Origine du texte :
Le texte suivant a été écrit par une activiste
du Mouvement de Libération des Femmes américain, au début
des années 70 semble-t-il. Ayant “ déjà inspiré
de vastes débats ” dans la mouvance autonome espagnole,
il a été re-publié “ pour l’actualité
de son contenu ” dans la revue ContraPoder numéro 3, en
1999, dans le cadre d’un dossier sur les questions d’organisation.
Il est donc traduit de l’américain au castillan, puis du
castillan au français. C’est-à-dire qu’il
n’est sans doute pas ici au mieux de sa forme linguistique. Si
quelqu’un-e trouve sa version originale, ou une meilleure traduction,
qu’ille nous fasse signe !
Les débuts de la diffusion en français de ce texte ont
déjà suscité plusieurs réactions. Nous autres
“ micro-éditeureuses ” de ce pamphlet ne sommes nous-mêmes
pas convaincu-e-s par l’ensemble du discours de l’auteure,
mais apprécions les questions qu’elle lance dans la mare
des collectifs autogérés, et les discussions qui en naissent.
N’hésitez pas à nous faire parvenir les vôtres.
L’infokiosque : Squat des 400 Couverts, 10 traverse des 400
Couverts, 38000 Grenoble
Mail : iosk @ inventati.org
Site : http://infokiosques.net/
Le lien de la page :
http://infokiosques.net/article.php3?id_article=2
http://infokiosques.net/IMG/rtf/la_tyrannie_de_l_absence_de_structure.rtf
Tout au long des années de formation du Mouvement de Libération
des Femmes, on a beaucoup plébiscité les dénommés
“groupes sans leadership ni structure”, comme étant
la principale, sinon l’unique forme d’organisation du mouvement.
L’origine de cette idée se trouve dans la réaction
naturelle à la société sur-structurée dans
laquelle nous sommes plongé-e-s, à l’inévitable
contrôle sur nos vies qu’elle confère à certain-e-s,
et à l’élitisme constant de la gauche et de groupes
similaires parmi celles/ceux qui sont supposé-e-s combattre cette
sur-structuration.
Pourtant, l’idée d’absence de structure est passée
du stade de saine contre-tendance à celui d’idée
allant de soi. Les notions qu’elle implique sont aussi faiblement
analysées que le terme est fortement utilisé, devenant
une part intrinsèque et indiscutable de l’idéologie
du Mouvement de Libération. A l’étape de gestation
du mouvement, cette question avait peu d’importance : une fois
définis ses objectifs et sa méthode principale, comme
la prise de conscience, le groupe de conscientisation “sans structure”
s’avérait être un excellent moyen pour atteindre
le dit objectif. Le caractère détendu et informel qui
le régissait était propice à la participation aux
discussions, et le climat de soutien mutuel qui se créait en
général permettait une meilleure perception de ce qui
était personnel. Si les résultats n’étaient
pas plus concrets que cette perception du personnel, cela n’avait
pas une grande importance, puisqu’en réalité il
n’y avait pas d’autre objectif que celui-ci.
Les problèmes ne commencèrent à surgir que lorsque
les petits groupes de conscientisation épuisèrent les
vertus de la conscientisation et décidèrent qu’ils
voulaient faire quelque chose de plus concret. Face à cette décision,
les groupes, en général, s’enlisèrent, parce
que la plupart d’entre eux ne voulaient pas changer leur structure
pendant que se modifiaient leurs tâches. Les femmes avaient pleinement
accepté l’idée de “l’absence de structures”,
sans s’apercevoir des limites qu’enfermait son prolongement.
On essaya d’utiliser le groupe “sans structure” et
les discussions informelles pour des questions inadéquates, en
se basant sur la croyance aveugle que toutes les autres formes d’organisation,
quelles qu’elles soient, étaient oppressantes.
Si le mouvement prétend s’étendre au-delà
de ces étapes élémentaires de développement,
il devra abandonner quelques-uns de ses préjugés sur l’organisation
et la structure. Il n’y a rien de pernicieux en soi dans ces deux
notions ; toutes les deux peuvent être, et sont fréquemment,
mal employées, mais les rejeter dans leur ensemble parce que
leur emploi n’est pas correct, revient à nier les instruments
d’un développement ultérieur. Il est ainsi nécessaire
de comprendre pourquoi “l’absence de structures” ne
marche pas.
Structures formelles et informelles
A l’inverse de ce que nous voulons croire, il n’existe
pas de groupe sans structure, ni rien de similaire. Tout groupe de personnes
qui, pour certaines raisons, s’unit pendant un temps déterminé
et avec un objectif quelconque, se donnera inévitablement une
forme ou une autre de structure : celle-ci pourra être flexible
et pourra varier avec le temps, peut-être servira-t-elle à
distribuer les tâches de manière équitable ou injuste,
ou à distribuer le pouvoir et l’influence entre les divers-e-s
membres du groupe, en tout cas elle s’adaptera aux personnalités,
facultés ou intérêts des personnes du groupe. Le
simple fait d’être des individus munis de talents, de prédispositions
et d’origines diverses rend ce fait inévitable. Seulement
si nous refusions de nous fréquenter, ou d’interagir sur
telles ou telles bases, nous pourrions nous rapprocher d’un groupe
sans structure, et cela n’est pas exactement la nature d’un
groupe humain.
Ce qui précède veut dire qu’aspirer à créer
un groupe sans structure est aussi inutile et trompeur que prétendre
qu’il existe des informations “objectives”, que les
sciences sociales sont “dégagées des valeurs”,
ou qu’il existe une économie “libre”. Un groupe
“laisser-faire” est aussi réaliste qu’une société
“laisser-faire” : la notion de groupe sans structure se
transforme en un rideau de fumée qui favorise les fort-e-s ou
celleux qui peuvent établir leur hégémonie indiscutable
sur les autres. Cette forme d’hégémonie peut s’établir
très facilement, parce que la notion “d’absence de
structure” n’empêche pas la formation de structures
informelles : elle n’empêche que celle des structures formelles.
De même, la philosophie du “laisser-faire”, en économie,
n’a pas empêché les puissants d’établir
un contrôle sur les salaires, les prix et la distribution des
biens ; elle a juste empêché que ce soit le gouvernement
qui le fasse. Ainsi, l’absence de structure féministe est
en général défendue par celles qui détiennent
davantage de pouvoir (qu’elles en soient ou non conscientes).
Dans la mesure où la structure du groupe est informelle, les
normes selon lesquelles on prend les décisions ne sont connues
que de peu de personnes, et la conscience du fait qu’il existe
une relation de pouvoir se limite à celles qui connaissent ces
normes. Celles qui ne les connaissent pas, ou qui n’ont pas été
sélectionnées pour l’initiation, resteront dans
la confusion, ou souffriront de l’impression paranoïaque
qu’il se passe des choses dont elles n’ont pas pleinement
conscience.
Afin que toute personne aie l’opportunité de s’investir
dans un groupe ou d’en anticiper les activités, la structure
de celui-ci devra être explicite, et non implicite. Les normes
de prise de décisions doivent être ouvertes et connues
de toutes, ce qui n’arrivera que si elles sont formalisées
; cela ne signifie pas que la formalisation de la structure d’un
groupe détruit nécessairement sa structure informelle,
en général ce n’est pas ce qui se passe, par contre
cela empêche que la structure informelle détienne un contrôle
prédominant, et en même temps cela offre de meilleurs moyens
pour se préserver de gens qui seraient investis sans répondre
aux nécessités générales du groupe.
“L’absence de structure” est organisationnellement
impossible. On ne peut décider de former un groupe avec ou sans
structure ; à partir de maintenant le terme “absence de
structure” sera employé en référence à
ces groupes qui n’ont pas été structurés
consciemment sous telle ou telle forme ; à l’inverse nous
ferons référence aux “groupes structurés”
en parlant de ceux qui l’ont fait consciemment. Un groupe structuré
a toujours une structure informelle ou cachée. C’est cette
structure informelle, tout particulièrement dans les groupes
non structurés, qui crée les bases du développement
des élites.
La nature de l’élitisme
(…) Le terme “élitaire” fait référence
à un petit groupe de gens qui domine un autre groupe plus grand,
dont il fait partie, sans normalement avoir une responsabilité
directe sur ce plus grand groupe, et qui agit fréquemment sans
son consentement ou sa connaissance. Une personne devient élitiste
quand elle fait partie ou défend la domination de ce petit groupe,
indépendamment du fait qu’elle soit ou non connue des autres.
La notoriété n’est pas un équivalent de l’élitisme.
Les élites les plus insidieuses sont habituellement composées
de gens que le grand public ne connaît pas. Les élites
intelligentes sont, en général, assez sagaces pour ne
pas se faire connaître ; elles savent que si on les connaît
on les observe, et qu’alors le masque qui cache leur pouvoir cesse
d’être préservé.
Le fait que les élites soient informelles ne veut pas dire qu’elles
sont invisibles. Dans la réunion d’un groupe quelconque,
n’importe qui peut, en ayant l’oeil avisé et l’oreille
attentive, se rendre compte de qui influe sur qui. Les membres d’un
groupe qui ont de bonnes relations entre eux se fréquenteront
plus fréquemment que d’autres. Illes s’écoutent
plus attentivement et s’interrompent moins ; illes répètent
les points de vue ou les opinions des autres et, en cas de conflit,
illes cèdent plus amicalement ; de même illes tendent à
ignorer voire à lutter d’arrache-pied contre les “exclu-e-s”
(“out”), dont l’assentiment n’est pas nécessaire
pour prendre une décision, et pourtant les “exclu-e-s”
(“out”) doivent maintenir de bonnes relations avec les “inclu-e-s”
(“in”). Evidemment les lignes de démarcation ne sont
pas aussi clairement tracées que ce que j’affirme ici :
dans l’interaction naissent des nuances. (…)
Les élites ne sont pas des groupes de conspiration : il est
rare qu’un petit groupe se réunisse et essaye délibérément
de s’accaparer un plus grand groupe à ses fins. Les élites
ne sont rien de plus et rien de moins que des groupes d’ami-e-s
qui, accidentellement, participent à la même activité
politique, bien que, d’un autre côté, illes auraient
probablement une activité politique indépendamment du
maintien ou non de leur amitié. La coïncidence de ces deux
faits est ce qui génère une élite dans un groupe
déterminé, et aussi ce qui rend si difficile son anéantissement.
Ces groupes d’ami-e-s fonctionnent comme des réseaux de
communication en marge de tous les canaux que le groupe a pu établir
avec eux, et s’il n’existe pas de canaux, ils fonctionnent
comme le seul réseau de communication : parce que ces gens sont
ami-e-s, parce qu’en général illes partagent les
mêmes valeurs et conceptions politiques, parce qu’illes
se parlent dans des circonstances de la vie quotidienne, parce qu’illes
se consultent quand illes doivent prendre des petites décisions
pour leur vie, les gens qui participent à ces réseaux
ont plus de pouvoir que ceux qui ne participent pas. Il est rare qu’un
groupe n’établisse aucun réseau informel de communication
entre les ami-e-s qui se lient en son sein.
Certains groupes, selon leur taille, peuvent avoir plus d’un
réseau de communication informelle, en outre ces derniers peuvent
s’entremêler. Quand il existe juste un réseau de
ce type, il se transforme en l’élite du groupe “sans
structure”, indépendamment de la volonté ou non
de ses membres d’être élitistes. Si, d’un autre
côté, il est le seul réseau existant dans un groupe
structuré, il peut ou ne peut pas correspondre à son élite,
selon la composition et la nature du groupe formel. S’il existe
deux réseaux d’ami-e-s ou plus, ils se font parfois concurrence
pour gagner le pouvoir dans le groupe, créant ainsi des divisions
; il peut aussi arriver que l’une des fractions abandonne délibérément
la compétition, en laissant une autre être l’élite
du groupe. Dans un groupe structuré, en général,
deux réseaux d’ami-e-s ou plus coexistent et se font concurrence
pour gagner le pouvoir formel. On pourrait considérer que c’est
la situation la plus saine, puisque les membres restant-e-s peuvent
jouer les arbitres entre les deux groupes en compétition pour
le pouvoir, et, de cette façon, poser des exigences déterminées
à celleux avec qui illes s’allient temporairement.
Le caractère inévitablement élitaire et exclusif
des réseaux de communication informelle entre ami-e-s n’est
pas une particuliarité du mouvement féministe, ni un phénomène
nouveau pour les femmes. Ce type de relations informelles a servi des
siècles durant à exclure la participation des femmes des
groupes intégrés dont elles faisaient partie. Dans toute
profession ou organisation, ces réseaux ont créé
une mentalité de “groupe fermé”, à
l’image des liens de “camarades de classe”, et ont
empêché les femmes (quelques-unes) (ainsi que certains
hommes isolés) d’accéder de façon égalitaire
aux sources de pouvoir ou à la reconnaissance sociale. Une bonne
partie des efforts du mouvement féministe, dans le passé,
s’est dirigée vers la formalisation des structures de décision
et des processus de sélection, avec l’objectif de faciliter
l’attaque directe contre les mécanismes d’exclusion
des femmes, mais tout cela n’a pas eu lieu au sein même
du mouvement féministe, parce qu’on partait inconsciemment
du principe qu’il n’y avait que des femmes (en théorie,
égales, d’une même classe).
Comme nous le savons bien, ces efforts n’ont pas empêché
la persistance de la discrimination contre les femmes, bien qu’au
moins celle-ci soit devenue plus difficile.
Etant donné que les groupes du mouvement n’ont pas pris
de décisions concrètes quant à qui doit exercer
le pouvoir en leur sein, les critères suivis diffèrent
d’un bout à l’autre du pays. Dans la première
étape du mouvement, par exemple, le mariage était requis,
en général, pour pouvoir participer à l’élite
informelle. C’est-à-dire qu’en accord avec les enseignements
traditionnels, les mariées restaient fondamentalement entre elles,
considérant que les célibataires en tant qu’amies
intimes sont un danger excessif. Dans plusieurs villes ce critère
fut nuancé en incluant dans l’élite uniquement les
épouses d’hommes de la nouvelle gauche. Cette norme-là
prend en compte quelque chose de plus que la simple tradition, en effet
les hommes de la nouvelle gauche, en général, avaient
accès à des ressources dont le mouvement avait besoin
et qu’il ne pouvait obtenir que par leur biais. Le mouvement a
changé avec le temps, et le mariage a cessé d’être
un critère universel pour une réelle participation ; d’autres
normes ont été adoptées pour n’ouvrir la
porte de l’élite qu’aux femmes qui avaient des caractéristiques
matérielles et personnelles déterminées. En général,
celles-ci sont : être originaire des classes moyennes (malgré
toute la rhétorique existante sur les relations avec la classe
prolétaire), être mariée ou pas mais vivre avec
quelqu’un-e, être ou se prétendre lesbienne, avoir
entre 20 et 30 ans, avoir étudié à l’université
ou avoir au moins un certain niveau d’éducation, être
“marginale” mais pas trop, avoir une posture politique ou
être reconnue comme “baba-cool”, avoir une personnalité
d’une certaine manière “féminine” avec
des caractéristiques telles que “être agréable”,
s’habiller de manière appropriée etc. Il existe
également des caractéristiques déterminées
qui presqu’inévitablement définiront une personne
“marginale” avec qui il ne faut pas tisser de liens, par
exemple : être trop âgée, travailler 8 heures par
jour, ou, encore plus, avoir un intense dévouement “professionnel”,
ne pas être agréable et être explicitement célibataire
(c’est-à-dire n’avoir d’activité ni
hétéro ni homosexuelle).
Nous pourrions ajouter d’autres critères de sélection
mais ils seraient tous en rapport, d’une manière ou d’une
autre, avec ceux énumérés ci-dessus : les pré-requis
typiques pour faire partie des élites informelles du mouvement,
et, ainsi, exercer une certaine forme de pouvoir, sont en rapport avec
la classe sociale, la personnalité et le temps libre. Ils n’incluent
pas la compétence, la consécration au féminisme,
le talent ou la contribution potentielle au mouvement : ceux-là
sont les critères employés pour établir une amitié,
ceux-ci sont ceux que chaque mouvement ou organisation doit adopter
s’il veut avoir une certaine efficacité politique.
Les normes de participation peuvent varier d’un groupe à
l’autre, mais les voies d’intégration à l’élite
informelle - si l’on répond aux critères établis
- sont souvent très semblables. La seule différence de
fond réside dans le fait d’être dans le groupe depuis
le début, ou de s’intégrer une fois le groupe formé.
Si l’on devient membre du groupe dès le début il
est important qu’un grand nombre d’ami-e-s l’intègre
au même moment. Si, à l’inverse, on ne connaît
bien aucun des membres, il faut alors se lier d’amitié
avec un groupe de “gens bien”, et fixer les normes basiques
d’interaction pour créer quelque structure informelle.
Une fois créées les normes informelles, celles-ci se maintiennent,
aidées pour cela du recrutement de nouvelles personnes qui “s’ajustent”.
On intègre une élite d’une manière similaire
à celle dont on s’engage dans une “confrérie”.
Si quelqu’une est considérée comme “prometteuse”,
elle est “entraînée” par les membres de la
structure informelle et, selon les cas, initiée ou laissée
de côté. Si la confrérie n’a pas assez de
conscience politique pour débuter consciemment le processus,
celui-ci peut se dérouler de la même manière que
l’adhésion à n’importe quel club privé.
En premier lieu une protectrice est nécessaire, c’est-à-dire
qu’il faut trouver une membre de l’élite qui jouit
de respect en son sein et cultiver activement son amitié. Il
est très probable qu’à l’avenir elle t’introduise
dans le groupe d’initiées.
Toutes ces procédures prennent du temps, à tel point
que si l’on travaille 8 heures ou si l’on a quelque obligation
similaire, il est en général impossible d’arriver
à faire partie de l’élite. Simplement parce qu’on
n’a pas le temps d’assister à toutes les réunions
et de cultiver les relations personnelles nécessaires pour être
entendu-e dans la prise de décisions. Voilà pourquoi les
structures formelles pour les prises de décisions sont une aubaine
pour les personnes chargées de travail. Le fait de pouvoir compter
sur des procédés fixes de prise de décision garantit,
jusqu’à un certain point, la participation de tout un chacun.
Bien que cette dissection du processus de formation d’une élite
dans les petits groupes ait été exposée dans une
perspective critique, elle ne part pas du principe que les structures
informelles sont inévitablement mauvaises ; simplement, elles
sont inévitables. Tous les groupes créent des structures
informelles comme conséquence des normes d’interaction
entre les membres du groupe ; ces structures informelles peuvent être
très utiles. Mais seuls les groupes “sans structure”
sont totalement régis par elles. Quand les élites informelles
se conjuguent avec le mythe de l’absence de structure, il est
impensable de mettre des bâtons dans les rouages du pouvoir ;
celui-ci devient arbitraire.
Ce qui a été constaté jusqu’ici comporte
deux conséquences potentiellement négatives dont nous
devons être conscient-e-s. La première est que la structure
informelle gardera une grande similitude avec une confrérie tant
qu’on écoutera quelqu’un-e parce qu’ille nous
plaît bien et non parce qu’ille dit des choses significatives.
Dans la mesure où le mouvement ne développe pas une activité
extérieure, ce qui précède n’a pas une grande
importance, mais son évolution ne doit pas s’arrêter
à cette étape préliminaire, il devra nécessairement
modifier cette tendance. La seconde conséquence négative
se trouve dans le fait que les structures informelles n’obligent
pas les personnes qui l’intègrent à répondre
face au groupe en général. Le pouvoir qu’elles exercent
ne leur a pas été confié, et donc ne peut pas leur
être arraché. Leur influence ne se base pas sur ce qu’elles
font pour le groupe, et donc elles ne peuvent être directement
influencées par celui-ci. Il ne faut pas nécessairement
déduire de ce qui précède que les structures informelles
donnent lieu à un comportement irresponsable face au groupe,
puisque les personnes qui souhaitent maintenir leur influence sur le
groupe essaieront en général de répondre à
ses attentes, mais le fait est que le groupe ne peut pas exiger cette
responsabilité, il dépend des intérêts de
l’élite.
Le système des stars
La notion “d’absence de structure” a créé
le système des “stars”. Nous vivons dans une société
qui attend des groupes politiques qu’ils prennent des décisions
et désignent des personnes déterminées pour les
exposer au public en général. La presse, à l’instar
du public, ne sait pas écouter sérieusement les femmes
en tant que femmes, elle veut savoir ce que pense le groupe. A partir
de là, il existe trois techniques pour connaître l’opinion
de vastes secteurs : le vote et le référendum, le sondage,
et l’allocution de porte-paroles dans les meetings. Le Mouvement
de Libération de la Femme n’a utilisé aucune de
ces techniques pour communiquer avec le public. Ni le mouvement dans
son ensemble ni la majorité des groupes qui le composent n’ont
concrétisé une façon de connaître ou de faire
connaître leur position sur différents thèmes. Pourtant
le public est conditionné à ce qu’il existe des
porte-paroles.
S’il est clair que le mouvement n’a pas explicitement désigné
de porte-parole, il a tout de même poussé plusieurs femmes
qui ont attiré l’attention du public pour différentes
raisons. Normalement ces femmes ne représentent ni un groupe
déterminé ni l’état d’une opinion ;
elles le savent et le disent en général, mais étant
donné qu’il n’existe pas de porte-parole du mouvement,
elles se retrouvent, indépendamment de leur volonté et
indépendamment de leur acceptation ou non par le mouvement, à
assumer le rôle de porte-paroles. Ceci est l’une des causes
principales du ressentiment qu’on éprouve très fréquemment
envers ces femmes, que l’on désigne comme “les stars”.
Etant donné que les femmes du mouvement ne les ont pas désignées
pour exposer leur point de vue, celles-ci se sentent offensées
quand la presse présume qu’elles le font. Dans la mesure
où le mouvement ne désigne pas ses propres porte-paroles,
ces femmes se voient entraînées par la presse et le public
à assumer ce rôle, indépendamment de leur propre
désir.
Les conséquences négatives de ce qui précède
sont variées, aussi bien pour le mouvement que pour les femmes
appelées “stars”. Premièrement, parce que
le mouvement, en ne les ayant pas désignées comme porte-paroles,
n’est pas apte à révoquer leur mandat ; la presse
qui les a installées dans ce rôle est la seule qui peut
choisir de leur prêter attention ou pas. Celle-ci continuera à
chercher des “stars” pour qu’elles jouent le rôle
de porte-paroles, dans la mesure où il n’existe pas d’alternatives
officielles auxquelles recourir quand on est à la recherche de
déclarations représentatives du mouvement. Ainsi, le mouvement
manquera de contrôle sur ses porte-paroles, en continuant à
croire qu’il ne doit pas en avoir.
Deuxièmement, les femmes qui se retrouvent dans cette situation
sont fréquemment l’objet de critiques virulentes de la
part de leurs soeurs, attitude positive dans l’absolu pour le
mouvement mais aussi douloureusement destructrice pour les femmes affectées.
Ces critiques conduisent uniquement à ce que ces femmes abandonnent
le mouvement - souvent profondément offensées - ou à
ce qu’elles cessent de se sentir responsables face à leurs
“soeurs” ; peut-être maintiennent-elles une forme
de loyauté diffuse envers le mouvement, mais elles cessent d’être
affectées par les pressions des autres femmes du mouvement. On
ne peut se sentir responsable envers des gens qui sont la cause d’une
telle souffrance sans avoir quelque chose de masochiste, et en général,
ces femmes sont trop fortes pour se soumettre à ces pressions
personnelles. Ainsi, la réaction au système des “stars”
encourage de fait le même type d’irresponsabilité
individualiste que le mouvement condamne. Le mouvement, en punissant
une femme pour son comportement de “star”, perd chacune
des formes de contrôle qu’elle aurait pu exercer sur elle,
qui se sent alors libre de commettre tous les péchés individualistes
dont on l’a accusée.
L’impuissance politique
Les groupes sans structure peuvent être très efficaces
pour aider les femmes à parler de leurs propres vies, mais ne
sont pas aussi efficaces dans la poursuite d’une activité
politique, ils se fatiguent quand les gens qui les composent “ne
font rien d’autre que parler”. Etant aussi dépourvu
de structure que les groupes de conscientisation qui le composent, le
Mouvement n’est pas plus efficace face à des tâches
concrètes que les mêmes groupes isolés. La structure
informelle qui le caractérise permet rarement une cohésion
suffisante, et est trop profondément enracinée dans ses
membres, pour lui permettre d’atteindre une véritable incidence
sociale. Ainsi, le mouvement génère beaucoup d’activité,
et peu de résultats. Malheureusement, les conséquences
de ce problème ne sont pas aussi anodines que ces résultats,
le mouvement devenant sa propre victime.
Certains groupes, quand ils ne sont pas très grands, et quand
ils travaillent à petite échelle, centrent leur activité
sur des projets locaux. Cependant cette option restreint l’activité
du mouvement à un niveau local, et le coupe d’une incidence
régionale ou nationale. Ainsi ces groupes, qui ont l’objectif
d’avoir un fonctionnement efficace, en restent finalement au stade
du groupe informel d’amies, ce qui exclut beaucoup d’autres
femmes : dans la mesure où la seule façon accessible de
participer au mouvement passe par les petits groupes, les femmes qui
n’ont pas l’esprit grégaire se trouvent notablement
désavantagées. Et dans la mesure où la principale
façon de mener une activité organisée se limite
aux groupes d’amies, l’élitisme reste finalement
institutionnalisé.
Dans les groupes qui ne trouvent pas de projet local auquel se dédier,
la seule raison d’exister se réduit à rester unies.
Quand un groupe n’a pas d’activités concrètes
(et la conscientisation en est bien une), les femmes qui l’intègrent
dépensent leur énergie dans le contrôle du reste
du groupe, ce qui n’est pas tant la conséquence d’un
désir pernicieux de contrôler les autres (bien que ce le
soit parfois), mais le produit de l’incapacité à
mieux canaliser ses facultés. Les personnes qui disposent de
temps et qui doivent justifier pourquoi elles se regroupent dédient
leurs efforts au contrôle de leur environnement, et passent leur
temps à critiquer des personnalités des autres membres
du groupe : les luttes internes et les jeux de pouvoir s’imposent.
Mais quand un groupe mène à bien quelque forme d’activité,
les gens apprennent à s’entendre avec les autres et à
éluder les antipathies personnelles en faveur d’un objectif
plus grand. La nécessité de remodeler les personnes pour
qu’elles atteignent l’image qu’on en a d’elles,
trouve ses propres limites.
La crise des groupes de conscientisation laisse les gens sans but,
et le manque de structure les laisse sans point de référence.
Dans cette situation, les femmes du mouvement se replient sur elles-mêmes
et leurs soeurs, ou cherchent d’autres alternatives pour agir,
bien qu’elles soient peu accessibles. Certaines femmes “s’occupent
de leurs affaires”, ce qui peut délivrer une explosion
de créativité individuelle, dont le mouvement bénéficiera
en grande partie, bien que cette alternative ne marche pas pour la majorité,
et ne soit évidemment pas propice à un esprit d’effort
collectif. D’autres abandonnent le mouvement car elles ne veulent
pas développer un projet individuel, et ne trouvent pas non plus
la manière d’intégrer ou d’initier un projet
collectif qui les intéresse.
Beaucoup d’autres se dirigent vers des organisations politiques
qui leur offrent le type de structure et d’activité extérieure
qu’elles n’ont pas trouvé dans le Mouvement de Libération.
Ces organisations politiques trouvent là une source de recrutement
de nouvelles affiliées, et n’ont pas besoin d’infiltrer
le mouvement (bien que cette option ne reste pas exclue), puisque le
désir d’une activité politique cohérente
générée chez les femmes par leur participation
au mouvement suffit à leur donner la volonté d’entrer
dans une autre organisation quand le mouvement n’offre pas de
piste à leur énergie et à leurs projets.
Les femmes qui adhèrent à d’autres organisations
politiques tout en restant dans le Mouvement de Libération des
Femmes, ou celles qui intègrent le mouvement alors qu’elles
militent dans d’autres organisations politiques, deviennent à
leur tour de nouvelles structures informelles. Ces cercles d’amies
se fondent davantage sur leur activité politique commune non
féministe mais elles se comportent de manière très
similaire à celles qui sont évoquées plus haut.
Partageant les mêmes valeurs, idées et conceptions politiques,
elles deviennent ainsi des élites informelles, sans structure
claire ou formalisée, sans responsabilité devant le groupe,
agissant de droit propre, que ce soit ou non son intention.
Dans les groupes du mouvement, les nouvelles élites informelles
sont fréquemment considérées comme une menace par
les anciennes, et cette impression est tout-à-fait fondée.
Ces nouvelles élites, politiquement ligotées, se contentent
rarement de n’être que des confréries comme de fait
l’étaient les anciennes, et veulent propager leurs idées
politiques et féministes, attitude par ailleurs absolument normale,
bien que ses implications n’aient pas été pleinement
analysées par le mouvement féministe. Les anciennes élites
sont rarement disposées à exposer ouvertement leurs différences,
car cela reviendrait à dévoiler la structure informelle
du groupe. Beaucoup de ces élites se sont cachées derrière
le drapeau de “l’anti-élitisme” et de l’absence
de structure. Dans l’optique de contrer efficacement la compétence
d’une nouvelle structure informelle, il leur faudrait proposer
publiquement des alternatives qui pourraient être porteuses de
conséquences risquées. Des seules manières pour
elles de maintenir leur pouvoir, la plus facile est de rationaliser
l’exclusion de l’autre structure informelle en les accusant
de “rouges”, de réformistes, de “lesbiennes”
; l’autre est de structurer le groupe de manière à
ce que la structure de pouvoir initiale puisse rester institutionnalisée.
Mais cela n’est pas toujours possible. Ca l’est si les anciennes
élites informelles ont une cohésion suffisante, et si
elles ont déjà dans une large mesure accaparé le
pouvoir. Si la cohésion de la structure informelle a montré
qu’elle fonctionnait, on ne la modifie pas en substance, bien
qu’alors l’institutionnalisation de la structure de pouvoir
soit propice à sa remise en cause. Par contre, les groupes qui
ont le plus besoin d’une structure sont souvent les plus incapables
de la créer. Leurs structures informelles ne sont pas adaptées,
mais leur adhésion à l’idéologie de “l’absence
de structure” les rend réfractaires à tout changement
de technique. Moins un groupe est structuré, plus il se cramponne
à l’idéologie de “l’absence de structure”,
et plus il peut être facilement récupéré
par un groupe de camarades politiques.
Etant donné que le mouvement dans son ensemble est aussi peu
structuré que la majorité des groupes qui le composent,
il est susceptible autant qu’eux d’être directement
influencé, bien qu’alors le phénomène se
manifeste de façon différente. Il arrive fréquemment
que ce soient les organisations féministes structurées
qui fournissent les directives de dimension nationale aux activités
féministes, directives qui sont déterminées par
les priorités qui régissent ces organisations. Ainsi,
les groupes comme NOE et VEAL, et quelques collectifs de femmes de gauche,
sont les seules organisations capables de mettre sur pied une campagne
nationale. Les innombrables groupes non structurés du Mouvement
de Libération peuvent choisir de soutenir ou non ces campagnes
nationales, mais ne sont pas aptes à mettre sur pied les leurs,
continuant ainsi à laisser leurs membres grossir les troupes
des organisations structurées ; les groupes qui se disent “non
structurés”, n’ont aucun moyen de bénéficier
des vastes ressources du mouvement pour défendre leurs priorités,
et ne peuvent même pas compter sur une méthode pour décider
de ces priorités.
Moins un mouvement est structuré, moins il a de contrôle
sur son processus d’expansion et sur les actions politiques dans
lesquelles il s’engage, ce qui ne veut pas dire que ses idées
ne se diffusent pas. S’il existe un certain intérêt
de la part des média, et si les conditions sont réunies,
les idées du mouvement pourraient avoir une plus vaste diffusion.
Cela n’implique pas forcément qu’elles soient mises
en pratique, mais qu’au moins elles soient objets de discussion.
Dans la mesure où l’idéal féministe peut
être porté par la pratique, on peut bien sûr agir,
mais si sa réalisation exige une force politique coordonnée,
nous devrons nous organiser différemment.
L’organisation en structures informelles a ses limites : elle
est politiquement inefficace, ainsi qu’excluante et discriminatoire
pour les femmes qui ne sont pas ou ne peuvent pas se lier à des
cercles d’amies. Celles qui ne peuvent s’intégrer
aux organisations existantes à cause de leur classe, de leur
race, de leur métier, de leur éducation, de leur état
civil, de leur maternité, de leur personnalité, etc.,
se sentent inévitablement découragées de s’investir
; celles qui au contraire s’intègrent développent
un intérêt caché pour le maintien des choses telles
qu’elles sont.
Les intérêts cachés des groupes informels transparaîtront
un jour à travers les structures informelles existantes, et le
mouvement n’aura aucun moyen de déterminer les personnes
qui doivent exercer le pouvoir en son sein. Si le mouvement continue
à éluder délibérément la responsabilité
de désigner les personnes qui exercent le pouvoir, il continuera
à être dépourvu de moyens pour l’abolir ;
de fait son attitude se réduit à abdiquer le droit d’exiger
que ces personnes qui de fait l’exercent en soient responsables.
Ainsi, si le mouvement s’engage à diluer le pouvoir au
maximum parce qu’il sait qu’il ne peut exiger aucune responsabilité
des personnes qui l’exercent, il empêchera qu’un groupe
ou qu’une personne le domine totalement, mais il garantira en
même temps son inefficacité politique maximale. Il faut
trouver une solution intermédiaire entre les structures de domination
et l’inefficacité.
Ces problèmes sont en train de se figer, dans un Mouvement qui
change de nature. La conscientisation comme fonction principale du Mouvement
de Libération des Femmes commence à être absolue.
La libération des femmes est devenue un thème quotidien
grâce à l’intense propagande des médias ces
deux dernières années et aussi aux nombreux livres et
articles qui circulent actuellement. Ces thèmes sont discutés,
et des groupes de discussion naissent sans que leurs membres n’aient
aucune connexion explicite avec le mouvement.
Le mouvement doit établir ses priorités, structurer ses
objectifs, et continuer ses campagnes de manière coordonnée,
et pour ce faire, il doit s’organiser à échelle
locale, régionale et nationale.
Principes pour une structuration démocratique
Une fois que le mouvement aura cessé de s’accrocher à
l’idéologie de “l’absence de structure”,
il aura la possibilité de développer les formes d’organisation
qui seront davantage en accord avec son fonctionnement. Ce qui ne veut
pas dire que nous devions rejoindre l’extrême inverse, et
imiter aveuglément les formes traditionnelles d’organisation,
mais nous ne devons pas non plus toutes les rejeter avec le même
aveuglement, certaines des techniques traditionnelles seront utiles
bien qu’imparfaites, d’autres nous donneront une idée
de ce que nous devons ou ne devons pas faire pour atteindre des objectifs
déterminés avec un coût minimum pour les personnes
qui composent le mouvement. Par-dessus tout, nous devrons essayer différentes
formes de structuration et développer différentes techniques
à utiliser dans différentes situations. Le système
de tirage au sort est l’une des idées qui sont nées
dans le mouvement ; il n’est pas applicable à toutes les
situations, bien qu’il soit utile dans quelques-unes. Il faudrait
plus d’idées pour développer une structure, mais
avant de commencer toute expérimentation intelligente, nous devons
accepter l’idée qu’il n’y a rien de pernicieux
qui soit inhérent à la structure elle-même, il n’y
a de pernicieux que sa présence excessive. Pendant que nous débutons
ce processus d’essai-erreur, nous pouvons garder en tête
certains principes qui sont fondamentaux pour toute structuration qui
aspire à être à la fois démocratique et politiquement
efficace.
Ces principes sont :
1. La délégation, par des méthodes démocratiques,
de formes spécifiques d’autorité, à des personnes
concrètes et pour des tâches délimitées.
Permettre que certaines personnes assument des travaux ou des tâches
par défaut ne veut pas dire que celles-ci ne seront pas réalisées
sérieusement. Si une personne est sélectionnée
pour accomplir une tâche, de préférence après
qu’elle ait exprimé son intérêt et sa volonté
de la mener à bien, elle prend un engagement qui ne peut être
facilement ignoré.
2. Exiger des personnes à qui une autorité a été
déléguée qu’elles soient responsables devant
celles qui l’ont élue. De cette manière le groupe
garde un contrôle sur les personnes qui se trouvent en position
d’autorité. Des individus isolés exercent un pouvoir
mais c’est le groupe qui a le dernier mot sur la façon
sont ils doivent l’exercer.
3. La distribution de l’autorité au plus grand nombre
de personnes raisonnablement possible, ce qui empêche que ne se
crée un monopole du pouvoir, et exige des personnes qui se trouvent
à des postes d’autorité qu’elles en consultent
beaucoup d’autres dans leur exercice de cette autorité.
Cela permet également à beaucoup de gens d’acquérir
une responsabilité sur des tâches spécifiques, et
ainsi, de se développer en différentes facettes.
4. Rotation des postes entre différentes personnes. Désigner
une personne à un poste parce qu’elle suscite la sympathie
quand elle s’y trouve, ou gêner son travail parce qu’elle
n’en suscite pas, ne profite à long terme ni au groupe
ni à la personne en question. La capacité, l’intérêt
et la responsabilité doivent être les critères qui
comptent dans une telle sélection. En ce sens, il faut favoriser
des opportunités pour que les gens acquièrent de nouvelles
capacités, mais la meilleure façon d’y arriver passe
par un “programme d’apprentissage”, et non par la
méthode qui consiste à “se jeter à l’eau
pour apprendre à nager”. Assumer une responsabilité
que l’on ne maîtrise pas est démoralisant, et à
l’inverse, se trouver dans une liste noire pour agir correctement
n’est pas très encourageant pour développer ses
facultés. Tout au long de l’Histoire, on a empêché
les femmes d’agir de maniére compétente, et il n’est
pas nécessaire que le mouvement reproduise le même processus.
5. Diffusion de l’information à tout le monde, le plus
fréquemment possible. L’information est pouvoir. L’accès
à l’information augmente le pouvoir individuel. (...) Plus
on en sait sur le fonctionnement de quelque chose et plus on a d’information
sur ce qui se passe, plus l’efficacité politique des membres
du groupe est grande.
6. Accès égalitaire à toutes les ressources dont
le groupe a besoin, ce qui n’est pas toujours faisable. Bien qu’une
membre qui entretient un monopole sur une ressource nécessaire
(un labo-photo, une photocopieuse à laquelle elle a accès
par le biais de son mari...) doive se proposer, elle peut conditionner
l’accès à cette ressource de manière excessive.
Les connaissances des différentes membres peuvent être
équitablement accessibles si ces dernières sont disposées
à les apprendre aux autres, à échanger du matériel,
etc.
Si ces principes sont appliqués, il est garanti que, quelles
que soient les structures développées par les différents
groupes du mouvement, celles-ci restent contrôlées et répondent
face au groupe. L’ensemble des personnes qui se trouvent à
des postes d’autorité sera vaste, flexible, ouvert et temporaire.
Elles ne pourront pas institutionnaliser leur pouvoir parce que les
décisions seront prises par l’ensemble du groupe en dernière
instance. Celui-ci aura la possibilité de décider des
personnes qui exercent l’autorité en son sein.
Jo Freeman
Le lien d'origine
http://infokiosques.net/article.php3?id_article=2
http://infokiosques.net/IMG/rtf/la_tyrannie_de_l_absence_de_structure.rtf
Publié par les éditions IOSK Edition, Grenoble
L’infokiosque : Squat des 400 Couverts, 10 traverse des 400 Couverts,
38000 Grenoble