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Origine : http://www.lalibre.be/debats/opinions/article/475636/les-inculpes-de-tarnac-un-renversement-de-l-ordre-de-droit.html
http://www.millebabords.org/spip.php?article9860
Dorénavant un individu est arrêté comme
terroriste, pas à cause d’actes commis, mais parce
qu’il est nommé comme tel par la police.
Le 11 novembre 2008, dans le cadre de “l’opération
Taïga”, 150 policiers ont encerclé Tarnac. Simultanément,
des perquisitions étaient menées à Rouen, Paris,
Limoges et Metz. L’interpellation de 10 jeunes gens est avant
tout un spectacle destiné à créer l’effroi.
Leur arrestation serait en rapport avec des actes de sabotage de
lignes de la SNCF, qui ont causé, le 8 novembre, le retard
de certains TGV sur la ligne Paris-Lille. Les actes malveillants,
l’arrachage de plusieurs caténaires, ont été
qualifiés de terroristes, alors qu’ils n’ont,
à aucun moment, menacé la vie humaine.
L’accusation, qui dit disposer de nombreux indices, notamment
des écrits et la présence de cinq suspects près
de lignes sabotées au moment des faits, reconnaît n’avoir
aucune élément matériel de preuve.
C’est leur profil qui justifie leur inculpation. Ils ont
été arrêtés car “ils tiennent des
discours très radicaux et ont des liens avec des groupes
étrangers” et nombre d’entre eux “participaient
de façon régulière à des manifestations
politiques”, par exemple : “aux cortèges contre
le fichier Edvige et contre le renforcement des mesures sur l’immigration”.
Quant à leur logement, il est désigné comme
un “lieu de rassemblement, d’endoctrinement, une base
arrière pour les actions violentes”.
Bien qu’ils seraient le “noyau dur d’une cellule
qui avait pour objet la lutte armée”, la plupart seront
rapidement libérées, certains sous condition, d’autres
assignés à résidence, mais ils resteront inculpés.
Seul le “chef” et sa compagne demeureront emprisonnés.
Le 26 décembre dernier, la Cour d’Appel de Paris, a,
à la requête du parquet, annulé l’ordonnance
de mise en liberté de Julien Coupat. La demande de libération
de sa compagne avait été préalablement rejetée.
Le discours du pouvoir procède à un double déplacement
: de simples actes de sabotages, comme il peut, par exemple, y en
avoir dans un mouvement social, sont qualifiés de terroristes
et ces actes sont nécessairement attribués aux jeunes
de Tarnac, malgré que la police reconnaît l’absence
de tout élément matériel de preuve. L’image
du terrorisme érigée par le pouvoir crée un
réel qui se substitue aux faits. Ceux-ci ne sont pas niés,
mais toute capacité explicative leur est déniée.
Les actes de sabotage ne peuvent être que le fait de personnes
désignées comme terroristes. L’acte de nommer,
antérieur à toute procédure d’évaluation
objective, renverse celle-ci et enferme dans l’image, dans
une forme vide. Cette procédure est l’aboutissement
d’un processus rapide de subjectivation de l’ordre juridique.
Une construction psychotique
L’absence d’éléments matériels
permettant de poursuivre les inculpés n’est pas niée,
mais la nécessaire prévalence des faits est renversée
au profit de la primauté de l’image construite par
le pouvoir. La position de Mme Alliot-Marie, reprise au sein d’un
rapport de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur,
est particulièrement intéressante : “Ils ont
adopté la méthode de la clandestinité, assure
la ministre. Ils n’utilisent jamais de téléphones
portables et résident dans des endroits où il est
très difficile à la police de mener des inquisitions
sans se faire repérer. Ils se sont arrangés pour avoir,
dans le village de Tarnac, des relations amicales avec les gens
qui pouvaient les prévenir de la présence d’étrangers.”
Mais la ministre en convient : “Il n’y a pas de trace
d’attentats contre des personnes.”
Ces déclarations résument bien l’ensemble de
l’affaire. Ce qui fait de ces jeunes gens des terroristes,
c’est leur mode de vie, le fait qu’ils tentent d’échapper
à la machine économique et qu’ils n’adoptent
pas un comportement de soumission “proactive” aux procédures
de contrôle. Ne pas avoir de téléphone portable
devient un indice établissant des intentions terroristes.
Rétablir le lien social est également un comportement
incriminé, puisque cette pratique reconstruit le lien symbolique
et permet de poser un cran d’arrêt au déploiement
de la toute puissance de l’Etat.
Dans les déclarations de Mme Alliot-Marie la référence
aux faits, en l’absence de tout indice matériel probant,
ne peut être intégrée rationnellement et engendre
la phase du délire, une reconstruction du réel avec
l’image du terrorisme comme support. Ce processus est également
visible dans les rapports de police, dans lesquels s’opère,
au niveau du langage, toute une reconstruction fantasmatique de
la réalité. Ainsi, comme indice matériel prouvant
la culpabilité des inculpés, la police parle “de
documents précisant les heures de passage des trains, commune
par commune, avec horaire de départ et d’arrivée
dans les gares”. Un horaire de la SNCF devient ainsi un document
particulièrement inquiétant, dont la possession implique
nécessairement la participation à des dégradations
contre la compagnie de chemins de fer.
Cette construction psychotique n’est pas le seul fait des
autorités françaises. Elle est partagée par
la Belgique. Le 27 novembre, a eu lieu une arrestation, des perquisitions
et des saisies chez des membres du comité belge de soutien
aux inculpés de Tarnac. Le mandat de perquisition portait
la mention “association de malfaiteurs et détériorations
en réunion”. Détenir des documents relatifs
à un comité de soutien peut, selon le rapport de forces
du moment, autoriser des poursuites et, en tout cas, associe ses
détenteurs à l’enquête menée en
France.
Un renversement de la loi juridique et de la Loi symbolique La
mise en scène de l’arrestation et de l’inculpation
des “autonomes de Tarnac” est un phénomène
qui révèle non seulement un bouleversement de l’ordre
juridique, mais aussi une mutation plus profonde, celle de l’ordre
symbolique de la société. Le renversement du rôle
de la loi est lui-même le phénomène d’une
“père-version” de la Loi symbolique. Les procédures
mises en place représentent un des aspects les plus significatifs
de la tendance imprimée par la “lutte contre le terrorisme”,
à savoir qu’un individu est désigné comme
terroriste, non pas parce qu’il a commis des actes déterminés,
mais simplement parce qu’il est nommé comme tel.
Le pouvoir a la possibilité de créer un nouveau réel,
une virtualité qui ne supprime pas, mais qui supplante les
faits. La faiblesse du mouvement social, la faillite de sa fonction
symbolique explique l’absence de frein à la toute puissance
de l’Etat qui se montre en tant qu’image englobante,
en tant que figure maternelle. A un ordre social névrotique
qui se révèle contradictoire, se substitue une structure
psychotique, un ordre qui supprime tout conflit, toute possibilité
de confrontation subjective.
L’affaire des “autonomes” de Tarnac n’a
pas grand chose à voir avec la vieille notion d’ennemi
intérieur et la stigmatisation traditionnelle des opposants
politiques. Ici, on ne s’attaque pas à une idéologie
déterminée, à une forme de conscience, mais
simplement au corps, à des comportements, au refus de s’abandonner
à la machine économique. Il ne s’agit donc pas
de démanteler une avant garde, mais de montrer que le refus
de faire de l’argent, d’éviter les dispositifs
de contrôle ou la volonté de refaire du lien social
constituent une forme d’infraction, la plus grave qui existe
dans notre société, un acte terroriste. Cela concerne
tout un chacun et non seulement une minorité. Ne pas avoir
de téléphone portable devient un indice établissant
des intentions terroristes.
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