Origine : http://www.cam.org/~rsilver/energieequite.htm
Le texte suivant consiste en de larges extraits d'une revue de
livre écrite en anglais par Robert Silverman sur le livre
"Énergie et Équité" d'Ivan Illich.
Robert est un membre fondateur du Monde à Bicyclette, ainsi
que le responsable du comité des relations extérieures.
Le texte intégral de cet article a été publié
dans I'édition de septembre 1977 de "L'environnement",
joumal de la Société pour Vaincre la Pollution (SVP).
Traduction par la SVP. English Resume
La base théorique d'un nouveau mouvement politique
Le thème central du profond et original petit chef-d'oeuvre
de Yvan Illich, "Énergie et Équité"
est que "l'utilisation de quanta d'énergie multipliée
à l'échelle de I'industrie, est sur le point d'avoir
des effets aussi destructeurs sur la structure sociale que sur I'environnement
physique". (l)
Cette vérité évidente est laissée de
côté partout par les sociologues, les idéalistes
et les marxistes mais n'est jamais oubliée par les cyclistes
urbains. Illich de dire: "Ce qui est généralement
oublié est que l'énergie et l'équité
peuvent croître concurremment jusqu'à un certain point.
En dessous d'un seuil de dépense d'énergie per capita,
les moteurs améliorent les conditions pour un progrès
social. Au dessus de ce seuil, l'énergie s'accroit au dépens
de l'équité... Les calories sont biologiquement et
socialement saines si elles restent dans la marge étroite
qui sépare I'assez du trop".
Illich fait ressortir que c'est dans le domaine du transport que
les qualités socialement destructives de I'excès d'énergie
peuvent principalement se trouver. Ce phénomène est
plus prononcé aux Etats-Unis, où 45 % de l'énergie
utilisée sert I'automobile. Dans le seul but de transport,
250 millions d'Américains utilisent plus de carburant que
l,300 millions de Chinois et d'Indiens pour tous leurs besoins.
Aux Etats-Unis, les 4/5 du temps passé sur les routes concernent
les gens qui circulent entre leur maison, leur lieu de travail et
le supermarché. L'américain type consacre plus de
1,500 heures par an à sa voiture: il y est assis, en marche
ou à I'arrêt, il travaille pour la payer, pour payer
I'essence, les pneus, les plaques, I'assurance, les contraventions
et les impôts. Il consacre quatre heures par jour à
sa voiture, qu'il s'en serve, s'en occupe ou travaille pour elle.
À cet américain, il faut donc 1,500 heures pour faire
10,00 km de route, 6 km lui prennent 1 heure. Dans les pays privés
d'industrie du transport, les gens atteignent exactement cette vitesse
et I'orientent vers n'importe quelle destination, par l'usage de
la marche: ils consacrent à cet effet de 3 à 8% du
temps social au lieu de 28%. Ce qui différencie la circulation
dans les pays riches et dans un pays très pauvre n'est donc
pas une plus grande efficacité, mais I'obligation de consommer
à hautes doses l'énergie conditionnée par I'industrie
du transport. Or comme le Monde à Bicyclette I'a dit plusieurs
fois, ils ont fait de I'automobile une nécessité.
Après avoir décrit les injustices et les absurdités
d'un système de transport basé sur I'automobile, Illich
consacre les trois dernières parties de son livre à
l'alternative conviviale qu'est la bicyclette. Il nous donne une
vision planétaire d'un transport personnel où les
véhicules motorisés complètent la force pédalière,
réaffirmant un des thèmes qui soutend son oeuvre,
à savoir: "Une démocratie de participation demande
une technologie à faible consommation d'énergie et
des gens libres doivent tendre vers des relations sociales productives
à la vitesse de la bicyclette".
Ces pages se lisent comme une bible du cycliste et la bicyclette
est I'objet d'amour du "Cantique des Cantiques". Tous
les cyclistes devraient les connaître et les chanter car elles
sont le chant de la vie.
La bicyclette avec son conducteur humain est I'appareil de transport
le plus efficace jamais inventé du point de vue énergétique,
encore plus efficace que l'hydrodynamique du dauphin.
La bicyclette, principal mode de transport dans plusieurs villes
du monde, permet un débit de circulation plus rapide que
l'automobile. Les bicyclettes et pousse-pousses à Bangkok
et Honk Kong se déplacent plus rapidement que les autobus
et autos à New-York ou Boston. Une course organisée
par le Monde à Bicyclette en mai l975, entre 2 bicyclettes
et 2 automobiles au centre-ville à Montréal à
I'heure de pointe, démontra sans équivoque qu'ici
aussi la bicyclette est plus rapide que I'auto. Des courses semblables
ont eu lieu à Philadelphie et à Londres avec des résultats
identiques.
Limitation principale de "Énergie et Équité"
La limite principale du livre est son manque de perspective historique.
Illich n'explique pas comment nous en sommes venus à cette
folie d'excès d'énergie.
Au Québec et en Occident les forces productives sont possédées
et contrôlées par une petite minorité de la
population. La plupart de ces forces productives sont concentrées
dans des énormes compagnies multinationales et monopolitiques.
Les plus grosses sont les compagnies d'automobile et d'huile. Comme
toutes les compagnies dans le monde capitaliste, leur raison d'être
et unique critère dans le processus de décisions,
est le profit de la compagnie.
Pour les compagnies souvent aussi puissantes que les souverains,
des considérations comme la justice sociale, la pollution,
I'utilité ou même la nuisance de leurs produits sont
sans importance. Le profit et seulement le profit compte.
Et elles ont orchestré le plus grand saut de tous les temps
dans la cosommation d'énergie. dans les années 30
et 40, Général Motors Co., Standard Oil Co. et Firestone
Tire Co., achetérent eI détruisirent plus de l00 lignes
de tramways électriques dans plus de 40 villes en Amérique
du Nord (2). General Motors remplaça ces tramways écologiques
par leur mauvais autobus de beaucoup inférieures au tramway.
Et les gens faisant face à un accès réduit
et parfois nul au transport en commun, furent forcés d'acheter
des automobiles (fabriquées à 50% par GM). Pour cette
conspiration qui a amené jusqu'à 50,000 morts par
année par I'automobile et qui a crucifié un continent,
General Motors a eu une amende de $5,000 et H.C. Crossman, trésorier
de General Motors et contremaître de I'opération destruction
du Tramway a lui écopé d'une amende magnanime de $l.00.
Illich: idéologie d'un nouveau mouvement politique
"Énergie et Équité" fournit la base
théorique d'un mouvement politique. Ce mouvement est concentré
dans les pays capitalistes dits développés et aura
une portée historique.
Appellons le "Le mouvement contre I'énergie
excessive et meurtrière".
Depuis la fin de la guerre en Indochine, toutes les mobilisations
populaires majeures ont été contre l'énergie
excessive et meurtrière. Ces démonstrations ont eu
pour cibles les aéroports, les avions, les centrales nucléaires
et les automobiles.
À New-York, cette année, de grandes manifestations
ont eu lieu pour empêcher que l'avion Concorde puisse avoir
accès aux aéroports de New-York. Les gens ne voulaient
tout simplement pas du bruit. Au Japon, des dizaines de milliers
de personnes se sont battues pendant 5 ans pour arrêter la
construction d'un nouvel aéroport près de Tokyo.
Mais des gens dans le monde, beaucoup n'ayant pas entendu parler
d'Illich, refusent cette folie nucléaire. Des manifestations
massives, anti-nucléaires et des occupations ont eu lieu
en France, au Japon, en Allemagne, en Australie et aux Etats-Unis.
Le 31 juillet dernier à Malville en France, 25,000 personnes
ont manifesté contre I'usine nucléaire en construction.
Des contingents de manifestants vinrent d'Allemagne, de Suisse,
de Hollande, de Belgique, de Scandinavie, s'ajouter aux milliers
de Français. Cinq milles policiers défendaient les
installations meurtrières. Une personne fut tuée et
plusieurs blessées quand la police a chargé avec les
matraques et les gaz lacrimogènes (3). Le slogan des Amis
de la Terre, "ÉTAT NUCLEAIRE, ÉTAT MEURTRIER,
ÉTAT POLICIER" se révéla tragiquement
vrai.
La troisième composante du mouvement contre I'excès
d'énergie est la lutte anti-automobile. Comme Illich le souligne
le transport par I'automobile est un gaspillage titanesque. Stationnées
22 heures par jour, transportant une charge moyenne de 1.3 passager,
alors que le parcours moyen en automobile est de 4.3 milles, c'est
peu de dire qu'elles sont source de gaspillage. Il faut aussi ajouter
qu'elles sont le seul véritable crime qui se perpétue
dans nos rues.
À quoi s'attendre?
Seule la classe ouvrière peut mettre un terme à la
Ioi du capital et de la bourgeoisie. Pour que notre mouvement écologique
réussisse, le capitalisme doit cesser d'exister, car c'est
la production dans le but du profit au lieu d'être dans le
but de satisfaire les besoins qui est à l'origine du problème.
Et nous devons former une alliance avec la classe ouvrière
révolutionnaire.
Pour la première fois dans I'histoire humaine, les gens
se liguent contre les effets destructeurs de l'énergie superflue.
Illich sans Marx est incomplet. Marx sans Illich est incomplet.
Ensemble, ils donnent des outils pour changer le monde.
"Énergie et Equité" est un livre qui transformera
le monde. Je le recommande à tous. De la meme façon
que Marx est le penseur du prolétariat urbain, Illich est
le penseur des cyclistes urbains. Karl Marx n'aurait pas pu écrire
"Le Capital" sans la multiplication de la classe ouvrière
que I'on connaissait à l'époque. De la même
façon "Énergie et Équité"
de Illich fut rédigé à l'aube du mouvement
cycliste et de l'imprégnation dans la conscience de millions
de gens de la contradiction sans cesse croissante entre l'énergie
et l'équité.
Ensemble, main dans la main, guidés par Marx, Lénine
et Illich les travailleurs à bicyclette mettront un terme
au capitalisme, ouvrant le chemin vers le monde à faible
consommation d'énergie, convivial et socialiste de l'avenir.
"Le socialisme ne peut venir qu'à bicyclette".
José Antonio Viera-Gallo, assistant secrétaire de
la Justice dans le gouvernement de Salvador AIlende.
(I) Energie et Equité, Yvan Illich, Éditions du Seuil,
1973.
(2) The Industrial Reorganization Act, Hearings before the Subcommittee
on Anti-Trust and Monopoly of the Committee on the Judiciary, United
States Senate, S1167, U.S. Government Printing Office, pg. A3I,
93 rd Congress.
(3) New York Times, Ier août, 1977.
Publié dans Pour une ville nouvelle, journal du Monde à
Bicyclette, édition automne 1977.
Par Robert Silverman.
Robert Silverman 2000
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