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origine : http://www.medecines-douces.com/impatient/296jan03/ed296.htm
Peut-on rêver, pour un intellectuel, effet plus heureux de son
travail que le legs de quelques-unes de ses idées à
la postérité ? Ainsi phantasme et complexe, pour Freud…,
convivialité, pour Ivan Illich.
Ce dernier s 'est éteint à Brême - en Allemagne-
le 2 décembre dernier. Il a compté parmi les grandes
références de l'après 68. Ses analyses, particulièrement
celles de son livre Némésis médicale (Seuil,
1975) ont inspiré la ligne éditoriale de notre journal
(créé en 1977).
Petit retour arrière. Ivan Illich est né à
Vienne (Autriche) en 1926. Prêtre, il était passé
par une université vaticane - la Grégorienne - tremplin
d'une future nomination épiscopale. Après une belle
réussite pastorale à New York (1952-1956), il dirige
l'université catholique de Porto Rico (Ile des Caraïbes),
puis, en désaccord avec l'évêque, il s'éloigne,
effectue un périple - à pied- en Amérique latine,
pour créer finalement le centre interculturel de Cuernavaca,
au Mexique (1961). Un an après 1968, il renonce à
l'exercice et au titre de prêtre, mais il gardera la foi.
Cette décision est en parfaite conformité avec sa
contestation de toutes les hiérarchies (ecclésiale,
scolaire, médicale, etc.).
Sa critique du système scolaire introduit de façon
pertinente aux grandes intuitions de son œuvre. Il dénonce
la " fabrication " des exclus par l'école (une
critique qui n'a pas pris une ride après plus de 30 ans !),
le rejet des savoirs qui n'ont pas le label scolaire (et que dire
des médecines non reconnues !), le mécanisme d'asservissement
aux maîtres, l'adhésion de ces derniers et des élèves
à une évaluation hiérarchique des capacités
de chacun, la " fabrication" des bons et mauvais élèves
selon - finalement - leur capacité à reproduire et
servir les systèmes en place…
Cet asservissement a des conséquences sur l'organisation
du système sanitaire. " Une fois que (l'individu) a
accepté de se laisser définir d'après son degré
de savoir, il accepte que des bureaucrates déterminent son
besoin de santé " (La Convivialité, éd.
Le Seuil, collection Points, 1973). Que propose-t-il en remplacement
? Ce que nous développons à longueur de colonnes dans
ALTERNATIVE SANTÉ- L'Impatient : la prise en main de sa propre
santé! "
Chez Illich, affirme son ancien éditeur Jean-Pierre Dupuy
(Libération du 5 décembre 2002), il y a deux manières
de faire. L'une est la manière autonome, ainsi dans le domaine
de la santé, ce serait de mener une vie hygiénique.
Alors que [l'autre], c'est d'aller vers la médecine…
[Cela] n'est pas mauvais en soi, mais à partir d'un seuil
on arrive à la contre-productivité (autre concept
légué par Illich à la postérité,
NDLR), au lieu d'améliorer, on paralyse. Et le seuil est
passé quand une institution affirme avoir un monopole radical
sur la valeur qu'elle est censée défendre. "
Ce qui pourrait se traduire ainsi : quand le système de soins
et les médecins excluent les autres savoirs : celui des médecines
alternatives et celui des patients, cela nuit à la santé
des personnes qu'ils sont censés défendre.
J'imagine que beaucoup de lecteurs vont découvrir qu'ils
étaient " illichiens " sans le savoir ! -de quoi
leur donner encore plus de… mordant !
Sa réflexion sur la technologie éclaire les restructurations,
les délocalisations, et leur lot d'ouvriers jetés
à la porte comme simples "forces d'appoint " :
" L'homme a besoin d'un outil avec lequel travailler, non d'un
outillage qui travaille à sa place. Il a besoin d'une technologie
qui tire le meilleur parti de l'énergie et de l'imagination
personnelles, non d'une technologie qui l'asservisse et le programme
" (La Convivialité).
Sa dernière apparition publique date de mars 2002, lors d'un
colloque sur le développement à l'Unesco. José
Bové y était présent.
Ivan Illich vivait depuis 16 ans avec un cancer. Atteint d'une
tumeur au cerveau, il avait refusé de se faire opérer
par conformité avec ce qu'il croyait. " Toutes les demi-heures,
affirme son éditeur, il allait prendre une décoction
d'origine aztèque, disait-il, à base de morphine et
d'autres herbes. Il exhibait des statistiques de ce type d'opérations
qui montraient que l'espérance de vie n'y gagnait rien. "
Mais son plus beau legs demeure, à nos yeux, ce thème
de la convivialité qui insiste sur la dimension relationnelle
de toute notre existence. Illich fonde sa critique de la société
sur la primauté de la relation (avant l'intérêt
financier, la rentabilité, l'efficacité, etc.). Il
n'est pas étranger à sa pensée d'affirmer que
bien des maux seraient évités si des mots avaient
pu être dits (enfant, adulte, en famille, en couple, en société).
Des maux aux mots il n'y a qu'un pas. En nous invitant à
user des seconds, la convivialité nous éviterait souvent
les premiers.
Que la plus tendre et amicale convivialité préside
à vos rencontres de fin d'année. Et que la santé
s'y " love ! "… C'est ce que nous vous souhaitons
ardemment.
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