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Attaché aux années 1970, le nom de l’essayiste
Ivan Illich est avant tout un symbole, le symbole d’une pensée
dont la fonction, stimulante et irritante, semble être de prendre
le contre-pied systématique des «vérités»
qui constituent les fondements mêmes de la modernité
humaine. Illich marque le coup d’arrêt du «progressisme»
comme postulat non critiqué et comme légitimation, sûre
d’elle-même, de la conduite des sociétés
industrielles modernes. Rarement une œuvre de pensée aura,
en un délai si court (Libérer l’avenir , 1971 ;
Une société sans école , 1971 ; Énergie
et Équité , 1973 ; La Convivialité , 1973 ; Némésis
médicale , 1975 ; Le Chômage créateur , 1977) rencontré
un tel écho et à ce point provoqué la société
moderne et les grands systèmes explicatifs qu’elle a
engendrés. Ainsi s’expliquent que d’étonnantes
conjonctions aient amené «conservateurs» et «progressistes»
à dénoncer, voire souvent à simplifier et ridiculiser
la pensée d’Illich.
Sa personnalité est déjà singulière. Originaire
d’Europe centrale, émigré aux États-Unis
en 1956, il obtient très tôt un brevet de radio, puis
de pilote. Il devient ensuite chercheur en cristallographie et acquiert
des doctorats d’histoire, de philosophie, de droit canon, de
théologie. Prêtre catholique, il affronte l’institution
ecclésiale à propos du C.I.D.O.C., centre de formation
qu’il fonde à Cuernavaca (Mexique). Inquiété
par le Saint-Office, il renonce, en 1969, à l’état
clérical.
Illich, dans une démarche dont la logique est rigoureuse dès
les premières œuvres, s’attaque aux institutions
de la société industrielle. Leur fonction est, à
ses yeux, de légitimer l’encadrement des hommes, leur
assujettissement aux impératifs de la consommation-production,
l’augmentation de l’écart entre une masse toujours
croissante de pauvres et une «élite» de moins en
moins nombreuse de nantis. Ni l’enseignement, ni la médecine,
ni la production industrielle ne sont plus à l’échelle
d’une «convivialité» humaine. Leur fonction
réelle est en contradiction avec le discours commun qui les
salue comme des signes d’un progrès indéfini.
Aux mains de professionnels, l’enseignement n’est plus
qu’une énorme machine, centralisée et automatisée,
à fabriquer de l’inégalité sociale. Il
faut inventer d’autres réseaux d’éducation
qui restaurent la créativité et l’autonomie des
individus et des groupes. De même, il faut arracher la médecine
à la professionnalisation, à la spécialisation,
au monopole d’une caste appelée à dominer la vie
et la mort des citoyens «surprotégés». Dans
la production industrielle, il faut mettre fin à la surcroissance
de l’outil, qui multiplie les dépenses d’énergie
et asservit les hommes, ainsi qu’à la surprogrammation,
qui exclut les consommateurs du contrôle de la production et
accentue le pouvoir des oligopoles. Le retour au bonheur d’«être
avec» passe par l’acceptation consciente et délibérée
d’un renoncement au superflu et à l’artifice.
La production d’Ivan Illich s’est poursuivie avec : Le
Travail fantôme (1981), Le Genre vernaculaire (1983), A.B.C.
(sur l’alphabétisation, 1990), Du lisible au visible
(1991). Dans le miroir du passé (1994) rassemble les conférences
et discours des années 1978-1990.
Source Encyclopædia Universalis 1997
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