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Origine :http://altermonde-levillage.nuxit.net/article.php3?id_article=5676
Source d’origine : http://www.federation-anarchiste.org
Intéressante analyse qui date de quelques années,
mais dont la pertinence est de plus en plus évidente. De
quoi sérieusement réfléchir pour les luttes
à venir. La prison, hormis des cas exceptionnels n’a
pas d’autre raison d’être que le maintien de l’ordre
social voulu et imposé par les plus puissants.
Jean Dornac
En dépit des archaïsmes qu’elle incarne, la prison
est une institution récente. Née sous sa forme moderne
avec la société bourgeoise, elle demeure l’instrument
privilégié des nantis pour étouffer et gérer
au quotidien la révolte contre l’insupportable. Forcément
férocement...
Historiquement les anarchistes ont souvent connu la prison. C’est
logique. La prison est d’abord une machine de guerre de la
bourgeoisie. Les peines requises le 19 octobre dernier à
l’encontre de trois militants de l’association des demandeurs
d’emploi et des précaires de l’ADEPA en sont
un des exemples les plus récents. Il y en a beaucoup d’autres.
Arme de classe, la prison a toujours servi à gérer
l’exclusion. Tout le monde le sait. Y compris l’institution
qui dans ses documents officiels déclare qu’il a :
« été démontré que la “sur-représentation”
des pauvres en prison était le résultat d’un
processus social »
Pour parler clairement, ce sont les pauvres qui constituent la
grande majorité de la population carcérale et ils
sont en prison parce qu’ils sont pauvres : 85 % de la population
pénale se recrute dans les milieux les plus déshérités.
Naturellement, le nombre des délits suit la même courbe
que celle des crises économiques. C’est ainsi que depuis
1982, les statistiques attestent une progression importante de personnes
sans emploi au moment de leur incarcération. En fait, beaucoup
de détenus ont des ressources modestes en entrant en prison.
Or, celles-ci se trouvent encore réduites du fait de leur
emprisonnement. S’ils touchaient les ASSEDIC, le RMI ou l’AAH
(allocation adulte handicapé), ils n’y ont rapidement
plus droit ou pas dans les mêmes conditions. Quant à
ceux qui ont un travail, ils le perdent au moment de leur incarcération.
D’où ce cercle infernal dans lequel l’État
maintient ses citoyens les plus fragiles : la pauvreté les
conduit en prison et la prison les appauvrit un peu plus.
Punir et isoler pour soumettre
On comprend, dans ces conditions, qu’en France, les prisons
n’aient jamais été aussi pleines et l’on
prévoit la construction de 5 000 places supplémentaires
pour l’an 2 000. Pourtant, et cela aussi toutes les statistiques
le confirment, le nombre de crimes de sang est resté stable
depuis plusieurs décennies. Mais quiconque pénètre
dans une prison constate que c’est une fraction de la jeunesse
pauvre qu’on prive de liberté. La prison fait partie
de l’arsenal répressif indispensable dont dispose une
société de plus en plus inégalitaire pour imposer
l’injustice aux couches sociales les plus démunies
et terroriser ceux qu’elle jette dans la rue et marginalise.
Car la prison ne se contente pas de punir ceux qui enfreignent des
lois profondément inégalitaires. La privation de liberté
est aussi synonyme d’isolement. En les mettant derrière
des barreaux, elle retranche du corps social une partie de la population
et si cela ne suffit pas, elle isole encore les plus rétifs
(ou les plus politiques) à l’intérieur même
de cet isolement grâce au mitard, cette prison de la prison.
Punir et isoler sont deux des grandes fonctions de l’enfermement,
mais sa finalité est de discipliner, de contraindre les individus
à « rester à leur place ». Aussi invivable
soit cette place. Symboliquement la société capitaliste
nous demande de vivre notre vie comme si nous étions tous
enfermés dans un ordre qui nous dépasse et nous contraint.
D’accepter la mondialisation et la précarisation, l’injustice
et ses inégalités, la misère ou les guerres.
Avec comme horizon, si nous refusons ces perspectives, de trouver
la prison réelle, celle dont le but ultime est de garantir
cet ordre en rendant les individus dociles.
C’est pourquoi, en dépit de l’humanisme de façade
et des vœux pieux sur l’amélioration du sort des
détenus, toute prison ne peut être qu’une institution
totalitaire au sens fort. C’est-à-dire un lieu où
l’on doit discipliner les corps et les esprits, un lieu où
l’on transforme les individus sans soucis de leurs besoins
ou de leurs personnalités afin qu’ils entrent dans
le moule uniforme voulu par la société. Qu’ils
se taisent et se soumettent.
L’imposture de la réinsertion
Ceci explique pourquoi la fonction de réinsertion de la
prison ne peut être qu’un échec lamentable. Le
taux de récidive qui est déjà très fort
s’accroît chaque fois qu’on repasse par la case
prison. Chez les mineurs par exemple, ce chiffre peut atteindre
jusqu’à 80, 90 % pour les multi-récidivistes.
Comme l’écrivait Michel Foucault : « la prison
ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants. Elle en
fabrique par le type d’existence qu’elle fait mener
aux détenus, qu’on les isole dans des cellules, ou
qu’on leur impose un travail inutile, pour lequel ils ne trouveront
pas d’emploi ; c’est de toutes façons ne pas
songer à l’homme en société ».
Jacques Lesage de la Haye parle quant à lui de « machine
à fabriquer des délinquants ». Le paradoxe de
la prison, censée éradiquer les crimes, c’est
qu’elle est l’endroit le plus criminogène de
la société. D’autant qu’à leur
sortie les ex-taulards se retrouvent sous la surveillance de la
police tout en étant sans argent, parfois sans savoir où
dormir le soir même et totalement déconnectés
de la vie sociale. Ainsi l’ancien détenu n’a
d’autres alternatives que de récidiver pour essayer
de s’en sortir mais a peu de chances de passer inaperçu.
Car, si les plus riches ont de nombreux lieux privés (domicile,
résidence secondaire, entreprise, etc.) pour exercer, éventuellement,
des activités illégales, les plus pauvres n’ont
en général que la voie publique ou le domicile des
autres. On sait fort bien que la « délinquance en col
blanc », celle des patrons et des politiciens est infiniment
plus préjudiciable à la collectivité que les
larcins des pauvres bougres. Mais c’est toujours un événement
quand on met un des premiers en prisons alors que pour les plus
pauvres c’est une banalité qui se reproduit à
des milliers d’exemplaires. Il sera toujours plus facile pour
un flic d’arrêter l’ex-détenu du coin que
d’aller mettre son nez sous certains lambris dorés.
La prison, lieu d’aliénation
Un détenu est avant tout une personne privée de liberté
et donc d’autonomie : tout est décidé à
sa place, heures des repas, des promenades. Il n’a pas d’autre
choix que l’acceptation passive. L’institution en fait
un être irresponsable et infantilisé au maximum. Si
le corps est en principe respecté, la personnalité
du détenu est profondément modifiée, les murs
sont dans la tête et l’atteinte psychologique dévastatrice.
Un communiqué des détenus de Moulin-Yzeure en août
1996 est à ce sujet très explicite : « nous
rappelons que des études psychologiques portant sur la longueur
des peines démontrent qu’après 5 ans de détention,
un détenu entre dans un processus de rupture avec le système
et devient dès lors “irrécupérable pour
la société”, donc éliminé du système
social. Toujours selon les mêmes études, après
10 ans de détention, un détenu est “psychologiquement
mort”, donc éliminé par le système social
et pour lui-même [...] à la logique de mort qui nous
est imposée, nous avons choisi la vie et la dignité.
» Cette atteinte psychologique a des conséquences tragiques
: on se suicide 10 fois plus en prison que dehors et les chiffres
sont en perpétuelle augmentation. Depuis le début
de cette année, 111 détenus au moins se sont ainsi
« définitivement évadés ». Le fait
que le détenu n’a pas le droit d’association
et donc que toutes les solidarités sont cassées en
prison n’est pas étranger à ce phénomène.
En avril 1985, des détenus ont pourtant essayé de
créer l’ASPF : Association Syndicale des Prisonniers
de France. Cette démarche avait pour but de permettre aux
détenus de s’associer et d’assumer eux-mêmes
leur représentativité, c’était un embryon
d’auto-organisation des prisonniers. Bien que le droit d’association
soit, paraît-il, constitutionnel et imprescriptible, l’expérience
ne put durer au-delà de quelques mois et prit fin en décembre
1985.
Rêve d’exploiteur et cauchemar d’exploités
Preuve, s’il en était besoin, que la revendication
du CAP (Comité d’Action des Prisonniers) dans les années
soixante-et-dix de fonder un véritable syndicat de détenus
reste, plus que jamais, une nécessité. Car, les conditions
de détention sont toujours très dures et parfois atroces.
Ce qui fait beaucoup pour un système inutile et socialement
contre-productif. Il est vrai qu’il est le miroir, à
peine caricatural, de notre société. On peut le vérifier
dans les conditions de travail faites aux détenus. Le salaire
brut moyen en maison d’arrêt est de 1 200 F et de 2
200 F en établissements pour peines ; quant au service général
concernant tous les travaux d’entretien de la prison, les
salaires sont encore plus faibles : 650 F pour une journée
de 6 ou 8 heures ! Rémunérations misérables
sur lesquelles on enlève encore 10 % pour frais de justice
et 10 % pour charges sociales. Tout ceci sans droit syndical, ni
droit de grève, bien sûr. Une situation de rêve
pour les patrons qui exploitent cette main-d’œuvre quasi-servile.
En revanche, côté taulard, le rêve ressemble
plutôt à un cauchemar. Absence ou médiocrité
de soins, violences, viols, passages à tabacs, sévices,
voire tortures, comme en 1996 à Fleury-Mérogis où
trois détenus avaient été maintenus nus, en
plein hiver et sans chauffage, dans ce qui est appelé le
« frigidaire » : tout cela fait le quotidien des prisons.
Quant au problème du SIDA (mais aussi celui de l’hépatite
C) dans les prisons françaises, c’est un des problèmes
majeurs. Le taux de prévalence du VIH est entre 20 et 30
fois supérieur à celui que connaît le reste
de la population. Le système carcéral est un système
complètement aberrant et c’est pour cette raison que
nous devons lutter contre lui, mais c’est en luttant contre
toute oppression et en bâtissant une société
fondée sur une économie égalitaire que nous
parviendrons à faire tomber ces bastilles... ou, pour reprendre
le générique de l’émission Ras-les-Murs
(Radio libertaire) : « la prison a fait son temps, qu’elle
crève ».
La population pénale recensée au 1er janvier 1998
fait état de 54 000 détenus répartie en 22
920 prévenus et 33 482 détenus pour une capacité
d’hébergement de 49 400. Ce chiffre ne cesse d’augmenter
au fil des ans et ceci en raison d’un allongement des peines
et d’une nette diminution de la remise de peine des grâces
présidentielles : en 1992 elle était de 10 jours pour
chaque mois de prison restant à accomplir. Maximum 6 mois.
En 1993 la remise de peine n’est plus que de 5 jours et seulement
pour un maximum de 4 mois. Il y a plus de 2200 femmes détenues
et près de 700 mineurs dont 80 de moins de 16 ans.
Alex et Cathy. - groupe « Un autre Futur » (Montpellier)
* * *
Repères actuels, ne sachant pas de quand date l’article
ci-dessus
source : prison.eu.org
Population sous écrou au 1er Mars 2006
l’effectif de la population sous écrou est de 60 667
(métropole et outre-mer). Soit 96,4 détenus pour 100
000 habitants.
Le nombre de personnes écrouée était de 59
700 il y a un an : taux d’accroissement de 1,6 %.
En excluant les 1 162 condamnés placés sous surveillance
électronique et les 338 condamnés placés à
l’extérieur sans hébergement, on obtient une
densité carcérale de 59 167 pour 51 142 places opérationnelles,
soit 116 détenus pour 100 places.
10 établissements ou quartiers ont une densité égale
ou supérieure à 200 p. 100, 41 ont une densité
comprise entre 150 et 200, 79 entre 100 et 150.
Le nombre de prévenus, est de 19 368 soit une proportion
de 33 % des personnes écrouées.
Le nombre de détenus de 18 ans ou moins est de 658
Source : ICH de P.V.Tournier
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