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Origine : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/09/07/la-dangereuse-imposture-nucleaire_1757119_3232.html
L'information commence à émerger : dans la centrale
nucléaire de Fukushima, la piscine du réacteur 4,
remplie de centaines de tonnes de combustible très radioactif,
perchée à 30 mètres, au-dessus d'un bâtiment
en ruine, munie d'un circuit de refroidissement de fortune, menace
l'humanité d'une catastrophe pire encore que celle de Tchernobyl.
Une catastrophe qui s'ajoute à celle de mars 2011 à
Fukushima : 3 réacteurs percés qui déversent
leur contenu mortel dans l'air, dans l'océan et dans la terre.
Les ingénieurs du nucléaire ne savent pas quoi faire
face à tous ces problèmes. Ils ont déclamé
que la sécurité, dans le nucléaire, était,
est et sera totale, que, lorsqu'une catastrophe majeure a lieu,
personne n'a de solution à proposer. Telle est l'effroyable
vérité que révèle Fukushima. Tchernobyl
avait été mis au compte de l'incompétence technique
des Soviétiques. Impossible de resservir la même fable
politique.
Si l'on fait usage de sa raison, il ne reste qu'une seule conclusion
: l'incompétence des ingénieurs du nucléaire.
En cas de panne du circuit de refroidissement, si l'échauffement
du réacteur atteint un seuil de non-retour, il échappe
au contrôle et devient un magma en fusion de radionucléides,
de métal fondu et de béton désagrégé,
très toxique et incontrôlable (le corium).
La vérité, posée par Three Miles Island, Tchernobyl
et Fukushima, est que, une fois ce seuil franchi, les ingénieurs
sont impuissants : ils n'ont pas de solution. Ils ont conçu
et fabriqué une machine nucléaire mais ils ignorent
quoi faire en cas d'accident grave, c'est-à-dire "hors
limite". Ce sont des prétentieux ignorants : ils prétendent
savoir alors qu'ils ne savent pas. Les pétroliers savent
éteindre un puits de pétrole en feu, les mineurs savent
chercher leurs collègues coincés dans un tunnel à
des centaines de mètres sous terre, etc. Eux non, parce qu'ils
ont décrété qu'il n'y aurait jamais d'accidents
très graves.
Dans leur domaine, ils sont plus incompétents que les ouvriers
d'un garage dans le leur. S'il faut changer le cylindre d'un moteur,
les garagistes savent comment faire : la technologie existe. Si
la cuve d'un réacteur nucléaire est percée
et si le combustible déborde à l'extérieur,
les "nucléaristes" ne savent pas ce qu'il faut
faire. On objectera qu'une centrale nucléaire est plus complexe
qu'une voiture. Certes, mais c'est aussi plus dangereux. Les ingénieurs
du nucléaire devraient être au moins aussi compétents
dans leur propre domaine que ceux qui s'occupent de la réparation
des moteurs de voiture en panne : ce n'est pas le cas.
Le fait fondamental est là, affolant et incontestable :
les radionucléides dépassent les capacités
technoscientifiques des meilleurs ingénieurs du monde. Leur
maîtrise est partielle et elle devient nulle en cas d'accident
hors limite, là où on attendrait un surcroît
de compétence : telle est la vérité, l'incontestable
vérité. D'où l'aspect de devin à la
boule de cristal des ingénieurs et des "spécialistes"
du nucléaire. La contamination nucléaire ? Sans danger,
affirment-ils, alors qu'ils n'en savent rien. L'état du réacteur
détruit sous le sarcophage de Tchernobyl ? Stabilisé,
clament-ils, alors qu'ils n'en savent rien. La pollution nucléaire
dans l'océan Pacifique ? Diluée, soutiennent-ils,
alors qu'ils n'en savent rien. Les réacteurs en ruine, percés,
détruits, dégueulant le combustible dans le sous-sol
de Fukushima ? Arrêtés à froid et sous contrôle,
assurent-ils, alors qu'ils n'en savent rien.
Les effets des radionucléides disséminés dans
l'environnement sur les générations humaines à
venir ? Nuls, clament-ils, alors qu'ils n'en savent rien. L'état
des régions interdites autour de Tchernobyl et Fukushima
? Sans nocivité pour la santé, aujourd'hui, comme
pour des décennies, proclament-ils, alors qu'ils n'en savent
rien. Pour qui les radiations sont-elles nocives ? Seulement pour
les gens tristes, avancent-ils, alors qu'ils n'en savent rien. Ce
sont des devins. L'art nucléaire est un art divinatoire.
C'est-à-dire une tromperie.
Le nucléaire, qui s'annonçait comme la pointe avancée
du savoir technoscientifique au point de se présenter comme
une sorte de religion du savoir absolu, se révèle
d'une faiblesse extrême non pas par la défaillance
humaine mais par manque de savoir technoscientifique. Quelle que
soit la cause contingente du dépassement du seuil de non-retour
(attentat terroriste, inondation, séisme), l'incapacité
de réparer et de contrôler la dissémination
des radionucléides manifeste un trou dans le savoir qui menace
la certitude de soi de la modernité. Les modernes prétendaient
avoir rompu avec les conduites magiques. Le nucléaire est
l'expérience d'une brutale blessure narcissique dans l'armature
de savoir dont s'entoure l'homme moderne ; une souffrance d'autant
plus grande que c'est sa propre invention qui le place en situation
de vulnérabilité maximale.
En effet, le refus de considérer la possibilité réelle
d'un accident hors limite a pour conséquence la négligence
pratique et l'indisponibilité de fait des moyens techniques
appropriés à ces situations hors limite. Ces moyens
n'existent pas ; et personne ne sait si l'on peut les fabriquer.
Peut-être qu'un réacteur en "excursion" est
incontrôlable ou irrécupérable.
Je ne le sais pas et aucun "nucléariste" ne le
sait; mais il est sûr que personne ne le saura jamais si l'on
n'essaye pas de fabriquer ces outils techniques. Or l'affirmation
d'infaillibilité empêche leur conception. Sans doute,
ouvrir ce chantier impliquerait d'avouer une dangerosité
jusqu'ici tue et de programmer des surcoûts jusque-là
évités. Ainsi, l'infaillibilité des papes du
nucléaire a plusieurs avantages : endormir les consciences
et accroître les profits, du moins tant que tout va bien ;
l'inconvénient majeur est de nous exposer sans aucun recours
à des risques extrêmes.
Tout savoir scientifique ou technique est, par définition,
incomplet et susceptible de modification. Affirmer l'infaillibilité
d'un savoir technoscientifique ou se comporter comme si cette infaillibilité
était acquise, c'est ignorer la nature du savoir et confondre
celui-ci avec une religion séculière qui bannit le
doute et nie l'échec. D'où l'effet psychotique de
leurs discours (infaillibles et certains) et de leurs pratiques
(rafistolages et mensonges). Tout observateur est frappé
par cette contradiction et plus encore par son déni. Chacun
est sommé d'un côté de leur reconnaître
une science et une technique consommées et de l'autre côté
de se taire malgré le constat de leur échec. Bref,
le nucléaire rend fou. Mais ce n'est qu'un aspect de notre
condition nucléaire. Contaminés de tous les pays,
unissez-vous !
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