|
Origine http://formes-symboliques.org/article.php3?id_article=165
Par « activité symbolique » en général,
on entend, au moins à titre provisoire, tout foyer d’activité
rendant possible l’organisation de conduites collectives et
permettant leur anticipation par le biais de transaction sur des
valeurs, matérialisées dans des formes partagées.
Je vais centrer mon exposé sur des questions d’émergence
d’activités symboliques et, quand c’est possible,
sur deux activités symboliques particulières (mais
capitales), le langage et la parenté. Pourquoi ces deux activités
? Parce que, quand on se place du point de vue « archéologique
» de l’émergence, on est conduit à se
demander comment une société se reproduit à
travers le temps (ordre sexuel rendu possible par la parenté)
et en quoi son activité symbolique est spécifique
à l’espèce (et dans cette question, on rencontre
le fait que le langage – mais pas la communication, beaucoup
plus diversifiée dans la nature – est une, et peut-être
la, spécificité humaine). Par ailleurs, la question
des rapports langage / parenté est une vieille question anthropologique
: (i), parce que d’un point de vue interne, c’est en
se basant sur les terminologies linguistiques qu’on a un accès
à la façon dont la parenté s’exerce (pourquoi
un nom différent pour l’oncle paternel et l’oncle
maternel, par exemple ou pour savoir si le mariage de deux individus
est autorisé, interdit ou conseillé : encore faut-il
être capable d’effectuer un repérage de qui ils
sont et avoir une façon de les distinguer linguistiquement)
; (ii), parce que c’est sur la question de leur rapport que
s’est posée, au cours de l’histoire de l’anthropologie,
la question d’une morphologie générale de l’activité
symbolique ; (iii) parce que dans les sociétés de
petite taille, d’abord étudiées par les anthropologues
(pour des raisons évolutionnistes ayant justement trait à
l’origine), le nombre des individus de la société
est si restreint que les distinctions entre groupes selon la parenté
sont aussi immédiatement des distinctions sociales : étudier
la parenté revient donc à étudier « en
miniature » la structure sociale. D’où l’idée
que qui étudie la parenté (quand elle est «
saturée », c’est-à-dire que tout individu
de la société entretient avec tous les autres des
rapports de parenté) étudie en fait l’essence
de la société. Aussi, réfléchir à
l’émergence d’activités symboliques implique
nécessairement de se poser la question de l’émergence
de l’activité de langage et de l’exercice de
la parenté.
1. L’état actuel de la question d’un point de
vue archéologique
Quatre points méritent d’être soulignés.
11. L’apparition des activités symboliques et celle
des humains modernes ne coïncident pas.
D’une part, aujourd’hui, chez les grands singes et
d’autres animaux, on remarque l’existence de traits
que certains qualifient de « culturels » , c’est-à-dire
la transmission de conduites spécifiques à tenir,
soit lors d’événements collectifs (formation
de coalitions, rôles différenciés dans la chasse
– guet, attaque, etc.), soit dans l’apprentissage des
jeunes générations (le lavage des patates douces étant
l’exemple canonique, connu dès les années cinquante).
D’autre part, dans le passé, les activités
symboliques dans le genre Homo sont antérieures à
Homo sapiens : c’est sur une période d’au moins
250 000 ans – et donc bien avant l’apparition des humains
modernes, datée d’environ 140 000 ans, la date du départ
hors d’Afrique se situant vers moins 85 000 ans – que
s’est progressivement mis en place, parmi les différentes
espèces d’humain, un certain nombre d’activités
symboliques , en particulier trois d’entre elles : usage de
pigment d’ocre rouge, façonnage de pointes de flèches
et marques sur les parois rocheuses. On remarque que, pour au moins
deux d’entre elles, l’aspect utilitaire est inexistant.
La chronologie s’établit à l’heure actuelle
de la manière suivante :
- avant 300 000 ans, on trouve des lames, des pierres polies, activités
d’extraction et d’utilisation de pigment d’ocre
rouge ; des pointes de flèche en pierre ;
-
- à partir de 140 000 ans, on trouve la trace de transports
(obsidienne, outils) sur de longues distances, allant jusqu’à
300 km ; pêche, outils en os, pointes ébarbées,
activité d’extraction de minerai, pièces incisées
et pendentifs ;
-
- à partir de 80 000 ans, des microlithes, des perles et
des images.
-
? il faut donc s’habituer à dissocier activité
symbolique et humanité au sens strict, ce que l’on
n’est pas tellement amené à faire jusqu’à
présent.
12. Le langage est bien, aujourd’hui, spécifique à
l’humain moderne.
En l’absence de comparaison possible entre les humains modernes
et les autres espèces d’humains, toutes disparues aujourd’hui,
on remarque l’existence d’un palier entre les primates
et les humains modernes quant à l’usage du langage.
Mais il faut bien comprendre la nature de ce palier.
Le débat fait évidemment rage entre les partisans
d’une quasi-continuité entre la communication chez
les primates et dans l’espèce humaine et ceux qui instaurent
une rupture. Mais, si l’on se rappelle le premier point concernant
le fait qu’il faut essayer de ne pas systématiquement
articuler activité symbolique et humanité, les deux
positions semblent peu convaincantes. En effet, dans les deux cas,
l’expérience cruciale porte sur les capacités
d’apprentissage du langage dans les autres espèces.
Deux remarques : 1°. C’est dans l’interaction humain
/ non-humain apprivoisé que se situe pour le moment le débat
. Des capacités linguistiques possibles des primates dans
la nature, on ne sait rien et on peut même se demander si
cette notion a un sens puisque (i) les singes ne communiquent pas
par la parole (ii) le fait de leur apprendre quelque chose relevant
du langage impliquerait au préalable de les apprivoiser,
ce qui change complètement leur nature même.Si l’on
s’en tient à ce qui est connu, c’est-à-dire
à ce qui se produit dans le cas des animaux apprivoisés,
on est en droit de supposer que l’interaction avec l’humain
a « humanisé » ces espèces. Dans le cas
des singes et des perroquets , il s’agit d’animaux nés
en captivité et ayant toujours connu l’interaction
avec l’humain. Dans le cas des chiens , ce sont des animaux
dont la domestication a pris des milliers d’années
et dont le compagnonnage avec l’humain les rend dorénavant
inapte à la vie dans la nature.
2°. Selon le type d’animal utilisé, on n’est
pas sensible aux mêmes traits linguistiques. Si l’on
prend par exemple le travail de M. Tomasello sur les primates mais
aussi sur les chiens, il établit qu’aucun primate ne
parvient à pointer vers un objet concret et à attirer
l’attention d’un tiers vers cet objet parce qu’il
revêt un intérêt pour celui qui veut communiquer
. En revanche, dans le cas des chiens (dont on suppose ainsi qu’ils
ont été à l’origine domestiqués
en vue de la chasse), la localisation d’objets non visibles
comme les proies et la possibilité d’attirer l’attention
sur elles et même de les rapporter sans les manger montre
que l’humain a pu, par un travail d’apprentissage sur
des milliers d’années, enseigner ce comportement aux
chiens et ce, jusque dans leur matériau génétique
.
Il ne faut donc pas lire les expériences avec les animaux
ni comme la recherche d’une rupture entre l’humain et
le non-humain ni comme une continuité entre les espèces
mais au contraire comme une approche différenciée
de ce qui fait la capacité linguistique dont on reconnaît
qu’elle est, jusqu’à plus ample informé,
proprement humaine. On peut relire alors autrement les expériences
faites avec les primates et en particulier les expériences
qui cherchaient à établir la continuité humain
/ non-humain : ce n’est pas le « langage » (pris
comme un tout) que l’on a appris aux primates mais plutôt
la possibilité d’utiliser un système d’étiquetage
d’objets et de situations, ce qui fait (sans doute) partie
de ce que l’on peut faire avec le langage mais ce qui n’en
épuise en rien la nature.
? archéologiquement, on peut donc dire que c’est dans
l’intervalle excluant les primates en amont et incluant les
humains modernes en aval (c’est-à-dire entre 2, 5 millions
d’années et 190 000 ans), intervalle composé
de branches variées d’humains au sein du genre Homo,
que le langage s’est développé en tant qu’activité
symbolique, au sein d’autres activités symboliques
(dont, on peut le supposer, la parenté).
Dans cet intervalle,
13. l’organisation des activités symboliques n’est
pas corrélée à la croissance du cerveau mais
à celle de la culture matérielle
La phase de croissance du cerveau la plus rapide a eu lieu entre
2, 5 et 1, 5 millions d’années en Afrique et semble
avoir contribué à séparer le genre Homo des
autres primates bipèdes, sans que la culture matérielle
d’Homo Erectus, une fois qu’il fut doté d’un
gros cerveau (– 1, 5 millions d’années), évolue
ensuite de façon notable. En revanche, on assiste à
un déclin relatif du volume du cerveau concomitant d’une
accélération du rythme du changement dans la culture
matérielle après la dernière grande glaciation
(– 170 000 ans). Ce sont donc plutôt, lors d’une
phase sans doute relativement tardive de l’évolution
du genre Homo (Homo helmei et homo sapiens) , des modifications
d’ordre comportemental ou culturel, une fois un certain volume
du cerveau atteint, qui peuvent rendre compte de l’accroissement
des transformations dans la culture matérielle.
? on peut supposer que ces modifications comportementales ou culturelles
ont impliqué une réorganisation des activités
symboliques préexistantes et que l’activité
de langage et l’exercice de la parenté, dans leurs
formes actuelles, en sont issues. Il faut alors les envisager comme
à la fois causées et causantes, c’est-à-dire
non pas seulement comme des témoins passifs de cette réorganisation
mais aussi comme partie prenante de celle-ci, comme étant
cette réorganisation elle-même. Du fait que le rythme
de la transformation a porté sur la culture matérielle,
c’est-à-dire sur ce qui est extérieur aux individus
et qui peut être matérialisé dans des artefacts
, on peut en déduire que la réorganisation des activités
symboliques a eu trait à l’attention conjointe portée
à des foyers d’activités devenus plus publiquement
partagés, c’est-à-dire aux ritualisations collectives
rendant possible cette extériorisation progressive dans la
sphère de la culture.
14. Le langage a fini par jouer un rôle central au cœur
des activités symboliques
Non seulement le langage est aujourd’hui spécifique
à l’humain moderne mais il occupe une place éminente
au sein de ses activités symboliques. Il est en effet difficile
de concevoir une activité symbolique quelconque de l’humain
moderne qui ne fasse pas appel à un ensemble de signes narrativement
structurés, dont le prototype est le système organisé
du langage. C’est sans doute relativement tardivement dans
l’évolution du genre Homo que le langage a dû
jouer ce rôle.
? on doit alors comprendre la place éminente occupée
par le langage en liaison avec le fait que la réorganisation
des activités symboliques a sans doute porté sur les
ritualisations collectives organisant les différentes activités.
Le langage doit dès lors être entendu non pas dans
une perspective d’échange d’informations pertinentes
dans une structure de communication bi-univoque de nature quasi-logique
(état bien particulier et surtout bien peu archaïque
de la langue naturelle) mais comme une forme narrative très
générale ayant des signes différentiels pour
vecteur propre, signes différentiels dont la cohérence
globale est suffisamment souple pour être utilisée
dans différents foyers d’activité en s’adaptant
au contexte sémantique de chacun (c’est le côté
d’emblée « métaphorique » de l’activité
de langage).
Il semble raisonnable d’en conclure que la place éminente
qu’occupe aujourd’hui le langage dans les activités
symboliques de l’humain moderne résulte d’une
reconfiguration des rapports entre activités symboliques
déjà existantes liée à une évolution
comportementale ou culturelle, lors d’une phase relativement
tardive de l’évolution du genre Homo.
15. Le débat gradualité versus instantanéité
En fait, la gradualité étant désormais de
l’ordre du fait, la question n’est plus de déterminer
s’il y a eu continuité ou rupture mais plutôt
de concevoir la nature de la spécificité humaine au
sein de cette gradualité. Le débat se situe à
l’intérieur de l’anthropologie comme discipline,
entre l’anthropologie sociale et l’anthropologie évolutionniste,
toutes les deux largement prises en défaut :
Dans le cadre de l’anthropologie évolutionniste, on
passe de l’idée de « révolution symbolique
» (I. Watts & C. Power (1995), ‘The human symbolic
revolution: a Darwinian account’, Cambridge Archeological
Journal, 5, 1 : 75-114) à une absence de révolution
(c’est la thèse de S. McBrearty & A. Brooks (2000),
‘The Revolution that wasn’t : a New Interpretation of
the Origin of Modern Human Behavior ’, Journal of Human Evolution,
39 : 453-563).
Si l’on prend Lévi-Strauss comme exemple d’une
position jusqu’ici assez générale en anthropologie
sociale, on part d’une position « instantanéiste
» pour adopter, suite aux découvertes archéologiques,
une position qui conserve l’instantanéisme mais sous
la forme cognitiviste d’une nature de l’esprit dont
la structure serait donnée une fois pour toutes. Je donne
trois citations pour décrire l’évolution de
Lévi-Strauss sur cette question.
– 1950, Introduction à l’œuvre de Marcel
Mauss, p. XLVII : « Quels qu’aient été
le moment et les circonstances de son apparition dans l’échelle
de la vie animale, le langage n’a pu naître que d’un
coup. Les choses n’ont pu se mettre à signifier progressivement.
A la suite d’une transformation dont l’étude
ne relève pas des sciences sociales mais de la biologie et
de la psychologie, un passage s’est effectué d’un
stade où rien n’avait de sens à un autre où
tout en possédait. »
–
– 1967, lors de la réédition des Structures
élémentaires de la parenté, l’apparition
de la culture devient « une reprise synthétique, permise
par l’émergence de certaines structures cérébrales
qui relèvent elles-mêmes de la nature, de mécanismes
déjà montés mais que la vie animale n’illustre
que sous forme disjointe et qu’elle alloue en ordre dispersé.
»
–
– 1995, “La sexualité féminine et l’origine
de la société”, Temps Modernes, n° 598,
mars-avril 1998 : 66-84 : « Toutes ces considérations
rejettent l’apparition de la pensée conceptuelle, du
langage articulé, de la vie en société, donc,
dans des temps si lointains qu’on ne peut, sans faire preuve
d’une naïveté qui confine à la niaiserie,
élucubrer des hypothèses […]. Les choses vraiment
intéressantes, pour comprendre l’évolution humaine,
se sont passées dans les cerveaux, non dans les uterus ou
les larynx. »
–
On voit que la position de Lévi-Strauss évolue dans
une direction cognitiviste pour préserver son point de vue
originel et non pas pour répondre au défi que pose
la notion de gradualité dans l’émergence des
activités symboliques.
Je vais examiner le cas structuraliste puis j’en viendrai
à celui des modèles néo-darwiniens pour montrer
que leurs façons de penser l’émergence des activités
symboliques sont toutes les deux insatisfisantes pour qui conçoit
la réorganisation des activités symboliques comme
une nouveauté sociale et cognitive tout ensemble.
2. La fonction symbolique dans le cadre structuraliste
Sous l’appellation de « pensée symbolique »,
l’anthropologie structuraliste a tenté de mettre au
jour un régime de sens qui soit commun aux diverses activités
symboliques. Ce régime de sens a pour fondement l’idée
de substituabilité d’éléments les uns
par rapport aux autres et est censée s’exprimer aussi
bien dans l’usage de la parole que dans l’exercice de
la parenté. C’est donc l’échange d’éléments
qui rend possible cette structure : dans le cas de la parenté,
un individu pour un autre, dans le cas de la langue, l’échange
s’opérant selon les deux axes syntagmatiques et paradigmatiques.
Je vais m’en tenir à des remarques sur Lévi-Strauss.
21. La prohibition de l’inceste et l’échange
:
L’échange vise à faire perdurer tel quel le
groupe des donneurs et le groupe des preneurs. La relation minimale
permettant cet échange est l’atome de parenté
(1971) qui exige, dans les structures élémentaires
de parenté, la construction de trois relations :
- le rapport frère / sœur
-
- une alliance entre deux hommes : le mari et le frère de
la femme.
-
- un rapport de filiation qui reproduise à l’identique
les positions de donneurs et de preneurs
-
3 citations :
Les deux premières portent sur l’échange proprement
dit :
« La relation globale d’échange qui constitue
le mariage ne s’établit pas entre un homme et une femme
[…], elle s’établit entre deux groupes d’hommes,
et la femme y figure comme un des objets de l’échange
et non comme un des partenaires entre lesquels il a lieu […].
Le lien de réciprocité qui fonde la mariage n’est
pas établi entre des hommes et des femmes, mais entre des
hommes au moyen des femmes qui en sont seulement la principale occasion
[…]. L’oublier serait méconnaître le fait
fondamental que ce sont les hommes qui échangent les femmes
et non le contraire. Ce point de vue doit être maintenu dans
toute sa rigueur, même en ce qui concerne notre société,
où le mariage prend l’apparence d’un contrat
entre des personnes. »
Les structures élémentaires de la parenté,
pp. 134-135.
« En réalité, il n’y a dans l’échange
des femmes rien de semblable à la solution raisonnée
d’un problème économique […]. C’est
un acte de conscience, primitif et indivisible, qui fait appréhender
la fille ou la sœur comme une valeur offerte, et réciproquement,
la fille et la sœur d’autrui comme une valeur exigible.
»
Les structures élémentaires de la parenté,
p. 162
La dernière sur ce que Lévi-Strauss entend par «
émergence de la pensée symbolique » :
« L’émergence de la pensée symbolique
devait exiger que les femmes, comme des paroles, fussent des choses
qui s’échangent. C’était en effet le seul
moyen de surmonter la contradiction qui faisait percevoir la même
femme sous deux aspects incompatibles : d’une part, objet
de désir propre et donc excitant des instincts sexuels et
d’appropriation ; et en même temps, sujet, perçu
comme tel du désir d’autrui, c’est-à-dire
moyen de le lier en se l’alliant. Mais la femme ne pouvait
jamais devenir signe et rien que cela, puisque, dans un monde d’hommes,
elle est tout de même une personne […]. A l’inverse
du mot, devenu intégralement signe, la femme est donc restée,
en même temps que signe, valeur. »
Les structures élémentaires de la parenté,
p. 569.
22. Critique de la théorie lévi-straussienne de la
prohibition de l’inceste et l’échange :
Deux types de critique sont possibles, soit interne, soit externe.
Par critique interne, j’entends toute critique qui s’en
tient au plan de la parenté sans faire intervenir d’autres
réalités sociales. La critique externe partira de
l’idée que la parenté est recrutée pour
exprimer d’autres plan de la réalité sociale
(par exemple hiérarchique –droit d’aînesse
–) et qu’il est donc vain d’en faire un objet
isolé des conditions sociales dans lesquelles elle joue.
22. 1. Critique interne
221. 1. La prohibition de l’inceste
Deux remarques :
? L’inceste ne se limite pas aux consanguins (Goody) :
La parenté telle qu’elle est pensée par Lévi-Strauss
ne peut rendre compte que des interdits d’inceste entre consanguins.
Qu’en est-il des interdits sur les alliés? Jack Goody
dès 1956, avait noté dans “A comparative approach
to incest and adultery” (British Journal of Sociology, vol.
7, 1956 : 286-305) que la théorie de Lévi-Strauss
n’expliquait « en rien les interdits qui, du fait d’un
mariage, pèse immédiatement (dans la plupart des systèmes
mais pas dans tous, tels les systèmes de parenté australien)
sur les alliés (affins des consanguins + consanguins des
affins) » (Godelier, Métamorphoses de la parenté
: 390)
affins des consanguins : les parents par alliance de consanguins
consanguins des affins : les consanguins de parents par alliance
? Il n’y a aucune raison de rapporter l’interdit de
l’inceste (et la domination des hommes sur les femmes qui
s’en suit) à une structure universelle de la pensée
et de là, au cerveau (Godelier).
A l’appui de sa critique, Godelier fait remarquer qu’un
autre fait universel mis au jour par Lévi-Strauss, la division
sexuelle du travail (qui assigne la guerre aux hommes et l’élevage
des enfants aux femmes) n’est pas justifiée par Lévi-Strauss
en invoquant les structures universelles de la pensée symbolique.
Alors pourquoi serait-ce le cas pour l’interdit de l’inceste
?
Godelier, Métamorphoses de la parenté : 439 :
« Le résultat théorique fondamental de la démarche
de Lévi-Strauss fut, quoi qu’il en soit, de lier dans
une même chaîne trois faits sociaux qu’avant lui
des générations d’ethnologues avaient tenté
d’expliquer séparément : la prohibition de l’inceste
(1), l’exogamie (2) et l’échange des femmes pour
sceller des alliances matrimoniales (3). Or, sur un plan purement
logique, on sait que l’échange peut prendre trois formes.
Soit les hommes échangent entre les femmes. Soit, comme c’est
le cas dans certaines sociétés matrilinéaires
et matrilocales, on assiste à l’échange des
hommes entre les femmes, des frères par leurs sœurs.
C’est le cas des Rhades du Vietnam, des Nagovisi de Bougainville.
Au lieu d’un bridewealth, d’une compensation matrimoniale
pour la fiancée, on voit apparaître un groomwealth,
le prix du fiancé. Soit comme c’est le cas dans la
plupart des sociétés européennes et euro-américaines,
et de quelques sociétés cognatiques de Madagascar
et d’Asie du Sud-Est, les familles s’unissent, l’une
donnant un fils, l’autre une fille, et dans ce cas, en matière
d’alliance, on ne saurait dire qu’un sexe échange
l’autre alors même que la prohibition de l’inceste
existe et vaut, comme dans les deux cas précédents,
pour les deux sexes. […] Nous ne critiquons pas Lévi-Strauss
pour avoir considéré comme un fait universel la domination
masculine ni pour avoir supposé que la situation devait être
en gros la même chez nos ancêtres. Nous critiquons encore
moins l’idée que l’alliance repose très
souvent sur l’échange des femmes entre des groupes
représentés par les hommes. Les Baruya nous en ont
donné un exemple clair avec la pratique du ginamaré,
de l’échange des sœurs. Mais nous critiquons l’idée
que la subordination sociale des femmes soit fondée sur les
structures inconscientes de la pensée symbolique, bref, en
dernière analyse, sur celle du cerveau, et que la domination
masculine soit la précondition universelle de l’existence
des rapports de parenté. »
? En revenir au cerveau entendu comme organe naturel, c’est
sortir complètement du cadre défendu ici où
le cerveau est une entité aussi naturelle que culturelle.
On aurait donc une structure universelle du type [Prohibition de
l’inceste ? exogamie ? échange]. Pour Lévi-Strauss,
la domination des hommes sur les femmes est universelle, (elle est
donc, dans la classification de Lévi-Strauss, un fait de
nature) et elle est une condition d’émergence de la
pensée symbolique elle-même. Il y a là une espèce
de raccourci vertigineux entre un fait de nature et un fait «
transcendantal », raccourci sur lequel LS ne s’étend
guère.
221. 2. L’échange
? La théorie de l’échange est trop limitée
(Barry) :
« Nous ne pouvons plus guère ignorer le fait que dans
nombre de sociétés il n’existe pas d’unités
échangistes clairement identifiables et donc de relations
d’échange possibles entre groupes : faute de termes,
quid de la notion de relations entre termes ? En revanche, l’idée
selon laquelle toutes les sociétés interdisent certains
« proches » comme partenaires possibles reste d’actualité.
Ce « cercle des proches », quelle que puisse être
sa définition taxinomique locale, correspond à ce
que je désigne par l’expression « groupe de parenté
» (Laurent S. Barry, “L’union endogame”,
L’Homme, 154-155, avril 2000: 71)
? Echange et alliance ne se recoupent pas
– Il y a des échanges sans alliance :par exemple,
les Na de Chine (Cf. Cai Hua, Une société sans père
ni mari, les Na de Chine, Paris, PUF, 1997) :
« Avec les Na, nous sommes donc bien en présence d’une
société où les groupes de parenté se
reproduisent par la circulation entre eux des hommes qui en font
partie. Cette circulation n’est pas un échange, si
l’on réserve ce mot aux seuls dons et contre-dons que
se font volontairement et directement des personnes ou des groupes.
Mais elle en est un si l’on considère que chaque matrilignée
sait que ses membres masculins apporteront aux autres la «
pluie » qui leur permettra d’avoir une descendance et
qu’elle recevra le même don des autres groupes. Nous
retrouvons là l’une des conditions fondamentales de
l’instauration de rapports de parenté, l’échange
d’individu sexués entre des « familles »,
mais ces échanges ont la particularité […] d’être
réduits à des échanges de substance et non
d’individus et de ne pas créer d’alliance entre
les maisons et les lignées, alliances qui structureraient
ensuite leurs rapports pendant une ou plusieurs générations,
alliances donc, qui en feraient de vrais alliés, des affins.
» (Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard,
2004 : 396)
– Il y a des alliances sans échange : le cas du mariage
endogame dit « mariage arabe » (mariage préférentiel
avec la cousine parallèle patrilinéaire). (Lefébure
1976, Bonte 2000)
Le « mariage arabe » est-il un échange ? En
fait, il n’est pas vécu dans les catégories
de la consanguinité et de l’alliance mais dans celle
de la solidarité entre groupes masculins et le partage du
capital féminin contrôlé par ces groupes (Cf.
Pierre Bonte, “L’échange est-il universel”,
L’Homme, 154-155, avril 2000, p. 59).
Il y a moyen de plonger l’échange comme un cas particulier
dans une théorie plus vaste (Barry) :
un groupe de parenté dépend du mode de transmission
de la parenté. Celle-ci se transmet par des substances dont
le poids respectif permet de rendre compte des interdits sexuels
portant sur certains membres du groupe : par exemple, dans le cas
où le vecteur de la parenté repose sur un support
féminin (par exemple le « lait »), la ligne porteuse
de parenté sera la ligne utérine et accessoirement
la ligne des hommes. Les interdits portent précisément
sur cette ligne utérine et correspond à la pratique
du mariage dit « arabe ». Autre exemple, dans le cas
d’une société où chaque sexe transmet
de façon dominante un élément qui lui est spécifique
(par exemple, « lait » pour la mère, «
os» pour le père) et éventuellement secondairement
celui qui est propre à l’autre sexe, on remarque que,
pour Ego, les deux lignes parallèles (où s’exprime
plus fortement cette dominance) sont proscrites et que les lignes
croisées sont possibles et donc que le mariage préférentiel
est celui des cousins croisés (avec interdiction des deux
cousines parallèles, côté paternel et maternel).
Le nombre de solutions possibles concernant le poids respectif des
substances vecteurs de la parenté est limité (puisque
l’on n’a que deux parents) et on peut donc dresser un
tableau des interdictions et des permissions possibles pour toute
société possible.
« Ces variantes logiques couvrent ainsi, à partir
d’une hypothèse unique, les trois principales formes
de systèmes matrimoniaux existants (mariage des cousins croisés,
mariage endogame, interdits cognatiques), là où la
théorie de l’alliance de mariage – sauf adjonction
d’hypothèses ad hoc– ne vise que la première
d’entre elle. » (Laurent S. Barry, “L’union
endogame”, L’Homme, 154-155, avril 2000: 73)
212. 2. Critique externe
La parenté est convoquée à d’autres
fins qu’elles-mêmes dans une société,
essentiellement des fins liées à la hiérarchie
sociale. Il est donc exclu de se limiter au plan de la parenté
pour expliquer son rôle dans la société : la
parenté ne possède pas en elle-même les ressorts
de sa propre générativité et n’est donc
ni un modèle réduit de la société ni
son essence (l’articulation de la nature et de la culture,
selon Lévi-Strauss).
L’échange des femmes entre les groupes d’hommes
par le biais de l’alliance laisse supposer qu’il suffit
d’individus et de groupes pour que la société
puisse se renouveler : en fait, d’autres agents sont nécessaires
à la constitution de ces alliances, intercesseurs le plus
souvent mythiques : ancêtres (Inuit, Baruya, Trobriand), père
mythique (totem), dieux, esprits. Il n’y a pas de raison de
les exclure du registre de la parenté.
D’autre part, on peut se demander si l’attention portée
sur la nomenclature des termes de parenté n’a pas eu
pour effet de mettre au premier plan la notion d’échange
et par là, de favoriser une description très statique
des systèmes de parenté.
23. Le rapport parenté / langage dans le cadre structuraliste
L’analogie ne fonctionne que si l’on s’en tient
de façon assez superficielle à la théorie de
l’échange car ce que j’ai développé
pour la parenté aurait pu être développé
de manière analogue pour le langage dont tous les éléments
n’ont pas le caractère directement substituable que
Lévi-Strauss leur prête. En fait, la question (difficile
parce qu’elle touche à l’inconscient) du rapport
entre parenté et langage est celle du rapport à la
norme : langage et parenté font vivre différemment
le rapport à la norme : elle est explicite dans le cas de
la parenté, elle peut rester plus implicite dans le cas de
la langue, si l’on s’en tient au fait avéré
qu’aucun locuteur ne connaît d’emblée les
normes grammaticales qui régissent sa production de parole
: si l’on suit Godelier, entre la norme implicite de la langue
et la norme explicite de la parenté, les modalités
de production et de reproduction des échanges seraient de
nature radicalement différente (Godelier M., Métamorphoses
de la parenté, Fayard, Paris, 2004 : 374).
Dès lors, l’analogie telle qu’elle est décrite
par Lévi-Strauss ne permet en tout cas guère d’avancer
dans la question de l’émergence de la fonction symbolique.
24. Un descendant monstrueux du structuralisme : le cognitivisme
En s’appuyant sur les remarques de Lévi-Strauss touchant
au fait que c’est dans le « cerveau » que doit
se trouver la clé de l’émergence des activités
symboliques, solution qui a l’avantage de préserver
les bénéfices d’une solution instantanéiste
tout en la déplaçant dans un cadre graduel, le cognitivisme
a enquêté à sa manière sur ce que pouvait
bien recouvrir l’appel au « cerveau » lancé
par Lévi-Strauss. Il l’a fait dans le cadre classique
de la théorie de la représentation mentale, ce qui
a eu pour conséquence d’opposer radicalement deux modes
de fonctionnement de la fonction symbolique : le premier mode repose
sur une conception étroite du symbole conçu comme
marque arbitraire et concerne essentiellement l’aptitude à
la référence à l’objet, conçu
comme existant indépendamment du langage ; le second mode
repose au contraire sur une conception élargie du symbole,
doté d’une propension non contrôlée au
symbolisme, susceptible de produire des objets ayant une existence
sans contrepartie objective, dont il faut réussir à
expliquer le caractère illusoire par un mécanisme
cognitif approprié.
Du point de vue de l’émergence de la fonction symbolique,
celle-ci apparaît alors comme ayant émergé deux
fois, une première fois pour rendre compte de l’usage
du symbole au sens étroit et une seconde pour expliquer son
usage au sens large . Il n’est certes pas impossible d’émettre
cette hypothèse même si elle semble à peu près
invérifiable expérimentalement mais elle a un inconvénient
majeur immédiat en ce qu’elle met définitivement
à mal l’idée d’une fonction symbolique
pensée à partir de la notion d’activités
progressivement co-ritualisées, au profit d’une théorie
mentaliste et anhistorique de cette fonction.
? il n’y a plus dès lors place pour une co-organisation
réciproque des activités symboliques entre elles,
dont chacune, considérée comme autonome, n’entretient
plus, pour réussir à perdurer, de relation avec les
autres – sauf à envisager finalement ces rapports mutuels
comme n’ayant pas de réalité ailleurs que dans
l’esprit de celui qui les pense. Or la notion d’activité
symbolique rend au contraire possible des rétroactions entre
les sujets, leurs productions matérielles ou verbales et
leur environnement écologique qui rendaient possible une
conception toute différente de la fonction symbolique et
de son apparition au cours de l’histoire du genre Homo.
? il faudrait étudier la façon dont le langage (et
l’analogie possible avec la parenté) est pensée
dans la tradition cognitiviste mais j’en laisse provisoirement
le soin à d’autres.
3. La fonction symbolique dans le cadre néo-darwinien :
rapide excursion
Dans les modèles néo-darwiniens, la question de l’émergence
des signes est posé en termes d’avantage sélectif
possible.
Dans le cas des systèmes de communication animale, les signaux
sont « honnêtes » parce qu’ils sont gros
consommateurs d’énergie ou qu’ils induisent un
risque pour celui qui les porte (visibilité par rapport aux
prédateurs). La possibilité de « tricher »
avec les messages en vue d’accroître son avantage sélectif
est donc éliminée au sein de la nature par le «
coût » du message : plus un message est « coûteux
» pour celui qui l’émet et plus il est «
sûr » pour celui qui le reçoit. Le problème
qui se pose alors est celui de l’émergence du langage,
précisément parce qu’il « est facile de
mentir avec des mots » (Zahavi). Le langage est « bon
marché » au sens où il ne demande pas une consommation
particulière d’énergie et n’offre aucune
prise particulière aux prédateurs.
Dans ‘Language and Hominid Politics’ (in The Evolutionary
Emergence of Language : social function and the origin of linguistic
form, Cambridge : Cambridge University Press : 62-79), Jean-Louis
Dessalles se penche sur cette question et je vais décrire
rapidement son modèle.
Le modèle s’en tient aux hypothèses néo-darwiniennes
utilitaristes standard sur l’élimination des tricheurs
en vue d’assurer la meilleure emprise sur le réel (fausse
information = perte d’avantage sélectif pour celui
qui écoute). Il ajoute, par rapport aux modèles standards,
deux idées : d’une part, il est possible de détecter
les menteurs ; d’autre part, il est possible de négocier
l’avantage sélectif et c’est ce qui fait émerger
le politique.
Deux critiques immédiates peuvent être faites : (a)
le langage est censé dire la vérité et l’on
échange des informations vraies à propos du monde
et en vue d’être dans le vrai par rapport au monde pour
en bénéficier, en retirer des avantages. Donc le langage
est complètement centré sur la ‘relevance’
: toute perspective qui fait du fictionnel mythique un trait natif
du langage est donc éliminée d’office et ne
pourra être retrouvée qu’ultérieurement,
comme une donnée énigmatique et seconde (voire secondaire)
; (b) la politique est un moyen d’assurer l’avantage
sélectif de la transmission des gènes. Là aussi,
c’est très critiquable parce que de nombreuses pratiques
culturelles humaines deviennent totalement incompréhensibles
: le monachisme, par exemple ou comment expliquer que l’Eglise
catholique ait pu s’auto-reproduire depuis 2000 ans sans intervention
de la sexualité ?
Mais il vaut mieux faire des critiques plus précises en
s’en tenant en au modèle.
La détection des tricheurs
Pour Dessalles, le langage lui-même a développé
les moyens de distinguer les bons messages des mauvais. Ces moyens
sont de nature logique : la logique serait ce qui permettrait de
détecter le mensonge, de faire la différence entre
‘bon’ message et ‘mauvais’ message. Comme
la logique est de création récente (et qu’elle
a effectivement servi à sa naissance chez Aristote à
la détection des paralogismes des sophistes comme le montrent
les Réfutations sophistiques qui terminent l’Organon
d’Aristote), il me semble que c’est projeter sur l’émergence
du langage des outils bien sophistiqués et qui ne peuvent
apparaître que lors de l’écriture des langues.
Le fait que les normes grammaticales d’une langue soient inaccessibles
à ses propres locuteurs ne semble pas faire problème
à Dessalles.
La politique
Le modèle de Dessalles élimine d’abord tout
modèle de coopération symétrique (réciprocation
de l’information dans la comunication : A donne une information
de valeur à B parce que B donnera une information de valeur
à A. Mais ça ne marche pas dès qu’il
a des tricheurs. Dessalles étudie donc une coopération
asymétrique. Il pose ensuite sur trois caractéristiques
corrélées : (1) le statut social est corrélé
à l’avantage sélectif (‘fitness’)
(2) le statut social émerge de l’évaluation
d’une qualité Q attribuée par autrui et (3)
le statut social est corrélé à une forme d’influence
ou de leadership à l’intérieur des coalitions.
Les 3 caractéristiques son indispensables pour faire passer
de l’état 1 (fausse information = perte d’avantage
sélectif pour celui qui écoute) à l’état
2 (bonne information = don d’avantage sélectif de celui
qui écoute à celui qui parle).
L’avantage sélectif se retrouve dans la position d’une
monnaie d’échange : la difficulté du modèle
est d’articuler l’avantage sélectif classique,
cad environnemental, pour l’auditeur, au don de cet avantage
en termes politiques de ‘statut’ au parleur. Comment
passer de quelque chose que l’on reçoit à quelque
chose que l’on donne quand ce quelque chose est l’avantage
sélectif ? Dans le premier mouvement, l’avantage sélectif
est de l’information pertinente ; dans le second, il est du
statut. Comment s’opère cette transmutation de l’avantage
sélectif qui, d’information pertinente devient statut,
les deux sens étant également corrélés
au « réel » de l’avantage sélectif
? La difficulté vient évidemment de ce que, dans le
premier cas, l’info est pertinente parce qu’elle est
rapportée à des données biologiques (l’avantage
sélectif, cad la survie du plus apte) tandis que dans l’autre
le statut n’est pas pertinent dans le même sens, dans
la mesure où sa pertinence, même si elle renforce l’avantage
sélectif, dépend d’un don qui est une notion
sociale. Il y a donc une ambiguïté sur la notion d’avantage
sélectif, tantôt information pertinente (biologique)
tantôt statut (social).
Difficultés :
- le don du statut se fait dans un procès de communication
à deux (un parleur et un auditeur) alors qu’il n’y
a pas de raison de penser que le statut soit le produit d’un
don résultant d’une négociation entre deux agents
(pas plus que le scénario d’une émergence du
langage à partir d’une interaction de deux agents n’est
justifiée).
- d’autre part, le don comme le statut sont des concepts
anthroploogiques lourds et qui ne peuvent être pris tel quel
pour argent comptant : un don entre dans un réseau d’obligations,
un statut ne se négocie pas à chaque interaction comme
s’il s’agit d’une quantité : on hérite
d’un statut, on peut le léguer, éventuellement
le perdre, etc.
4. Propositions nouvelles
41. Hypothèses quant à la nouvelle organisation des
activités symboliques
On peut supposer que la reconfiguration des activités symboliques
préexistantes implique à la fois une certaine configuration
corporelle à peu près stabilisée dans l’espèce
et le moyen d’opérer des régulations de conduites
(des ritualisations) par le biais d’un usage collectivement
partagé de marques , à la fois externes aux individus
et internes au groupe d’individus dans lesquels elles sont
adoptées.
Une configuration corporelle stabilisée dans l’espèce
: si l’on en croit Leroi-Gourhan, on ne doit pas limiter cette
configuration corporelle au seul cerveau et ce, pour deux raisons.
D’une part, parce que le « cerveau a commencé
par les pieds » , c’est-à-dire une fois que la
mobilité (et toute la mécanique complexe qui va avec)
est devenue une direction évolutive (parmi d’autres
directions évolutives, comme l’huître, qui a
parié sur l’immobilité). D’autre part,
parce que la caractéristique propre du cerveau a été
d’externaliser sa mémoire dans des supports matériels
hors de lui : le cerveau n’est donc plus seulement une organisation
neuronale interne mais en lui-même un va-et-vient entre un
certain substrat naturel et l’externalisation culturelle des
régulations de conduites.
Régulation des conduites (ritualisations) : comment caractériser
cette morphologie des régulations de conduite, commune aux
activités symboliques ? Outre le fait que la régulation
des formes symboliques s’exerce dans l’extériorité
sociale, c’est-à-dire dans les registres d’activités
auxquels sont attribués socialement un sens, un trait leur
semble d’emblée commun, quand on observe par exemple
l’activité de langage et l’exercice de la parenté
: toutes les deux provoquent l’anticipation de leurs effets
possibles par le biais d’émotions ressenties. Dire
une phrase, c’est anticiper son effet possible (son effet
est vecteur d’un sens et d’une charge émotionnelle)
de même qu’obéir à une prescription de
parenté nécessite d’anticiper les effets (souhaités
ou craints) qu’aura l’union dans la société
(ces effets ne se limitent pas à la progéniture à
venir mais à la place de celle-ci dans une hiérarchie
sociale complexe). Les activités symboliques comme le langage
ou la parenté ont donc ceci de particulier d’être
héritées (on hérite de sa langue dite maternelle
comme le fait d’être fils ou filles de tel et telle,
etc.) et de projeter un avenir.
Il y a donc très certainement une « transitivité»
à l’œuvre dans la nouvelle organisation des activités
symboliques, que l’on ne trouve pas dans les sociétés
animales, les interactions sociales ne donnant pas lieu à
une capitalisation temporelle sur le long terme (les coalitions
chez les primates se défont sans donner lieu à des
charges héritées, ni même à des «
partis » relativement stabilisés ; quant au périmètre
du registre sexuel, il ne comprend évidemment pas les interdictions
et les permissions portant sur des individus entrant dans des réseaux
d’alliance, comme par exemple les consanguins d’affins).
Cette transitivité qui se manifeste dans l’ouverture
d’un axe temporel exprime en fait plus largement la construction
d’une norme, c’est-à-dire la différence
entre une situation de fait et une situation dont la valeur est
estimée selon une règle. Cette norme intervient en
tant qu’intercesseur absent, censé donner les moyens
de juger de la situation présente à partir d’une
position intemporelle. L’intercesseur peut être matérialisé
sous des aspects multiples (un dieu, un pouvoir, un roi, une institution,
un objet socialement précieux) et il est généralement
doué d’une vie propre de nature mythique. Par mythique,
il faut entendre ici que son statut de médiateur détaché
de la situation présente lui donne le pouvoir de distribuer
des rôles et de décider de la manière dont doit
se dérouler l’activité. Il faut donc entendre
ici mythique au sens large dans la mesure où ce type de construction
se retrouve aussi bien dans le mythe proprement dit que dans le
rite. Par exemple, Propp avait montré en 1928 la façon
dont on pouvait analyser le corpus mythique des contes russes à
partir d’un petit nombre de rôles et d’acteurs,
Hocart l’avait établi pour le rituel en général
en distinguant une liste de traits (acteurs, rôles, actions)
dans Kingship en 1927 puis dans Social Origins en 1939.
La notion de transitivité a une portée générale.
Comme l’avait remarqué Ernst Cassirer : « C’est
une caractéristique commune de toutes les formes symboliques
qu’elles soient applicables à radicalement n’importe
quel objet » . C’est très certainement le cas
de l’activité de langage – d’où
son rôle absolument primordial au cœur des activités
symboliques – mais la citation de Cassirer ne donne pas une
idée adéquate des formes et activités symboliques
si on lit la citation en faisant de la forme symbolique un objet
formel dans une logique abstraite de type type / token. Ce que montre
d’ailleurs Cassirer dans Langage et Mythe mais tout aussi
bien Propp ou Hocart, c’est que la forme générale
permettant d’assurer la régulation des conduites est
d’abord un itinéraire mythico-rituel, essentiellement
mêlé à l’activité pratique qu’il
régule. Si l’on prend l’exemple de la parenté,
on voit que, selon les sociétés, un certain nombre
de substances acquiert un statut de norme par rapport à laquelle
la parenté devient définissable : venir « du
même lait », avoir « le même sang »,
« le même os » fait transiter mythiquement entre
des acteurs une consanguinité qui n’est pas nécessairement
« réelle » au sens où elle serait génétique.
Par exemple, être « frère de lait » peut
impliquer des interdits sexuels sur les sœurs du frère
« de lait », même si aucune consanguinité
réelle n’existe.
Comment justifier un tel cadre du point de vue de l’émergence
des activités symboliques ?
En fait, il paraît souhaitable, à partir de la critique
du cadre structuraliste comme des modèles néo-darwiniens
ayant la fonction symbolique pour objet, de revenir… à
Darwin. La référence à Darwin, dans l’usage
qui en est fait dans les modèles néo-darwiniens standards,
paraissait en effet quelque peu biaisée, dans la mesure où
elle se limite le plus souvent au mécanisme de la sélection
naturelle et de sa conséquence directe, l’avantage
reproductif, en négligeant toutes les recherches ultérieures
de Darwin qui avait fait appel à la sélection de groupe
pour rendre compte de l’émergence de la civilisation
et plus particulièrement de la solidarité à
l’égard du non apparenté biologiquement. A cela,
une raison au moins : les modèles néo-darwiniens de
l’émergence du langage ne reconnaissent pas la pertinence
de la notion de sélection de groupe parce qu’elle ne
s’intégrait pas, ou mal, au cadre néo-darwinien.
Il faut donc voir aussi dans quelle mesure les débats sur
la nature et la fonction de la parenté n’exigent pas
du même coup que soit reprise la question des liens possibles
entre fonction symbolique et sélection de groupe.
42. Sélection de groupe, sélection sexuelle et fonction
symbolique
Dans le cadre de la sélection naturelle, une caractéristique
corporelle ou comportementale se trouve sélectionnée
si et seulement si elle offre un avantage à la diffusion
des gènes de son porteur individuel. Il y aurait sélection
de groupe si une caractéristique sélectionnée
l’était parce qu’elle bénéficie
au groupe entier auquel l’individu appartient, quel que soit
l’avantage ou le désavantage que cet individu en retire.
Généralement, la sélection naturelle (individuelle)
empêche tout effet de sélection de groupe, sauf à
considérer des groupes particuliers d’individus, assimilables
à des colonies de clones . Il y a cependant des situations
particulières où ce n’est pas le cas et ces
situations ont ceci d’intéressant qu’elles semblent
attestées d’un point de vue biologique tout en ayant
également une certaine plausibilité du point de vue
social humain . En effet, pour perdurer, les situations dans lesquelles
le groupe a temporairement un rôle sélectif rendent
obligatoires, du point de vue externe au groupe, son isolement,
sa séparation en sous-groupes puis la fusion de ces sous-groupes
et du point de vue interne au groupe, la distribution d’un
certain nombre de rôles par nature environnementaux et mobiles
– mais fixée par des règles locales –,
double série de mouvements dont on peut se demander s’ils
ne participent pas, dans l’espèce humaine , à
ce qui rend précisément possible les activités
symboliques, en particulier les règles de parenté.
On peut alors faire l’hypothèse suivante : l’espèce
humaine aurait alors ceci de particulier qu’elle parviendrait,
au moyen de ritualisations spécifiques, à faire durer
un état où le groupe joue un rôle sélectif,
état généralement si transitoire parmi les
espèces qu’il n’a pas ou peu d’efficacité
biologique. Quelles seraient ces ritualisations ?
On doit tout d’abord remarquer que la question de la sélection
de groupe a à voir avec celle de la sexuation en général
. Même G. C. Williams, grand promoteur de la critique néo-darwinienne
de la sélection de groupe dans les années soixante
reconnaissait trente ans plus tard (en 1996) que la sexuation semblait
bien un effet de sélection de groupe . On peut alors légitimement
se demander si, une fois mis en place un régime, très
général à travers les espèces, de sexuation
produit par sélection de groupe, la sélection sexuelle
– dont la force évolutive présente dans de très
nombreuses espèces animales était basée sur
des systèmes de reconnaissance réciproque des partenaires
sexuels au moyen de marques corporelles différentes selon
les sexes et leur période de fécondité –
n’a pas fini par jouer un rôle particulier dans le cas
humain : les humains auraient fini par articuler spécifiquement
sélection sexuelle et sélection de groupe en faisant
émerger la notion de groupe différencié selon
les sexes (et non pas seulement d’individu de sexe opposé)
par le biais de marques de reconnaissance particulières à
chaque sexe susceptibles d’être collectivement interprétées,
à la fois pour chaque sexe et en relation au sexe opposé
. Comment de telles marques ont-elles pu émerger ?
On sait que l’anthropologie sociale a beaucoup insisté,
de R. Fox à F. Héritier, sur le fait que les règles
de parenté dans l’espèce humaine sont universellement
régies par une domination masculine appelée par F.
Héritier « la valence différentielle des sexes,
qui aboutit à déposséder le féminin
des capacités potentielles dues à son privilège
exorbitant d’enfanter les deux sexes » . Cette valence
différentielle avait un statut sémiotique (reconnue)
et sémantique (comprise) dans l’espèce humaine
et c’était en cela qu’elle jouait d’une
part un rôle dans l’émergence du langage tout
en se distinguant d’autre part de ce qui se produisait chez
les primates où les femelles avaient la même charge
et le même privilège quant aux petits et étaient,
elles aussi, soumises à la domination (physique) masculine
sans que cela jouât un rôle quelconque dans l’émergence
de signes linguistiques pour ces espèces. Il faut donc se
demander comment cette valence pouvait devenir différentielle.
Une conjecture de L. Scubla sur le statut anthropologique du sang
peut ici servir d’exemple, sans préjuger de sa valeur
universelle : pour lui, le sang artificiellement versé par
les hommes lors du sacrifice était à mettre en opposition
structurale avec le sang naturellement versé par les femmes
lors de leurs règles. Si l’on accordait que le sang
pût jouer le rôle de marque, il y aurait eu, autour
du sang, une activité symbolique qui pouvait rendre compte
de l’émergence d’une reconnaissance (sémiotique)
de marques (le sang des femmes) doublée de leur compréhension
collective (sémantique) sous forme de signes (le sang produit
par les hommes qui se tient à la place du sang des femmes)
: ces marques-signes auraient été différentiels
par leur opposition structurale sans être immédiatement
substituables, les hommes et les femmes ne produisant pas ces marques-signes
de la même manière . L’articulation particulière
que l’espèce humaine aurait opérée entre
la sélection de groupe et la sélection sexuelle et
qui pouvait avoir joué un rôle dans l’émergence
du langage aurait donc tout d’abord consisté en la
mise en place de rôles collectifs de type dualiste , celui
des hommes ayant été de contrôler sémantiquement
l’aspect groupal de ces rôles, tandis que celui des
femmes aurait été de contrôler sémiotiquement
leur aspect sexuel.
La conséquence majeure aurait alors été que
la sélection sexuelle et l’environnement sémiotique
et sémantique différencié selon les sexes qu’elle
avait aménagé aurait permis de faire durer l’état
habituellement transitoire pendant lequel la sélection de
groupe était susceptible de jouer un rôle . On retrouve
donc la question de l’émergence de règles de
parenté au cœur du problème de l’émergence
du langage et, de façon plus générale, celle
de l’émergence d’une forme générale
des co-articulations des activités symboliques spécifique
à l’espèce humaine, dont le langage occuperait
le centre.
Textes cités
Bednarik, R. G. (2003), “A figurine from the African Acheulian”,
Current Anthropology, 44 : 405-438
Benveniste E. (1966), Problèmes de linguistique générale,
t. 2, “Sémiologie de la langue”, Paris : Gallimard.
Cassirer E. ([1945]/1993), Le mythe de l’Etat, Paris : Gallimard.
Chase P. (1999), “Symbolism as reference and symbolism as
culture”, in The Evolution of Culture. An interdisciplinary
View, Knight C., Dunbar R. & Power C. eds., New Brunswick:Rutgers
University Press : 34-49.
Crow J. T. (2002), “ProtocadherinXY : A Candidate Gene for
Cerebral Asymetry and Language” in Wray A. ed., The Transition
to Language, Oxford : Oxford University Press : 93-112.
Csány V. (2001), “An ethological reconstruction of
the emergence of culture and language during human evolution”:
41-53 in Gyõri G. ed., Language Evolution. Biological, linguistic
and philosophical perspectives, Francfort : Peter Lang Verlag.
Dawkins, R, (1982), The Selfish Gene, Oxford : Oxford University
Press.
Godelier M. (2004), Métamorphoses de la parenté,
Paris : Fayard,.
Héritier F. (2000), “À propos de la théorie
de l’échange”, L'Homme, 154-155 - Question de
parenté ; http://lhomme.revues.org/document24.html
Izard M. et Smith P. eds. (1979), La fonction symbolique, essai
d’anthropologie, Paris : Gallimard.
Johansson S. (2005), Origins of Language ; Constraints and hypotheses,
Amsterdam : Benjamins.
Joulian F. (1998), "’Le casse-noix' du chimpanzé
: lecture anthropologique d'un objet simien" dans La culture
est-elle naturelle ? Histoire, épistémologie et applications
récentes du concept de culture, F. Joulian et A& J. Ducros
eds ., Paris : Errance : 115-137.
Knight C. (1991), Blood relations : Menstruations and the Origin
of Culture, Londres : Yale University Press,.
Knight C. (2002), “Language as a Revolutionary Consciousness”
in Wray A. ed., The Transition to Language, Oxford : Oxford University
Press, , chap. 7: 138-160.
Lévi-Strauss C. (1945), ‘Analyse structurale en linguistique
et en anthropologie’, Word, n°1: 33-53 ; republié
dans Anthropologie structurale I dans le chapitre « Langage
et parenté » : Paris : Plon : 37-62.
Lévi-Strauss C. (1960), Anthropologie structurale I, Paris
: Plon.
Leroi-Gourhan (1965), Le geste et la parole**, La mémoire
et les rythmes, Paris : Albin Michel.
McBrearty S. & Brooks A. S. (2000), “The revolution that
wasn’t : A new interpretation of the origin of modern behavior’,
Journal of Human Evolution, 39 : 453-563.
Merleau-Ponty M. (1948), “Le cinéma et la nouvelle
psychologie” dans Sens et Non-sens, Paris : Nagel : 100-101.
Okanoya K. (2002), « Sexual Display as a Syntactical Vehicle
: The Evolution of Syntax Birdsong and Human Language through Sexual
Selection” in Wray A. ed., The Transition to Language, Oxford
: Oxford University Press, chap. 3: 46-63.
Oppenheimer S. (2004), Out of Eden ; The peopling of the world,
Londres : Robinson.
Power C. (1999), “Beauty Magic : the Origins of Art”
in Dunbar R., Knight C. & Power C., The Emergence of Culture.
An interdisciplinary View, Knight C., Dunbar R. & Power C.,
New Brunswick : Rutgers University Press : 92-112.
Scubla L. (1998), “Fonction symbolique et fondement sacrificiel
des sociétés humaines”, Revue du MAUSS, n°12
: 41-65.
Sober E. & Wilson D. S. (1998), Unto Others ; The Evolution
and Psychology of Unselfish Behavior, Harvard : Harvard University
Press.
Tomasello M. (2003), “What Makes Human Cognition Unique ?
From Individual to Share to Collective Intentionality”, Mind
and Language, 18(2):121-147.
Wildgen W. (2004), The Evolution of Human Language. Scenarios,
principles and cultural dynamics, Amsterdam : Benjamins.
Williams G. C. (1966), Adaptation and Natural Selection, Princeton
: Princeton University Press, (Préface 1996).
Notes
Pour cette question encore controversée, cf. Joulian F.,
"’Le casse-noix' du chimpanzé : lecture anthropologique
d'un objet simien" dans La culture est-elle naturelle ? Histoire,
épistémologie et applications récentes du concept
de culture, F. Joulian et A& J. Ducros eds ., Paris, Errance,
1998 : 115-137.
Certains archéologues prêtent ainsi une activité
artistique à d’autres représentants du genre
Homo, Homo heidelbergensis et peut-être même Homo erectus.
Cf. Bednarik, R. G. (2003), “A figurine from the African Acheulian”,
Current Anthropology, 44 : 405-438.
Cf. McBrearty S. & Brooks A. S., “The revolution that
wasn’t : A new interpretation of the origin of modern behavior’,
Journal of Human Evolution, 2000, 39 : 453-563. Ils décrivent
quatorze indices de capacités cognitives dont la moitié
était déjà présente il y a 140 000 ans.
L’article a donné lieu à controverse mais des
indices multiples l’ont corroboré depuis (cf. Johansson
S., Origins of Language ; Constraints and hypotheses, Benjamins,
Amsterdam, 2005 : 168 pour une revue de la littérature).
Cf. D. Lestel
Savage-Rumbaugh
peperberg
Tomasello
Tomasello, Why Apes don’t point ?
Tomasello M., “What Makes Human Cognition Unique ? From
Individual to Share to Collective Intentionality”, Mind and
Language, 18(2):121-147, 2003. Les conclusions de Tomasello sont
corroborées d’un point de vue génétique
par J. T. Crow qui montre l’existence d’un changement
chromosomique entre les chimpanzés et les humains, changement
qui serait à l’origine de la latéralité,
elle-même capitale dans l’émergence du langage
“ProtocadherinXY : A Candidate Gene for Cerebral Asymetry
and Language” in Wray A. ed., The Transition to Language,
Oxford University Press, Oxford, 2002 : 93-112.
Oppenheimer S., Out of Eden ; The peopling of the world, Robinson,
Londres, 2004 : 18.
Leroi-Gourhan avait déjà remarqué que l’activité
symbolique résidait, pour l’humain, dans « cette
propriété unique […] de placer sa mémoire
en dehors de lui-même » Le geste et la parole**, La
mémoire et les rythmes, Albin Michel, Paris, 1965 : 33-34.
Cf. par exemple, Chase P. (1999), “Symbolism as reference
and symbolism as culture”, The Evolution of Culture. An interdisciplinary
View. Knight C., Dunbar R. & Power C., Rutgers University Press,
New Brunswick: 34-49. L’article a le mérite de pousser
jusqu’au bout la logique de l’argument, qui reste généralement
implicite.
C’est la conclusion à laquelle parvient P. Chase
dans l’article cité à la note précédente.
Le terme permet de regrouper ce que classiquement on distingue
en deux catégories : signe (reconnu) relevant de la sémiologie
et discours (compris) relevant de la sémantique . Cf. Benveniste
E., Problèmes de linguistique générale, t.
2, “Sémiologie de la langue”, Gallimard, Paris
: 65.
Leroi-Gourhan, Le geste et la parole**, La mémoire et les
rythmes, Albin Michel, Paris, 1965 :
Cassirer E., Le mythe de l’Etat, Gallimard, Paris : 34.
Cf. Williams G. C., Adaptation and Natural Selection, Princeton
University Press, Princeton, 1966 : 23-24.
Il faut supposer des modèles dans lesquels des groupes
composés de sous-groupes eux-mêmes composés
de deux types d’individus se reproduisent de façon
inégale selon le nombre d’individus du même type
dans leur environnement. On s’aperçoit que, pendant
des phases qui resteraient transitoires si les sous-groupes ne se
réunissaient pas à nouveau puis se séparaient
ensuite, le nombre d’individus ayant un taux de reproduction
plus faible dans chaque groupe tend cependant à croître
globalement. Cf. Sober E. & Wilson D. S, Unto Others ; The Evolution
and Psychology of Unselfish Behavior, Harvard University Press,
Harvard, 1998 : 20.
S Cf. Sober E. & Wilson D. S, Unto Others ; The Evolution
and Psychology of Unselfish Behavior, Harvard University Press,
Harvard, 1998 : pp. 50 et 150. pour les cas biologiques (sex-ratio
et virulence d’un virus) ; p. 159 sq. pour les cas liés
à la norme sociale et aux très fortes contraintes
qui pèsent sur les individus dans de nombreuses sociétés
archaïques.
Vilmos Csány, dans de trop brèves remarques, développe
une argumentation assez analogue, centrée sur la question
de la représentation collective précédant l’action
et non sur celle de la parenté. Cf. Csány V., “An
ethological reconstruction of the emergence of culture and language
during human evolution” : 41-53 in Gyõri G. ed., Language
Evolution. Biological, linguistic and philosophical perspectives,
Peter Lang Verlag, Francfort, 2001.
Dans The Descent of Man (1871), Darwin rapportait déjà
l’émergence d’Homo Sapiens à un processus
de sélection sexuelle.
Williams G. C., Adaptation and Natural Selection, Princeton University
Press, Princeton, 1966 : Preface 1996. En conservant le critère
du différentiel de reproduction utilisé dans le cadre
de la sélection naturelle, il paraît nécessaire
d’admettre que la voie de la sexuation a eu, en tant que stratégie
évolutive, un plus grand succès que la voie de l’absence
de sexuation, dans la faune comme dans la flore. Williams fait remarquer
que les ancêtres du Pléistocène des espèces
asexuées d’aujourd’hui étaient des espèces
sexuées mais que les espèces asexuées du Pléistocène
n’ont presque plus de descendants aujourd’hui : la sexuation
des espèces apparaît donc comme un trait fonctionnel
qui, en contribuant à la diversification des espèces
par le maintien d’une variabilité interne et, indirectement,
par ce biais, au retard dans leur extinction, a servi les espèces
sexuées en général et non pas seulement l’avantage
reproductif individuel au sein d’une espèce particulière.
Okanoya ne limite pas le role de la selection sexuelle au cas
humain. Cf. Okanoya K., « Sexual Display as a Syntactical
Vehicle : The Evolution of Syntax Birdsong and Human Language through
Sexual Selection” in Wray A. ed., The Transition to Language,
Oxford University Press, Oxford, 2002, chap. 3: 46-63.
Mais pas nécessairement de la même manière,
comme le montre le modèle de la « menstruation factice
» développé à l’origine par Knight
dans Knight C., Blood relations : Menstruations and the Origin of
Culture, Yale University Press, Londres, 1991 et repris ultérieurement
par C. Power dans Power C., “Beauty Magic : the Origins of
Art” in Dunbar R., Knight C. & Power C., An interdisciplinary
View. Knight C., Dunbar R. & Power C., Rutgers University Press,
New Brunswick, 1999: 92-112.
Françoise Héritier, “À propos de la
théorie de l’échange”, L'Homme, 154-155
- Question de parenté, 2000
http://lhomme.revues.org/document24.html
Communication personnelle.
Il ne s’agit pas ici de discuter de la validité ou
de la portée du modèle mais seulement de proposer
une façon de concevoir la notion d’activité
symbolique. Ce modèle peut d’ailleurs être enrichi
par celui de la « menstruation factice » développé
par Knight tout d’abord puis par Knight, Aiello et Power ensuite.
Il n’était d’ailleurs même pas besoin
que les deux sexes comprennent la même chose. Cf. Le modèle
de la « menstruation factice » de C. Power.
On verra plus bas comment le modèle de N. Allen peut se
rapporter à cette hypothèse.
Cette hypothèse me semble aller dans le même sens
que celle formulée par Knight, même s’il serait
certainement opposé à toute l’argumentation
précède sur la sélection de groupe. Cf. Knight
C., “Language as a Revolutionary Consciousness” in Wray
A. ed., The Transition to Language, Oxford University Press, Oxford,
2002, chap. 7: 138-160.
|
|