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Archéologie de la fonction symbolique : quelques pistes récentes
par Jean Lassègue
(exposé au séminaire ‘Formes Symboliques’- 18 octobre 2005)

Origine http://formes-symboliques.org/article.php3?id_article=165

Par « activité symbolique » en général, on entend, au moins à titre provisoire, tout foyer d’activité rendant possible l’organisation de conduites collectives et permettant leur anticipation par le biais de transaction sur des valeurs, matérialisées dans des formes partagées.

Je vais centrer mon exposé sur des questions d’émergence d’activités symboliques et, quand c’est possible, sur deux activités symboliques particulières (mais capitales), le langage et la parenté. Pourquoi ces deux activités ? Parce que, quand on se place du point de vue « archéologique » de l’émergence, on est conduit à se demander comment une société se reproduit à travers le temps (ordre sexuel rendu possible par la parenté) et en quoi son activité symbolique est spécifique à l’espèce (et dans cette question, on rencontre le fait que le langage – mais pas la communication, beaucoup plus diversifiée dans la nature – est une, et peut-être la, spécificité humaine). Par ailleurs, la question des rapports langage / parenté est une vieille question anthropologique : (i), parce que d’un point de vue interne, c’est en se basant sur les terminologies linguistiques qu’on a un accès à la façon dont la parenté s’exerce (pourquoi un nom différent pour l’oncle paternel et l’oncle maternel, par exemple ou pour savoir si le mariage de deux individus est autorisé, interdit ou conseillé : encore faut-il être capable d’effectuer un repérage de qui ils sont et avoir une façon de les distinguer linguistiquement) ; (ii), parce que c’est sur la question de leur rapport que s’est posée, au cours de l’histoire de l’anthropologie, la question d’une morphologie générale de l’activité symbolique ; (iii) parce que dans les sociétés de petite taille, d’abord étudiées par les anthropologues (pour des raisons évolutionnistes ayant justement trait à l’origine), le nombre des individus de la société est si restreint que les distinctions entre groupes selon la parenté sont aussi immédiatement des distinctions sociales : étudier la parenté revient donc à étudier « en miniature » la structure sociale. D’où l’idée que qui étudie la parenté (quand elle est « saturée », c’est-à-dire que tout individu de la société entretient avec tous les autres des rapports de parenté) étudie en fait l’essence de la société. Aussi, réfléchir à l’émergence d’activités symboliques implique nécessairement de se poser la question de l’émergence de l’activité de langage et de l’exercice de la parenté.

1. L’état actuel de la question d’un point de vue archéologique

Quatre points méritent d’être soulignés.

11. L’apparition des activités symboliques et celle des humains modernes ne coïncident pas.

D’une part, aujourd’hui, chez les grands singes et d’autres animaux, on remarque l’existence de traits que certains qualifient de « culturels » , c’est-à-dire la transmission de conduites spécifiques à tenir, soit lors d’événements collectifs (formation de coalitions, rôles différenciés dans la chasse – guet, attaque, etc.), soit dans l’apprentissage des jeunes générations (le lavage des patates douces étant l’exemple canonique, connu dès les années cinquante).

D’autre part, dans le passé, les activités symboliques dans le genre Homo sont antérieures à Homo sapiens : c’est sur une période d’au moins 250 000 ans – et donc bien avant l’apparition des humains modernes, datée d’environ 140 000 ans, la date du départ hors d’Afrique se situant vers moins 85 000 ans – que s’est progressivement mis en place, parmi les différentes espèces d’humain, un certain nombre d’activités symboliques , en particulier trois d’entre elles : usage de pigment d’ocre rouge, façonnage de pointes de flèches et marques sur les parois rocheuses. On remarque que, pour au moins deux d’entre elles, l’aspect utilitaire est inexistant.

La chronologie s’établit à l’heure actuelle de la manière suivante :

- avant 300 000 ans, on trouve des lames, des pierres polies, activités d’extraction et d’utilisation de pigment d’ocre rouge ; des pointes de flèche en pierre ;
-
- à partir de 140 000 ans, on trouve la trace de transports (obsidienne, outils) sur de longues distances, allant jusqu’à 300 km ; pêche, outils en os, pointes ébarbées, activité d’extraction de minerai, pièces incisées et pendentifs ;
-
- à partir de 80 000 ans, des microlithes, des perles et des images.
-
? il faut donc s’habituer à dissocier activité symbolique et humanité au sens strict, ce que l’on n’est pas tellement amené à faire jusqu’à présent.

12. Le langage est bien, aujourd’hui, spécifique à l’humain moderne.

En l’absence de comparaison possible entre les humains modernes et les autres espèces d’humains, toutes disparues aujourd’hui, on remarque l’existence d’un palier entre les primates et les humains modernes quant à l’usage du langage. Mais il faut bien comprendre la nature de ce palier.

Le débat fait évidemment rage entre les partisans d’une quasi-continuité entre la communication chez les primates et dans l’espèce humaine et ceux qui instaurent une rupture. Mais, si l’on se rappelle le premier point concernant le fait qu’il faut essayer de ne pas systématiquement articuler activité symbolique et humanité, les deux positions semblent peu convaincantes. En effet, dans les deux cas, l’expérience cruciale porte sur les capacités d’apprentissage du langage dans les autres espèces.

Deux remarques : 1°. C’est dans l’interaction humain / non-humain apprivoisé que se situe pour le moment le débat . Des capacités linguistiques possibles des primates dans la nature, on ne sait rien et on peut même se demander si cette notion a un sens puisque (i) les singes ne communiquent pas par la parole (ii) le fait de leur apprendre quelque chose relevant du langage impliquerait au préalable de les apprivoiser, ce qui change complètement leur nature même.Si l’on s’en tient à ce qui est connu, c’est-à-dire à ce qui se produit dans le cas des animaux apprivoisés, on est en droit de supposer que l’interaction avec l’humain a « humanisé » ces espèces. Dans le cas des singes et des perroquets , il s’agit d’animaux nés en captivité et ayant toujours connu l’interaction avec l’humain. Dans le cas des chiens , ce sont des animaux dont la domestication a pris des milliers d’années et dont le compagnonnage avec l’humain les rend dorénavant inapte à la vie dans la nature.

2°. Selon le type d’animal utilisé, on n’est pas sensible aux mêmes traits linguistiques. Si l’on prend par exemple le travail de M. Tomasello sur les primates mais aussi sur les chiens, il établit qu’aucun primate ne parvient à pointer vers un objet concret et à attirer l’attention d’un tiers vers cet objet parce qu’il revêt un intérêt pour celui qui veut communiquer . En revanche, dans le cas des chiens (dont on suppose ainsi qu’ils ont été à l’origine domestiqués en vue de la chasse), la localisation d’objets non visibles comme les proies et la possibilité d’attirer l’attention sur elles et même de les rapporter sans les manger montre que l’humain a pu, par un travail d’apprentissage sur des milliers d’années, enseigner ce comportement aux chiens et ce, jusque dans leur matériau génétique .

Il ne faut donc pas lire les expériences avec les animaux ni comme la recherche d’une rupture entre l’humain et le non-humain ni comme une continuité entre les espèces mais au contraire comme une approche différenciée de ce qui fait la capacité linguistique dont on reconnaît qu’elle est, jusqu’à plus ample informé, proprement humaine. On peut relire alors autrement les expériences faites avec les primates et en particulier les expériences qui cherchaient à établir la continuité humain / non-humain : ce n’est pas le « langage » (pris comme un tout) que l’on a appris aux primates mais plutôt la possibilité d’utiliser un système d’étiquetage d’objets et de situations, ce qui fait (sans doute) partie de ce que l’on peut faire avec le langage mais ce qui n’en épuise en rien la nature.

? archéologiquement, on peut donc dire que c’est dans l’intervalle excluant les primates en amont et incluant les humains modernes en aval (c’est-à-dire entre 2, 5 millions d’années et 190 000 ans), intervalle composé de branches variées d’humains au sein du genre Homo, que le langage s’est développé en tant qu’activité symbolique, au sein d’autres activités symboliques (dont, on peut le supposer, la parenté).

Dans cet intervalle,

13. l’organisation des activités symboliques n’est pas corrélée à la croissance du cerveau mais à celle de la culture matérielle

La phase de croissance du cerveau la plus rapide a eu lieu entre 2, 5 et 1, 5 millions d’années en Afrique et semble avoir contribué à séparer le genre Homo des autres primates bipèdes, sans que la culture matérielle d’Homo Erectus, une fois qu’il fut doté d’un gros cerveau (– 1, 5 millions d’années), évolue ensuite de façon notable. En revanche, on assiste à un déclin relatif du volume du cerveau concomitant d’une accélération du rythme du changement dans la culture matérielle après la dernière grande glaciation (– 170 000 ans). Ce sont donc plutôt, lors d’une phase sans doute relativement tardive de l’évolution du genre Homo (Homo helmei et homo sapiens) , des modifications d’ordre comportemental ou culturel, une fois un certain volume du cerveau atteint, qui peuvent rendre compte de l’accroissement des transformations dans la culture matérielle.

? on peut supposer que ces modifications comportementales ou culturelles ont impliqué une réorganisation des activités symboliques préexistantes et que l’activité de langage et l’exercice de la parenté, dans leurs formes actuelles, en sont issues. Il faut alors les envisager comme à la fois causées et causantes, c’est-à-dire non pas seulement comme des témoins passifs de cette réorganisation mais aussi comme partie prenante de celle-ci, comme étant cette réorganisation elle-même. Du fait que le rythme de la transformation a porté sur la culture matérielle, c’est-à-dire sur ce qui est extérieur aux individus et qui peut être matérialisé dans des artefacts , on peut en déduire que la réorganisation des activités symboliques a eu trait à l’attention conjointe portée à des foyers d’activités devenus plus publiquement partagés, c’est-à-dire aux ritualisations collectives rendant possible cette extériorisation progressive dans la sphère de la culture.

14. Le langage a fini par jouer un rôle central au cœur des activités symboliques

Non seulement le langage est aujourd’hui spécifique à l’humain moderne mais il occupe une place éminente au sein de ses activités symboliques. Il est en effet difficile de concevoir une activité symbolique quelconque de l’humain moderne qui ne fasse pas appel à un ensemble de signes narrativement structurés, dont le prototype est le système organisé du langage. C’est sans doute relativement tardivement dans l’évolution du genre Homo que le langage a dû jouer ce rôle.

? on doit alors comprendre la place éminente occupée par le langage en liaison avec le fait que la réorganisation des activités symboliques a sans doute porté sur les ritualisations collectives organisant les différentes activités. Le langage doit dès lors être entendu non pas dans une perspective d’échange d’informations pertinentes dans une structure de communication bi-univoque de nature quasi-logique (état bien particulier et surtout bien peu archaïque de la langue naturelle) mais comme une forme narrative très générale ayant des signes différentiels pour vecteur propre, signes différentiels dont la cohérence globale est suffisamment souple pour être utilisée dans différents foyers d’activité en s’adaptant au contexte sémantique de chacun (c’est le côté d’emblée « métaphorique » de l’activité de langage).

Il semble raisonnable d’en conclure que la place éminente qu’occupe aujourd’hui le langage dans les activités symboliques de l’humain moderne résulte d’une reconfiguration des rapports entre activités symboliques déjà existantes liée à une évolution comportementale ou culturelle, lors d’une phase relativement tardive de l’évolution du genre Homo.

15. Le débat gradualité versus instantanéité

En fait, la gradualité étant désormais de l’ordre du fait, la question n’est plus de déterminer s’il y a eu continuité ou rupture mais plutôt de concevoir la nature de la spécificité humaine au sein de cette gradualité. Le débat se situe à l’intérieur de l’anthropologie comme discipline, entre l’anthropologie sociale et l’anthropologie évolutionniste, toutes les deux largement prises en défaut :

Dans le cadre de l’anthropologie évolutionniste, on passe de l’idée de « révolution symbolique » (I. Watts & C. Power (1995), ‘The human symbolic revolution: a Darwinian account’, Cambridge Archeological Journal, 5, 1 : 75-114) à une absence de révolution (c’est la thèse de S. McBrearty & A. Brooks (2000), ‘The Revolution that wasn’t : a New Interpretation of the Origin of Modern Human Behavior ’, Journal of Human Evolution, 39 : 453-563).

Si l’on prend Lévi-Strauss comme exemple d’une position jusqu’ici assez générale en anthropologie sociale, on part d’une position « instantanéiste » pour adopter, suite aux découvertes archéologiques, une position qui conserve l’instantanéisme mais sous la forme cognitiviste d’une nature de l’esprit dont la structure serait donnée une fois pour toutes. Je donne trois citations pour décrire l’évolution de Lévi-Strauss sur cette question.

– 1950, Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, p. XLVII : « Quels qu’aient été le moment et les circonstances de son apparition dans l’échelle de la vie animale, le langage n’a pu naître que d’un coup. Les choses n’ont pu se mettre à signifier progressivement. A la suite d’une transformation dont l’étude ne relève pas des sciences sociales mais de la biologie et de la psychologie, un passage s’est effectué d’un stade où rien n’avait de sens à un autre où tout en possédait. »

– 1967, lors de la réédition des Structures élémentaires de la parenté, l’apparition de la culture devient « une reprise synthétique, permise par l’émergence de certaines structures cérébrales qui relèvent elles-mêmes de la nature, de mécanismes déjà montés mais que la vie animale n’illustre que sous forme disjointe et qu’elle alloue en ordre dispersé. »

– 1995, “La sexualité féminine et l’origine de la société”, Temps Modernes, n° 598, mars-avril 1998 : 66-84 : « Toutes ces considérations rejettent l’apparition de la pensée conceptuelle, du langage articulé, de la vie en société, donc, dans des temps si lointains qu’on ne peut, sans faire preuve d’une naïveté qui confine à la niaiserie, élucubrer des hypothèses […]. Les choses vraiment intéressantes, pour comprendre l’évolution humaine, se sont passées dans les cerveaux, non dans les uterus ou les larynx. »

On voit que la position de Lévi-Strauss évolue dans une direction cognitiviste pour préserver son point de vue originel et non pas pour répondre au défi que pose la notion de gradualité dans l’émergence des activités symboliques.

Je vais examiner le cas structuraliste puis j’en viendrai à celui des modèles néo-darwiniens pour montrer que leurs façons de penser l’émergence des activités symboliques sont toutes les deux insatisfisantes pour qui conçoit la réorganisation des activités symboliques comme une nouveauté sociale et cognitive tout ensemble.

2. La fonction symbolique dans le cadre structuraliste

Sous l’appellation de « pensée symbolique », l’anthropologie structuraliste a tenté de mettre au jour un régime de sens qui soit commun aux diverses activités symboliques. Ce régime de sens a pour fondement l’idée de substituabilité d’éléments les uns par rapport aux autres et est censée s’exprimer aussi bien dans l’usage de la parole que dans l’exercice de la parenté. C’est donc l’échange d’éléments qui rend possible cette structure : dans le cas de la parenté, un individu pour un autre, dans le cas de la langue, l’échange s’opérant selon les deux axes syntagmatiques et paradigmatiques.

Je vais m’en tenir à des remarques sur Lévi-Strauss.

21. La prohibition de l’inceste et l’échange :

L’échange vise à faire perdurer tel quel le groupe des donneurs et le groupe des preneurs. La relation minimale permettant cet échange est l’atome de parenté (1971) qui exige, dans les structures élémentaires de parenté, la construction de trois relations :

- le rapport frère / sœur
-
- une alliance entre deux hommes : le mari et le frère de la femme.
-
- un rapport de filiation qui reproduise à l’identique les positions de donneurs et de preneurs
-
3 citations :

Les deux premières portent sur l’échange proprement dit :

« La relation globale d’échange qui constitue le mariage ne s’établit pas entre un homme et une femme […], elle s’établit entre deux groupes d’hommes, et la femme y figure comme un des objets de l’échange et non comme un des partenaires entre lesquels il a lieu […]. Le lien de réciprocité qui fonde la mariage n’est pas établi entre des hommes et des femmes, mais entre des hommes au moyen des femmes qui en sont seulement la principale occasion […]. L’oublier serait méconnaître le fait fondamental que ce sont les hommes qui échangent les femmes et non le contraire. Ce point de vue doit être maintenu dans toute sa rigueur, même en ce qui concerne notre société, où le mariage prend l’apparence d’un contrat entre des personnes. »

Les structures élémentaires de la parenté, pp. 134-135.

« En réalité, il n’y a dans l’échange des femmes rien de semblable à la solution raisonnée d’un problème économique […]. C’est un acte de conscience, primitif et indivisible, qui fait appréhender la fille ou la sœur comme une valeur offerte, et réciproquement, la fille et la sœur d’autrui comme une valeur exigible. »

Les structures élémentaires de la parenté, p. 162

La dernière sur ce que Lévi-Strauss entend par « émergence de la pensée symbolique » :

« L’émergence de la pensée symbolique devait exiger que les femmes, comme des paroles, fussent des choses qui s’échangent. C’était en effet le seul moyen de surmonter la contradiction qui faisait percevoir la même femme sous deux aspects incompatibles : d’une part, objet de désir propre et donc excitant des instincts sexuels et d’appropriation ; et en même temps, sujet, perçu comme tel du désir d’autrui, c’est-à-dire moyen de le lier en se l’alliant. Mais la femme ne pouvait jamais devenir signe et rien que cela, puisque, dans un monde d’hommes, elle est tout de même une personne […]. A l’inverse du mot, devenu intégralement signe, la femme est donc restée, en même temps que signe, valeur. »

Les structures élémentaires de la parenté, p. 569.

22. Critique de la théorie lévi-straussienne de la prohibition de l’inceste et l’échange :

Deux types de critique sont possibles, soit interne, soit externe. Par critique interne, j’entends toute critique qui s’en tient au plan de la parenté sans faire intervenir d’autres réalités sociales. La critique externe partira de l’idée que la parenté est recrutée pour exprimer d’autres plan de la réalité sociale (par exemple hiérarchique –droit d’aînesse –) et qu’il est donc vain d’en faire un objet isolé des conditions sociales dans lesquelles elle joue.

22. 1. Critique interne

221. 1. La prohibition de l’inceste

Deux remarques :

? L’inceste ne se limite pas aux consanguins (Goody) :

La parenté telle qu’elle est pensée par Lévi-Strauss ne peut rendre compte que des interdits d’inceste entre consanguins. Qu’en est-il des interdits sur les alliés? Jack Goody dès 1956, avait noté dans “A comparative approach to incest and adultery” (British Journal of Sociology, vol. 7, 1956 : 286-305) que la théorie de Lévi-Strauss n’expliquait « en rien les interdits qui, du fait d’un mariage, pèse immédiatement (dans la plupart des systèmes mais pas dans tous, tels les systèmes de parenté australien) sur les alliés (affins des consanguins + consanguins des affins) » (Godelier, Métamorphoses de la parenté : 390)

affins des consanguins : les parents par alliance de consanguins

consanguins des affins : les consanguins de parents par alliance

? Il n’y a aucune raison de rapporter l’interdit de l’inceste (et la domination des hommes sur les femmes qui s’en suit) à une structure universelle de la pensée et de là, au cerveau (Godelier).

A l’appui de sa critique, Godelier fait remarquer qu’un autre fait universel mis au jour par Lévi-Strauss, la division sexuelle du travail (qui assigne la guerre aux hommes et l’élevage des enfants aux femmes) n’est pas justifiée par Lévi-Strauss en invoquant les structures universelles de la pensée symbolique. Alors pourquoi serait-ce le cas pour l’interdit de l’inceste ?

Godelier, Métamorphoses de la parenté : 439 :

« Le résultat théorique fondamental de la démarche de Lévi-Strauss fut, quoi qu’il en soit, de lier dans une même chaîne trois faits sociaux qu’avant lui des générations d’ethnologues avaient tenté d’expliquer séparément : la prohibition de l’inceste (1), l’exogamie (2) et l’échange des femmes pour sceller des alliances matrimoniales (3). Or, sur un plan purement logique, on sait que l’échange peut prendre trois formes. Soit les hommes échangent entre les femmes. Soit, comme c’est le cas dans certaines sociétés matrilinéaires et matrilocales, on assiste à l’échange des hommes entre les femmes, des frères par leurs sœurs. C’est le cas des Rhades du Vietnam, des Nagovisi de Bougainville. Au lieu d’un bridewealth, d’une compensation matrimoniale pour la fiancée, on voit apparaître un groomwealth, le prix du fiancé. Soit comme c’est le cas dans la plupart des sociétés européennes et euro-américaines, et de quelques sociétés cognatiques de Madagascar et d’Asie du Sud-Est, les familles s’unissent, l’une donnant un fils, l’autre une fille, et dans ce cas, en matière d’alliance, on ne saurait dire qu’un sexe échange l’autre alors même que la prohibition de l’inceste existe et vaut, comme dans les deux cas précédents, pour les deux sexes. […] Nous ne critiquons pas Lévi-Strauss pour avoir considéré comme un fait universel la domination masculine ni pour avoir supposé que la situation devait être en gros la même chez nos ancêtres. Nous critiquons encore moins l’idée que l’alliance repose très souvent sur l’échange des femmes entre des groupes représentés par les hommes. Les Baruya nous en ont donné un exemple clair avec la pratique du ginamaré, de l’échange des sœurs. Mais nous critiquons l’idée que la subordination sociale des femmes soit fondée sur les structures inconscientes de la pensée symbolique, bref, en dernière analyse, sur celle du cerveau, et que la domination masculine soit la précondition universelle de l’existence des rapports de parenté. »

? En revenir au cerveau entendu comme organe naturel, c’est sortir complètement du cadre défendu ici où le cerveau est une entité aussi naturelle que culturelle.

On aurait donc une structure universelle du type [Prohibition de l’inceste ? exogamie ? échange]. Pour Lévi-Strauss, la domination des hommes sur les femmes est universelle, (elle est donc, dans la classification de Lévi-Strauss, un fait de nature) et elle est une condition d’émergence de la pensée symbolique elle-même. Il y a là une espèce de raccourci vertigineux entre un fait de nature et un fait « transcendantal », raccourci sur lequel LS ne s’étend guère.

221. 2. L’échange

? La théorie de l’échange est trop limitée (Barry) :

« Nous ne pouvons plus guère ignorer le fait que dans nombre de sociétés il n’existe pas d’unités échangistes clairement identifiables et donc de relations d’échange possibles entre groupes : faute de termes, quid de la notion de relations entre termes ? En revanche, l’idée selon laquelle toutes les sociétés interdisent certains « proches » comme partenaires possibles reste d’actualité. Ce « cercle des proches », quelle que puisse être sa définition taxinomique locale, correspond à ce que je désigne par l’expression « groupe de parenté » (Laurent S. Barry, “L’union endogame”, L’Homme, 154-155, avril 2000: 71)

? Echange et alliance ne se recoupent pas

– Il y a des échanges sans alliance :par exemple, les Na de Chine (Cf. Cai Hua, Une société sans père ni mari, les Na de Chine, Paris, PUF, 1997) :

« Avec les Na, nous sommes donc bien en présence d’une société où les groupes de parenté se reproduisent par la circulation entre eux des hommes qui en font partie. Cette circulation n’est pas un échange, si l’on réserve ce mot aux seuls dons et contre-dons que se font volontairement et directement des personnes ou des groupes. Mais elle en est un si l’on considère que chaque matrilignée sait que ses membres masculins apporteront aux autres la « pluie » qui leur permettra d’avoir une descendance et qu’elle recevra le même don des autres groupes. Nous retrouvons là l’une des conditions fondamentales de l’instauration de rapports de parenté, l’échange d’individu sexués entre des « familles », mais ces échanges ont la particularité […] d’être réduits à des échanges de substance et non d’individus et de ne pas créer d’alliance entre les maisons et les lignées, alliances qui structureraient ensuite leurs rapports pendant une ou plusieurs générations, alliances donc, qui en feraient de vrais alliés, des affins. » (Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004 : 396)

– Il y a des alliances sans échange : le cas du mariage endogame dit « mariage arabe » (mariage préférentiel avec la cousine parallèle patrilinéaire). (Lefébure 1976, Bonte 2000)

Le « mariage arabe » est-il un échange ? En fait, il n’est pas vécu dans les catégories de la consanguinité et de l’alliance mais dans celle de la solidarité entre groupes masculins et le partage du capital féminin contrôlé par ces groupes (Cf. Pierre Bonte, “L’échange est-il universel”, L’Homme, 154-155, avril 2000, p. 59).

Il y a moyen de plonger l’échange comme un cas particulier dans une théorie plus vaste (Barry) :

un groupe de parenté dépend du mode de transmission de la parenté. Celle-ci se transmet par des substances dont le poids respectif permet de rendre compte des interdits sexuels portant sur certains membres du groupe : par exemple, dans le cas où le vecteur de la parenté repose sur un support féminin (par exemple le « lait »), la ligne porteuse de parenté sera la ligne utérine et accessoirement la ligne des hommes. Les interdits portent précisément sur cette ligne utérine et correspond à la pratique du mariage dit « arabe ». Autre exemple, dans le cas d’une société où chaque sexe transmet de façon dominante un élément qui lui est spécifique (par exemple, « lait » pour la mère, « os» pour le père) et éventuellement secondairement celui qui est propre à l’autre sexe, on remarque que, pour Ego, les deux lignes parallèles (où s’exprime plus fortement cette dominance) sont proscrites et que les lignes croisées sont possibles et donc que le mariage préférentiel est celui des cousins croisés (avec interdiction des deux cousines parallèles, côté paternel et maternel). Le nombre de solutions possibles concernant le poids respectif des substances vecteurs de la parenté est limité (puisque l’on n’a que deux parents) et on peut donc dresser un tableau des interdictions et des permissions possibles pour toute société possible.

« Ces variantes logiques couvrent ainsi, à partir d’une hypothèse unique, les trois principales formes de systèmes matrimoniaux existants (mariage des cousins croisés, mariage endogame, interdits cognatiques), là où la théorie de l’alliance de mariage – sauf adjonction d’hypothèses ad hoc– ne vise que la première d’entre elle. » (Laurent S. Barry, “L’union endogame”, L’Homme, 154-155, avril 2000: 73)

212. 2. Critique externe

La parenté est convoquée à d’autres fins qu’elles-mêmes dans une société, essentiellement des fins liées à la hiérarchie sociale. Il est donc exclu de se limiter au plan de la parenté pour expliquer son rôle dans la société : la parenté ne possède pas en elle-même les ressorts de sa propre générativité et n’est donc ni un modèle réduit de la société ni son essence (l’articulation de la nature et de la culture, selon Lévi-Strauss).

L’échange des femmes entre les groupes d’hommes par le biais de l’alliance laisse supposer qu’il suffit d’individus et de groupes pour que la société puisse se renouveler : en fait, d’autres agents sont nécessaires à la constitution de ces alliances, intercesseurs le plus souvent mythiques : ancêtres (Inuit, Baruya, Trobriand), père mythique (totem), dieux, esprits. Il n’y a pas de raison de les exclure du registre de la parenté.

D’autre part, on peut se demander si l’attention portée sur la nomenclature des termes de parenté n’a pas eu pour effet de mettre au premier plan la notion d’échange et par là, de favoriser une description très statique des systèmes de parenté.

23. Le rapport parenté / langage dans le cadre structuraliste

L’analogie ne fonctionne que si l’on s’en tient de façon assez superficielle à la théorie de l’échange car ce que j’ai développé pour la parenté aurait pu être développé de manière analogue pour le langage dont tous les éléments n’ont pas le caractère directement substituable que Lévi-Strauss leur prête. En fait, la question (difficile parce qu’elle touche à l’inconscient) du rapport entre parenté et langage est celle du rapport à la norme : langage et parenté font vivre différemment le rapport à la norme : elle est explicite dans le cas de la parenté, elle peut rester plus implicite dans le cas de la langue, si l’on s’en tient au fait avéré qu’aucun locuteur ne connaît d’emblée les normes grammaticales qui régissent sa production de parole : si l’on suit Godelier, entre la norme implicite de la langue et la norme explicite de la parenté, les modalités de production et de reproduction des échanges seraient de nature radicalement différente (Godelier M., Métamorphoses de la parenté, Fayard, Paris, 2004 : 374).

Dès lors, l’analogie telle qu’elle est décrite par Lévi-Strauss ne permet en tout cas guère d’avancer dans la question de l’émergence de la fonction symbolique.

24. Un descendant monstrueux du structuralisme : le cognitivisme

En s’appuyant sur les remarques de Lévi-Strauss touchant au fait que c’est dans le « cerveau » que doit se trouver la clé de l’émergence des activités symboliques, solution qui a l’avantage de préserver les bénéfices d’une solution instantanéiste tout en la déplaçant dans un cadre graduel, le cognitivisme a enquêté à sa manière sur ce que pouvait bien recouvrir l’appel au « cerveau » lancé par Lévi-Strauss. Il l’a fait dans le cadre classique de la théorie de la représentation mentale, ce qui a eu pour conséquence d’opposer radicalement deux modes de fonctionnement de la fonction symbolique : le premier mode repose sur une conception étroite du symbole conçu comme marque arbitraire et concerne essentiellement l’aptitude à la référence à l’objet, conçu comme existant indépendamment du langage ; le second mode repose au contraire sur une conception élargie du symbole, doté d’une propension non contrôlée au symbolisme, susceptible de produire des objets ayant une existence sans contrepartie objective, dont il faut réussir à expliquer le caractère illusoire par un mécanisme cognitif approprié.

Du point de vue de l’émergence de la fonction symbolique, celle-ci apparaît alors comme ayant émergé deux fois, une première fois pour rendre compte de l’usage du symbole au sens étroit et une seconde pour expliquer son usage au sens large . Il n’est certes pas impossible d’émettre cette hypothèse même si elle semble à peu près invérifiable expérimentalement mais elle a un inconvénient majeur immédiat en ce qu’elle met définitivement à mal l’idée d’une fonction symbolique pensée à partir de la notion d’activités progressivement co-ritualisées, au profit d’une théorie mentaliste et anhistorique de cette fonction.

? il n’y a plus dès lors place pour une co-organisation réciproque des activités symboliques entre elles, dont chacune, considérée comme autonome, n’entretient plus, pour réussir à perdurer, de relation avec les autres – sauf à envisager finalement ces rapports mutuels comme n’ayant pas de réalité ailleurs que dans l’esprit de celui qui les pense. Or la notion d’activité symbolique rend au contraire possible des rétroactions entre les sujets, leurs productions matérielles ou verbales et leur environnement écologique qui rendaient possible une conception toute différente de la fonction symbolique et de son apparition au cours de l’histoire du genre Homo.

? il faudrait étudier la façon dont le langage (et l’analogie possible avec la parenté) est pensée dans la tradition cognitiviste mais j’en laisse provisoirement le soin à d’autres.

3. La fonction symbolique dans le cadre néo-darwinien : rapide excursion

Dans les modèles néo-darwiniens, la question de l’émergence des signes est posé en termes d’avantage sélectif possible.

Dans le cas des systèmes de communication animale, les signaux sont « honnêtes » parce qu’ils sont gros consommateurs d’énergie ou qu’ils induisent un risque pour celui qui les porte (visibilité par rapport aux prédateurs). La possibilité de « tricher » avec les messages en vue d’accroître son avantage sélectif est donc éliminée au sein de la nature par le « coût » du message : plus un message est « coûteux » pour celui qui l’émet et plus il est « sûr » pour celui qui le reçoit. Le problème qui se pose alors est celui de l’émergence du langage, précisément parce qu’il « est facile de mentir avec des mots » (Zahavi). Le langage est « bon marché » au sens où il ne demande pas une consommation particulière d’énergie et n’offre aucune prise particulière aux prédateurs.

Dans ‘Language and Hominid Politics’ (in The Evolutionary Emergence of Language : social function and the origin of linguistic form, Cambridge : Cambridge University Press : 62-79), Jean-Louis Dessalles se penche sur cette question et je vais décrire rapidement son modèle.

Le modèle s’en tient aux hypothèses néo-darwiniennes utilitaristes standard sur l’élimination des tricheurs en vue d’assurer la meilleure emprise sur le réel (fausse information = perte d’avantage sélectif pour celui qui écoute). Il ajoute, par rapport aux modèles standards, deux idées : d’une part, il est possible de détecter les menteurs ; d’autre part, il est possible de négocier l’avantage sélectif et c’est ce qui fait émerger le politique.

Deux critiques immédiates peuvent être faites : (a) le langage est censé dire la vérité et l’on échange des informations vraies à propos du monde et en vue d’être dans le vrai par rapport au monde pour en bénéficier, en retirer des avantages. Donc le langage est complètement centré sur la ‘relevance’ : toute perspective qui fait du fictionnel mythique un trait natif du langage est donc éliminée d’office et ne pourra être retrouvée qu’ultérieurement, comme une donnée énigmatique et seconde (voire secondaire) ; (b) la politique est un moyen d’assurer l’avantage sélectif de la transmission des gènes. Là aussi, c’est très critiquable parce que de nombreuses pratiques culturelles humaines deviennent totalement incompréhensibles : le monachisme, par exemple ou comment expliquer que l’Eglise catholique ait pu s’auto-reproduire depuis 2000 ans sans intervention de la sexualité ?

Mais il vaut mieux faire des critiques plus précises en s’en tenant en au modèle.

La détection des tricheurs

Pour Dessalles, le langage lui-même a développé les moyens de distinguer les bons messages des mauvais. Ces moyens sont de nature logique : la logique serait ce qui permettrait de détecter le mensonge, de faire la différence entre ‘bon’ message et ‘mauvais’ message. Comme la logique est de création récente (et qu’elle a effectivement servi à sa naissance chez Aristote à la détection des paralogismes des sophistes comme le montrent les Réfutations sophistiques qui terminent l’Organon d’Aristote), il me semble que c’est projeter sur l’émergence du langage des outils bien sophistiqués et qui ne peuvent apparaître que lors de l’écriture des langues. Le fait que les normes grammaticales d’une langue soient inaccessibles à ses propres locuteurs ne semble pas faire problème à Dessalles.

La politique

Le modèle de Dessalles élimine d’abord tout modèle de coopération symétrique (réciprocation de l’information dans la comunication : A donne une information de valeur à B parce que B donnera une information de valeur à A. Mais ça ne marche pas dès qu’il a des tricheurs. Dessalles étudie donc une coopération asymétrique. Il pose ensuite sur trois caractéristiques corrélées : (1) le statut social est corrélé à l’avantage sélectif (‘fitness’) (2) le statut social émerge de l’évaluation d’une qualité Q attribuée par autrui et (3) le statut social est corrélé à une forme d’influence ou de leadership à l’intérieur des coalitions.

Les 3 caractéristiques son indispensables pour faire passer de l’état 1 (fausse information = perte d’avantage sélectif pour celui qui écoute) à l’état 2 (bonne information = don d’avantage sélectif de celui qui écoute à celui qui parle).

L’avantage sélectif se retrouve dans la position d’une monnaie d’échange : la difficulté du modèle est d’articuler l’avantage sélectif classique, cad environnemental, pour l’auditeur, au don de cet avantage en termes politiques de ‘statut’ au parleur. Comment passer de quelque chose que l’on reçoit à quelque chose que l’on donne quand ce quelque chose est l’avantage sélectif ? Dans le premier mouvement, l’avantage sélectif est de l’information pertinente ; dans le second, il est du statut. Comment s’opère cette transmutation de l’avantage sélectif qui, d’information pertinente devient statut, les deux sens étant également corrélés au « réel » de l’avantage sélectif ? La difficulté vient évidemment de ce que, dans le premier cas, l’info est pertinente parce qu’elle est rapportée à des données biologiques (l’avantage sélectif, cad la survie du plus apte) tandis que dans l’autre le statut n’est pas pertinent dans le même sens, dans la mesure où sa pertinence, même si elle renforce l’avantage sélectif, dépend d’un don qui est une notion sociale. Il y a donc une ambiguïté sur la notion d’avantage sélectif, tantôt information pertinente (biologique) tantôt statut (social).

Difficultés :

- le don du statut se fait dans un procès de communication à deux (un parleur et un auditeur) alors qu’il n’y a pas de raison de penser que le statut soit le produit d’un don résultant d’une négociation entre deux agents (pas plus que le scénario d’une émergence du langage à partir d’une interaction de deux agents n’est justifiée).

- d’autre part, le don comme le statut sont des concepts anthroploogiques lourds et qui ne peuvent être pris tel quel pour argent comptant : un don entre dans un réseau d’obligations, un statut ne se négocie pas à chaque interaction comme s’il s’agit d’une quantité : on hérite d’un statut, on peut le léguer, éventuellement le perdre, etc.

4. Propositions nouvelles

41. Hypothèses quant à la nouvelle organisation des activités symboliques

On peut supposer que la reconfiguration des activités symboliques préexistantes implique à la fois une certaine configuration corporelle à peu près stabilisée dans l’espèce et le moyen d’opérer des régulations de conduites (des ritualisations) par le biais d’un usage collectivement partagé de marques , à la fois externes aux individus et internes au groupe d’individus dans lesquels elles sont adoptées.

Une configuration corporelle stabilisée dans l’espèce : si l’on en croit Leroi-Gourhan, on ne doit pas limiter cette configuration corporelle au seul cerveau et ce, pour deux raisons. D’une part, parce que le « cerveau a commencé par les pieds » , c’est-à-dire une fois que la mobilité (et toute la mécanique complexe qui va avec) est devenue une direction évolutive (parmi d’autres directions évolutives, comme l’huître, qui a parié sur l’immobilité). D’autre part, parce que la caractéristique propre du cerveau a été d’externaliser sa mémoire dans des supports matériels hors de lui : le cerveau n’est donc plus seulement une organisation neuronale interne mais en lui-même un va-et-vient entre un certain substrat naturel et l’externalisation culturelle des régulations de conduites.

Régulation des conduites (ritualisations) : comment caractériser cette morphologie des régulations de conduite, commune aux activités symboliques ? Outre le fait que la régulation des formes symboliques s’exerce dans l’extériorité sociale, c’est-à-dire dans les registres d’activités auxquels sont attribués socialement un sens, un trait leur semble d’emblée commun, quand on observe par exemple l’activité de langage et l’exercice de la parenté : toutes les deux provoquent l’anticipation de leurs effets possibles par le biais d’émotions ressenties. Dire une phrase, c’est anticiper son effet possible (son effet est vecteur d’un sens et d’une charge émotionnelle) de même qu’obéir à une prescription de parenté nécessite d’anticiper les effets (souhaités ou craints) qu’aura l’union dans la société (ces effets ne se limitent pas à la progéniture à venir mais à la place de celle-ci dans une hiérarchie sociale complexe). Les activités symboliques comme le langage ou la parenté ont donc ceci de particulier d’être héritées (on hérite de sa langue dite maternelle comme le fait d’être fils ou filles de tel et telle, etc.) et de projeter un avenir.

Il y a donc très certainement une « transitivité» à l’œuvre dans la nouvelle organisation des activités symboliques, que l’on ne trouve pas dans les sociétés animales, les interactions sociales ne donnant pas lieu à une capitalisation temporelle sur le long terme (les coalitions chez les primates se défont sans donner lieu à des charges héritées, ni même à des « partis » relativement stabilisés ; quant au périmètre du registre sexuel, il ne comprend évidemment pas les interdictions et les permissions portant sur des individus entrant dans des réseaux d’alliance, comme par exemple les consanguins d’affins).

Cette transitivité qui se manifeste dans l’ouverture d’un axe temporel exprime en fait plus largement la construction d’une norme, c’est-à-dire la différence entre une situation de fait et une situation dont la valeur est estimée selon une règle. Cette norme intervient en tant qu’intercesseur absent, censé donner les moyens de juger de la situation présente à partir d’une position intemporelle. L’intercesseur peut être matérialisé sous des aspects multiples (un dieu, un pouvoir, un roi, une institution, un objet socialement précieux) et il est généralement doué d’une vie propre de nature mythique. Par mythique, il faut entendre ici que son statut de médiateur détaché de la situation présente lui donne le pouvoir de distribuer des rôles et de décider de la manière dont doit se dérouler l’activité. Il faut donc entendre ici mythique au sens large dans la mesure où ce type de construction se retrouve aussi bien dans le mythe proprement dit que dans le rite. Par exemple, Propp avait montré en 1928 la façon dont on pouvait analyser le corpus mythique des contes russes à partir d’un petit nombre de rôles et d’acteurs, Hocart l’avait établi pour le rituel en général en distinguant une liste de traits (acteurs, rôles, actions) dans Kingship en 1927 puis dans Social Origins en 1939.

La notion de transitivité a une portée générale. Comme l’avait remarqué Ernst Cassirer : « C’est une caractéristique commune de toutes les formes symboliques qu’elles soient applicables à radicalement n’importe quel objet » . C’est très certainement le cas de l’activité de langage – d’où son rôle absolument primordial au cœur des activités symboliques – mais la citation de Cassirer ne donne pas une idée adéquate des formes et activités symboliques si on lit la citation en faisant de la forme symbolique un objet formel dans une logique abstraite de type type / token. Ce que montre d’ailleurs Cassirer dans Langage et Mythe mais tout aussi bien Propp ou Hocart, c’est que la forme générale permettant d’assurer la régulation des conduites est d’abord un itinéraire mythico-rituel, essentiellement mêlé à l’activité pratique qu’il régule. Si l’on prend l’exemple de la parenté, on voit que, selon les sociétés, un certain nombre de substances acquiert un statut de norme par rapport à laquelle la parenté devient définissable : venir « du même lait », avoir « le même sang », « le même os » fait transiter mythiquement entre des acteurs une consanguinité qui n’est pas nécessairement « réelle » au sens où elle serait génétique. Par exemple, être « frère de lait » peut impliquer des interdits sexuels sur les sœurs du frère « de lait », même si aucune consanguinité réelle n’existe.

Comment justifier un tel cadre du point de vue de l’émergence des activités symboliques ?

En fait, il paraît souhaitable, à partir de la critique du cadre structuraliste comme des modèles néo-darwiniens ayant la fonction symbolique pour objet, de revenir… à Darwin. La référence à Darwin, dans l’usage qui en est fait dans les modèles néo-darwiniens standards, paraissait en effet quelque peu biaisée, dans la mesure où elle se limite le plus souvent au mécanisme de la sélection naturelle et de sa conséquence directe, l’avantage reproductif, en négligeant toutes les recherches ultérieures de Darwin qui avait fait appel à la sélection de groupe pour rendre compte de l’émergence de la civilisation et plus particulièrement de la solidarité à l’égard du non apparenté biologiquement. A cela, une raison au moins : les modèles néo-darwiniens de l’émergence du langage ne reconnaissent pas la pertinence de la notion de sélection de groupe parce qu’elle ne s’intégrait pas, ou mal, au cadre néo-darwinien.

Il faut donc voir aussi dans quelle mesure les débats sur la nature et la fonction de la parenté n’exigent pas du même coup que soit reprise la question des liens possibles entre fonction symbolique et sélection de groupe.

42. Sélection de groupe, sélection sexuelle et fonction symbolique

Dans le cadre de la sélection naturelle, une caractéristique corporelle ou comportementale se trouve sélectionnée si et seulement si elle offre un avantage à la diffusion des gènes de son porteur individuel. Il y aurait sélection de groupe si une caractéristique sélectionnée l’était parce qu’elle bénéficie au groupe entier auquel l’individu appartient, quel que soit l’avantage ou le désavantage que cet individu en retire. Généralement, la sélection naturelle (individuelle) empêche tout effet de sélection de groupe, sauf à considérer des groupes particuliers d’individus, assimilables à des colonies de clones . Il y a cependant des situations particulières où ce n’est pas le cas et ces situations ont ceci d’intéressant qu’elles semblent attestées d’un point de vue biologique tout en ayant également une certaine plausibilité du point de vue social humain . En effet, pour perdurer, les situations dans lesquelles le groupe a temporairement un rôle sélectif rendent obligatoires, du point de vue externe au groupe, son isolement, sa séparation en sous-groupes puis la fusion de ces sous-groupes et du point de vue interne au groupe, la distribution d’un certain nombre de rôles par nature environnementaux et mobiles – mais fixée par des règles locales –, double série de mouvements dont on peut se demander s’ils ne participent pas, dans l’espèce humaine , à ce qui rend précisément possible les activités symboliques, en particulier les règles de parenté.

On peut alors faire l’hypothèse suivante : l’espèce humaine aurait alors ceci de particulier qu’elle parviendrait, au moyen de ritualisations spécifiques, à faire durer un état où le groupe joue un rôle sélectif, état généralement si transitoire parmi les espèces qu’il n’a pas ou peu d’efficacité biologique. Quelles seraient ces ritualisations ?

On doit tout d’abord remarquer que la question de la sélection de groupe a à voir avec celle de la sexuation en général . Même G. C. Williams, grand promoteur de la critique néo-darwinienne de la sélection de groupe dans les années soixante reconnaissait trente ans plus tard (en 1996) que la sexuation semblait bien un effet de sélection de groupe . On peut alors légitimement se demander si, une fois mis en place un régime, très général à travers les espèces, de sexuation produit par sélection de groupe, la sélection sexuelle – dont la force évolutive présente dans de très nombreuses espèces animales était basée sur des systèmes de reconnaissance réciproque des partenaires sexuels au moyen de marques corporelles différentes selon les sexes et leur période de fécondité – n’a pas fini par jouer un rôle particulier dans le cas humain : les humains auraient fini par articuler spécifiquement sélection sexuelle et sélection de groupe en faisant émerger la notion de groupe différencié selon les sexes (et non pas seulement d’individu de sexe opposé) par le biais de marques de reconnaissance particulières à chaque sexe susceptibles d’être collectivement interprétées, à la fois pour chaque sexe et en relation au sexe opposé . Comment de telles marques ont-elles pu émerger ?

On sait que l’anthropologie sociale a beaucoup insisté, de R. Fox à F. Héritier, sur le fait que les règles de parenté dans l’espèce humaine sont universellement régies par une domination masculine appelée par F. Héritier « la valence différentielle des sexes, qui aboutit à déposséder le féminin des capacités potentielles dues à son privilège exorbitant d’enfanter les deux sexes » . Cette valence différentielle avait un statut sémiotique (reconnue) et sémantique (comprise) dans l’espèce humaine et c’était en cela qu’elle jouait d’une part un rôle dans l’émergence du langage tout en se distinguant d’autre part de ce qui se produisait chez les primates où les femelles avaient la même charge et le même privilège quant aux petits et étaient, elles aussi, soumises à la domination (physique) masculine sans que cela jouât un rôle quelconque dans l’émergence de signes linguistiques pour ces espèces. Il faut donc se demander comment cette valence pouvait devenir différentielle.

Une conjecture de L. Scubla sur le statut anthropologique du sang peut ici servir d’exemple, sans préjuger de sa valeur universelle : pour lui, le sang artificiellement versé par les hommes lors du sacrifice était à mettre en opposition structurale avec le sang naturellement versé par les femmes lors de leurs règles. Si l’on accordait que le sang pût jouer le rôle de marque, il y aurait eu, autour du sang, une activité symbolique qui pouvait rendre compte de l’émergence d’une reconnaissance (sémiotique) de marques (le sang des femmes) doublée de leur compréhension collective (sémantique) sous forme de signes (le sang produit par les hommes qui se tient à la place du sang des femmes) : ces marques-signes auraient été différentiels par leur opposition structurale sans être immédiatement substituables, les hommes et les femmes ne produisant pas ces marques-signes de la même manière . L’articulation particulière que l’espèce humaine aurait opérée entre la sélection de groupe et la sélection sexuelle et qui pouvait avoir joué un rôle dans l’émergence du langage aurait donc tout d’abord consisté en la mise en place de rôles collectifs de type dualiste , celui des hommes ayant été de contrôler sémantiquement l’aspect groupal de ces rôles, tandis que celui des femmes aurait été de contrôler sémiotiquement leur aspect sexuel.

La conséquence majeure aurait alors été que la sélection sexuelle et l’environnement sémiotique et sémantique différencié selon les sexes qu’elle avait aménagé aurait permis de faire durer l’état habituellement transitoire pendant lequel la sélection de groupe était susceptible de jouer un rôle . On retrouve donc la question de l’émergence de règles de parenté au cœur du problème de l’émergence du langage et, de façon plus générale, celle de l’émergence d’une forme générale des co-articulations des activités symboliques spécifique à l’espèce humaine, dont le langage occuperait le centre.


Textes cités

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Notes

Pour cette question encore controversée, cf. Joulian F., "’Le casse-noix' du chimpanzé : lecture anthropologique d'un objet simien" dans La culture est-elle naturelle ? Histoire, épistémologie et applications récentes du concept de culture, F. Joulian et A& J. Ducros eds ., Paris, Errance, 1998 : 115-137.

Certains archéologues prêtent ainsi une activité artistique à d’autres représentants du genre Homo, Homo heidelbergensis et peut-être même Homo erectus. Cf. Bednarik, R. G. (2003), “A figurine from the African Acheulian”, Current Anthropology, 44 : 405-438.

Cf. McBrearty S. & Brooks A. S., “The revolution that wasn’t : A new interpretation of the origin of modern behavior’, Journal of Human Evolution, 2000, 39 : 453-563. Ils décrivent quatorze indices de capacités cognitives dont la moitié était déjà présente il y a 140 000 ans. L’article a donné lieu à controverse mais des indices multiples l’ont corroboré depuis (cf. Johansson S., Origins of Language ; Constraints and hypotheses, Benjamins, Amsterdam, 2005 : 168 pour une revue de la littérature).

Cf. D. Lestel

Savage-Rumbaugh

peperberg

Tomasello

Tomasello, Why Apes don’t point ?

Tomasello M., “What Makes Human Cognition Unique ? From Individual to Share to Collective Intentionality”, Mind and Language, 18(2):121-147, 2003. Les conclusions de Tomasello sont corroborées d’un point de vue génétique par J. T. Crow qui montre l’existence d’un changement chromosomique entre les chimpanzés et les humains, changement qui serait à l’origine de la latéralité, elle-même capitale dans l’émergence du langage “ProtocadherinXY : A Candidate Gene for Cerebral Asymetry and Language” in Wray A. ed., The Transition to Language, Oxford University Press, Oxford, 2002 : 93-112.

Oppenheimer S., Out of Eden ; The peopling of the world, Robinson, Londres, 2004 : 18.

Leroi-Gourhan avait déjà remarqué que l’activité symbolique résidait, pour l’humain, dans « cette propriété unique […] de placer sa mémoire en dehors de lui-même » Le geste et la parole**, La mémoire et les rythmes, Albin Michel, Paris, 1965 : 33-34.

Cf. par exemple, Chase P. (1999), “Symbolism as reference and symbolism as culture”, The Evolution of Culture. An interdisciplinary View. Knight C., Dunbar R. & Power C., Rutgers University Press, New Brunswick: 34-49. L’article a le mérite de pousser jusqu’au bout la logique de l’argument, qui reste généralement implicite.

C’est la conclusion à laquelle parvient P. Chase dans l’article cité à la note précédente.

Le terme permet de regrouper ce que classiquement on distingue en deux catégories : signe (reconnu) relevant de la sémiologie et discours (compris) relevant de la sémantique . Cf. Benveniste E., Problèmes de linguistique générale, t. 2, “Sémiologie de la langue”, Gallimard, Paris : 65.

Leroi-Gourhan, Le geste et la parole**, La mémoire et les rythmes, Albin Michel, Paris, 1965 :

Cassirer E., Le mythe de l’Etat, Gallimard, Paris : 34.

Cf. Williams G. C., Adaptation and Natural Selection, Princeton University Press, Princeton, 1966 : 23-24.

Il faut supposer des modèles dans lesquels des groupes composés de sous-groupes eux-mêmes composés de deux types d’individus se reproduisent de façon inégale selon le nombre d’individus du même type dans leur environnement. On s’aperçoit que, pendant des phases qui resteraient transitoires si les sous-groupes ne se réunissaient pas à nouveau puis se séparaient ensuite, le nombre d’individus ayant un taux de reproduction plus faible dans chaque groupe tend cependant à croître globalement. Cf. Sober E. & Wilson D. S, Unto Others ; The Evolution and Psychology of Unselfish Behavior, Harvard University Press, Harvard, 1998 : 20.

S Cf. Sober E. & Wilson D. S, Unto Others ; The Evolution and Psychology of Unselfish Behavior, Harvard University Press, Harvard, 1998 : pp. 50 et 150. pour les cas biologiques (sex-ratio et virulence d’un virus) ; p. 159 sq. pour les cas liés à la norme sociale et aux très fortes contraintes qui pèsent sur les individus dans de nombreuses sociétés archaïques.

Vilmos Csány, dans de trop brèves remarques, développe une argumentation assez analogue, centrée sur la question de la représentation collective précédant l’action et non sur celle de la parenté. Cf. Csány V., “An ethological reconstruction of the emergence of culture and language during human evolution” : 41-53 in Gyõri G. ed., Language Evolution. Biological, linguistic and philosophical perspectives, Peter Lang Verlag, Francfort, 2001.

Dans The Descent of Man (1871), Darwin rapportait déjà l’émergence d’Homo Sapiens à un processus de sélection sexuelle.

Williams G. C., Adaptation and Natural Selection, Princeton University Press, Princeton, 1966 : Preface 1996. En conservant le critère du différentiel de reproduction utilisé dans le cadre de la sélection naturelle, il paraît nécessaire d’admettre que la voie de la sexuation a eu, en tant que stratégie évolutive, un plus grand succès que la voie de l’absence de sexuation, dans la faune comme dans la flore. Williams fait remarquer que les ancêtres du Pléistocène des espèces asexuées d’aujourd’hui étaient des espèces sexuées mais que les espèces asexuées du Pléistocène n’ont presque plus de descendants aujourd’hui : la sexuation des espèces apparaît donc comme un trait fonctionnel qui, en contribuant à la diversification des espèces par le maintien d’une variabilité interne et, indirectement, par ce biais, au retard dans leur extinction, a servi les espèces sexuées en général et non pas seulement l’avantage reproductif individuel au sein d’une espèce particulière.

Okanoya ne limite pas le role de la selection sexuelle au cas humain. Cf. Okanoya K., « Sexual Display as a Syntactical Vehicle : The Evolution of Syntax Birdsong and Human Language through Sexual Selection” in Wray A. ed., The Transition to Language, Oxford University Press, Oxford, 2002, chap. 3: 46-63.

Mais pas nécessairement de la même manière, comme le montre le modèle de la « menstruation factice » développé à l’origine par Knight dans Knight C., Blood relations : Menstruations and the Origin of Culture, Yale University Press, Londres, 1991 et repris ultérieurement par C. Power dans Power C., “Beauty Magic : the Origins of Art” in Dunbar R., Knight C. & Power C., An interdisciplinary View. Knight C., Dunbar R. & Power C., Rutgers University Press, New Brunswick, 1999: 92-112.

Françoise Héritier, “À propos de la théorie de l’échange”, L'Homme, 154-155 - Question de parenté, 2000
http://lhomme.revues.org/document24.html

Communication personnelle.

Il ne s’agit pas ici de discuter de la validité ou de la portée du modèle mais seulement de proposer une façon de concevoir la notion d’activité symbolique. Ce modèle peut d’ailleurs être enrichi par celui de la « menstruation factice » développé par Knight tout d’abord puis par Knight, Aiello et Power ensuite.

Il n’était d’ailleurs même pas besoin que les deux sexes comprennent la même chose. Cf. Le modèle de la « menstruation factice » de C. Power.

On verra plus bas comment le modèle de N. Allen peut se rapporter à cette hypothèse.

Cette hypothèse me semble aller dans le même sens que celle formulée par Knight, même s’il serait certainement opposé à toute l’argumentation précède sur la sélection de groupe. Cf. Knight C., “Language as a Revolutionary Consciousness” in Wray A. ed., The Transition to Language, Oxford University Press, Oxford, 2002, chap. 7: 138-160.