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"Ivan Illich : plus que jamais il faut libérer l’avenir" par Philippe Lalik & Jean-Pierre Masson
Source Site Attac 45
IVAN ILLICH : PLUS QUE JAMAIS IL FAUT LIBERER L’AVENIR.

Origine : http://yonne.lautre.net/article.php3?id_article=217

Suite au décès d’Ivan Illich le 2 décembre 2002, hommage lui a été rendu dans la presse (1).

Nous nous efforcerons ici de déterminer dans quelles mesures sa pensée si riche, si féconde peut exercer une influence au sein de notre mouvement.

Critique radicale de la société industrielle et du développement qu’elle implique, Illich n’offre cependant pas de solutions clefs en main.

Sa pensée est de celles qui libèrent et non de celles qui enferment, cela est suffisamment rare pour être souligné. Elle invite à penser le monde par soi-même.

Le lecteur d’Illich n’éprouve pas le besoin de le suivre sur ses pas, probablement parce que l’auteur, sensible à l’autonomie de la personne, désire que celle-ci vole de ses propres ailes. Celui qui fait du vélo peut se passer rapidement de celui qui lui a appris.
Illich met donc son lecteur en selle.

Mais passons du vélo à l’automobile. « Aussi longtemps qu’on attaquera le trust Ford pour la seule raison qu’il enrichit Monsieur Ford, on entretiendra l’illusion que les usines Ford pourraient enrichir la collectivité (...)

Certains outils sont toujours destructeurs quelles que soient les mains qui les détiennent, que ce soit la mafia, les capitalistes, une firme multinationale, l’État où même un collectif de travailleurs » écrit-il dans « La Convivialité ». Voilà des propos susceptibles de nous interpeller.

Illich estime qu’au-delà de certains seuils critiques de développement, la production hétéronome (2) engendre une complète réorganisation du milieu physique, institutionnel et symbolique telle que les capacités autonomes sont paralysées. Se met alors en place ce qu’il a appelé la contre-productivité.

Plus la production hétéronome croît, plus elle devient un obstacle à la réalisation même des objectifs qu’elle est sensée servir : la médecine corrompt la santé, l’école bêtifie, le transport immobilise, le recours à l’énergie fossile menace de détruire la vie, l’alimentation industrielle se transforme en poison ...

Illich ne critique pas la technique en tant que telle mais comme fin en soi. A l’instar de son « Maître », Jacques Ellul (3), il pense que la société industrielle porte en elle un projet. Il existe une « volonté » sous-jacente de remplacer le tissu social, les liens de solidarité qui constituent la trame d’une société par une fabrication, un projet inédit de produire des relations des hommes à leur voisin et à leur monde comme on produit des automobiles ou des fibres de verre (4).

Contrairement à ce qu’on pense à droite comme à gauche, le projet technicien n’est pas neutre, il ne produit pas le bien ou le mal selon l’usage qu’on fait de la technique. Il existe de manière autonome et vouloir remettre l’économie au service de l’homme nécessite d’en prendre conscience et d’en tirer les conséquences.

A l’opposé de la production hétéronome, Illich propose la production autonome sous le vocable de convivialité aujourd’hui galvaudé.
« Une société conviviale est une société qui donne à l’homme la possibilité d’exercer l’action la plus autonome et la plus créative à l’aide d’outils moins contrôlables par autrui.

La productivité se conjugue en terme d’avoir, la convivialité en terme d’être « Il s’en prend également à ce qu’il nomme monopole radical. « On entend généralement par monopole, le contrôle exclusif par une firme de moyens de production d’un bien et d’un service. »

Mais il existe un autre monopole plus sournois, le monopole radical : « Par ce terme, j’entends la domination d’un type de produit plutôt que celle d’une marque.

Dans un tel cas, un procès (5) de production industriel exerce un contrôle exclusif sur la satisfaction d’un besoin pressant, en excluant tout recours, dans ce but, à des activités non industrielles ; que des gens soient obligés de se faire transporter et deviennent impuissants à circuler sans moteur.

L’école, elle aussi, peut exercer un monopole radical sur le savoir en le redéfinissant comme éducation.

Aussi longtemps que les gens acceptent la définition de la réalité que leur donne le maître, les autodidactes sont officiellement étiquetés « non éduqués ».

Ivan Illich considère par ailleurs que « l’empêchement à la restructuration de la société n’est ni le manque d’informations sur les limites nécessaires, ni le manque d’hommes résolus à les accepter si elles deviennent inévitables, c’est le pouvoir de la mythologie politique. »

En fait, chacun a sa raison pour désirer la croissance industrielle et sa raison pour en sentir la menace. Mais, c’est la perte d’autonomie des individus par rapport à la production industrielle qui est l’obstacle majeur au changement.

Malgré son pessimisme quand à l’avenir, Illich garde espoir : « Davantage de croissance conduit obligatoirement au désastre, mais celui-ci présente un double visage.

L’évènement catastrophique peut être la fin de la civilisation politique, ou même de l’espèce « homme ». Ce peut-être aussi la Grande Crise, c’est à dire l’occasion d’un choix sans précédent. Prévisible et inattendue, la catastrophe ne sera une crisis, au sens propre du mot, que si, au moment ou elle frappe, les prisonniers du progrès demandent à s’échapper du paradis industriel et qu’une porte s’ouvre dans l’enceinte de la prison dorée.

Il faudra alors démontrer que l’évanouissement du mirage industriel donne l’occasion de choisir un mode de production convivial et efficace. Pour l’heure la préparation à cette tâche est la clef d’une nouvelle pratique politique.

Il faudra des groupes capables d’analyser avec cohérence la catastrophe et de l’exprimer en langage ordinaire (...) à l’heure du désastre, la catastrophe se transformera en crise si un groupe de gens lucides gardant leur sang-froid sait inspirer confiance à ses concitoyens. »

Des groupes tels qu’Attac n’ont-ils pas vocation à se préparer à cette tâche ?

Tel est à nos yeux le type de question que nous devons sérieusement nous poser.

Nul doute que les oeuvres d’Ivan Illich, qui seront rééditées cette année, nous seront indispensables si l’on désire s’assigner cette tâche.

Philippe Lalik & Jean-Pierre Masson.


Notes

(1) Le Monde du 6 décembre 2002 ; Le Monde Diplomatique de Janvier 2003.

(2) Production hétéronome : le contraire de la production autonome. Hétéronomie : Etat d’un individu, d’un groupe, qui se soumet à des lois venues de l’extérieur

(3) Jacques Ellul : "Le Système technicien" (1977), "La Technique ou l’enjeu du siècle" (1954)

(4) Lire Jean-Pierre Dupuy "Pour un catastrophisme éclairé" (2002) C’est l’une des personnes qui ont introduit la pensée d’Illich en France

(5) Procès : processus

Bibliographie non exhaustive : Libérer l’avenir (1969), une Société sans école (1971), la Convivialité (1973) Energie et équité (1973), Némésis médicale (1975), Le chômage créateur (1977), le Travail fantôme (1981), Le Genre vernaculaire (1983)