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Origine : http://www.souverains.qc.ca/laprison/31.htm
DANS les pays développés, les conditions de vie des
détenus laissent largement à désirer. Quand
la vie privée - accès à l'hygiène, correspondance,
visites familiales... - est déjà soumise à
contrôle et à restrictions, la sexualité demeure
un tabou. A l'aune des expériences réalisées
dans différents pays, et à l'incitation d'instances
internationales de défense des droits humains, il semblerait
qu'en France le ministère de la justice et l'administration
pénitentiaire, après de longues hésitations,
s'ouvrent à l'amélioration du respect de l'intimité
des personnes incarcérées.
L'implantation d'« unité de visites familiales »
(UVF) dans certaines prisons françaises semblait devenir
l'arlésienne de l'administration pénitentiaire. Or,
le 1er décembre 1998, la presse a annoncé l'implantation
d'UVF, à titre expérimental, sur trois sites. Imaginé
il y a près de quinze ans, annoncé le 4 décembre
1997, mais jamais mis en oeuvre, le projet pourrait donc prochainement
sortir des cartons. Les UVF seraient de petits appartements composés
de deux chambres - l'une pour le couple, l'autre pour les enfants
- , d'un coin repas et de sanitaires. Ces espaces privatifs, exempts
de surveillance, seraient accessibles à des personnes condamnées
à de longues peines. Selon l'administration, ils pourraient
concerner de 8 000 à 15 000 détenus.
Ce projet a été précédé de plusieurs
initiatives au cours des deux dernières décennies.
En 1984, un local était aménagé, à titre
expérimental, au centre de détention de Casabianda,
en Corse. Un an plus tard, M. Robert Badinter, alors garde des sceaux,
commandait un rapport à la commission architecture-prison,
présidée par Mme Myriam Ezratty, directrice de l'administration
pénitentiaire. La commission invita à la réalisation
d'espaces permettant aux détenus d'y recevoir leurs familles
hors de la surveillance du personnel pénitentiaire. En 1986,
la construction de tels espaces était réalisée
dans les centres de détention de Mauzac et de Val-de-Reuil.
Cependant, le projet fut abandonné en raison de l'opposition
du directeur de l'administration pénitentiaire (AP) de l'époque.
En 1989, le rapport de M. Gilbert Bonnemaison invita à nouveau
à « réfléchir, en concertation avec le
personnel pénitentiaire, au maintien dans les établissements
consacrés aux longues peines des relations affectives et
sexuelles des détenus (1) ». En 1992, le rapport du
groupe de travail de l'AP insista en ce sens et, en juin 1995, un
autre rapport du groupe de travail prit position en faveur de la
création des unités de visites familiales. C'est ce
projet qui refait surface. La France pourrait rejoindre ainsi différents
pays européens où existent de tels dispositifs sous
formes diverses.
L'Espagne pratique un dispositif de « vis-à-vis »
où des visites, d'une durée limitée entre une
heure trente et trois heures, se déroulent dans une pièce
composée d'un lit et d'un sanitaire. D'après les autorités
pénitentiaires, le seul critère d'accès aux
« vis-à- vis » intimes est la stabilité
du couple, marié ou non. Au centre pénitentiaire de
Valdemoro, à Madrid, les détenus ont droit à
une visite intime par mois. Les préservatifs, selon la direction,
sont distribués régulièrement et sont également
disponibles dans les parloirs privés. Les couples homosexuels
auraient également accès à ces parloirs, ainsi
que les couples dont les deux partenaires sont en détention.
Une prison pour les couples détenus existe, une prison mixte
pour jeunes est à l'étude.
La France, lanterne rouge
AU Québec, les visites familiales privées ont lieu
dans un pavillon dit mobil home, situé hors de la détention
mais sur site pénitentiaire. Tous les deux mois, des personnes
détenues condamnées à une peine supérieure
à deux ans peuvent recevoir leurs proches à raison
d'une durée de deux à soixante-douze heures. Le dispositif
avait été introduit à titre expérimental,
de 1980 à 1983, dans sept établissements dont un établissement
féminin. A la suite d'une évaluation de cette expérience,
qui se révéla satisfaisante tant pour les personnes
détenues et leurs proches que pour les personnels de surveillance,
elle fut étendue à 42 établissements. Ainsi,
en 1995, on recense 90 unités de visites familiales, dont
5 500 détenus bénéficient chaque année.
Au Danemark, depuis 1982, des visites conjugales hebdomadaires
d'une durée d'une heure trente sont possibles dans différents
établissements. En Ecosse, certains établissements
autorisent la sortie non surveillée du détenu et du
visiteur pendant quatre heures. La Finlande et la Norvège
ont opté, quant à elles, pour le congé conjugal.
La Suède reconnaît également la possibilité
de visites familiales depuis fort longtemps. Les Pays-Bas ont introduit
la possibilité de visites sans surveillance dans des locaux
spéciaux ainsi que dans les cellules des détenus.
La République de Moldavie a choisi le système des
hôtels pénitentiaires implantés dans un secteur
de l'établissement, où la personne détenue
peut séjourner pendant plusieurs jours avec sa famille.
Selon une récente enquête menée à l'initiative
de l'Observatoire international des prisons (2), on peut noter que
dans un nombre non négligeable de pays les visites, quelle
que soit la manière dont elles sont organisées, durent
non pas quelques heures, mais plusieurs jours, voire plusieurs nuits.
C'est le cas de la Lituanie (pour les condamnés), de la République
tchèque (quarante-huit heures d'affilée), de l'Ukraine
(de quatre heures à trois jours par mois). En Allemagne,
il est clairement indiqué que des visites totalement privatives
existent dans certains établissements pour conjoints et familles
dans des appartements.
La France fait donc figure de lanterne rouge en la matière,
alors que la Commission européenne des droits de l'homme
a souligné à plusieurs reprises « qu'il est
essentiel au respect de la vie familiale que l'administration pénitentiaire
aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille
proche », et n'a de cesse de rappeler que la vie sexuelle
ressortit de l'intégrité physique et morale de la
personne. Le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
incitent les quarante Etats membres à une amélioration
des conditions de visite pour les conjoints et leurs enfants.
Reconnaître un droit à l'intimité en prison,
c'est s'autoriser enfin à franchir le tabou de la sexualité.
M. Jacques Lesage de La Haye, après avoir passé plus
de onze années en détention, fut l'un des premiers
à évoquer la question en consacrant à ce sujet
un ouvrage au titre évocateur : La Guillotine du sexe (3).
Pour cet auteur, « la frustration sexuelle n'est pas la privation
de liberté. C'est la castration pure et simple de l'être
humain ». De même, M. Serge Livrozet, ex-détenu,
faisait la remarque suivante en 1978 : « La force de l'habitude,
du pouvoir, de la répression et des textes est parvenue à
occulter en nous, prisonniers et ex-prisonniers, l'idée élémentaire
que l'activité sexuelle est indissociable de la vie humaine,
de la vie tout court. Les réducteurs de têtes et d'aspirations
sont parvenus à tuer en nous le désir du désir
(4) . »
Lorsque M. Alain Monnereau, ex-détenu, publie en 1986 une
enquête intitulée La Castration pénitentiaire
(5), l'administration française commence à se pencher
sur le sujet, mais piétine face aux syndicats du personnel
de surveillance, partagés sur la question bien qu'ouverts
à la concertation. De son côté, le Syndicat
de la magistrature (SM) a manifesté lors des premières
déclarations du garde des sceaux son « approbation
» à l'idée d'UVF.
Pour l'heure, aucun fondement juridique ne vient asseoir l'interdiction
pour un détenu d'avoir des relations sexuelles en prison.
La réforme du régime pénitentiaire disciplinaire
du 2 avril 1996 précise cependant que « constitue une
faute du deuxième degré le fait pour un détenu
d'imposer à la vue d'autrui des actes obscènes ou
susceptibles d'offenser la pudeur ». L'OIP a eu connaissance
du cas d'un détenu qui s'est vu infliger une sanction de
quinze jours d'isolement et de deux mois de suppression de visite
après s'être livré à des attouchements
sexuels avec sa compagne lors d'un parloir. Des personnes relatent
régulièrement l'humiliation subie en raison du regard
inévitablement inquisiteur des personnels de surveillance
lors des parloirs (6).
Dans la pratique, des relations sexuelles ont lieu en détention
dans des conditions déplorables pour tous (7). Jusqu'à
présent, le déni était de rigueur en la matière
(8). Or se libérer de ce tabou est une condition préalable
pour une prévention efficace de la transmission du virus
du sida (9). C'est aussi une nécessité pour développer
un discours de prévention des abus sexuels en détention.
Mais la vie privée englobe de nombreuses autres dimensions.
En maison d'arrêt, dans des cellules de neuf mètres
carrés occupées par deux ou trois personnes, les sanitaires
sont dépourvus de dispositifs de séparation. Cet état
de fait est dégradant et humiliant. En République
tchèque, en Slovaquie, en Slovénie, en Pologne, en
Autriche, en Lituanie ainsi que dans d'autres pays de l'Occident,
les sanitaires sont à l'abri du regard des tiers, et la plupart
des pays européens s'orientent vers la mise en place de dispositifs
de séparation. Concernant l'hygiène, on note que très
peu d'Etats ont installé des douches dans les cellules.
Par ailleurs, la personne détenue subit des fouilles à
corps pour raison de sécurité (article D 275 du code
de procédure pénale). Dans la plupart des pays européens,
le personnel de surveillance se livre à la fouille intégrale.
Certains pays pratiquent la fouille médicale, donc des cavités
(Angleterre, Bulgarie, Danemark, Hongrie, Irlande). Nombreux sont
les pays où les visiteurs sont fouillés. Certains
de ces pays indiquent qu'ils se limitent aux sacs et vêtements
- Hongrie et Pays- Bas -, d'autres qu'ils n'admettent la fouille
que par palpation. Toutefois, le 12 octobre 1997, à Châteaudun,
l'épouse d'un détenu s'est vue infliger une fouille
« strip- tease » par des surveillants de l'établissement
: elle a dû ôter son chemisier et son soutien-gorge
sous prétexte que le détecteur de métaux du
centre de détention sonnait.
Surinflation carcérale
AUTRE domaine touchant à la vie privée de la personne
détenue : le respect du secret de la correspondance. Le tribunal
administratif de Versailles, par un jugement du 10 octobre 1997,
a estimé que le fait d'avoir ouvert de manière réitérée
des courriers adressés par son avocat à un détenu
de la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy constituait une faute
de nature à engager la responsabilité de l'Etat vis-à-vis
du détenu. De nombreux pays européens excluent la
lecture des correspondances avec les autorités ou les avocats.
Quant à la possibilité pour les détenus de
téléphoner, la plupart des pays européens l'autorisent,
bien que dans des conditions variables. Si la pratique française
en la matière paraît correcte, elle n'est pas inscrite
dans le droit et exclut toujours les détenus en maison d'arrêt
(10). Un nombre non négligeable de pays permettent de recevoir
des appels de l'extérieur - ce qui est prohibé en
France.
La création d'unités de visites familiales en France
constituerait indéniablement un progrès. Cependant,
on peut s'interroger sur la portée expérimentale effective
de trois sites seulement, choisis selon des critères encore
inconnus, sur les 187 établissements pénitentiaires
existants. De plus, la mise en oeuvre de ce projet semble être
uniquement destinée aux établissements pour peines
- centrales et centres de détention - et non aux personnes
prévenues ou détenues en maison d'arrêt (11).
La surpopulation carcérale est évoquée comme
un obstacle à l'extension des UVF en maisons d'arrêt.
Or on observe, ces dernières années, un allongement
de la durée des peines qui est en partie la cause de la «
surinflation » carcérale. Les démographes Annie
Kinsey et Pierre Tournier ont pourtant démontré que
plus la durée des peines était élevée,
plus le taux de récidive l'était également
(12). Autrement dit, la prison ne remplit pas le rôle qu'elle
affirme jouer. Au contraire, elle aggrave les risques préexistants.
Or comment prétendre réinsérer une personne
qui a été détenue si on sape son noyau socio-affectif,
base de toute réinsertion élargie (13) ? Le droit
à l'intimité en détention est aussi celui des
personnes proches des personnes détenues : compagnes, compagnons,
enfants, parents, ami(e)s... Derrière les 57 093 détenus
(14), ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui sont
directement concernées.
MICHAEL FAURE.
(1) « La modernisation du service public pénitentiaire
», 1989, non publié mais disponible en photocopies
(« littérature grise ») à la Documentation
française.
(2) Réalisée par Martine Herzog-Evans (maître
de conférences à Paris-X), en collaboration avec Pierre
Tournier (expert au Conseil de l'Europe), à paraître.
(3) Jacques Lesage de La Haye, La Guillotine du sexe, Robert Laffont,
Paris, 1978 ; troisième édition, Editions de l'Atelier,
Paris, 1998.
(4) Cf. Christophe Soulié, La Liberté sur parole,
Analis, Bordeaux, 1995.
(5) Cf. Alain Monnereau, La Castration pénitentiaire, Lumière
et justice, Paris, 1986.
(6) Voir Antoinette Chauvenet, Georges Benguigui et Françoise
Orlic, Le Monde des surveillants de prison, PUF, Paris, 1994.
(7) Voir Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu, Michaël Faure,
Sexualités et violences en prison, Arléa/Observatoire
international des prisons, Lyon, 1996.
(8) M. Abdelhamid Hakkar, détenu à la maison centrale
de Clairvaux, a été sanctionné d'une peine
de dix jours de cellule disciplinaire avec sursis pour avoir porté
à la signature de ses codétenus une pétition
de l'Observatoire international des prisons « pour le droit
à l'intimité en détention ».
(9) Le taux de séropositivité en détention
reste trois à quatre fois plus élevé que celui
observé dans la population générale. Lire Prévention
et traitement du sida dans les prisons d'Europe, décembre
1995, document édité par l'Observatoire international
des prisons.
(10) Observatoire international des prisons, Le Guide du prisonnier,
L'Atelier/OIP, Paris, novembre 1996.
(11) On distingue, d'une part, les maisons d'arrêt, où
sont retenus les prévenus (la majorité de la population
carcérale est en détention provisoire) et les personnes
dont le reliquat de peine est inférieur à un an et,
d'autre part, les maisons centrales, où sont affectés
les condamnés à de longues peines. Certaines personnes
demeurent détenues en maison d'arrêt jusqu'à
cinq ans et quelquefois sans même être jugées.
Les centres de détention accueillent les personnes dont les
peines arrivent à leur terme et sont chargés de préparer
la resocialisation.
(12) Annie Kinsey, Pierre Tournier, « Libération sans
retour ? », ministère de la justice, octobre 1994.
(13) Voir Louis Perego, Retour à la case prison, Editions
ouvrières, Paris, 1990, et Claude Lucas, Suerte, l'exclusion
volontaire, Plon/Terre humaine, Paris, 1996.
(14) Selon les chiffres de l'administration pénitentiaire
au 1er mai 1998.
LE MONDE DIPLOMATIQUE FÉVRIER 1999
http://www.monde-diplomatique.fr/1999/02/FAURE/11627.html
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