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Après quarante ans écoulés, parler de mai
68 risque de ressembler à l’exhibition périodique
des survivants de la Grande Guerre, qu’on décore à
l’occasion du 11 novembre, parce qu’ils sont toujours
là, derniers témoins des glorieuses tueries qui ont
inauguré notre époque. Le risque est limité
: loin de nous rappeler un souvenir glorieux, mai 68 fait figure
d’épouvantail, on ne l’évoque plus que
pour y voir la cause, ou en tout cas l’origine du déclin
de la France, des incivilités qui pourrissent les rapports
sociaux, voire de l’incivisme de tel patron-voyou qui abandonne
son entreprise avec un parachute doré. Depuis 2002, la rupture
avec mai 68 a pu fournir, avec succès, son thème de
campagne au parti qui accapare aujourd’hui le pouvoir, comme
si, jusqu’alors, la France avait été aux mains
des soixante-huitards. En mai 2002, alors qu’il s’installait
à la Place Beauvau, Nicolas Sarkozy parlait déjà
de «tourner le dos à toutes ces années où
les valeurs ont perdu leur sens, où il n'y avait que des
droits et jamais de devoir, où personne ne respectait plus
personne, où il était interdit d'interdire»1
Puis, en 2007, le même épouvantail permet à
Sarkozy d’incarner la “rupture”, et de faire l’impasse
sur les années où il était super-ministre,
président du parti gouvernemental, et même, pour finir,
“premier ministre-bis”... Mais justement parce que c’est
un épouvantail, il n’est exhibé que quand l’occasion
l’exige, et peut céder la place à d’autres
mises en scène, comme l’évocation des accords
de Grenelle, transformés en exemple pour un “Grenelle
de l’environnement” : mai 68, à l’occasion,
fait l’objet d’une image consensuelle, “celle
d’un drame familial ou générationnel, totalement
dénué de violence, d’aspérités
ou de dimension politique déclarée, une transformation
bénigne des moeurs et des styles de vie inhérente
à la modernisation de la France et à son passage d’un
ordre bourgeois autoritaire à une nouvelle bourgeoisie moderne
et économiquement libérale.”2
Une génération ?
Légende rose ou conte bleu, cette image de mai est tout
aussi trompeuse que la légende noire qu’elle semble
contredire, car elle vide l’événement de tout
contenu politique, en le ramenant aux années d’apprentissage
d’une génération, qui a dû jeter sa gourme
pour accéder enfin aux postes de commande où elle
allait mûrir, et prendre la mesure du chemin parcouru. C’est
ainsi que l’un de ses leaders présumés [Bernard
Kouchner] pourra, vingt ans après, se poser en critique d’une
génération dont il s’est fait le porte-parole
attitré :
“Nous étions nombrilistes, oublieux du monde extérieur,
nous ne voyions pas ce qui se passait dans le reste du monde, nous
étions repliés sur nous-mêmes. Nous ne savions
pas ce que nous découvririons les années suivantes
: le tiers-monde et la misère.”3
Curieuse autocritique, observe Kristin Ross, où “Kouchner
s’arroge le droit de balayer une dimension entière
du mouvement, à savoir sa relation avec les luttes anti-coloniales
et anti-impérialistes en cours, comme le Vietnam, l’Algérie,
la Palestine et Cuba” - et s’autorise ainsi à
(re)découvrir un tiers-monde dont il n’est plus question
de soutenir les luttes, mais de s’y ingérer pour donner
aux victimes l’assistance compassionnelle que l’on accorde
à ceux qui ne peuvent plus rien pour se sauver eux-mêmes
: “le tiers-monde est toujours damné, mais sa subjectivité
a disparu, pour ne laisser place qu’à la misère
née des famines, des inondations ou des régimes autoritaires.”4
Kouchner, en même temps, donne un semblant de vie au sujet
collectif qu’exprime le mot “nous” - cette génération
dont l’existence physique est certes attestée par les
registres de l’état-civil, mais qui ne s’est
jamais affirmée comme telle : parmi les enfants nés
entre 1940 et 1950, figurent aussi bien les noms d’Alain Juppé
et de Laurent Fabius, qui ne se sont jamais reconnus dans ce “nous”.
Pour ceux qui, en 68, s’étaient donné pour règle
de ne laisser personne discourir à leur place, le discours
générationnel apparaît d’autant mieux
comme la plus perfide des “stratégies de confiscation”
que s’applique à démonter l’analyse de
Kristin Ross.
Tout naturellement, la visée générationnelle
se focalise sur la révolte étudiante, où elle
n’aperçoit que des aspirations juvéniles, oubliant
qu’elle répond à l’occupation policière
de la Sorbonne, et à l’inculpation d’étudiants
poursuivis pour leur action contre la guerre du Vietnam. Et bien
sûr elle ne tient pas compte, puisqu’ils appartiennent
à d’autres générations, de ces neuf millions
de grévistes, détail insignifiant, qui allaient entrer
en lutte, dès le 14 mai, et déclencher la plus ample,
la plus massive et la plus radicale des grèves qui ont secoué
la société française. D’autant plus radicale
qu’elle remet en question la fonctionnalité des hiérarchies
sociales, où les étudiants étudient, les dirigeants
dirigent, les travailleurs travaillent, chacun reste à sa
place, et les vaches sont bien gardées : en mai 68 “les
étudiants cessèrent de fonctionner comme des étudiants,
les travailleurs comme des travailleurs et les paysans comme des
paysans. Le mouvement prit politiquement la forme de tentatives
de déclassification et de bouleversement dans la détermination
sociale des statuts.”5
Quoi de plus naturel, dans un régime qui se dit républicain
? Dans la res publica, les affaires publiques sont les affaires
du public, tous les citoyens ont le droit de s’en mêler.
Pour qu’elles soient devenues une chasse gardée, celle
des “hommes d’Etat”, il faut que le régime
ait changé de nature, et que la politique soit devenue ce
qu’en disait Paul Valéry : “l'art d'empêcher
les gens de se mêler des affaires qui les regardent”.
Conviction partagée par les soixante-huitards : la politique
n’est pas une spécialité professionnelle, enseignée
à l’ENA, ou à “Sciences politiques”,
c’est l’exercice de la citoyenneté. Qu’il
faille, évidemment, être bien informé pour pouvoir
“décider en connaissance de cause” ne permet
pas d’exclure la “masse incompétente” mais
requiert qu’elle soit informée de façon transparente
et complète, dans un débat démocratique, où
toutes les options lui aient été présentées6.
De la Fac aux usines
Cette exigence démocratique, propre à mai 68, s’est-elle
bien transmise aux “générations” qui ont
suivi ? Cela paraît douteux si on s’en tient aux comparaisons
qu’a suscité le cas de décembre 1986, où
“la France, quelque peu étonnée, assiste à
la plus grande manifestation étudiante et lycéenne
de son histoire”7 : pour ceux qui s’en souviennent,
cette mobilisation juvénile, où les étudiants
agissaient comme étudiants, n’est guère comparable
à celle de 68, et tend à récuser l’existence
d’une filiation. Interrogée par le Nouvel Observateur,
“Isabelle Thomas, leader médiatique des premières
semaines du mouvement”, explique pourquoi les étudiants
refusent un projet de sélection à l’entrée
des universités, et conclut “nous nous battons contre
et nous nous battons pour gagner”, mais, croit-elle devoir
préciser : “Pas comme en 68”. Etonnement du journaliste
: “Et en 68, ils se battaient pour quoi ?” - à
quoi elle répond : “Ils n’en savaient rien eux-mêmes.
Et ils ont perdu. Nous, on veut gagner. Remarquez, il y a du bon
dans 68. Ils nous ont montré ce qu’il ne fallait pas
faire. Il suffit de faire le contraire de 68 et on ne se trompera
pas !”8
Pragmatiques porteurs de revendications, réconciliés
avec un ordre fonctionnel, les étudiants de 86 n’imaginent
même plus que leurs aînés se soient proposé
d’autres cibles, d’autres raisons d’agir et d’autres
signes du succès, ou de l’échec. En mai 68,
il ne s’agissait pas d’obtenir le retrait d’un
texte gouvernemental, mais d’ouvrir une brèche dans
les retranchements du pouvoir établi - lequel s’est
bien trouvé dans une situation périlleuse. Tel est
le jugement de Pompidou lui-même, justifiant sa conduite dans
une lettre de juillet 68, où il répond aux critiques
de Raymond Aron :
“Quand je suis rentré d’Afghanistan [le 11 mai,
au lendemain de la nuit des barricades], j’ai trouvé
une situation qui m’est apparue désespérée
- l’opinion parisienne était entièrement derrière
les étudiants.
La manifestation du 13 mai était annoncée. J’ai
pensé alors (et aujourd’hui j’en suis sûr)
que, faute de rendre la Sorbonne, cette manifestation entraînerait
peut-être la chute du gouvernement (et du régime) mais
qu’à tout le moins elle s’emparerait de la Sorbonne.
(...) A partir de là, avec une Sorbonne réoccupée
par les étudiants en dépit des décisions gouvernementales,
la situation était sans issue et nous condamnait à
une capitulation ou à une guerre que l’opinion n’aurait
pas acceptée.
Car, et vous le savez bien, tout dans une affaire de cet ordre
se joue sur l’opinion ; leur rendant la Sorbonne, j’enlevais
à la manifestation son objectif stratégique, elle
cessait de pouvoir devenir une émeute pour rester une ‘démonstration’.
Mais surtout, ayant fait ce que l’opinion attendait, je renversais
les responsabilités. Désormais, c’étaient
les ‘étudiants’ qui se mettaient dans leur tort,
qui devenaient des provocateurs, au lieu que ce fussent des innocents
se défendant contre les provocations gouvernementales et
policières. Je n’avais plus qu’à gagner
du temps, à circonscrire le mal, puis à prendre l’offensive
sans douleur quand l’opinion en aurait assez.”9
Ce qui, en mai 68, menace le régime, ce n’est pas
la révolte étudiante, c’est le soutien qu’elle
a reçu de “l’opinion”, c’est-à-dire,
bien sûr, l’opinion populaire. Et la manifestation du
13 mai, qui inspire à Pompidou des craintes justifiées,
n’est pas une manifestation étudiante, c’est
la première manifestation de masse où s’exprime
la solidarité populaire, et qui sera suivie par les grèves
qui éclatent dans tout le pays, et se généralisent
aussitôt, sans qu’aucun syndicat ait appelé à
une grève générale : l’objectif du pouvoir
est alors d’empêcher la conjonction des luttes, qui
s’esquisse dès le 14 mai, avec l’occupation de
Sud-Aviation, que viennent soutenir les étudiants de Nantes.
C’est alors que commencent, pour les étudiants qui
ont repris la Sorbonne, les difficultés véritables
: “Le mouvement étudiant a connu le succès,
la réalité et la joie sur un terrain qui était
naturellement le sien : les facultés et les quartiers universitaires,
note alors Castoriadis, pour qui le mouvement doit se risquer à
faire un saut périlleux, moins périlleux pourtant
que la tentation du sur-place : Dire qu'il doit passer à
la vraie politique face à la société globale,
c'est apparemment lui dérober ce terrain sous ses pieds,
sans lui en offrir d'emblée un autre comparable.” -
mais : “si cela n'était pas fait, ce serait l'isolement
et finalement la défaite du mouvement étudiant. Ce
serait le triomphe de la ligne commune à Pompidou et à
Séguy : que chacun reste à sa place, que les étudiants
s'occupent de leurs affaires et les travailleurs des leurs, ce qui
permettrait au gouvernement et aux ‘directions’ politiques
de s'occuper des affaires de la société.”10
La défaite, en effet, c’est d’abord l’isolement,
programmé, on l’a vu, par Georges Pompidou, qui jouait
bien son rôle, - mais aussi par les dirigeants syndicaux,
qui jouaient bien le leur : dans la logique des appareils, une grève
qui échoue est toujours préférable au succès
d’une grève qui échappe à leur contrôle.
Aussi n’ont-ils rien fait pour lancer le mouvement, et tous
leurs efforts ont tendu à le faire cesser au plus vite :
“Ce n'est que l'après-midi du 17, après des
débrayages spontanés chez Renault-Billancourt, que
les directions syndicales sautent dans le train en marche, et parviennent
à prendre le contrôle du mouvement pour conclure finalement
avec le gouvernement les accords de Grenelle.”11
Ces accords, on le sait, sont d’abord rejetés par
les assemblées de grévistes, mais dès que Pompidou
arrache au général de Gaulle, qui avait d’abord
voulu faire un référendum, le recours à des
élections anticipées, qu’aucun parti de gauche
n’osera boycotter, les directions syndicales vont faire le
forcing pour casser la grève, et conclure au plus vite des
accords par branche. Replacé dans ce contexte, le célèbre
slogan “élections, piège à cons”
n’exprime aucunement le refus doctrinaire de prendre part
à quelque élection que ce soit, c’est la dénonciation
des stratégies bureaucratiques qui ont d’ailleurs conduit
à l’échec de la gauche - échec qu’il
serait vain d’attribuer au réveil du “parti de
la peur”, et donc, en fin de compte, aux violences du Quartier
Latin, aux voitures brûlées et aux rues dépavées.
Rappelons le témoignage de Pompidou : au lendemain des barricades,
l’opinion parisienne restait favorable aux étudiants,
elle mettait la violence sur le compte d’une police encore
identifiée aux brutalités de Charonne, et aux rudes
méthodes du préfet Papon. Les voix qui ont manqué
aux candidats de gauche ne sont pas celles qui, en tout état
de cause, auraient été acquises à leurs adversaires,
ce sont celles d’un électorat populaire, déconcerté
par les virages stratégiques de la gauche et des syndicats,
ardents protagonistes du retour à l’ordre.
L’existence posthume : mai 68 a-t-il eu lieu ?
Notre propos n'est pas de "réhabiliter" mai 68,
ni même les idées qui étaient alors en faveur.
Ces idées ne sont pas tombées du ciel, comme on disait
alors, en croyant citer une pensée de Mao, qui citait lui-même
Labriola... Elles ne sont pas non plus nées sur les barricades,
elles se rattachaient au corpus idéologique dont Sartre avait
donné l'expression la plus niaise, quand il présentait
le marxisme comme "la philosophie indépassable de notre
temps". Ce cocktail éclectique faisait place aux diverses
variétés du marxisme, fussent-elles mâtinées
de structuralisme, d'existentialisme, ou d'évolutionnisme
teilhardien (avec la bénédiction de Roger Garaudy),
du moment qu'elles s'accordaient dans la même croyance au
progrès, la même opposition à une bourgeoisie
qu'elles identifiaient au "vieux monde". Elles méconnaissaient
le "rôle éminemment révolutionnaire"
que Marx avait pourtant reconnu à la bourgeoisie, et que
les révolutions du vingtième siècle ont pu
faire oublier aux marxistes, parce qu'elles ont eu lieu en Russie
ou en Chine, dans des pays où la bourgeoisie était
encore trop faible pour accomplir une révolution bourgeoise
- révolution qui, en fait, devait être accomplie par
les bolcheviks russes et les communistes chinois. Ceux-ci, assurément,
détruisaient le vieux monde, sur les ruines duquel ils bâtissaient
une société moderne, à laquelle ils donnaient
le nom de "socialisme" - et qui prétendait accomplir,
à la place de la bourgeoisie, les tâches que celle-ci
n'avait pas su mener à terme : développer les forces
productives, moderniser l'appareil productif, rattraper et dépasser
la croissance des pays les plus avancés. Mais si une idée
neuve s'est fait jour en mai 68, c'est l'idée que "le
socialisme n'est pas une terrasse de loisirs sur la prison industrielle,
ni des transistors pour les prisonniers, mais la destruction de
la prison industrielle elle-même" [Castoriadis, L'expérience
du mouvement ouvrier, 2, p. 355] - idée qui, auparavant,
ne s'exprimait que dans des cercles fort réduits, et qui,
dorénavant, allait être clamée sur la place
publique, même si les sociologues n'y ont pas prêté
attention.
Kristin Ross nous rapporte un mot du sociologue Wolf Lepenies,
pour qui “il ne s’est rien passé en France en
68. Les institutions n’ont pas changé, la condition
des travailleurs n’a pas changé, rien ne s’est
passé” : pour juger, après coup, qu’il
s’est bien passé quelque chose, faut-il que, par la
suite, les structures aient changé ? Et comment savons-nous
que ce qui a pu suivre est bien la conséquence de ce qui
s’est passé : ce qui s’est ensuivi, et qui devait
s’ensuivre ? D’après le même sociologue,
“68, en réalité, c’était Prague,
et c’est Prague qui a fait chuter le mur de Berlin.”12
Curieux raisonnement, qui rend indécidable toute appréciation
du sens d’un événement : même si on admettait
que le printemps de Prague, invoqué par Lepenies, ait été
la cause première du bouleversement des régimes de
l’Est, sa signification ne serait apparue qu’en novembre
1989, après plus de vingt ans, où il semblait plutôt
avoir déterminé une intervention militaire, un durcissement
de l’empire soviétique, et un retour durable de la
guerre froide...
Avec cette logique, on peut tout aussi bien :
- faire de mai 68 le point de départ des transformations
qui ont marqué la société française
au cours des années 70 : la modernisation, ou plus précisément
l’américanisation technique, économique et culturelle
que dénoncent ou saluent, selon leurs préférences,
les guerrilleros recyclés auprès de Mitterrand, les
nouveaux philosophes, et les théoriciens de l’individualisme
libéral-libertaire (Debray, Glucksmann, July, Lévy,
Lipovetsky, et tant d’autres).
- et prétendre, au contraire, qu’il ne s’est
rien passé, puisque ces changements sont à peu près
les mêmes que ceux qui ont affecté l’ensemble
des pays d’Europe occidentale, qui n’ont pas eu besoin
de mai 68 pour s’installer dans cet univers hédoniste,
où le taux de croissance, et la consommation, devaient résoudre
tous les problèmes sociaux.
Evitons d’employer le mot négationnisme, qui s’applique,
aujourd’hui, à des falsifications plus nocives. Il
s’agit bien, pourtant, de falsifications : l’événement
n’est pas reconstitué à partir des faits et
gestes attestés de ceux qui en ont été les
acteurs, il est situé dans une vue rétrospective qui
lui confère un sens, en rapport avec les soucis du temps
présent. De la même façon qu’en 1914,
la commémoration du septième centenaire de Bouvines
situait cette bataille dans la continuité supposée
d’un affrontement millénaire entre la France et l’Allemagne,
de même, en 2008, mai 68 confirme les sentiments de ceux qui
ont besoin de croire que, depuis quarante ans, la France s’épanouit
dans un style de vie libéral-libertaire, ou qu’elle
se défait dans l’individualisme, le nihilisme chic,
et l’indifférence aux valeurs. L’allusion que
je viens de faire au livre de Georges Duby, Le dimanche de Bouvines,
me permet de conclure sur une suggestion : celle d’écrire
l’histoire de Mai comme Duby écrit l’histoire
de Bouvines, en essayant de ressaisir ce que l’événement
a bien pu signifier pour ceux qui l’ont vécu.
Jean Louis Prat
NOTES ET REFERENCES
[1] déclaration citée par Thomas Ferenczi dans un
article du Monde, n° du 19-05-02, Faut-il rompre avec l’esprit
de 1968 ?
[2] Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Bruxelles
2005, p. 12. Kristin Ross est aussi l'auteur de Rouler plus vite,
laver plus blanc. Modernisation de la France et décolonisation
au tournant des années 60 (Flammarion 2006), que Jean-Claude
Michéa nous présente comme "l'une des meilleures
études consacrées aux transformations culturelles
qui ont préparé, en France, le triomphe de la révolution
libérale" (L'empire du moindre mal, p. 118)
[3] Bernard Kouchner, cité dans Ross, p. 164.
[4] Ross, p. 164. Quand le même Kouchner, p. 170, s’en
prend aux illusions de “notre génération tiers-mondiste”,
c’est pour lui reprocher d’avoir fait du tiers-monde
un sujet politique, au lieu d’en faire l’objet d’une
intervention charitable.
[5] Ross, pp. 32-33, développant une observation de Maurice
Blanchot : “dans cette action dite étudiante, jamais
les étudiants n’ont agi comme étudiants mais
comme révélateurs d’une crise d’ensemble,
comme porteurs d’un pouvoir de rupture mettant en cause le
régime, l’Etat, la société”.
[6] Déjà soixante-huitard, en 1957, Castoriadis observe
que “dans ces quatre mots: en connaissance de cause, se trouve
tout le problème de la démocratie. Il n'y a aucun
sens à appeler les gens à se prononcer sur des questions,
s'ils ne peuvent le faire en connaissance de cause. Ce point a été
souligné depuis longtemps par les critiques réactionnaires
ou fascistes de la ‘démocratie’ bourgeoise, et
on le retrouve parfois dans l'argumentation privée des staliniens
les plus cyniques. Il est évident que la ‘démocratie’
bourgeoise est une comédie, ne serait-ce que pour cette raison,
que personne dans la société capitaliste ne peut se
prononcer en connaissance de cause, et moins que tout autre les
masses, à qui l'on cache systématiquement les réalités
économiques et politiques et le sens des questions posées.
La conclusion qui en découle n'est pas de confier le pouvoir
à une couche de bureaucrates incompétents et incontrôlables,
mais de transformer la réalité sociale, de façon
que les données essentielles et les problèmes fondamentaux
soient saisissables par les individus, et que ceux-ci puissent en
décider en connaissance de cause» (Le contenu du socialisme,
article de Socialisme ou Barbarie, repris dans la collection 10-18,
1979, pp. 117-118.
[7] Luc Ferry et Alain Renaut, 68-86, Itinéraires de l’individu,
Paris 1987, p. 9.
[8] Ferry-Renaut, op. cit., pp. 15-16.
[9] cité par Eric Roussel dans sa biographie de Georges
Pompidou, pp. 249-250 dans l’édition de poche, Marabout-Université,
1985
[10] Edgar Morin, Claude Lefort et Jean-Marc Coudray (Cornelius
Castoriadis), Mai 68, la Brèche, Paris 1968, p. 99-100.
[11] Ibid., p. 112.
[12] Ross, p. 27.
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