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Origine : http://contre.propagande.org/pravda/modules/news/article.php?storyid=96
Barricata : Depuis quand existe l’émission Ras les
murs ?
Jacques : Depuis 1989. A Radio Libertaire (RL), il existe une émission
sur la prison depuis la création de la radio, en 1981. La
première équipe comprenait Floréal. En 1988,
une autre émission a commencé, remplacée en
1989 par Ras les Murs. Ce sont les anciens du Comité d’Action
des Prisonniers (CAP), notamment Nicole et moi, qui avons été
contactés pour lancer une nouvelle mouture de l’émission.
Comme technicien, on a demandé à Bernard de nous rejoindre,
déjà technicien à RL.
Nicole : Suite à une décision de congrès de
la Fédération Anarchiste (FA), les animateurs d’émission
doivent appartenir à la FA. Nous étions anarchistes,
mais pas à la FA. Nous sommes entrés au groupe historique
“ Camillo Berneri ”, dont Pascal, de Ras les Murs, est
également membre, ainsi que Serge Livrozet, un autre fondateur
du CAP dans les années 70.
Barricata : Vous avez déjà évoqué plusieurs
fois le CAP en peu de temps. On peut en savoir un peu plus sur ce
comité ?
Jacques : Avant le CAP, il faut signaler qu’il y a eu le Groupe
Informations Prisons (GIP), en 1971, avec Michel Foucault, Pierre
Vidal-Naquet, Daniel Defert, quelques taulards, moi-même.
Cela a duré un an. On a fait quelques brochures, notamment
“ les intolérables, cahier des revendications des mutineries
de l’année 1971 ”, un manuel de l’arrêté,
il y en a eu 3 ou 4 depuis, mais c’était le premier.
Est arrivé Serge Livrozet qui sortait à l’époque
de la centrale de Melun (c’est maintenant un centre de détention),
Serge considérait qu’il n’était pas question
que les intellectuels donnent la parole aux taulards, seuls les
taulards ont le droit de parler de la taule. Les gens comme Foucault
étaient mal à l’aise, ils nous ont rejoints.
Entre temps, ils ont créé l’Association pour
la Défense des Droits des Détenus (ADDD). J’ai
rejoint le CAP en considérant moi aussi que c’était
aux taulards de prendre leur lutte en main, même si je n’étais
absolument pas contre les intellectuels. Souviens-toi qu’il
y avait beaucoup de mouvements spécifiques à l’époque
(Handicapés, MLF, comités Français Immigrés,
le Groupe Informations Asiles, etc.).
Nicole : Précisons que pratiquement tous ces mouvements étaient
d’obédience libertaire.
Barricata : Toi, tu étais en prison quand ?
Jacques : Je suis tombé en 1957, je suis sorti en 1968. J’ai
ensuite essayé de survivre en faisant plein de boulots de
merde, docker, déménageur… En 1957, j’avais
18 ans. Je suis sorti à trente ans et c’est là
que j’ai débuté comme un fou ma vie militante.
Ma seule prise de conscience politique en prison, c’était
l’idée de créer un syndicat de prisonniers,
idée qui n’a émergé qu’en 1985
avec l’Association Syndicale des Prisonniers, créée
par les taulards eux-mêmes. Elle rassemblait 1700 taulards
sur les 42000 de l’époque (61000 aujourd’hui.
Ndlr). Le président était Jacques Gambier, à
Fleury-Mérogis. Ils m’ont demandé d’être
le président extérieur. Il n’y avait rien en
prison, pas de télévision, pas de journaux, rien,
rien, rien avant 1974…
Nicole : Et puis Jacques était un petit voyou…
Jacques : Oui, j’étais un casseur braqueur. C’est
la répression qui a entraîné chez moi une prise
de conscience. J’étais déjà anar, je
le suis devenu vers 17 ans, mais je pensais que l’anarchisme,
c’était la Bande à Bonnot. J’avais tenté
de rejoindre les communistes, je suis même allé jusqu’en
Roumanie. Comme on m’a coursé avec des mitraillettes,
je me suis dit que je ne pouvais pas être avec ces gens-là…
Mes prises de conscience datent de 1971-1972, du GIP. Ensuite, toutes
les actions du CAP étaient franchement libertaires et vraiment
offensives.
Cela reste pour moi l’exemple de la lutte anticarcérale,
sachant que tout ce que j’ai vu ou fait depuis n’est
que de l’ersatz de pacotille, je ne suis pas nostalgique,
je suis simplement un peu désespéré politiquement
de voir la merde dans laquelle on surnage aujourd’hui quand
on demande l’abolition de la prison. Je reste sur les mêmes
positions qu’au CAP où on se battait pour l’abolition,
avec des militants qui, eux-mêmes, se battaient à l’intérieur
des prisons comme des fous, c’était fantastique.
Barricata : Tu peux nous parler des luttes des prisonniers dans
les années 70 ?
Jacques : Il y a eu plein de mutineries en 1974, il y en a eu partout.
Il faut dire que les maos venaient d’être arrêtés,
Livrozet était mao à la base, il a ensuite basculé
vers le courant libertaire. Quand on voit tous les gens du Mouvement
du 23 mars, peu étaient libertaires…
Barricata : Quel 23 mars ?
Jacques : 23 mars 1968 ! Oui, on a eu un autre 23 mars, nous, en
1979, à l’Opéra. C’était la fin
de mon rêve. J’ai compris ce jour-là qu’on
ne ferait pas la Révolution. Jusque-là, j’y
croyais. Le 23 mars 1979 , on était 400000 à manifester,
y’avait les sidérurgistes de Longwy, et nous, les autonomes
; tout a été pété, ça été
la mise à sac d’une partie de la ville de Paris, mais
c’était pas la Révolution. On a continué
l’Autonomie un an… Mais pour revenir au CAP, il y avait
sans arrêt des plate-formes de revendication : abolition du
mitard, abolition du prétoire, abolition des quartiers d’isolement,
droit d’association, parloirs intimes, tarifs décents
pour les travailleurs (l’équivalent du Smic), soins
médicaux et dentaires corrects, bref, des plate-formes en
dix points, mais pharaoniques par rapport à ce qu’on
ose maintenant ! On réclame une douche de plus, c’est
un peu désolant tout ça...
Les détenus faisaient leurs revendications, quand l’administration
les repoussait, ou pire ne les entendait même pas, ils passaient
à l’action et cramaient entièrement les taules.
En 1974, 35 taules ont brûlé, il y a eu 100 blessés
et 8 morts chez les détenus, aujourd’hui, on ne s’en
souvient pas ! C’est une époque où on a pu rêver,
croire que c’était possible, parce que c’était
comme ça en prison et dans la rue. On était 30 au
CAP, mais par exemple 800 à Colmar pour soutenir Serge Livrozet
qui avait hurlé : “ pourriture de justice française
”. Tu connais un appel sur les luttes anticarcérales
où on est plus de trente aujourd’hui ? Ou alors, on
est aidé, parce que d’autres gens sont là pour
autre chose, comme ça, on croit qu’on est 800.
Barricata : Je ne connais pas grand chose de Livrozet, j’ai
juste lu De la Prison à la Révolte (éditions
Mille et une Nuits).
Nicole : C’est le meilleur, un super bouquin. Tu peux aussi
lire “ Hurle ” et “ la dictature démocratique
”.
Jacques : En 1974, Livrozet est un des principaux animateurs du
CAP, il fait des débats partout, des articles fracassants
dans le Journal des prisonniers qui sort tous les mois…
Nicole : Qui est vendu à la criée devant les prisons
et qui devait être diffusé à 5000/10000 exemplaires.
Barricata : C’était vendu devant les prisons !!!
Jacques : Oui, mais on se faisait embarquer, on était jeté
dans la campagne, sans transport, on rentrait à 03h du mat.
Les ventes étaient très organisées, il y avait
le groupe de Fresnes, le groupe de la Santé, le groupe de
Fleury… En 1974, il y a eu aussi la mobilisation de la prison
de Mende, contre le quartier d’isolement, on parlait alors
de Mende comme du “ chef-lieu de la Lozère et de la
torture ”. Mes 120 étudiants de Vincennes se sont répartis
en 4 groupes de 30, ils ont vendu tous les journaux du CAP dans
toute la fac de Paris-8, c’était autre chose que les
étudiants ou les profs d’aujourd’hui, en connivence
avec les entreprises ! Grâce à cela, on a pu affréter
un bus de 60 militants, les autres sont descendus en voiture, et
500 personnes ont tourné une heure autour de la prison, Livrozet
haranguait les détenus avec son mégaphone, et ils
répondaient. Les opérations étaient à
la hauteur des luttes de l’époque. Chaque action était
un coup de poing. Les gens de l’intérieur se battaient
vraiment, et ceux de l’extérieur étaient efficaces.
Il n’y avait pas cette espèce de queue de comète
des luttes d’aujourd’hui, qui fait qu’il y a des
tas de groupes qui n’arrivent pas à s’entendre
ensemble. Il y avait un mouvement de lutte qui était le mouvement
anarchiste du Comité d’Action des Prisonniers, qui
officiait bille en tête contre la prison.
Nicole : Aujourd’hui, tu as plein de groupuscules, mais cela
ne donne rien, il y a trop de dissensions. Avant, quand le CAP lançait
un appel, il était suivi…
Barricata : Toi, Nicole, tu faisais également partie du
CAP ?
Nicole : Oui, mais vers la fin. Le CAP a duré de décembre
1972 à février 1980. Moi, j’y suis arrivée
en 1977. Il faut bien comprendre qu’à l’époque,
10 à 15% de la population carcérale se battait. Or,
nous, on ne se battait pas pour des prisonniers mais contre la prison,
institution totalitaire !
Jacques : On ajoute que “ tout prisonnier est politique ”.
En 1985, l’Association Syndicale des Prisonniers a fait la
synthèse entre Politiques et droits communs en affirmant
que tout prisonnier était d’abord un prisonnier social.
Nicole : Ce concept de prisonniers sociaux est repris aujourd’hui
par Ne Laissons Pas Faire.
Barricata : J’aimerais bien que tu nous parles de ton livre,
“ la Guillotine du sexe ”…
Jacques : Il faut savoir qu’ayant fait partie des taulards
démolis psychologiquement, affectivement et émotionnellement
par la prison…
Nicole : Ce que les détenus ne veulent pas reconnaître
!
Jacques : J’ai été éminemment détruit
par mes onze ans et demi de taule. Parmi les causes de ma destruction,
un des facteurs prévalant avait été la frustration
affective et sexuelle. Ayant fait mes études en taule, bac,
licence es lettres mention psychologie, j’ai choisi comme
sujet de thèse de doctorat la frustration affective et sexuelle
du détenu. Je ne l’ai jamais soutenue, j’ai tellement
travaillé, milité et vécu que j’ai plutôt…
Nicole : Et baisé… que tu n’as pas eu le temps…
Jacques : Oui, mais pour rattraper onze ans et demi de frustration,
il faut baiser pendant 50 ans ! Même ainsi, cela n’a
rien réparé, il y a toujours un manque définitif,
et en cela, on rejoint le concept lacanien, on a compris qu’on
a terminé sa thérapie quand on s’aperçoit
qu’on sera toujours en manque. Cette idée-là
m’a amené à interviewer soixante codétenus,
c’était à la Centrale de Caen, 50 à l’intérieur
et dix dehors, en semi-liberté. C’est ce qui a permis
qu’en 1978 j’ai pu faire paraître la première
édition de “ la Guillotine du sexe ”. Il a été
réédité deux fois, aux éditions du Monde
Libertaire, puis aux éditions de l’Atelier. Il essaie
d’expliquer pourquoi une frustration affective et sexuelle
finit par créer un espèce de circuit cybernétique
auto-érotique où l’émetteur est son propre
récepteur et fonctionne en vase clos, ce qui fait qu’après,
il est incapable de fonctionner dans la relation duelle. Le regard
de l’autre est pour lui une accusation. Son univers est un
univers de solitude et de désespoir. J’ai appelé
cela le syndrome de sur-sollicitation, et j’ai cité
une quinzaine de cas. Ce livre a bien marché. J’ai
voulu transformer cela en roman, avec un type qui ressemble à
Tapie, il s’appelle Gérald et s’en sort brillamment
après 12 ans de taule. Il est complètement destroy
avec les nanas, il ne fait que des conneries, se plante, car il
est en décalage complet, affectivement et sexuellement, avec
ce qu’il est socialement. Je n’ai pas réussi
mon opération. Il n’y a eu que 700 exemplaires de vendus
de “ L’homme de métal ”, alors que “
la Guillotine du sexe ” a été diffusée
à 11000 exemplaires. C’est pour moi un échec
très douloureux, car je pensais que sous forme de roman,
ce serait davantage lu que sous forme d’essai.
Barricata : Est-ce que tu peux m’expliquer ce que signifie
pour toi, concrètement, l’abolition de la prison ?
Jacques : En tant qu’anarchistes, c’est un principe,
on ne peut accepter aucun internement, psychiatrique, intellectuel,
ostraciste, carcéral, l’enfermement du handicap, etc.
Barricata : A-t-on déjà connu une société
sans prison ?
Jacques : Il y a des sociétés tribales. Tu lis ça
dans “ Tristes Tropiques ” de Claude Levi-Strauss.
Nicole : Chez les Kanaks, il n’y a pas de prison. La prison
existe car on a créé une société de
consommation, où il y a des biens…
Barricata : Connaissez-vous un exemple d’expérience
libertaire sans prison ?
Nicole : Non ! Durruti a ouvert les prisons, il laissait une chance
aux mecs. S’ils recommençaient, ils avaient droit à
une balle dans la tête, c’est un peu expéditif
!
Barricata : Revenons à l’argumentaire anti-prison.
Nicole : La seule chose qu’il faut dire, c’est que s’il
y avait moins d’inégalité sociale, il n’y
aurait pas de prison, et s’il y avait une éducation
sexuelle, il y aurait moins de problèmes de déviation
sexuelle.
Mais reprenons point par point. Parlons des 61000 détenus.
Premièrement, la prison est faite pour les pauvres. Avec
plus d’égalité économique, tu supprimes
une partie des détenus. Deuxièmement, si tu légalises
la drogue, (comme l’alcool et les médicaments aujourd’hui
!), toute une partie de la population carcérale disparaît.
Troisièmement, 30% des mecs sont en prison pour raisons psychiatriques.
Il faut qu’ils soient suivis. Enfin, quatrièmement,
en 1999, 5000 personnes n’étaient incarcérées
que pour des problèmes de papiers ! Ce n’étaient
pas des délinquants ! Si tu ajoutes à cela, ceux,
qui sans-papiers, ne peuvent pas travailler et se livrent à
des délits, et bien, objectivement, il reste des vrais loubards,
des prédateurs, mais qui n’ont pas toujours été
des voyous, mais des délinquants.
Jacques : Charlie Bauer était un petit délinquant
des quartiers nord de Marseille avant de devenir le lieutenant de
Mesrine…
Nicole : Avec une Éducation Nationale un peu réformée,
il ne resterait en prison que 5% des détenus. Il faudrait
prendre des mesures d’éloignement pour ceux-là,
avec toute une prise en charge psychologique, éducative,
pour sans danger, les remettre ensuite dans la vie publique. Mais
il faudrait s’en occuper réellement, les prendre en
compte ! Alors que là, on te fiche des milliers de gens dans
les taules, ils passent la journée à se défoncer
aux médicaments, à fumer du shit et à regarder
la télévision ! Ceux qui sont pauvres sortent encore
plus pauvres qu’ils ne l’ont été, avec
des maladies chopées en taule. Ils se retrouvent du jour
au lendemain à la rue, sans rien ! C’est le cercle
vicieux. La société se sent protégée
ainsi, c’est une mascarade ! Si on faisait tout ce qu’on
vient d’évoquer, ce serait une Révolution !
Et c’est ce qu’on demande ! Une grille des salaires
différentes, une révolution sociale. C’est aujourd’hui,
et pas dans une société anarchiste de demain, qu’on
pourrait mettre en place tout cela !!!
Jacques : Ce que je vais ajouter n’est pas du tout opposé.
Tout d’abord, il y a une brochure qui a été
publiée sur ce thème : “ Déviance en
société libertaire ”, éditions ACL, elle
est disponible à la librairie Publico, 145 rue Amelot, 75011
Paris (7 euros pc). Premièrement, si on prétend être
humain, que penser d’une institution où il y a 7 fois
plus de suicides que dans la société ? Et au mitard,
on se suicide 7 fois plus que dans la prison classique, donc 49
fois plus que dehors ! Une institution comme celle-là n’est
pas défendable ! Deuxièmement, la récidive
oscille entre 50 et 70%. Existe-t-il une seule entreprise en société
capitaliste, puisque hélas, nous sommes dans une société
capitaliste, qui peut se permettre un tel échec ? Troisièmement,
en ce qui concerne les jeunes, c’est le plus important. Lorsqu’ils
sont primaires, ils ne récidivent qu’à 50%.
Mais dès lors qu’ils retombent, le taux de récidive
passe à 70%. Les multirécidivistes, c’est à
dire trois délits ou plus, récidivent à 90%.
Que penser d’une institution qui échoue à 90%
? Elle est indéfendable politiquement et économiquement
!
Maintenant, remettons en place tous les arguments que Nicole t’a
donné. Sans–papiers, usagers de drogue, délinquants
économiques, baisse de la grille des salaires de 1 à
2 au lieu de la grille actuelle qui va de 0 à 100. Tout le
monde aurait de quoi vivre. Ceux qui veulent bosser davantage auraient
un peu plus. Peinture, musique, poésie, bref la création,
seraient considérées comme un travail ! Dans une société
comme la nôtre, il est possible que tout le monde gagne, de
la naissance à la mort, de 1200 à 2000 euros. Si on
reprend le calcul de Nicole, la population carcérale tomberait
à 5000 détenus !
Et là, j’entends déjà le “ qu’est-ce
que vous feriez si on violait votre fille, vous le mariole, vous
l’abolitionniste ? ” Et bien, la chose est réglée
théoriquement. A la Fédération Française
de Santé Mentale, on a créé, avec le Docteur
Roland Broca et les 80 spécialistes français, québécois
et belges, une commission d’éthique pour le traitement
des criminels sexuels. J’ai eu des criminels sexuels en thérapie.
Ce n’est pas ce qu’on raconte dans les médias.
Là, les médias, c’est de l’ordure, c’est
pour vendre du papier ou faire de l’audimat ! Relisez “
la dictature de l’audimat ” de Noël Mamère,
il a dit la vérité, à l’époque.
Si tu t’occupes de ces gens là, tu commences déjà
par la victime. Tu ne tiens pas un discours politique démagogique
(“ votez pour moi, je vais vous mettre de la sécurité,
il n’y aura plus de victimes. ”), l’être
humain ne changera pas, il aura toujours des tendances criminelles
car il veut posséder, il veut prendre, il veut imposer sa
loi et son pouvoir. Si on prend en compte la victime, que demande-t-elle
? Que tu souffres et que tu ailles en prison ? Alors il y a un travail
de prévention et d’éducation à faire,
ce n’est pas la souffrance du criminel qui va réparer
la souffrance de la victime. Il faut arriver à la vraie réparation,
c’est la culture Ras les Murs, et cela commence toujours par
le livre “ Peine perdue ”, de Louk Hulsman publié
en 1982 aux éditions Centurions, et par le livre “
La Réparation ” de Maryse Vaillant, éditée
en 1999 par Gallimard, par une chercheur-psychologue du CNRS. C’est
une personne qui a permis que se mette en place en France l’Association
de Médiation Pénale, où effectivement délinquant
et victime se rencontrent. On demande à la victime ce qu’elle
souhaite comme réparation, et c’est souvent de l’argent,
des soins, un travail pour la maison, pour la famille, une reconnaissance
de la souffrance infligée, mais ce n’est pas la détention,
ce n’est pas la mort lente ! Que remarque-t-on, chose stupéfiante
? Que ceux qui ont été criminels jusqu’à
avoir des traits pervers, sans parler du grand pervers qui lui ne
prendra pas conscience, ceux qui sont appelés “ psychopathes
caractériels ”, en entendant la souffrance de la victime,
sont renvoyés à ce qu’ils ont daigné
en eux, leurs propres souffrances, celles qu’ils ont connu,
petits, et qui sont à l’origine de leurs crimes sexuels.
Ils sont tellement démolis, qu’il y a une période
de décompensation, et à ce moment là, on peut
amener l’incitation à la rencontre qui débouchera
sur la thérapie bifocale (avec deux thérapeutes. Ndlr),
le traitement médical, et le traitement psychologique. Le
délinquant, bousculé par la prise de conscience de
la souffrance infligée à l’autre, qui l’a
tout simplement renvoyé à la sienne, est prêt
pour la réparation. J’ai eu un criminel sexuel, sa
réparation symbolique a consisté à travailler
pour des associations humanitaires. Le traitement est long, suivi,
mais efficace. Il faut créer des lieux de thérapie,
il ne sert à rien de mettre des 15 ou 20 ans de prison, car
on va libérer au bout de 23 ans un type qui va revioler et
tuer. De telles peines, c’est du laxisme. Par contre, quand
on s’aperçoit qu’il va mieux, et ce n’est
pas le thérapeute qui décide, mais un expert extérieur,
on continue la thérapie, mais dehors. Les gars sont dans
la rue, et ils ne violent personne ! ! ! Face au dernier carré
de détenus, ceux qu’on nous met systématiquement
dans la gueule, on répond : thérapie bifocale dans
des lieux alternatifs.
Nous, on a voulu créé ce lieu alternatif dans le Val
de Marne, on a fait les démarches nécessaires, mais
cela a été refusé, pour des raisons politiques
évidemment. Ce serait très emmerdant que l’ultime
argument pour l’abolition de la prison réussisse, car
il faut que la prison existe pour gérer les populations,
pour manipuler les pauvres ! Je te renvoie aux “ Prisons de
la Misère ” de Loïc Wacquant (éditions
Liber). Le meilleur moyen d’éradiquer la pauvreté
dans les sociétés capitalistes, c’est de la
foutre en prison… La prison est un spectre, une menace, c’est
un des leviers de manipulation les plus puissants de la dictature
démocratique !
Barricata : Bien… Je pense qu’on a fait le tour des
questions sur la prison, est-ce qu’on peut maintenant parler
un peu de l’Autonomie ?
Jacques : En 1974, tous les mouvements dont on parlait tout à
l’heure se rassemblent pour créer la Fédération
de Lutte des Actions Marginales, la FLAM. Les leaders se sont tellement
foutus sur la gueule que cela a échoué. Par contre,
à Vincennes, peu après, on crée Marge, avec
un discours radical. Tous les libertaires, délinquants, toxicomanes,
étrangers, sortants de psychiatrie, femmes, pédés,
c’était Marge ! On a lancé un journal et des
actions tout de suite spectaculaires : occupation des ambassades
d’Espagne, d’Allemagne de l’Ouest, d’URSS.
On dénonçait le franquisme, l’autoritarisme
de la RFA, notamment l’exécution des militants de la
Fraction Armée Rouge (RAF). Notre troisième occupation
fut celle de l’ambassade russe pour dénoncer le goulag.
Je me suis retrouvé en taule, ainsi que Walter Jones. Le
comité de soutien fut monstre et la lutte fantastique. On
est passé en appel. Pendant l’audience, 150 à
200 personnes se battaient avec les gardes mobiles à coup
de barrières métalliques, et on s’est retrouvé
tous les deux avec du sursis. Après cela, la faculté
de Vincennes et l’hôpital de Ville-Évrard ont
voulu me virer en évoquant mon casier judiciaire. Après
une longue lutte, on a reblanchi mon casier. Durant ce combat, en
1976, on décide, avec l’Organisation Communiste Libertaire
(OCL), de créer l’Autonomie pour soutenir l’avocat
de la Fraction Armée Rouge, incarcéré. Le journal
Marge représentait les anarchistes du courant “ Désirant
”. Dans l’Autonomie, il y avait trois courants : l’OCL,
c’était les politiques ; le courant “ Camarade
” représentait les marxistes-léninistes, on
les appelait les “ militaros ” ; et nous, les “
Désirants ”, ils nous appelaient les “ Délirants
”. Marge, c’était très stirnérien,
mais dans les références, on avait Bakounine, Voline,
Kropotkine… Si en France, on a parlé du goulag, c’est
grâce à notre action.
Barricata : Vous étiez quasiment situs !
Jacques : On était tout à fait situationnistes. On
a fait des trucs complètement fous. Je pense à une
manif de 1981 où les banderoles de tête étaient
“ les chômeurs en prison ” et “ non aux
manifs ”, ainsi que “ rétablissons l’esclavage
et le droit de cuissage ”. On avait des tracts et des slogans
épouvantables : “ les violeurs et la police avec nous
”, une chaise portée par 4 femmes. On dansait et chantait
sur “ nous voulons mourir au travail ”. Voilà,
ça, c’était une manif situ, et on en a fait
beaucoup d’autres. Sur la psychiatrie, sur la prostitution,
sur la prison, on a organisé des actions, à Marge,
puis ensuite dans l’Autonomie, comme le Rassemblement International
de Strasbourg de 1978 où on a testé les premiers cow-boys
sur leurs motos, armés de matraques, les voltigeurs…
Nicole : A Strasbourg, on a vu pour la première fois comment
les flics pouvaient fermer une ville pour empêcher des gens
de toute l’Europe de venir manifester. Les Autonomes allemands,
belges, suisses et italiens ont été bloqués
aux frontières, le car d’autonomes parisiens a été
stoppé à un péage. On s’est retrouvé
parqué dans un quartier, à 800, face à 2500
CRS, on a beaucoup couru. L’illustration de notre discours
théorique, c’était le refus de l’Europe
des flics.
Barricata : Et le journal Marge ?
Jacques : On éditait des numéros sur la toxicomanie,
sur la délinquance, sur les femmes…
Nicole : Ce n’était pas qu’un journal, c’était
un groupe de personnes qui vivaient en squat. On faisait de la réappropriation
dans les magasins de bouffe…
Barricata : Un petit retour sur la manif de 1979 ?
Nicole : Les mecs de Longwy, c’était des balaises,
et puis ils crevaient la dalle, ils avaient la haine, ils n’en
pouvaient plus. On est parti de Pantin le matin…
Barricata : Vous m’avez dit que vous étiez non violents,
pourtant, l’image habituel de l’Autonome, c’est
plutôt le mec casqué qui va au carton…
Nicole : Quand en face de toi, tu as les chars de l’État,
même si tu es non-violent, tu n’y vas pas avec une rose…
Jacques : On espérait une Révolution, refaire 1968
en mieux ! Tu peux être non-violent en général,
mais si tu décides, lors de l’embrasement de la guerre,
lors de l’insurrection, d’être non-violent, tu
es complice de l’État qui va écraser tes camarades.
On pensait renverser l’État, c’était la
guerre sociale… Pour arriver à un système autogéré
qui lui serait non-violent, il fallait s’opposer aux flics,
aux chars, aux gouvernants… Le lendemain de la manif, j’ai
compris que c’était voué à l’échec.
On a dissous l’Autonomie, Marge et le CAP en 1980. Il y avait
des gens avec nous qui étaient autoritaires, épris
de pouvoir, on savait qu’on finirait par se battre avec eux.
Il y avait seulement l’OCL entre les marxistes et nous. Si
on avait pris le pouvoir, on aurait fini par s’étriper,
se tuer jusqu’au dernier.
Nicole : Vers la fin, t’avais autant d’autonomes que
de flics. Et attention, c’était super macho, dans les
réunions, tu n’avais plus que les mecs qui parlaient.
Barricata : Action Directe, ça vient de là, non ?
Jacques : Action Directe, c’était le courant “
Camarade ”. Quand on a tout dissous, ils ont dit : “
nous, on ne s’arrête pas. ”. Ils ont voulu continuer,
sur le modèle des Brigades Rouges, la lutte armée.
Barricata : On parlait tout à l’heure de vos petits-enfants
spirituels des années 80, les Bérurier noir. On s’arrête
un instant sur la lutte antipsychiatrique ?
Jacques : Tu penses à “ Lobotomie ”. J’ai
fait de la taule, mon frère aussi. Je l’ai vu devenir
fou. Il se prenait pour l’antéchrist. Il a fait 20
ans, lui, car il n’a pas eu de remises de peines. J’ai
fait de la psycho pour défendre mon frère et ceux
qui devenaient fous en taule, c’était une véritable
hécatombe. Le secteur où j’ai travaillé
comme psychologue a quitté l’hôpital, il a fermé.
Avec le Groupe Information Asile, dont j’ai été
l’un des formateurs, en 1975, avec Philippe Bernardet, on
a foutu un bordel terrible à l’hôpital Ville
Évrard sur les concepts de base : enlevez les blouses, laissez
les portes ouvertes, enlevez les traitements en attendant les décès.
Cela amène à la déconstruction de l’asile.
On a mis en route des tas d’activités loufoques : on
a fait venir beaucoup de musiciens, on montait des groupes avec
les patients. Des trucs de fous : 45 harpistes, le batteur de Taxi
Girl, des groupes de hard rock, de punk, de pop, tout cela dans
le parc de Ville-Évrard. Farid aux yeux bleus, un patient,
m’a dit : “ il est fou ce chanteur, Jacques. Moi, je
ne suis pas fou, mais lui, si ! ”. C’était hallucinant,
300 personnes, infirmiers, patients, musiciens, cela a foutu le
bordel pendant 31 ans, jusqu’à ma retraite, en septembre
dernier.
Nicole : L’administration était en guerre avec Jacques.
On lui reprochait d’encourager les relations sexuelles, ils
racontaient que les malades n’aimaient pas la musique, etc.
Jacques : On peut traiter les gens dans des lieux de vie alternatifs,
c’est pour cela qu’on s’est battu contre l’enfermement.
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