"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Foucault et l’intelligence du libéralisme
Jacques Michel DONZELOT
Esprit novembre 2005 / Des sociétés ingouvernables ?

Origine : http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=13410

Dans les années 1977-1979, Michel Foucault consacre ses cours à la « gouvernementalité ». Cohérent avec ses précédents travaux et ses engagements politiques de la période, son intérêt pour le sujet ne fut pourtant que provisoire. Pourquoi n’a-t-il pas poursuivi son travail dans cette voie ? Comment peut-on aujourd’hui reprendre ses intuitions sur les rapports entre économie, libéralisme et pouvoir politique ?

LES VINGT ans de la mort de Foucault ont été célébrés l’an dernier, dans le monde entier, à grands renforts de manifestations destinées à démontrer la persistante actualité de l’un des plus grands intellectuels français du siècle passé. Mais elles ont raté, et de peu, d’une seule année, l’occasion de coïncider avec la question qui nous hante le plus à présent en France et qui a atteint un sommet avec le récent référendum sur le sujet de la constitution européenne, à savoir, celle de la relation entre le libéralisme économique et la politique. C’est pourtant sur ce sujet que sa pensée eût pu apparaître la plus actuelle.

Michel Foucault a inventé une méthode singulière de remise en question de nos manières de penser à propos de tous ces objets supposés universels que sont la folie, la délinquance, la sexualité, le gouvernement. Il s’agissait, pour lui, non pas de montrer leur relativité historique, voire de refuser leur validité, comme on l’a souvent dit, mais de postuler a priori leur inexistence, de défaire ainsi toutes les certitudes dont ils sont l’objet, y compris celle de leur pure historicité. Cela lui a permis de donner à voir comment ce qui n’existait pas a pu avoir lieu, comment une série de pratiques ont pu s’agencer pour produire, à propos de chacun de ces objets, un régime de vérité, fait de pouvoir et de savoir mêlés, propre à permettre de dire, tant du moins que ledit régime de vérité imposait son efficacité, ce qui était vrai et ce qui était faux en matière de folie, de délinquance, de sexualité, de gouvernement. Sur chacun de ces sujets, Michel Foucault a produit un ouvrage canonique… sauf sur celui du gouvernement ou, ce qui revient au même compte tenu de l’analyse qu’il en a faite, de la relation entre libéralisme économique et politique. Pourquoi cette omission ? Parce qu’une mort prématurée l’en aurait empêché ? Difficile à dire puisqu’après avoir traité de ce sujet avec une passion singulière, il s’en est tout à coup écarté pour consacrer le reste de sa vie aux délices d’une histoire de la subjectivation dont on peut penser à présent que l’intérêt, si considérable soit-il, n’égalait pas en importance celui qu’il avait abandonné en cours de route (1).

La postérité a, en quelque sorte, sanctionné cet abandon prématuré de la question du gouvernement des hommes au profit de la conduite de soi. Les études sur la gouvernementalité constituent partout la part la plus vivante de son œuvre (2). Il n’y a guère qu’en France que cette analyse foucaldienne du libéralisme s’est trouvée peu prise en compte (3). Nous voudrions contribuer à y remédier tout en nous inspirant librement de son analyse pour commenter la conjoncture politique actuelle marquée, en France, par la réponse négative au référendum sur le projet de constitution européenne, refus qui a révélé, s’il en était besoin, l’ampleur du rejet du libéralisme, et par l’incapacité de la gauche à y adopter une position en prise sur la mondialisation et non en repli face à elle.

Le libéralisme est vécu en France comme une doctrine suspecte, tolérée par nécessité mais étrangère à notre pensée. On pense contre lui plus qu’on ne pense en fonction de lui ou à partir de lui. Comparé aux Lumières de la République, il paraît à beaucoup comme leur opposé, le signe de leur relâchement, la promesse mensongère d’une harmonie qui ne saurait en vérité résulter que de l’imposition exigeante de l’intérêt général par un État libéré de l’emprise des intérêts particuliers. Pour l’essentiel, notre pensée politique s’établit à une distance calculée de cette doctrine anglo-saxonne : assez loin pour éviter de succomber à ses maléfices mais pas trop cependant afin de pouvoir en conserver le principe de résistance à l’extrémisme qui, autrement, pourrait étouffer la prétention universelle de nos vertus républicaines dans l’étroitesse du cadre national.

À force de penser ainsi contre le libéralisme sans le penser, sans prendre en compte l’intelligence qu’il recèle, nous passons à côté des raisons qui font sa force, son expansion illimitée et nous adoptons une position de plus en plus figée et stérile dans le devenir du monde. C’est précisément à ressaisir le fil du libéralisme en tant que pensée de gouvernement, et non de repoussoir de l’art républicain de gouverner, que s’est employé M. Foucault. Cette réflexion occupe deux années de ses cours au Collège de France, 1977-1978 et 1978-1979. Le premier était intitulé « Sécurité, territoire, population » et le second « Naissance de la biopolitique ». Ils ont tous deux été édités en 2004 (4). N’ayant pas suivi ces deux cours, ni aucun autre d’ailleurs, occupant maintenant une position des plus distantes vis-à-vis du groupe de fidèles qui entretient le culte de la mémoire de M. Foucault, je dois dire que j’ai entrepris la lecture de la transcription de ces deux années de cours de mon ancien maître sans attente particulière, avec cette bizarre curiosité que l’on peut ressentir pour une parole qui nous a été un temps familière, excitante avant de devenir irritante et comme étrangère.

Mais, très vite, ce qui m’a frappé, plus que les remugles du passé, c’est l’étonnante actualité de cette analyse du libéralisme un quart de siècle après qu’elle eût été formulée. Il y avait là une manière de montrer merveilleusement bien comment le pouvoir de l’économie repose sur une économie du pouvoir et cela aussi bien lors de l’émergence du libéralisme à la fin du XVIIIe siècle que lors de celle du néolibéralisme entre les années 1930 et 1950. Actuelle et nouvelle en quoi ? En ceci qu’elle permet de comprendre la bifurcation de la pensée politique française par rapport à l’anglo-saxonne, son insistance sur la loi comme expression d’une volonté, sa vision de la constitution comme fruit d’un renoncement volontaire de l’individu à sa souveraineté, bref, tout ce que nous venons de vivre avec ce référendum sur l’Europe ; en cela également qu’elle permet d’entrevoir comment le néolibéralisme appelle un tout autre compromis avec l’idée de justice sociale que celui passé via l’État-providence avec le libéralisme classique. Ou plutôt comment ce compromis appelle révision et adaptation pour garder ses ressources et son efficacité et non pas être défendu tel quel, bec et ongles. Je voudrais présenter d’abord ces deux moments de l’analyse de Michel Foucault de la naissance du libéralisme et de son renouveau au milieu du XXe siècle avant d’en déduire quelques remarques sur le contexte qui est le nôtre, plus de vingt-cinq ans après.

L’art moderne de gouverner

La naissance de l’économie politique constitue le véritable objet du premier cours de l’année 1977-1978, intitulé « Sécurité, territoire, population ». Quel rapport entre ce titre et cet objet ? Aucun à première vue, et cela s’explique par la progressive dérive du cours d’une analyse du pouvoir vers celle de la gouvernementalité, concept forgé cette année-là pour rendre compte de l’introduction de l’économie politique dans l’art de gouverner.

Au départ de son cours, Foucault se propose de décrire le passage, durant le XVIIIe siècle, d’un pouvoir ciblé sur le territoire à un pouvoir portant sur la population. Soit une démarche et une périodicité similaires à celles utilisées pour traiter l’histoire de la punition dans Surveiller et punir – de « l’éclat des supplices » à « la douceur des peines » – ou dans la conclusion du tome I de l’Histoire de la sexualité – « du droit de mort au pouvoir sur la vie » – qui annonçaient une réflexion générale sur le biopouvoir dont ce cours devait assurer le commencement. On se trouve donc en terrain connu, prêt à « écouter » un auteur maître de son art et de son sujet. Et qui s’apprêterait à décliner d’une nouvelle manière les thèses de son ouvrage principal, Surveiller et punir. Pour l’occasion, il annonce trois thèmes susceptibles de servir de support à sa démonstration, en l’occurrence le déplacement du point d’application du pouvoir du territoire vers la population : la ville, la disette, la maladie.

Dans le cadre d’un pouvoir visant la sûreté du territoire, chacun de ces trois objets est traité précisément par une logique de balisage, de séparation, de fortification. Car le territoire est comme un édifice qu’il faut protéger contre les menaces internes et externes. Les villes doivent être fortifiées de façon à se prêter au commerce et à l’artisanat en étant protégées du dehors et à ne rapporter leur richesse qu’à la capitale, siège du souverain. Les campagnes aussi doivent être contrôlées, par la loi du seigneur féodal, bien sûr, mais aussi et surtout par les interdictions du souverain relatives à tout ce qui concerne le commerce du grain dont la cherté éventuelle affecte les habitants des villes, y provoquant des disettes et y suscitant des émeutes. Aussi, le souverain interdit-il aux paysans de stocker les grains, de faire monter les prix ou de vendre à l’étranger. Il convient qu’ils fassent le moins de profit possible afin que les gens des villes puissent se nourrir au plus bas prix. Enfin, face aux maladies épidémiques comme la variole, la lèpre ou le choléra, il convient de procéder en séparant, en isolant les malades. Bref, la sûreté du territoire du souverain nécessite qu’il le traite en recourant principalement à la séparation et à l’interdiction.

La population et la naissance de la gouvernementalité

Les mécanismes de pouvoir vont changer du tout au tout, explique M. Foucault, lorsque le souverain va se préoccuper, non plus de la sûreté du territoire, mais de la sécurité de la population. S’agissant des villes, le problème ne sera plus de les encercler par des limites fortifiées mais de les ouvrir pour permettre leur croissance, pour éviter l’engorgement urbain. La préoccupation se déplace donc du souci de la limite à imposer vers celui de la facilitation de la bonne circulation des gens, des marchandises, de l’air même. Le même principe va prévaloir pour éviter les disettes : plutôt que d’entourer le commerce de grain d’un carcan de mesures, mieux vaut laisser passer les flux de marchandises et obtenir une autorégulation des prix, par le jeu des profits ainsi autorisés qui seront investis dans de nouvelles cultures et qui augmenteront la masse de grain à vendre l’année suivante et en feront baisser le prix, tout comme l’autorisation d’importer découragera les tentatives de le stocker mieux que l’interdire. Bien sûr, cela n’éliminera pas totalement les révoltes mais les privera de justification car le souverain agit ainsi conformément à « la nature des choses » et non pas en fonction d’interdits dont l’inefficacité lui serait imputable. La même « nature des choses » se retrouve à l’œuvre avec l’inoculation et la vaccination qui consistent à réduire la maladie en « l’autorisant » à pénétrer le corps pour que celui-ci apprenne à s’en protéger, exactement comme la cherté autorisée du grain conduit finalement à atténuer cette dernière.

De la nécessité de se faire obéir pour veiller à la sûreté de son territoire, le souverain passe au bon usage de la liberté pour sécuriser la population. Mais en quoi reste-t-il, pour le coup, un souverain ? En quoi la notion de pouvoir appliquée à la population évoque-t-elle l’exercice de la souveraineté ? Au fur et à mesure qu’il avance dans son analyse, Michel Foucault ressent une gêne à mêler le mot de souverain à celui de population : dire que le souverain ne règne plus sur des sujets mais sur une population massive fait jurer chacun de ces deux termes. Aussi, se met-il à employer le terme de gouvernement de préférence à celui de souverain.

À mesure que j’ai parlé de la population, il y avait un mot qui revenait sans cesse – vous ne me direz pas que je l’ai fait exprès, peut-être pas tout à fait – c’est le mot de « gouvernement ». Plus je parlais de la population, plus je cessais de dire « le souverain (5) ».

Mais que recouvre précisément ce besoin d’assortir le mot « population » à « gouvernement » plutôt qu’à « souveraineté » ? Essentiellement le constat qu’avec l’entité population surgit non seulement un changement dans les technologies de pouvoir mais dans le modèle de gouvernement. Le gouvernement apparaît pour le coup comme autre chose qu’une technologie de pouvoir. Il vaut, au moins, comme un cadre de référence pour l’exercice de celui-ci. Dans le cadre de la souveraineté précisément, le modèle de référence pour l’exercice du pouvoir est celui de la famille avec pour question centrale : comment introduire l’esprit du père de famille dans la gestion de l’État, c’est-à-dire l’économie, le souci du bien de tous ?

Dans la pédagogie du prince, l’élément essentiel, c’est le gouvernement de la famille, que l’on appelle justement économie… Comment introduire l’économie, c’est-à-dire la manière de gérer comme il faut les individus, les biens, les richesses, comme on peut le faire dans une famille, en bon père de famille qui sait diriger sa femme, ses enfants, ses domestiques, qui sait faire prospérer la fortune de sa famille (6) ?

C’est bien ce modèle de la famille comme référence pour le gouvernement du souverain qui se trouve mis en cause avec l’apparition de la population comme cible du gouvernement. Car la population, dès lors qu’elle se trouve érigée en objet de gouvernement, comporte plusieurs phénomènes qui excédent le modèle familial. Comment gérer les grandes épidémies en « bon père de famille » ? Comment, surtout, intégrer la spirale du travail et de la richesse apportée par la régulation des flux, en lieu et place des anciens interdits, dans une logique familiale ? La famille n’est plus le modèle d’approche de la population mais un simple segment de celle-ci et, à ce titre, un moyen, un relais, susceptible d’aider à la gouverner (dans le domaine de la sexualité, de la démographie, de la consommation…).

Ce qui va apparaître à ce moment-là, c’est la famille comme élément à l’intérieur de la population et comme relais fondamental pour gouverner celle-ci… La famille n’est plus un modèle ; elle est un segment privilégié parce que, quand on voudra obtenir quelque chose de la population quant au comportement sexuel, à la démographie, à la consommation, c’est bien par la famille qu’il faudra passer (7).

Cette analyse du passage de la famille comme modèle de gouvernement à la famille comme relais de gouvernement n’est pas nouvelle (8). Mais Michel Foucault va lui donner un prolongement théorique de grande ampleur en élaborant le concept de gouvernementalité qu’il définit, par opposition au modèle familial associé à la souveraineté, comme « cette forme complexe de pouvoir qui a pour cible la population, pour savoir l’économie politique, pour techniques les dispositifs de sécurité (9) ».

À partir de là, son cours prend un tout autre chemin que celui annoncé. Au lieu de développer, comme prévu, la mutation des techniques de pouvoir à la faveur du déplacement de leur cible du territoire vers la population, il va axer entièrement son propos sur ce concept nouveau de gouvernementalité et s’employer à montrer : 1) Comment est née l’idée de gouvernement. 2) Comment, ensuite, cette idée s’est introduite dans l’État sous le couvert du modèle dit de la raison d’État apparu au XVIe siècle. 3) Comment, enfin, elle a « conquis » l’État tout entier grâce à l’économie politique, au XVIIIe siècle, qui constitue une forme accomplie de « gouvernementalisation de ­l’État ».

Où apparaît l’idée de gouvernement ? Non pas chez les Grecs, où le roi pilote la cité exactement comme un navire, occupé par la seule direction de celui-ci sans souci particulier de ceux qui y vivent, mais bien plutôt dans le peuple hébraïque qui ne s’occupe pas du territoire précisément mais de la population entendue comme un troupeau en mouvement sur lequel le berger doit veiller et prendre soin de chaque brebis.

Qu’est-ce que le berger ? Celui dont la puissance éclate aux yeux des hommes, comme les souverains ou comme les dieux, enfin les dieux grecs qui apparaissaient essentiellement par l’éclat ? Pas du tout. Le berger « veille ». Veille au sens de surveillance de ce qui peut se faire de mal, de ce qui peut arriver de malheureux… Il va veiller à ce que les choses soient le mieux pour chacune des bêtes du troupeau… Tout le souci du pasteur est tourné vers les autres et jamais vers lui-même (10).

De cette origine hébraïque, l’idée de gouvernement passe dans la culture chrétienne et en organise la vie à tel point qu’on peut lire les guerres de religion comme indexées sur cette question du mode de gouvernement des hommes à travers les questions de théologie et de pratique religieuse. Il en va de même pour l’histoire de l’Église qui peut se lire comme s’organisant tout entière autour des réponses à apporter aux contre-conduites (aux résistances, si l’on veut) que sont l’ascétisme, les communautés, la mystique, le retour à l’usure, la croyance eschatologique… Durant toute cette période médiévale, le gouvernement du souverain est celui d’un père de famille conduisant son peuple vers la félicité éternelle, exactement comme le père de famille ou comme le supérieur d’un couvent.

Une première discontinuité apparaît après les guerres de religion, avec l’idée qu’il faut au souverain un supplément de pouvoir pour s’imposer à ses sujets et ce supplément va venir de l’idée de Res publica entendue comme stabilisation de l’État, source ainsi du modèle de la raison d’État. Avec la raison d’État, la finalité du gouvernement n’est plus la félicité céleste, mais… l’État lui-même. Que veut alors dire au juste le mot d’État ? Il désigne parfois un domaine, parfois une juridiction, parfois une condition de vie (un statut), parfois encore la qualité d’une chose qui… reste en l’état (c’est-à-dire sans mouvement). Eh bien, dit Foucault, la République souveraine n’est rien d’autre que cela : un territoire, un ensemble de règles, un ensemble d’individus qualifiés par leurs statuts, et le tout vivant dans la plus grande stabilité.

Le souverain ne se définit plus par rapport au salut de son troupeau, à la félicité finale de chacune de ses brebis après son passage sur cette terre. Il se définit par rapport à l’État. […] La fin de la raison d’État, c’est l’État lui-même, et s’il y a quelque chose comme une perfection, comme un bonheur, comme une félicité, ce ne sera jamais que celle (ou celui) de l’État lui-même. Il n’y a pas de dernier jour… mais quelque chose comme une organisation temporelle unie et finale (11).

Pour le coup, le souverain commande aux lois plus qu’il ne suit les lois divines, et il les commande afin de préserver l’État, d’accroître sa force, sa richesse, donc pour cela sa population, dans le cadre de son territoire dont il défend l’importance face aux autres souverains.

C’est contre le modèle de la raison d’État que le libéralisme va faire valoir sa supériorité en tant que nouvelle rationalité gouvernementale. Et là, Foucault retrouve la question de la population qui avait fait trébucher son propos et qu’il peut intégrer avec plus d’assurance cette fois grâce à ce détour via l’histoire du gouvernement. Car le bénéfice de la prise en compte de cette première forme de gouvernementalisation de l’État qu’est ladite raison d’État permet d’expliquer en quoi le rapport à la population va changer d’un régime de gouvernement à l’autre. Dans le cadre de la raison d’État, c’est la quantité de population qui compte. Elle est une denrée absolue, une richesse comptable sur laquelle il faut veiller parce que, de son nombre, de son travail, de sa docilité, dépend la richesse du souverain. C’est l’objectif du travail de la Police que de prendre soin de la population sous cet angle, celui de la réglementation de la santé, de sa production, de sa circulation. De même, le mercantilisme, entendu comme la théorie économique correspondant à la raison d’État, appelait

chaque pays à avoir la population la plus nombreuse possible, à ce qu’elle soit entièrement mise au travail, et à ce que les salaires soient le plus bas possible, que l’on puisse par conséquent vendre à l’étranger, vente qui assurera l’importation de l’or (12),

tandis que, dans le cadre de l’économie politique, la population n’est plus une affaire de nombre, une pure quantité, la plus grande possible, mais une substance dont le chiffre optimum varie en fonction de l’évolution des salaires, de l’emploi et des prix. Cette substance ne se réglemente pas mais se régule en fonction des ressources, lesquelles dépendent du développement du commerce entre particuliers, mais aussi entre pays. Il convient d’agir sur les interactions entre les hommes plus que de commander leur action, de conduire leurs conduites, bref de gérer et non plus de réglementer.

Avec les économistes, le nombre de la population n’est pas, en soi, une valeur… Il faut assez de population pour produire beaucoup. Mais il n’en faut pas trop, justement, pour que les salaires ne soient pas trop bas, pour que les gens aient intérêt à travailler et qu’ils puissent, par la consommation, soutenir les prix (13).

Le « progrès » que connaît la gouvernementalité en passant de la raison d’État au libéralisme consiste en l’apport d’une réflexion sur les pratiques gouvernementales. Gouverner n’est plus régner, affirmer un pouvoir, mais reconnaître que la vérité est dite ailleurs qu’au centre de l’État, une vérité en tout cas, celle du marché, qui invite à concevoir l’action non plus en termes d’imposition d’une volonté mais de la recherche d’un ni trop, ni trop peu. L’intelligence du libéralisme comme mode de gouvernement réside tout entière dans ce pragmatisme, cette recherche de ce qu’il convient de faire (agenda) et de ne pas faire (non agenda (14)). L’intervention de la gouvernementalité devra être limitée mais cette limite ne sera pas seulement une forme négative.

À l’intérieur du champ délimité par le souci de respecter les processus naturels, va apparaître tout un domaine d’interventions réglementaires… Il va falloir gérer et non plus réglementer (15).

L’État et l’irrationalité sociale du capitalisme

Avec l’économie politique, le but de la raison gouvernementale n’est plus l’État, sa richesse – comme avec le modèle de la raison ­d’État – mais la société, son progrès économique. Son rôle n’est plus de brider une liberté, expression de la nature foncièrement mauvaise de l’homme, mais de la réguler, et pour cela d’interdire, si besoin est. Car il n’est pas de liberté qui ne soit produite, qui ne soit à construire. Et cette construction passe par des interventions de l’État, non par son retrait pur et simple. Mais jusqu’où peut et doit aller cet interventionnisme sans risquer de se retourner en son contraire, un antilibéralisme sournois ou déclaré ? C’est la question qui se trouve au point de départ de la réflexion néolibérale et dont M. Foucault analyse les origines et restitue le raisonnement dans le cours de ­l’année suivante, celle de 1978-1979, intitulé : « Naissance de la biopolitique ».

L’accroissement du rôle de l’État, régulier dans toutes les démocraties même s’il est disparate dans ses manifestations, suscite l’émergence d’une réflexion néolibérale qui connaît son acmé au XXe siècle entre les années 1930 et les années 1960. L’idée qu’il convient de contenir, voire d’inverser la tendance à cet accroissement occupe les économistes libéraux jusqu’à l’obsession. Même si Keynes est, à sa ma­nière, un libéral ou, tout au moins, un penseur hostile au socialisme, la fortune de ses théories inquiète les purs libéraux, parce qu’elle place potentiellement l’État en posture de diriger le marché au lieu de seulement le produire. Mais cette crainte des néolibéraux s’autorise surtout des dérives de la démocratie, du surgissement du nazisme et du stalinisme. Quel rapport peut-on établir entre une doctrine somme toute libérale comme l’est le keynésianisme et ces figures monstrueuses du pouvoir que sont le nazisme et le stalinisme ? Un seul, mais d’importance : l’accroissement du pouvoir étatique. Que le nazisme ait détruit l’État de l’intérieur prouverait seulement, au dire des néolibéraux, que celui-ci ne peut pas faire face à la demande d’étatisation sans se défaire… et qu’il ne constitue pas le rempart que l’on a cru contre la part d’irrationalité associée au capitalisme.

Les néolibéraux veulent relever le défi que pose le problème de la « rationalité irrationnelle du capitalisme » selon la formule de Max Weber. Mais, comme le montre Michel Foucault, ils entendent le faire d’une manière rigoureusement opposée aux marxistes. Dans l’Allemagne des années 1930, ces derniers se regroupent dans la fameuse école de Francfort autour d’Horkheimer et d’Adorno. Et ils cherchent une rationalité sociale dont la mise en valeur permettrait d’annuler l’irrationalité économique. Au même moment, les néolibéraux se regroupent dans une autre ville allemande, Fribourg, autour d’une revue intitulée Ordo. On trouve parmi eux beaucoup d’économistes qui, pour certains, alimenteront la réflexion porteuse de la République fédérale allemande après la guerre, et pour d’autres, l’école néolibérale de Chicago organisée autour de Milton Friedman. Tous ont en commun de viser non pas une rationalité sociale corrective de l’irrationalité économique, mais une rationalité économique capable d’annuler l’irrationalité sociale du capitalisme.

Et l’histoire a fait, ajoute Michel Foucault, que les derniers disciples de l’École de Francfort, en 1968, se sont heurtés à la police d’un gouvernement qui était inspiré par l’École de Fribourg, et ils se sont ainsi répartis de part et d’autre de la barricade, car tel a été finalement le destin double, à la fois parallèle, croisé et antagoniste du weberisme en Allemagne (16).

Les « ordo-libéraux » se demandent donc : quelle est la faiblesse de la pensée libérale classique qui expose l’économie à subir une pression croissante pour aller vers un dirigisme étatique ? Et ils trouvent cette faille dans la confiance « naïve » en la vertu du laisser-faire, en l’illusion que le marché serait un phénomène naturel qu’il conviendrait seulement de faire respecter. Or, cette « naïveté naturaliste » expose l’État à intervenir pour traiter les problèmes et les besoins que ledit marché ne suffirait pas à résoudre ou à satisfaire. Faire du marché une entité naturelle revient, pour le coup, à lui faire « porter le chapeau » de tout ce qui ne va pas, à faire jouer la « nature » des besoins contre la « nature » du marché, bref à disqualifier progressivement le second au nom des premiers. L’État doit ainsi intervenir à cause du marché, pour en compenser les insuffisances et pour limiter les excès dans le registre des échanges. Mais ce faisant, on place l’État « en contre » par rapport au marché. Double erreur, disent alors les néolibéraux, d’une part sur ce qui fait que le marché prime sur l’échange et, d’autre part, sur ce qui fait que le marché fonctionne, à savoir l’inégalité et non pas l’égalité, ou plutôt « l’inégale égalité ». Car ce qui est important dans le marché, ce n’est pas le principe de l’échange plus ou moins satisfaisant, mais celui de la concurrence plus ou moins effective. L’échange renvoie à l’égalité

dans cette espèce de situation primitive et fictive que les économistes libéraux du XVIIIe siècle se donnaient… Or, pour l’essentiel, la formule du marché est ailleurs. Il est dans la concurrence, c’est-à-dire que ce n’est pas l’équivalence qui compte, c’est au contraire l’inégalité (17).

La concurrence n’est pas un phénomène de nature mais un mécanisme formel, une manière de faire jouer des inégalités efficacement, de n’en laisser aucune sûre d’elle-même et maîtresse de sa position. Ensuite, parce que le rôle de l’État n’est pas d’intervenir à cause du marché, mais pour le marché, de façon à ce que celui-ci soit toujours maintenu, à ce que le principe de l’égale inégalité produise son effet (18). Et la concurrence n’est pas une donnée de nature.

Elle ne doit ses effets qu’à l’essence qu’elle détient… la concurrence, c’est un eidos, un principe de formalisation… C’est en quelque sorte un jeu formel entre des inégalités (19).

À quoi peut mener une telle théorisation de la concurrence en termes de rationalité gouvernementale ? Quel changement appelle-t-elle quant au rôle de l’État ? Si ce qui compte, ce n’est plus d’abord l’homme de l’échange, celui du besoin et de la consommation, mais l’homme de la concurrence, celui de l’entreprise et de la production, il convient d’encourager tout ce qui, chez lui, participe de cet esprit d’entreprise, de faire fond sur l’homme comme entrepreneur d’une activité économique, bien sûr, mais aussi de lui-même – le salarié n’est jamais que celui qui exploite son capital humain – comme membre d’un collectif de voisinage considéré comme entreprise de copropriétaires veillant au maintien et à l’accroissement de la valeur de leurs biens. Et le social, cette compensation de l’économique, des injustices engendrées par son irrationalité ? Il a un sens non plus précisément de remède contre la concurrence, de réducteur donc des inégalités, mais uniquement de maintien de chaque individu au sein de celles-ci, de moyen pour retenir l’individu dans le registre de « l’égale inégalité » qui fait qu’il y a concurrence précisément parce qu’il n’y a pas exclusion. Bref, la politique sociale n’est plus un moyen de contrer l’économique mais de soutenir la logique concurrentielle.

La voie de la souveraineté contre celle de l’utilité : l’exemple du référendum sur le projet de constitution européenne

Voilà donc une analyse de la naissance du libéralisme et de son aggiornamento au milieu du XXe siècle qui en renouvelle la compréhension en l’intégrant à l’intérieur de la question de l’art de gouverner, de la « gouvernementalité » selon le néologisme inventé par Foucault pour l’occasion. Produite à la fin des années 1970, cette lecture peut surprendre encore maintenant par la singularité d’une posture qui s’emploie à relier méthodiquement le libéralisme et le politique au lieu de les distinguer ou de les opposer comme nous en avons l’habitude en France. C’est pour cela justement que nous pouvons y trouver matière à commenter une actualité récente marquée d’abord par un affrontement entre les partisans, d’une part, du politique – soit, pour nous, en France, ceux du rôle de l’État et de la souveraineté nationale, du modèle social européen dont nous fournirions le modèle par excellence – et, d’autre part, les tenants du libéralisme, prompts à brader, et ladite souveraineté nationale et le fameux modèle social dans le cadre de la mondialisation à l’occasion d’un projet de constitution européenne qui ferait fi de l’une et de l’autre sous le couvert de leur meilleure protection ou/et d’une avancée de la modernité. Non que l’analyse de Michel Foucault eût permis de trancher par avance ce débat (20). Mais elle permet bien d’éclairer les présupposés des forces en présence.

Qu’en est-il du droit public à partir du moment où l’économie politique comporte un principe interne d’autolimitation de l’action gouvernementale ? Comment fonder en droit cette autolimitation ? C’est à partir de cette question que Foucault élabore une distinction qui permet de comprendre une différence substantielle dans les attitudes à l’égard du libéralisme, y compris, nous semble-t-il, celles qui se sont déployées à l’occasion du récent référendum en France. Selon lui, deux schémas de pensée se sont forgés en réponse à cette question puis pérennisés jusqu’à présent, avec un bonheur cependant inégal (21).

La première consiste en la reprise du fondement du droit tel qu’il s’était affirmé jusque-là face à la raison d’État. Alors, le droit s’employait à contenir les débordements de cette raison d’État en prenant appui « sur les droits naturels ou originaires qui appartiennent à tout individu », à définir donc des droits imprescriptibles puis à déterminer à partir de là ce qui relevait de la sphère de la souveraineté, donc de la compétence du gouvernement par l’effet d’une concession légitime et ce qui n’en relevait pas et qui relevait de la nature. Soit la voie que Foucault appelle juridico-déductive et qu’il assimile à celle de la Révolution française, à Rousseau.

Cette démarche consiste à partir de l’homme pour arriver à la délimitation de la gouvernementalité, en passant par la construction du souverain. C’est une manière de poser, d’entrée de jeu, et par une sorte de recommencement idéal au réel de la société, de l’État, du souverain, du gouvernement, le problème de la légitimité et de l’incessibilité des droits (22).

Elle est la voie de la souveraineté… mais dont il tient à souligner, avec une malice perceptible, qu’elle est de nature rétroactive, « rétroactionnaire », dit-il même, frôlant l’injure aux pères de la nation française.

La seconde attitude part, non plus du droit des gouvernés qu’il faudrait préserver, mais de la pratique gouvernementale elle-même et des limites qu’il convient ou non de lui apporter en fonction des objectifs mêmes de la gouvernementalité. Elle renvoie à une conception de la Loi conçue, non comme l’effet d’une volonté, celle du souverain ou du peuple souverain, mais comme l’effet d’une transaction entre la sphère légitime d’intervention des individus et celle de la puissance publique. La loi n’est pas alors le fruit d’une cession, d’un partage, mais d’un compromis, d’un intérêt commun aux deux parties. Enfin et surtout, elle met en jeu une conception de la liberté des individus qui n’est pas tant juridique dans son essence que reconnaissance et prise en compte de facto de l’indépendance des gouvernés. « La limite de compétence du gouvernement sera définie par les frontières de l’utilité d’une intervention gouvernementale (23). » Cette voie est, bien entendu, celle de l’utilité, de l’utilitarisme anglais de Bentham, entendu comme la manière de poser à chaque gouvernement et à chaque moment la question suivante : ce que vous faites, est-ce utile ? Dans quelles limites ? À partir de quand cela devient-il nuisible ? Ce n’est évidemment pas la voie révolutionnaire, la voie de la souveraineté mais celle de l’utilité.

Entre ces deux voies, celle juridico-déductive de la souveraineté et celle gouvernementale de l’utilité, il y a, nous dit Foucault, hétérogénéité et coprésence tout au long de l’histoire même si la tendance est à ce que les éléments de la seconde l’emportent :

Dans les deux systèmes, il y en a un qui a tenu et qui a été fort et l’autre, au contraire, qui a régressé. Celui qui a tenu, c’est bien entendu la voie « radicale » au sens anglais, celle qui essayait de définir la limitation juridique de la puissance publique en termes d’utilité gouvernementale… C’est l’utilité qui va être finalement le grand critère d’élaboration des limites de la puissance publique dans un âge où le problème de l’utilité recouvre de plus en plus tous les problèmes traditionnels du droit (24).

Sortant cette fois du texte de Foucault, on pourrait bien ajouter que cette suprématie progressive de la ligne de l’utilité sur celle de la souveraineté tout au long des XIXe et XXe siècles s’observe aussi bien en France qu’en Grande-Bretagne. Mieux même, elle apparaît plus clairement en France dans la position de gagnante parce qu’elle s’y trouve confrontée à une expression très forte de la voie juridico-déductive. Elle ne réussit, pour le coup, à s’affirmer qu’autant que la voie de la souveraineté apparaît manifestement dans une impasse. Son introduction – qui ne peut se faire dans les termes anglais de l’utilitarisme pour d’évidentes raisons de fierté nationale – va justifier alors le recours à une théorisation spécifique. C’est bien cette impasse de la souveraineté qui apparaîtra en France avec la révolution de 1848 lorsque celle-ci met face à face les partisans d’un État minimum avec ceux d’un État maximum autour de la question du droit au travail. Et l’on voit bien comment, à la fin du XIXe siècle, la doctrine solidariste inspirée d’Émile Durkheim constitue une justification française à l’acceptation de la voie de l’utilité. Car elle soumet l’État et son intervention à la question de son utilité pour la société plus que de son fondement souverain. Ainsi, l’État doit-il selon cette doctrine agir pour favoriser la solidarité de la société mais uniquement pour cela.?L’État doit compenser les défaillances du marché dans la protection de la population, faire du social donc, mais aussi bien se retenir d’aller au-delà et se garder de faire le lit d’un socialisme entendu comme alternative au marché. L’art du ni trop, ni trop peu comme forme de gouvernementalité au nom de l’utilité trouva ainsi, en France paradoxalement, une formulation plus méthodique que dans la plupart des autres pays européens, Royaume-Uni compris, puisqu’il mobilisa un autre savoir que l’économie politique, la sociologie en l’occurrence, et une autre terminologie, celle de solidarité (25).

La voie de l’utilité l’emporte partout en Europe, y compris en France, terre d’élection de la voie de la souveraineté. Encore faut-il bien considérer que cette dernière ne fut jamais reniée dans sa prééminence idéologique. Pas plus que le socialisme – démocratique, tout au moins – considéré par beaucoup comme la forme majeure de l’accomplissement de la souveraineté. Que l’idée d’une gouvernementalité socialiste n’ait aucune consistance propre, qu’elle ne puisse conduire qu’à un gouvernement administratif, actualisant si l’on peut dire la raison d’État, ou à habiller honteusement le libéralisme (manière Guy Mollet) n’entre que peu en ligne de compte dans cette pérennité de la voie de la souveraineté qui reste a minima vécue comme le recours contre les « excès » du libéralisme. Michel Foucault insiste beaucoup dans son cours sur l’absence d’une rationalité gouvernementale propre au socialisme, juste à la veille du moment où l’on allait passer, avec Mitterrand, de « l’ombre à la lumière ».

C’est bien à cette fonction de recours contre les dangers du libéralisme que la voie de la souveraineté semble avoir servi lors du dernier référendum. La force du refus du libéralisme, dans la gauche française tout au moins, témoigne, à l’évidence, d’une résurgence de cette voie de la souveraineté. Il suffit de reprendre les trois points autour desquels se fait la discrimination entre les deux voies et de les appliquer aux partisans du oui ou du non à ce référendum pour en fournir une lecture limpide : 1) La voie de l’utilité part de l’exercice gouvernemental, de la question de son étendue souhaitable. 2) Elle met en œuvre des mécanismes de compromis entre ce qui relève de la sphère publique et de la sphère des individus. 3) Par liberté, elle entend l’indépendance effective des gens. On retrouve bien ces trois caractéristiques dans le raisonnement des partisans du oui. Le projet de constitution naît de l’intérieur du gouvernement de l’Europe, des difficultés que fait surgir son étendue, de l’utilité qu’il y aurait donc à adopter une règle constitutionnelle qui améliore sa gouvernabilité. Voilà pour le premier critère, celui du point de départ de la préoccupation législative. Il naît bien de l’intérieur de la gouvernementalité et non de la volonté souveraine des citoyens d’Europe. En second lieu, le projet de constitution renvoie aussi à la voie de l’utilité puisqu’il repose sur un art du compromis. Le terme de compromis est essentiel dans l’élaboration du projet. Il fait la part des règles communes et des traditions propres à chaque pays, ne forçant aucun au-delà du possible quant à son régime de protection sociale, par exemple. Et s’il y eut, à cet égard, un problème, il surgit plus de la crainte d’un abus de règle que d’un souci de compromis – avec l’affaire dite du plombier polonais. Enfin, la liberté n’est pas tant juridique, une denrée que l’on cède ou non, qu’une réalité, l’indépendance des gens, ceux-ci faisant ce qu’ils veulent en fonction de leurs traditions civiles – en matière d’avortement par exemple.

Quant aux partisans du non, ils ont, à cette occasion, reproduit méthodiquement toutes les caractéristiques de la voie de la souveraineté. Il n’était pas question, pour eux, de partir du gouvernement et de ses problèmes mais des droits constitutifs des gens. Le premier défaut de cette constitution, à leurs yeux, ne venait-il pas de ce qu’elle n’émanait pas d’une assemblée constituante, élue par les habitants de chaque pays, mandatée pour décider de la forme de souveraineté collective dont ils décideraient de se doter ? Pas question, non plus, pour eux, d’accepter une loi faite de compromis et non de l’expression de leur volonté. Celle-ci devait être collective et totale ou ne pas être. Pas question pour eux de céder leur volonté si ce n’était pour engager un projet conforme à leurs exigences. La discussion de chaque article de loi, et a fortiori des traités antérieurs qu’on leur demandait d’entériner, a atteint des sommets de passion, comme s’il s’agissait de refaire le monde et non de s’y adapter au mieux. Quant à la conception juridique de la liberté, elle engageait un universalisme des droits et des devoirs incompatible avec le maintien de la singularité relative des peuples dans le domaine des mœurs. Ainsi, les Portugais furent accusés de menacer le droit à l’avortement des femmes des autres pays européens parce que ce droit n’avait pas – encore – été proclamé chez eux. Bref, les partisans du non se sont comportés en face du projet de constitution européenne comme s’il s’agissait de rejouer le « contrat social » contre la raison d’État.

Pour une lecture de la troisième voie

Le libéralisme va de pair avec des progrès « techniques » en matière de gouvernementalité face auxquels la voie de la souveraineté apparaît « rétroactionnaire », le recours à l’État une manière de revenir insidieusement à la « raison d’État ». Est-ce à dire que le libéralisme et a fortiori le néolibéralisme défont si bien leur adversaire qu’on ne trouve plus en face d’eux que des attitudes réactives qui ne laissent gagner leurs partisans qu’en faisant perdre les sociétés auxquelles ils appartiennent ? La question se pose particulièrement à propos du néolibéralisme et du rôle qu’il joue dans la mondialisation. Le dilemme politique se résume-t-il à choisir entre l’adhésion à « l’ultralibéralisme », appellation préférée des souverainistes et de l’extrême gauche pour la doctrine néolibérale, et puis une attitude rétroactive, antidatée, incapable d’offrir une prise efficace sur l’exercice gouvernemental ? Il y a bien entre cette voie rétroactive, chère à la gauche traditionnelle, et celle du néolibéralisme, une voie médiane, la troisième voie justement, représentée en son temps par Bill Clinton et adaptée à l’Europe par Tony Blair. Mais cette fameuse troisième voie n’est pas autre chose, nous dit-on le plus souvent en France, qu’une copie à peine améliorée du néolibéralisme, lequel ne serait rien de plus qu’une reprise des vieilles théories libérales, dans leur dureté originelle, avant que l’intervention étatique ne vienne en compenser les méfaits. C’est sur ce point que l’analyse foucaldienne peut utilement nous venir en aide pour sortir le raisonnement politique de l’impasse où il se trouve en France. Car on y trouve la démonstration que le néolibéralisme est tout sauf la reprise des vieilles théories libérales, parce qu’il opère un glissement décisif quant au rôle de l’État et la conception de l’échange. Et ce déplacement permet d’aborder tout autrement la question des contenus de l’option politique représentée par la troisième voie, de comparer celle-ci avantageusement avec la philosophie solidariste du progrès qui tient lieu de doctrine à la gauche française depuis plus d’un siècle.

L’analyse du néolibéralisme que produit Foucault vise à contrer les idées erronées qui ont court à son sujet, et de plus en plus, sur cette relation entre l’économique et le social. Au premier rang de ces affirmations erronées sur le néolibéralisme, il faudrait placer, dit Foucault, celle selon laquelle il ne faudrait y voir qu’une réactivation des vieilles théories libérales dans leur dureté originelle. Le contresens est majeur puisque le problème auquel se confrontent les néolibéraux n’est plus du tout d’introduire un espace vide de réglementation pour faire place au « laisser-faire » mais d’œuvrer à produire les conditions d’une concurrence sans laquelle le marché n’est qu’un vain mot. Or, produire la concurrence nécessite, pour l’État, non de se contenter de laisser faire, mais de produire un cadre adéquat. Pour illustrer ce que les néolibéraux entendent par ce terme de « cadre », Michel Foucault fournit un exemple qui ne manque pas de saveur, pour nous, en 2005 : celui de l’émergence de la politique agricole commune. Dans un texte de 1952, Eucken, l’un des néolibéraux les plus en vue de cette école de Fribourg, explique toutes les raisons pour lesquelles l’agriculture allemande, pas plus que celles des autres nations européennes n’a (n’ont) jamais été intégrée(s) complètement à une économie du marché en raison des barrières douanières et des protections de toutes sortes rendues nécessaires par l’inégal degré d’avancement technique de chacune, en raison également d’une surpopulation rurale manifeste. Il faut donc agir sur chacun de ces points : intervenir de façon à faciliter les migrations de la campagne vers la ville, mettre à la disposition des gens un outillage perfectionné ainsi que de la formation requise pour son usage, transformer le régime juridique des exploitations et inciter à accroître leur étendue. Autrement dit, l’État doit agir sur un plan, non directement économique, mais social au sens large du terme, pour rendre possible la concurrence. Que la politique agricole commune soit devenue depuis cette époque sensiblement moins un moyen de transformation sociale pour favoriser la concurrence qu’un système de subvention pour éviter ladite concurrence, n’enlève rien à l’esprit de la démarche initiale. Laquelle revient à dire que le gouvernement n’a pas tant à intervenir sur les effets du marché – par une politique de bien-être – que sur la société elle-même pour qu’elle puisse être régulée par le marché.

Il est sans doute possible de créer ainsi une capacité concurrentielle. Mais pour combien de temps ? Comme le montre l’exemple de la politique agricole commune, il n’y a pas de durée assurée à celle-ci. Elle serait même assurée de disparaître selon Schumpeter qui prophétisait, à terme et à regret, l’avènement du socialisme, compte tenu de ce que la concurrence appelle inéluctablement une situation monopolistique qui justifiera l’intervention de l’État dès lors qu’on voudra satisfaire les besoins des gens en leur évitant les duretés résultant de toute situation où l’hégémonie absolue d’un fournisseur les prive de ces biens qui leur sont nécessaires. Là se situe tout l’intérêt du deuxième temps du raisonnement néolibéral selon Foucault. Si on veut éviter, disent-ils, cette tendance à l’absorption du processus économique par l’État, il convient d’agir sur l’erreur initiale qui fait sa force. Quelle erreur ? Celle qui consiste à faire prévaloir l’homme de l’échange, le consommateur, sur l’entrepreneur. L’homo œconomicus du néolibéralisme est un entrepreneur, et même, un entrepreneur de lui-même. Le salaire est le résultat d’un homme entrepreneur de ce capital qu’il est lui-même, de ce capital humain qu’il doit entretenir.

L’homo œconomicus des libéraux classiques était l’homme de l’échange. Il se posait en partenaire d’un autre homme dans l’échange. Tandis que l’homo œconomicus entrepreneur, étant entrepreneur de lui-même, n’a que des concurrents. Même la consommation devient une activité d’entreprise selon laquelle le consommateur entreprend de produire sa satisfaction. De sorte que l’opposition entre la production et la consommation, entre le caractère actif du premier et passif, aliéné, du second n’a pas de sens. Dénoncer la société de consommation ou la société du spectacle, c’est se tromper d’époque, c’est faire comme si l’homme du néolibéralisme était un homme de l’échange, de la consommation alors qu’il est d’abord et surtout un entrepreneur. C’est le problème de la redistribution, de la réduction de l’écart des revenus qui fait de l’homme un consommateur. Au contraire, la « politique de société » telle que définie par rapport à l’impératif de concurrence fait de l’homme un entrepreneur, quelqu’un qui se situe dans un jeu et s’emploie à majorer sa réussite au sein d’un système à l’intérieur duquel les inégalités sont nécessaires et d’autant plus efficaces, stimulantes, qu’elles connaissent de grands écarts.

Il y a toutefois une limite à apporter au jeu des inégalités, disent les néolibéraux. Cette limite est celle de l’exclusion. On doit tout faire pour éviter que certains ne se trouvent exclus définitivement de ce jeu sans quoi il perd son sens, sa crédibilité. Il convient donc de veiller à ce que ceux qui se trouvent à la limite de ce jeu puissent y revenir. Maintenir tout le monde dans le jeu, c’est accroître la dynamique de celui-ci et c’est donc une dimension de la politique de société. Bien plus qu’une préoccupation charitable, la lutte contre l’exclusion fut d’abord, au plan théorique, une préoccupation économique, impulsée par les néolibéraux (26). Mais surtout, il importe de rester dans le jeu pour rester un homo œconomicus selon les néolibéraux, c’est-à-dire un entrepreneur, quelqu’un d’éminemment gouvernable, à la différence de son prédécesseur libéral, l’homme de l’échange, qu’il convenait de laisser s’ajuster « naturellement ». Il est gouvernable parce que lui-même se gouverne. Il se gouverne selon des lois économiques et l’on peut agir sur le milieu de façon à modifier ses conduites. On peut établir à son propos « une conduite des conduites » parce qu’il jouit de l’autonomie d’un entrepreneur de sa vie et que l’on peut le responsabiliser à ce titre.

Il importait de restituer cette analyse du néolibéralisme pour voir en quoi la troisième voie n’est pas tout à fait ce que l’on en dit mais effectivement une manière de passer entre les fourches caudines de la vieille gauche et du nouveau libéralisme. On peut l’apprécier au triple plan du rapport au rôle de l’État, ensuite de la relation entre l’économique et le social puis, enfin, du mode de gouvernement.

S’il est une dimension qui associe de près la troisième voie au néolibéralisme, c’est bien cette question du rôle de l’État. Elle refuse clairement tout ce que la gauche française continue de maintenir comme domaine de l’État : les nationalisations, le service public érigé en clergé d’État, etc. Mais cela ne signifie pas qu’elle souhaite réduire l’État à un rôle de figuration. Elle se comporte en adepte déclaré de « la politique de société », selon l’expression néolibérale servant à désigner l’interventionnisme destiné à faire rentrer dans le régime de la concurrence telle ou telle activité de la société. Il y a à cela une raison reconnue qui est le bénéfice escomptable de ce type de politique dans un univers où la mondialisation détermine la richesse et l’emploi dans une nation en fonction de la compétitivité qu’elle a su trouver dans tel ou tel secteur. Le laisser-faire n’est plus de mise en la matière, pas plus que les nationalisations !

Le néolibéralisme ne veut d’intervention qu’au service de la concurrence. Il néglige le social, le condamne même en n’acceptant de politique sociale qu’au titre de la lutte contre l’exclusion sous condition, encore, que celle-ci ne vise pas la réduction des inégalités. N’est-ce pas en ce domaine du social que l’on peut accuser la troisième voie de pratiquer à son égard un suivisme coupable ? Il paraît évident que le gouvernement anglais, par exemple, concentre son action sur la pauvreté plus que sur la réduction des inégalités. À peine installé, il a créé une unité de lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’un salaire minimum relativement faible (aujourd’hui remonté au niveau français) mais n’a rien fait pour augmenter directement le pouvoir d’achat des salariés ni pour protéger juridiquement leurs emplois. Il a peu créé d’emplois subventionnés, ni tenté une relance de l’économie par la consommation, donc par l’accroissement du pouvoir d’achat selon les recettes keynésiennes qui ont les faveurs assurées de la gauche française.

Ce renoncement aux formules canoniques du social ne vaut pourtant pas, comme on le dit, abandon du social. Il y va plutôt d’un changement dans la nature de la relation entre l’économique et le social. Dans le cadre de l’État-providence classique, et conformément à la théorie keynésienne, la relation entre l’économique et le social se développe selon un schéma en forme de spirale. Le développement des richesses par l’économique permet de financer le social. En retour, celui-ci, accroissant le niveau des revenus, permet de maintenir ou d’accroître la production par l’augmentation de la demande qui en résulte. Ce schéma a montré ses limites à ses deux niveaux : celui des prélèvements sociaux, celui de la relance par la consommation. Le premier peut porter un préjudice à la capacité d’investissement si les bénéfices dégagés se trouvent massivement prélevés au titre du social et cet affaiblissement de l’investissement se retourne tôt ou tard contre l’emploi. Le second peut présenter pour inconvénient d’augmenter la consommation… de produits venant d’autres pays dans le cadre d’une économie mondialisée. Y va-t-il alors d’un renoncement frileux au social ? Il y va plutôt du remplacement du modèle de la spirale keynésienne par celui d’une action réciproque mais directe entre l’économique et le social non assortie du rêve vertueux d’un enchaînement progressiste de l’un par l’autre : la philosophie de l’histoire a cédé la place à la mondialisation beaucoup plus incertaine de ses effets dans la durée. Au plan spatial, la stratégie remplace la dialectique. Il y aura des gagnants et des perdants dont on s’occupera après, si toutefois la situation le permet. En l’occurrence, on a un premier mouvement qui va du social vers l’économique et qui consiste à financer au titre du social la compétitivité des salariés par l’éducation, la formation, l’activation de la lutte contre le chômage. Et un second mouvement qui va de l’économique vers le social et qui conduit à soumettre celui-ci à une exigence de rentabilité de l’investissement en quoi il consiste. Elle peut se traduire, par exemple, par un accent mis tout particulièrement sur la prévention plutôt que la réparation en matière de santé, d’emploi, de retraite. Cette rentabilité prend a minima la forme de l’exigence de transparence dans la conduite et les résultats d’une politique sociale, ce que le pur raisonnement en termes de droits acquis ne rend, pour le moins, pas aisé.

S’agissant du troisième point, celui relatif à la gouvernementalité, on voit aisément en quoi les préceptes néolibéraux peuvent irriter à l’extrême la gauche traditionnelle. Parler ainsi d’autonomie et de responsabilisation, n’est-ce pas faire la part belle à l’individualisme, autrement dit, faire la part belle aux individus qui disposent des meilleurs revenus et renvoyer les pauvres… à leur responsabilité d’avoir à subir leur condition ? Sans doute les adeptes de la troisième voie valorisent-ils l’autonomie et la responsabilisation individuelle avec une éloquence égale à celle des néolibéraux. Ils y voient un moyen pour réduire l’augmentation des prestations qui ne peuvent qu’augmenter jusqu’à l’absurde si l’on reste dans la logique actuelle de compensation automatique de tous les maux, réels ou non, dont nous sommes amenés à nous plaindre. Mais ce n’est qu’un moyen parmi d’autres à leurs yeux. Et il en est un qui caractérise plus directement ce courant politique dans la mesure où il constitue une alternative à l’individualisme autant qu’à la vieille gauche : c’est celui qui consiste à mettre l’accent sur la dimension collective, locale et nationale de la prévention des préjudices et de l’amélioration de la capacité de chacun. Locale : c’est la place considérable faite en Grande-Bretagne à la notion d’action communautaire. Pour engager les gens dans la voie d’une prévention des risques en matière de santé, de sécurité, d’échec scolaire ou professionnel. Nationale : c’est la préoccupation de constituer une société politique à partir des besoins mêmes que requiert la politique de société. Là intervient la notion d’équité. Rendre une nation compétitive suppose, en contrepartie, de partager les ressources équitablement, de réduire la part de ce qui exclut, certes, au sens néolibéral, mais aussi et surtout de ce qui apparaît inéquitable pour qu’il y ait une dynamique de la compétition et non pas l’injustice à peine amendée des néolibéraux obsédés par la seule et pure essence du marché.

Jacques Donzelot

* Dernier article paru : « Une politique pour la ville », Esprit, octobre 2005.

1. Michel Foucault a traité cette question du gouvernement durant deux années de son cours au Collège de France, en 1977-1978 et 1978-1979. Il s’est consacré ensuite à l’histoire de la subjectivation avec le Souci de soi et l’Usage des plaisirs paru en 1984, l’année de sa mort.

2. La mode des governmentality studies a été lancée d’abord en Grande-Bretagne et aux États-Unis par l’ouvrage de Colin Gordon, Graham Burchell et Peter Miller, The Foucault Effect. Studies in Governmentality, Chicago, University Press, 1991. Elle a été reprise par ­Mitchell Dean, Governmentality: Power and Rule in Modern Society, Londres, Sage Publications, 1999. En Allemagne, c’est sous l’impulsion de Thomas Lemke que les études sur la gouvernementalité se sont développées. Voir Thomas Lemke, »Gouvernementalität, Neoliberalismus und Selbsttechnologien«, in Ulrich Bröckling, Susanne Krasmann, Thomas Lemke (dir.), Gouvernementalität der Gegenwart, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2000.

3. En France, quelques colloques se sont tenus sur le sujet, à l’occasion des vingt ans de la mort de M. Foucault, dont l’un à la MSH et l’autre à l’IEP de Paris. Ce dernier a donné lieu à une publication : Sylvain Meyet, Marie-Cécile Neves, Thomas Ribemont, Travailler avec Foucault, Paris, L’Harmattan, 2005.

4. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population.?Cours au Collège de France (1977-1978),?édition établie, sous la direction de François Ewald et Alessandra Fontana, par Michel Senellart, Paris, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes Études », 2004 et id., Naissance de la biopolitique.?Cours au Collège de France (1978-1979), édition établie, sous la direction de François Ewald et Alessandra Fontana, par Michel Senellart, Paris, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes Études », 2004.

5. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 77-78.

6. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 98.

7. Ibid., p. 108.

8. Elle évoque celle conduite dans Jacques Donzelot, la Police des familles, paru l’année précédant ce cours, en 1977, dont le chapitre IV est précisément intitulé : « Du gouvernement des familles au gouvernement par la famille ».

9. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 111.

10. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 133.

11. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 265.

12. Ibid., p. 345.

13. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 353.

14. L’expression mise en agenda, si chère aux politistes, est apparue avec l’utilitarisme anglais, explique M. Foucault, lorsque Bentham distingua ce qui était à faire (d’un point de vue libéral), en latin agenda, et ce qui ne l’était pas, non agenda.

15. M. Foucault, Sécurité, territoire, population, op. cit., p. 360.

16. M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 110.

17. Ibid., p. 122.

18. Par cette étrange formule « d’égale inégalité », Foucault désigne cette idée des néolibéraux selon laquelle nous sommes tous exposés à subir une situation d’inégalité relative et que ce différentiel est, non pas ce qui condamne le marché, mais le fait fonctionner… à condition que personne ne soit durablement exclu du jeu.

19. M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 124, eidos peut se traduire par essence.

20. La diaspora foucaldienne compte des partisans de droite et de gauche, d’extrême gauche aussi. Encore faut-il remarquer que le plus notoire de ces derniers, Antonio Negri, a appelé à voter pour le projet de constitution européenne, par haine de l’échelon national, frein à une prise de conscience de la réalité de « l’empire », et à l’engagement des combats à ce niveau suprême. En quoi, d’ailleurs, il ne pouvait que conforter les certitudes des partisans de la nation souveraine et d’un modèle social européen indexé sur celui à la française…

21. Cette analyse figure dans M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 39 sqq.

22. Ibid., p. 41.

23. M. Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 42.

24. Ibid., p. 45.

25. Pour cette analyse du ni trop, ni trop peu dans la gouvernementalité française, voir J. Donzelot, l’Invention du social. Essai sur le déclin des passions politiques, Paris, Fayard, 1984 (Paris, Le Seuil, coll. « Point essais », 1994). Notons, par ailleurs, que le souci du ni trop, ni trop peu en politique, récemment promu par Tony Blair et la troisième voie entre la vieille gauche et le néolibéralisme thatchérien, prit appui également sur un sociologue de renom : Anthony Giddens.

26. Il suffit de penser à l’antériorité du livre de Lionel Stoléru, Vaincre la pauvreté dans les pays riches, Paris, 1974, adepte de la politique américaine néolibérale, sur les débats relatifs à l’exclusion qui commencent à la fin des années 1980 pour convenir de cette antériorité.