette diminution de la remise de peine des grâces présidentielles : en 1992 elle était de 10 jours pour chaque mois de prison restant à accomplir. Maximum 6 mois. En 1993 la remise de peine n’est plus que de 5 jours et seulement pour un maximum de 4 mois. Il y a plus de 2200 femmes détenues et près de 700 mineurs dont 80 de moins de 16 ans.

Alex et Cathy. - groupe « Un autre Futur » (Montpellier)

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Repères actuels, ne sachant pas de quand date l’article ci-dessus
source : prison.eu.org

Population sous écrou au 1er Mars 2006

l’effectif de la population sous écrou est de 60 667 (métropole et outre-mer). Soit 96,4 détenus pour 100 000 habitants.
Le nombre de personnes écrouée était de 59 700 il y a un an : taux d’accroissement de 1,6 %.
En excluant les 1 162 condamnés placés sous surveillance électronique et les 338 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement, on obtient une densité carcérale de 59 167 pour 51 142 places opérationnelles, soit 116 détenus pour 100 places.
10 établissements ou quartiers ont une densité égale ou supérieure à 200 p. 100, 41 ont une densité comprise entre 150 et 200, 79 entre 100 et 150.

Le nombre de prévenus, est de 19 368 soit une proportion de 33 % des personnes écrouées.

Le nombre de détenus de 18 ans ou moins est de 658

Source : ICH de P.V.Tournier