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Origine : http://www.humanite.fr/2008-12-29_Tribune-libre_L-affaire-de-Tarnac-un-ordre-psychotique
http://www.mecanopolis.org/?tag=jean-claude-paye
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Jean-Claude_Paye.170109.htm
http://www.voltairenet.org/article159010.html
Réflexion sur le fonctionnement de l’accusation
de terrorisme.
Le 11 novembre 2008, les policiers français ont procédé
à la spectaculaire interpellation d’un groupe de «
terroristes présumés » dans un petit village
de Corrèze. Deux mois plus tard, il apparaît qu’il
s’agit en réalité de jeunes gens réfractaires
à la société de consommation et de surveillance,
et que l’instruction ne dispose d’aucune preuve à
charge. Le sociologue Jean-Claude Paye, qui étudie depuis
plusieurs années la dérive autoritaire des sociétés
occidentales, analyse ici cet étrange usage des lois anti-terroristes.
L’affaire de Tarnac est exemplaire d’un processus rapide
de subjectivation de l’ordre juridique. On est poursuivi pour
terrorisme, non pas sur base d’un délit matériel
déterminé, mais en fonction d’une virtualité
construite par l’imaginaire du pouvoir. Le 11 novembre 2008,
dans le cadre de « l’opération Taïga »,
150 policiers ont encerclé Tarnac. Simultanément,
des perquisitions étaient menées à Rouen, Paris,
Limoges et Metz. L’interpellation de 10 jeunes gens est avant
tout un spectacle destiné à créer l’effroi.
Leur arrestation serait en rapport avec des actes de sabotages
de lignes de chemin de fer, qui ont causé, le 8 novembre,
le retard de certains TGV sur la ligne Paris-Lille. Les actes malveillants,
l’arrachage de plusieurs caténaires, ont été
qualifiés de terroristes, alors qu’ils n’ont,
à aucun moment, menacé la vie humaine. L’accusation,
qui dit disposer de nombreux indices, notamment des écrits
et la présence de cinq suspects près de lignes sabotées
au moment des faits, reconnaît n’avoir aucune élément
matériel de preuve.
C’est leur profil qui justifie leur inculpation. Ils ont
été arrêtés car « ils tiennent
des discours très radicaux et ont des liens avec des groupes
étrangers » et nombre d’entre eux « participaient
de façon régulière à des manifestations
politiques », par exemple : « aux cortèges contre
le fichier Edvige et contre le renforcement des mesures sur l’immigration
» [1] Quant à leur logement, il est désigné
comme un « lieu de rassemblement, d’endoctrinement,
une base arrière pour les actions violentes ».
Bien qu’ils seraient le « noyau dur d’une cellule
qui avait pour objet la lutte armée » [2], la plupart
seront rapidement libérées, certains sous condition,
d’autres assignés à résidence, mais ils
resteront inculpés. Seul le « chef » et sa compagne
demeureront emprisonnés. Le 26 décembre, la Cour d’Appel
de Paris, a, à la requête du parquet, annulé
l’ordonnance de mise en liberté de Julien Coupat [3].
Le 16 janvier, la Cour d’Appel de Paris a ordonné la
remise en liberté, sous contrôle judiciaire, d’Yldune
Lévy. Sa remise en liberté devra être confirmée
vendredi 23 par la chambre de l’instruction de Paris, qui
examinera, sur le fond, l’appel du parquet.
Le discours du pouvoir procède à un double déplacement
: de simples actes de sabotages, comme il peut, par exemple, y en
avoir dans un mouvement social, sont qualifiés de terroristes
et ces actes sont nécessairement attribués aux jeunes
de Tarnac, malgré que la police reconnaît l’absence
de tout élément matériel de preuve. L’image
du terrorisme érigée par le pouvoir crée un
réel qui se substitue aux faits. Ceux-ci ne sont pas niés,
mais toute capacité explicative leur est déniée.
Les actes de sabotage ne peuvent être que le fait de personnes
désignées comme terroristes. L’acte de nommer,
antérieur à toute procédure d’évaluation
objective, renverse celle-ci et enferme dans l’image, dans
une forme vide.
Une reconstruction du langage
L’absence d’éléments matériels
permettant de poursuivre les inculpés n’est pas niée,
mais la nécessaire prévalence des faits est renversée
au profit de la primauté de l’image construite par
le pouvoir. La position du ministre de l’intérieur,
Michèlle Alliot-Marie, reprise au sein d’un rapport
de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, est
particulièrement intéressante : « Ils ont adopté
la méthode de la clandestinité, assure la ministre.
Ils n’utilisent jamais de téléphones portables
et résident dans des endroits où il est très
difficile à la police de mener des inquisitions sans se faire
repérer. Ils se sont arrangés pour avoir, dans le
village de Tarnac, des relations amicales avec les gens qui pouvaient
les prévenir de la présence d’étrangers.
» Mais la ministre en convient : « Il n’y a pas
de trace d’attentats contre des personnes. » [4]
Ces déclarations résument bien l’ensemble de
l’affaire. Ce qui fait de ces jeunes gens des terroristes,
c’est leur mode de vie, le fait qu’ils tentent d’échapper
à la machine économique et qu’ils n’adoptent
pas un comportement de soumission « proactive » aux
procédures de contrôle. Ne pas avoir de téléphone
portable devient un indice établissant des intentions terroristes.
Rétablir le lien social est également un comportement
incriminé, puisque cette pratique reconstruit le lien symbolique
et permet de poser un cran d’arrêt au déploiement
de la toute puissance de l’État.
Dans les déclarations de Mme Alliot-Marie la référence
aux faits, en l’absence de tout indice matériel probant,
ne peut être intégrée rationnellement et engendre
la phase du délire, une reconstruction du réel avec
l’image du terrorisme comme support.
Ce processus est également visible dans les rapports de
police, dans lesquels s’opère, au niveau du langage,
toute une reconstruction fantasmatique de la réalité.
Ainsi, comme indice matériel prouvant la culpabilité
des inculpés, la police parle « de documents précisant
les heures de passage des trains, commune par commune, avec horaire
de départ et d’arrivée dans les gares »
[5] Un horaire de la SNCF devient ainsi un document particulièrement
inquiétant, dont la possession implique nécessairement
la participation à des dégradations contre la compagnie
de chemins de fer. De même, une échelle devient du
« matériel d’escalade » et, ainsi, sa possession
est un élément à charge.
Cette construction psychotique n’est pas le seul fait des
autorités françaises. Elle est partagée par
la Belgique. Le 27 novembre, a eu lieu une arrestation, des perquisitions
et des saisies chez des membres du comité belge de soutien
aux inculpés de Tarnac. Le mandat de perquisition portait
la mention « association de malfaiteurs et détériorations
en réunion » [6] Détenir des documents relatifs
à un comité de soutien peut, selon le rapport de forces
du moment, autoriser des poursuites et, en tout cas, associe ses
détenteurs à l’enquête menée en
France.
Un ordre social psychotique
La mise en scène de l’arrestation et de l’inculpation
des « autonomes de Tarnac » est un phénomène
qui révèle non seulement un bouleversement de l’ordre
juridique, mais aussi une mutation plus profonde, celle de l’ordre
symbolique de la société. Le renversement du rôle
de la loi est lui-même le phénomène d’une
« père-version » de la Loi symbolique.
Les procédures mises en place représentent un des
aspects les plus significatifs de la tendance imprimée par
la « lutte contre le terrorisme », à savoir qu’un
individu est désigné comme terroriste, non pas parce
qu’il a commis des actes déterminés, mais simplement
parce qu’il est nommé comme tel.
Le pouvoir a la possibilité de créer un nouveau réel,
une virtualité qui ne supprime pas, mais qui supplante les
faits. La faiblesse du mouvement social, la faillite de la fonction
symbolique explique l’absence de frein à la toute puissance
de l’État qui se montre en tant qu’image englobante,
en tant que figure maternelle. À un ordre social névrotique
qui se révèle contradictoire, se substitue une structure
psychotique, un ordre qui supprime tout conflit, toute possibilité
de confrontation subjective.
L’affaire des « autonomes » de Tarnac n’a
pas grand chose à voir avec la vieille notion d’ennemi
intérieur et la stigmatisation traditionnelle des opposants
politiques. Ici, on ne s’attaque pas à une idéologie
déterminée, à une forme de conscience, mais
simplement au corps, à des comportements, au refus de s’abandonner
à la machine de mort. Il ne s’agit donc pas de démanteler
une avant-garde, mais de montrer que le refus de faire de l’argent,
d’éviter les dispositifs de contrôle ou la volonté
de refaire du lien social constituent une forme d’infraction,
la plus grave qui existe dans notre société, un acte
terroriste. Cela concerne tout un chacun et non seulement une minorité.
Jean-Claude Paye
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[1] « Terrorisme ou tragi-comédie », par Giorgio
Agamben, Libération, 19 novembre 2008.
[2] « Au village, sans prétention », par Marie-Noëlle
Bertrand et Sébastien Homer, L’Humanité, 28
novembre 2008.
[3] « Sabotages à la SNCF : Julien coupat maintenu
en détention », Le Monde, 27 février 2008.
[4] Isabelle Mandraud, « L’obsession de l’ultra
gauche », Le Monde, 3 décembre 2008.
[5] Agamben, Op. Cit.
[6] Soutien aux inculpés du 11 Novembre
http://soutien11novembre.org/
19 janvier 2009
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