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Origine : http://www.federation-anarchiste.org/ml/article.php3?id_article=620
L’auteur de l’inoubliable Guillotine du sexe, multirécidiviste
de la plume au vitriol, vient de commettre le dernier en date de
sa maintenant longue série de forfaits éditoriaux
subversifs : un roman largement inspiré de sa tumultueuse
biographie. Après douze interminables années comme
prisonnier de droit commun entre les quatre murs de cette «
machine à fabriquer les délinquants » qu’est
la prison, Jacques Lesage de La Haye nous montre comment son héros
miroir, Gérald, peu à peu et de façon insidieuse
tout au long de sa détention où « le désespoir
des uns se dispute à la haine des autres », s’est
transformé en « homme de métal ». Le roman
commence lorsque la porte se referme derrière lui sur un
claquement sec : il est libre, « c’est le printemps,
l’espoir et la réalisation dérisoire d’un
rêve massacré par la haine ».
Jeté sur le trottoir avec pour tout viatique une sexualité
aux abois, l’homme dépossédé de son humanité
va passer d’une prison à un autre, ouverte aux quatre
vents de la frustration. « La gorge nouée, les poings
serrés dans les poches, le corps tendu, la poitrine gonflée
à exploser. Il sent remonter la haine ? Des tonnes de colère.
De la dynamite... » Ses premières semaines de liberté
restent imprégnées du rythme de la taule, les nuits
surtout, courtes et agitées. Il se réveille en sursaut,
en sueur, avec l’impression d’avoir plongé seulement
deux ou trois minutes : « C’est la ronde. Le surveillant
passe sans faire de bruit, il va soulever l’œilleton.
Mais non, où suis-je ? La lumière ne jaillit pas du
plafond. Il n’y a pas de barreaux à la fenêtre.
La porte n’est pas le mirador ! C’est l’éclairage
de la rue. Je suis libre ! Je peux sortir. Il est cinq heures. Il
faut que je dorme. » Assommé, les nerfs à vif,
épuisé, fou furieux, laminé par l’amertume
et chargé comme un boulet de canon, il va falloir se réinsérer.
frustration, insertion, frustration...
Commence alors la galère de l’ex-détenu d’une
ANPE à un comité post-pénal, un jeu de ping-pong
inhumain d’un bureau à l’autre ! Et il faudra
garder le sourire, surtout son sang-froid, même dans le métro.
Assis dans un wagon, il examine discrètement les personnes
autour de lui. Et de nouveau, c’est le choc au ventre. La
douleur ! Une flèche aiguè lui vrille le corps et
le déchire de la tête aux pieds : « Je n’en
peux plus. Je ne vais pas passer mon temps à souffrir comme
ça, dès que je vois une nana. Est-ce que les autres
mecs ça leur fait comme à moi ? Une poitrine qui pointe
agressivement et le jeans serré dessine sans équivoque
le ventre, l’aine, le sexe et le cuisses bien galbées.
On voit même la forme des lèvres. Pourquoi ? Pourquoi
font-elles ça ? Elle ne semble pas se douter de la tempête
qu’elle a déclenchée. »
Lorsqu’il descend, quelques stations plus loin, c’est
le vide immense. Le désespoir sournois éclate, plonge
et s’abat sur Gérald, qui reste prostré sur
son siège. Le regard fixe, il repense aux quatre murs. Le
désert, l’attente, les photos de femme à poil.
Le fantasme. Ses premières relations sexuelles seront douloureuses.
Le désir le tenaille rapidement, mais il augmente les douleurs
dans le bas-ventre. « L’érection ne s’effectue
pas bien. Quand elle se réalise, tout retombe au moment de
la pénétration. Non seulement je suis resté
sans faire l’amour pendant douze ans, mais en plus, je suis
impuissant. Je ne rattraperai pas le temps perdu. Ils m’ont
détruit. Je n’ai plus qu’à crever. »
« Un homme sans sexe n’est pas un homme. C’est
un mort-vivant. Ceux qui l’ont tué sont des ordures
et ceux qui le jugent leurs complices. Je suis allé tellement
loin, au-delà du désespoir, que je ne peux plus revenir.
Je ne crois à rien. Ni en personne. Je n’éprouve
aucun sentiment. Je suis indifférent. La breloque a cessé
de battre. Je veux troncher comme une bête. Surtout pas aimer...
»
« Ils seraient trop contents les enfoirés... Un robot
aussi dur que la serrure et le verrou. Froid comme un barreau d’acier.
Vous ne m’aurez pas bande d’enculés ! Vous avez
fabriqué votre propre caricature. Je suis un homme de métal.
» Celui qui revient de loin se bat alors comme un sauvage
contre lui-même, contre cette immobilité, cette indifférence
à l’autre, surtout lorsqu’elle est femme, au
gré des rencontres amoureuses : « Pourquoi faut-il
qu’elle m’aime ? Ça veut dire quoi "je t’aime"
? L’amour est une prison, qui enferme celui qui n’a
jamais été libre et ne connaît pas la liberté.
L’amour est mort lorsque le désir tue. » Gérald
avance alors dans la vie tel un char blindé qui ne craint
plus les coups ni les caresses plus redoutables encore...
La « sortie »
Mais cet homme énergique et intelligent puisera progressivement
en lui la force en suivant une psychothérapie reichienne.
D’origine populaire, il a pourtant réussi à
passer brillamment en prison et par correspondance une thèse
de doctorat en sociologie. Mais on n’embauche pas aussi facilement
un ex-taulard... C’est donc d’une plume alerte au service
d’une langue riche que Lesage de La Haye nous ouvre le monde
intérieur de son personnage, nous prête ses yeux et
ses oreilles, sa carapace est nôtre - elle est épaisse
-, sa douleur intense nous envahit, puis progressivement se fait
plus légère lorsque la psychothérapie se développe.
C’est la découverte éclairante d’un parcours
humain - profondément humain - à la fois unique et
exemplaire dont je vous laisse les multiples surprises. Rarement
un texte aura aussi intimement fait ressentir au lecteur les effets
destructeurs de l’univers carcéral sur un être
humain, même longtemps après la « sortie ».
De cette véritable rencontre vous non plus ne sortirez pas...
indemnes.
Franck Thiriot
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