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Date: Sun, 01 Feb 2004 16:45:47 +0100
Subject: [multitudes-infos] Analyses Israël : une menace nucléaire
globale par Bernard Ravenel
Analyses Israël : une menace nucléaire globale
Bernard Ravenel
mardi 27 janvier 2004
Israël est entré incognito dans le club fermé
des pays possédant l'arme nucléaire par la porte de
service du nucléaire civil. En refusant de signer le traité
de non prolifération des armes nucléaires (TNP) en
1968, il a affirmé son intention de poursuivre son programme
nucléaire militaire sans aucun contrôle international.
Se plaçant dès lors en situation de monopole du nucléaire
au Moyen-Orient avec le soutien américain, il a mis en joue
tous ses voisins les uns après les autres, mais ne pourra
maintenir sa position de gendarme nucléaire incontrôlé
et belliciste sans risque grave pour la région : il s'agit
bien d'une perspective de guerre nucléaire.
Israël, considéré par l'opinion européenne
comme une menace prioritaire pour la paix, doit être soumis
à une inspection internationale de ses installations nucléaires.
Le pouvoir probablement le plus dangereux est le pouvoir nucléaire.
Mais c'est un pouvoir caché, invisible, en orbite ou sous
la mer. Et depuis qu'on l'a vu à l'oeuvre à Hiroshima
et Nagasaki, l'humanité en a gardé la trace indélébile
et se sent menacée dans son existence. Après 1989
et la fin de l'équilibre de la terreur (nucléaire)
on nous a fait croire que « la paix avait éclaté
» pour tout le genre humain. Ainsi s'est diffusée l'illusion
que désormais la menace de guerre nucléaire avait
disparu et que par conséquent il n'était plus nécessaire
de se mobiliser pour la conjurer. En réalité, après
« l'équilibre de la terreur » qui éloignait
la possibilité d'une déflagration réelle, les
Etats-Unis, restés seuls en lice, n'ont pas éliminé
leur arsenal nucléaire. Bien au contraire, ils l'ont réajusté,
remodelé, repensé pour créer un « déséquilibre
de la terreur » encore plus dangereux. Désormais les
Etats-Unis ont décidé de mettre au point une nouvelle
génération d'armes nucléaires de faible puissance.
Ces armes, dont la conception est issue de la doctrine de la guerre
préventive incluant la nouvelle doctrine nucléaire
américaine, visent à percer les bunkers où
se cacheraient les missiles ou les commandements ennemis. En utilisant
le terrorisme ou l'Iran, comme feuille de vigne... Plutôt
que d'éliminer les armes nucléaires, on tend ainsi
à annuler la distinction fondamentale entre guerre conventionnelle
et guerre nucléaire pour mieux faire admettre leur utilisation.
Le seuil tabou sera donc plus aisément franchissable [1].
En d'autres termes, préparer des armes de ce type accroît
la possibilité que la guerre devienne vite nucléaire,
provoquant une réaction en chaîne qui pourrait être
irréversible.
Dans un rapport du Pentagone publié en mars 2002 dans Los
Angeles Times, l'administration Bush demande de préparer
des plans pour l'emploi d'armes nucléaires contre au moins
sept pays : la Chine, la Russie, l'Irak, la Corée du Nord,
l'Iran, la Libye et la Syrie. Certains passages de ce rapport précisent
où et pourquoi les forces armées américaines
« devraient être préparées à employer
des armes nucléaires : dans un conflit arabo-israélien,
dans une guerre entre la Chine et Taiwan ou dans une attaque de
la Corée du Nord contre la Corée du Sud. Elles devraient
être prêtes aussi dans le cas d'une attaque de l'Irak
contre Israël ou contre un autre pays voisin. » Tel est
le contexte stratégique global où la guerre nucléaire
est de nouveau d'actualité, devenant l'arme des puissants
de la planète pour résoudre une fois pour toutes l'existence
du conflit sur la terre. Si les Etats-Unis prévoient explicitement
dans leur logique de guerre préventive l'usage du nucléaire
au Moyen-Orient, pourquoi Israël devrait-il l'exclure ? Le
7 octobre 2003, Ariel Sharon, encouragé par le soutien américain
à son bombardement en Syrie, déclare à la télévision
israélienne qu'Israël frappera ses ennemis « à
n'importe quel endroit et avec n'importe quel moyen » [2]
. Ainsi Ariel Sharon, qui vient de bombarder la Syrie, se déclare
immédiatement prêt à utiliser l'arme nucléaire.
La bombe secrète, dont tout le monde connaît l'existence,
est destinée à jouer un rôle de plus en plus
important et dangereux dans les crises du Moyen-Orient.
L'arsenal nucléaire de Sharon
Sur la base d'estimations diverses, les forces armées israéliennes
possèdent entre deux cents et quatre cents têtes nucléaires.
Selon la revue anglaise spécialisée Jane's Intelligence
Review, leur arsenal en comprend environ quatre cents pour une puissance
d'ensemble de 50 mégatonnes équivalant à 3
850 bombes d'Hiroshima. Il s'agit d'abord d'armes tactiques de faible
puissance, parmi lesquelles des bombes à neutrons faites
pour frapper des objectifs rapprochés sans provoquer une
excessive retombée radioactive sur-le-champ de bataille.
Mais on trouve aussi des armes thermonucléaires de forte
puissance prêtes à être utilisées. Comme
vecteurs nucléaires les forces israéliennes disposent
d'environ 300 chasseurs F16 fournis par les Etats-Unis et 25 F15
d'origine américaine également. Ces derniers ont été
« renforcés » avec l'augmentation du rayon d'action
à 4450 km et en les dotant de systèmes de guidage
plus sophistiqués. Ces avions sont armés de missiles
air-sol Popeye à tête nucléaire capables de
pénétrer à une certaine profondeur sur le terrain
pour détruire les bunkers des centres de commandement. Ce
système d'armes - acquis de l'aéronautique américaine
et utilisé en 1999 avec des têtes conventionnelles
dans la guerre contre la Yougoslavie - a été produit,
testé et amélioré à travers un programme
conjoint israélo-américain. Une autre version de ce
même missile nucléaire, le Popeye Turbo, a été
installée sur trois sous-marins Dolphin, fournis par l'Allemagne
en 1999-2000. La marine israélienne peut ainsi maintenir
en navigation vingt-quatre heures sur vingt-quatre, soit dans la
Méditerranée soit en mer Rouge ou dans le Golfe persique,
au moins deux sous-marins armés de missiles nucléaires.
Jericho 2Une version 3 serait existante d'une portée de 4.500
Km Il faut ajouter à ces vecteurs nucléaires environ
50 missiles balistiques Jéricho II sur des rampes mobiles
de lancement avec une portée d'environ 1500 km emportant
une charge nucléaire d'une tonne. Une version renforcée
du missile, le Jéricho II B est capable probablement d'atteindre
les 2800 km. En outre, Israël possède le Shavit, un
engin qui a permis de mettre en orbite les satellites Ofek.
Dérivé du missile Jéricho II, il peut à
son tour être employé comme missile balistique qui,
avec une portée comprise entre 5000 et 7000 km, est capable
de frapper n'importe quel objectif au Moyen-Orient et même
au-delà.
L'histoire d'une bombe secrète
Alors que les Etats-Unis, l'Union soviétique et la Grande-Bretagne
cherchent à empêcher, avec le traité de non-prolifération
(TNP) [3] , que d'autres pays entrent dans le club nucléaire
- dont font partie en 1968 les cinq membres permanents du Conseil
de sécurité (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France
et Chine), un sixième pays s'infiltre dans le « club
», réussissant non seulement à y entrer par
la porte de service du nucléaire civil mais une fois dedans
à se rendre officiellement invisible : Israël.
Au moment même où, en 1968, le TNP est ouvert à
la signature, Israël est déjà en train d'installer
ses propres armes nucléaires. L'histoire du nucléaire
israélien est désormais à peu près élucidée
grâce, en particulier, à la publication de la Fédération
des savants atomistes américains : Bulletin of Atomic Scientists.
Le programme nucléaire israélien a démarré
dès la naissance de l'Etat d'Israël en 1948. Dès
cette année est constitué au sein de l'armée
un « corps scientifique » (Hemed Gimmel). En 1949, sur
ordre du ministère de la défense, une équipe
de ce corps scientifique a effectué des prospections dans
le désert du Néguev à la recherche de réserves
d'uranium. Ayant trouvé du minéral à basse
teneur d'uranium, le corps scientifique perfectionne un procédé
pour l'extraire et développe même une nouvelle méthode
pour produire de l'eau lourde (qui sert de modérateur dans
les réacteurs nucléaires).
Le rôle décisif de la France et la comédie du
nucléaire pacifique À cette étape, Israël
a besoin d'un réacteur. Pour l'avoir, il s'adresse secrètement
à la France avec laquelle existe déjà une collaboration
nucléaire : les savants israéliens ont participé,
aux débuts des années cinquante, à la construction
d'un réacteur à eau lourde et d'une installation de
retraitement à Marcoule. La réponse positive de Paris
arrive à l'automne 1956 : la France accepte de fournir à
Israël un réacteur nucléaire de 18 mégawatts.
Quelques semaines plus tard, les forces israéliennes envahissent
le Sinaï égyptien pour aider la France et la Grande-Bretagne
à occuper la zone du canal de Suez, après la nationalisation
par Nasser de la Compagnie qui exploitait le canal. Une fois finie
la crise de Suez, pour récompenser Israël, le gouvernement
français envoie ses Réacteur Dimona propres techniciens
pour construire dans le plus grand secret, dans un bunker souterrain
à Dimona, dans le désert du Néguev, un réacteur
nucléaire de 24 mégawatts de puissance. Pour faire
parvenir les composants du réacteur en Israël le gouvernement
français va faire de la contrebande, déclarant aux
douanes françaises qu'ils font partie d'une installation
de dessalement destinée à un pays de l'Amérique
latine. De leur côté, les autorités israéliennes
font de leur mieux pour cacher la nature réelle des travaux
de construction qui sont alors photographiés en 1958 par
un avion-espion américain : sans crainte de se contredire,
elles déclarent d'abord qu'il s'agit d'une usine textile,
puis d'une station agricole et enfin d'un centre de recherche métallurgique...
En même temps, en 1959, elles acquièrent secrètement
de la Norvège 20 tonnes d'eau lourde sur la base d'un contrat,
connu... trente ans après, qui contraint l'acquéreur
à l'utiliser uniquement pour des usages pacifiques. Juste
après, en 1960, le général De Gaulle, craignant
qu'un éventuel scandale affaiblisse la position internationale
de la France en pleine guerre d'Algérie, demande au Premier
ministre israélien Ben Gourion de rendre public le projet
de Dimona. Celui-ci refuse. Le contentieux se résout par
un compromis formel : la France complètera la fourniture
des composants du réacteur et du matériel fissile,
et en échange Israël révèlera l'existence
du réacteur et s'engagera à l'utiliser seulement pour
la recherche nucléaire civile. En décembre 1960 Ben
Gourion annonce au monde l'existence du réacteur, garantissant
que celui-ci sera utilisé à des fins exclusivement
pacifiques.
Le double jeu des Etats-Unis
Dans les années soixante, les Etats-Unis entrent officiellement
[4] en scène et demandent à Israël de soumettre
le réacteur de Dimona à des inspections internationales.
Le gouvernement israélien accepte en posant une seule condition
: les inspections doivent être effectuées par le gouvernement
américain, qui ensuite en communiquera les résultats.
Alors, entre 1962 et 1969, vont arriver à Dimona des inspecteurs
envoyés par Washington. Ignorants ou malhonnêtes, ces
experts ne s'aperçoivent pas que les locaux qu'ils visitent
sont une mise en scène avec de faux instruments qui miment
des processus inexistants du nucléaire civil et que sous
le pavé sur lequel ils marchent, il y a un énorme
bunker de huit étages où l'on construit les armes
nucléaires...
Le président Lyndon Johnson peut alors assurer officiellement
que l'installation est utilisée seulement pour des objectifs
pacifiques. La comédie du nucléaire pacifique continue.
Entre temps, en 1965, une société américaine,
la Nuclear Materials and Equipment Corporation à Apollo (Pennsylvanie)
constate la disparition de 90 kg d'uranium enrichi qui, selon toute
probabilité, sont arrivés en Israël...
A partir de 1967, le nucléaire israélien est braqué
sur les capitales Arabes
L'installation de Dimona devient alors opérationnelle et,
dès 1966 elle aurait commencé à produire des
armes nucléaires. En 1967, Israël dispose probablement
de deux bombes qu'elle déploie secrètement pendant
la guerre des Six jours [5]. Les vecteurs qui peuvent la transporter,
- des avions de chasse-, ont été fournis par les Américains.
Les forces israéliennes se préparent de nouveau à
utiliser les armes nucléaires quand, dans la phase initiale
de la guerre du Kippour, le 6 octobre 1973, elles se trouvent en
difficulté face à l'attaque égypto-syrienne.
La décision est prise secrètement le 8 octobre par
le Premier ministre Golda Meir et par le ministre de la défense
Moshe Dayan : 13 têtes nucléaires de 20 kilotonnes
sont déployées pour être lancées sur
l'Egypte et la Syrie par des missiles Jericho I (construits par
Israël sur projet français) et par des chasseurs-bombardiers
fournis par les Etats-Unis. Par la suite, ce « secret »
sera volontairement divulgué par les services secrets israéliens
pour avertir les pays arabes qu'Israël dispose d'armes nucléaires
et est prêt à les utiliser. C'est ce qu'on appelle
une stratégie de dissuasion. Après la guerre du Kippour,
le programme nucléaire israélien est accéléré
par l'utilisation d'un processus plus rapide pour l'enrichissement
de l'uranium par la miniaturisation des têtes nucléaires
afin que celles-ci puissent être utilisées avec des
canons fournis par les Etats-Unis. Dans les années soixante-dix,
le gouvernement israélien établit une relation secrète
avec un partenaire particulier : l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Ce pays lui fournit au moins 550 tonnes d'uranium et, en échange,
reçoit d'Israël le savoir technologique qui lui permet
de construire des bombes nucléaires.
Ainsi le gouvernement israélien ne se contente pas de développer
ses propres armes nucléaires, il aide en même temps
un autre pays, l'Afrique du Sud, à les construire [6] : il
participe donc à la prolifération des armes nucléaires.
En fait, en refusant d'emblée, dès 1968, de signer
l'accord du TNP au motif qu'on ne peut se fier au système
de contrôle international mis en place par l'AIEA, Israël
manifestait son refus de se voir contrôler par celle-ci et,
ipso facto, démontrait son intention de mener à bien
sans entrave un projet nucléaire militaire qui ouvrait la
voie à la prolifération nucléaire régionale,
à l'échelle de tout le Moyen-Orient jusqu'au Pakistan.
Israël, gendarme militaire du Moyen-Orient
En même temps qu'ils se consacraient au développement
quantitatif et qualitatif de leur propre arsenal nucléaire,
les gouvernements israéliens ont cherché par tous
les moyens de conserver au Moyen-Orient le monopole de ces armes,
en empêchant les pays arabes de développer des programmes
leur permettant un jour de les construire. C'est sur la base de
cet élément stratégique majeur, sûrement
en accord avec Washington, que le 7 juin 1981 Israël lance
une attaque-surprise contre le réacteur nucléaire
Tamouz-1 qui était sur le point d'entrer en fonction à
Osirak en Irak. Pour la première fois dans l'histoire, un
Etat accomplit un acte de guerre selon la doctrine de la première
frappe préventive qui peut détruire par surprise l'essentiel
de l'arsenal stratégique nucléaire de l'ennemi dans
le cadre de la logique de la guerre nucléaire. Vingt ans
avant que les Etats-Unis en fassent officiellement leur doctrine
stratégique... Un plan analogue est, selon toute probabilité,
déjà prêt vis-à-vis de l'Iran que le
ministre des affaires étrangères israélien
accuse le 4 juillet 2003 de « vouloir développer une
arme nucléaire », ce qui constitue, souligne-t-il sans
faiblir, « une menace non seulement pour Israël mais
pour la stabilité du monde entier ». Ainsi le gouvernement
qui donne l'alarme n'adhère pas au TNP - à la différence
du gouvernement iranien - et échappant à tout contrôle
de la part de l'AIEA, est le seul au Moyen-Orient à posséder
des armes nucléaires et à les pointer en permanence
sur les autres pays de la région...
Une stratégie nucléaire globale :
l'axe Etats-Unis-Israël-Inde En septembre 2003, la visite
d'Ariel Sharon en Inde est la première d'un chef de gouvernement
israélien depuis l'indépendance du pays en 1947. Elle
permet de mettre à jour les relations militaires et même
stratégiques qui s'étaient constituées depuis
environ un quart de siècle entre les deux puissances nucléaires
[7] . En fait, c'est en 1998, au moment des essais nucléaires
effectués par l'Inde et le Pakistan, entérinant ainsi
la nucléarisation de l'Asie du Sud, que sont révélés
les contacts clandestins entre l'Inde et Israël en matière
de technologie nucléaire et de missiles. Ces révélations
mettent en lumière l'étroite relation existant entre
les problèmes du Moyen-Orient et ceux de l'Asie du Sud, problèmes
qui ont désormais une dimension nucléaire. Cinq éléments
déterminants apparaissent alors : Israël est la seule
puissance nucléaire qui ne reconnaît pas l'être.
Israël, échappant aux inspections de l'AIEA, a aussi
aidé l'Inde pour son programme d'armes nucléaires.
Le Pakistan, dont le statut nucléaire a été
perçu dans le monde musulman comme un contrepoids positif
à l'arsenal israélien, a craint une attaque préventive
d'Israël sur ses installations nucléaires, en liaison
avec l'Inde. Tandis que l'Inde a publiquement qualifié le
Pakistan et la Chine d'adversaires, la caractérisation de
la bombe du Pakiistan comme « islamique » implique qu'elle
a une double dimension, orientale (l'Inde) et occidentale (le Moyen-Orient).
Les Etats-Unis, à travers la CIA, ont servi de médiateur
pour développer la coopération militaire entre l'Inde
et Israël d'abord dans le domaine des armes conventionnelles,
au milieu des années soixante, et ensuite dans les programmes
nucléaires. La connexion entre les tensions en Asie du Sud
centrées autour du Cachemire avec celles du Moyen-Orient
qui ont comme foyer central l'occupation des terres arabes par Israël
depuis 1967 annonce alors l'ouverture d'un nouveau chapitre extrêmement
préoccupant dans les relations internationales. A partir
de 1998, la situation change en effet quand la droite hindoue non
seulement fait exploser des armes nucléaires mais entreprend
de renforcer ses liens avec les Etats-Unis et Israël, essayant
de créer une nouvelle entente Washington-Tel-Aviv-New-Delhi
contre l'Islam. La coopération militaire entre l'Inde et
Israël s'accélère alors et se renforce. Dès
mars 1998, quelques jours avant que l'Inde entame ses essais nucléaires,
une délégation des industries aéronautiques
israéliennes vient en Inde pour vendre des avions-missiles
sans pilote pour neutraliser l'option nucléaire du Pakistan.
Les attentats du 11 septembre 2001 donneront une nouvelle impulsion
à cette coopération. S'exprimant devant le Comité
juif américain (AJC) à Washington, le conseiller à
la sécurité du premier ministre indien, Brajesh Mishra
plaidera pour « un axe central Etats-Unis-Israël-Inde
pour combattre en commun le terrorisme » [8] . En fait, l'Inde
veut imiter Israël comme puissance nucléaire régionale
disposant d'un prestige international en particulier auprès
des Etats-Unis. Israël considère l'Inde comme un vaste
marché pour son armement et comme un allié contre
« le monde islamique ».
Les Etats-Unis semblent souhaiter une nouvelle configuration stratégique
incluant l'Inde et Israël pour encercler aussi bien le communisme
(chinois) que l'islam. Israël entre ainsi dans une stratégie
nucléaire globale voulue par les Etats-Unis.
Vers une guerre nucléaire au Moyen-Orient ?
Cela dit, Israël reste toujours dans une sorte de limbe nucléaire
et il faut bien mesurer son intérêt de maintenir ce
flou. Quel en est l'avantage ? Les ennemis ne savent pas exactement
ce qu'il possède et il en résulte un certain effet
de dissuasion. D'autre part, les Etats-Unis peuvent continuer officiellement
à appuyer Israël sans être accusés d'abandonner
leur politique officielle de non-prolifération. D'où
cela vient-il ? D'un compromis - révélé très
récemment - datant de 1969 entre les Etats-Unis et Israël,
signé entre Golda Meir et le gouvernement de Washington.
En résumé, les Américains s'abstiennent de
faire pression sur Israël pour qu'il signe le TNP ; en échange,
Israël s'engage à maintenir l'ambiguïté
pour éviter d'avoir à répondre précisément
devant la communauté internationale de cet armement nucléaire.
Pour l'avenir, quelle peut être la stratégie nucléaire
israélienne ? Pour l'appréhender, on peut distinguer
deux temps : Le temps des années quatre-vingt-dix avec la
perspective d'un compromis de paix (Oslo). Le temps de l'abandon
du processus d'Oslo par le gouvernement Sharon, articulé
sur l'accélération de l'évolution américaine
après le 11 septembre 2001.
La première phase a été conditionnée
par la première guerre du Golfe avec les quarante-deux missiles
Scud lancés par l'Irak sur Israël. À partir de
ce moment, la menace a été pensée par les stratèges
israéliens comme pouvant venir de loin, émanant d'Etats
non limitrophes d'Israël (alors qu'on espérait un processus
de paix qui aurait inclus la Syrie voisine). Désormais la
menace était constituée par des missiles balistiques
pouvant atteindre le territoire israélien avec - ou non -
des têtes nucléaires. La réponse officielle
d'Israël est « simple » : fabriquer des missiles
antimissiles, les fameux Arrow, et, plus récemment, les Patriot,
avec les Américains.
C'est la réaction stratégique officielle. Mais en
réalité Israël préparerait une riposte
en deuxième frappe à partir de sa flotte de sous-marins
d'origine allemande avec des missiles de croisière dotés
de têtes nucléaires. Une stratégie de dissuasion
à la française justifiée par le fait que les
Etats-Unis n'ont pas pu empêcher le Pakistan d'avoir sa bombe
et qu'il faut en tirer les conséquences. Jusqu'à ce
moment, l'arme nucléaire israélienne était
présentée comme le dernier recours au cas où
les armées arabes auraient subverti complètement les
frontières de l'Etat hébreu. A ce moment-là
on utiliserait en dernier recours l'arme nucléaire contre
les pays qui auraient envahi le territoire israélien. Mais
aujourd'hui, si l'adversaire « islamique » détient
l'arme nucléaire, la réflexion stratégique
est bouleversée. Il faut donc préparer une «
défense préventive » à long rayon d'action.
Cela signifie en réalité que l'on peut envisager une
espèce d'attaque préventive pour empêcher cette
attaque nucléaire par un pays ennemi. Il faut donc se doter
de cette capacité d'attaque préventive contre les
missiles ennemis avant que ceux-ci ne soient lancés. L'échec
du processus de paix d'Oslo, la venue au pouvoir de George W.Bush
- ce « Sharon global » et de Sharon, l'alliance étroite
entre l'extrême droite israélienne et l'extrême
droite américaine assombrissent de manière dramatique
l'horizon stratégique. La course à l'armement nucléaire
(mais aussi aux armes chimiques) s'en trouve accélérée
et la doctrine d'emploi du nucléaire s'élargit beaucoup.
Déjà la guerre contre l'Irak a été potentiellement
nucléaire. En effet, les Etats-Unis ont dit que l'option
nucléaire était ouverte. Des centaines d'armes nucléaires
tactiques ont été déployées autour de
l'Irak. Il y a donc cette ambiance lourde qui s'installe dans la
mesure où Bush, avec l'accord et parfois la pression de Sharon,
entend régler militairement les problèmes au Moyen-Orient.
Aujourd'hui, le nucléaire israélien représente
une menace principale pour la paix au Moyen-Orient. On ne peut concevoir
un processus de paix au Moyen-Orient avec un pays qui met en joue
tous ses voisins avec ses armes nucléaires. Le Moyen-Orient
constitue, avec le pôle Inde-Pakistan, la zone la plus critique
concernant l'avenir de la prolifération nucléaire.
Israël se trouvera à l'avenir face à un certain
nombre de défis liés au développement régional
d'armes non conventionnelles (chimiques et/ou nucléaires)
[9] . La situation pourrait se révéler bientôt
intenable pour Israël. L'opération Osirak pourrait devenir
une sorte d'impératif stratégique de la politique
israélienne soucieuse de rester le gendarme nucléaire
dans la région. On imagine les risques de cette situation.
La garantie définitive contre la prolifération nucléaire
au Moyen-Orient est à rechercher sur le plan politique dans
la solution des problèmes de la zone, à commencer
par la question palestinienne. Dans l'immédiat, il est évident
qu'il faut établir un haut niveau de contrôle international
sur les activités des pays proliférants. Ce problème
concerne au premier chef le nucléaire israélien.
Après l'Iran, où l'Europe semble avoir imposé
pacifiquement un arrêt du nucléaire militaire, pourquoi
Israël, considérée par l'opinion européenne
comme une menace prioritaire pour la paix, ne pourrait-il pas être
l'objet d'une demande d'inspection internationale de ses installations
nucléaires ?
Les dangereux préparatifs nucléaires de Tel-Aviv contre
l'Iran
Au moment où l'AIEA refuse l'exigence américaine
de voter des sanctions contre l'Iran qui a accepté de signer
le protocole additionnel du TNP, un autre acteur entend agir indépendamment
de toute résolution de l'AIEI : Israël, qui a évoqué
« les inquiétantes tentatives de Téhéran
» (Le Monde, 28 novembre 2003). En fait, le gouvernement israélien
est en train de militaire contre les installations nucléaires
civiles iraniennes. Selon le Jerusalem Post du 23 novembre, Ariel
Sharon a annoncé à la radio de l'armée qu'il
voulait « prendre personnellement la direction des activités
israéliennes face à l'effort nucléaire iranien
». Dès le 12 novembre, à Washington, le ministre
israélien de la défense, Shaul Mofaz, a déclaré
qu'avec son programme nucléaire « l'Iran peut atteindre
le point de non retour d'ici un an et[qu']Israël ne lui permettra
pas de développer des armes nucléaires ». Le
17 novembre, le chef du Mossad, Meir Dagan, a affirmé devant
une commission parlementaire que le programme nucléaire iranien
« constitue la plus grande menace qu'Israël ait jamais
affrontée ». Le plan d'attaque est déjà
prêt : dès juin 2002, la revue Jane's a annoncé
qu'« Israël lancera presque certainement une attaque
préventive contre l'infrastructure iranienne de recherche
et de développement nucléaire », ajoutant que,
pour ce raid, « Israël aurait, selon toute probabilité,
l'appui couvert des Etats-Unis ».
Quatre compléments à cet article : Sondage de la
CNN (Nucléaire & Israël) / Mordechaï Vanunu
: (Nucléaire & Israël) / L'ONU (Nucléaire
& Israël) / Le « Pacte de Genève » (Nucléaire
& Israël) préparer le terrain pour une action
[1] Jacques Isnard, « Les Etats-Unis légitiment la
mini-bombe nucléaire », Le Monde, 26 novembre 2003
[2] Haaretz, 8 octobre 2003
[3] Le traité de non prolifération des armes nucléaires
de 1968 engage les Etats dotés d'armes nucléaires
à ne pas les transférer à d'autres (article
1) et les Etats qui n'en possèdent pas à ne pas en
recevoir ou à ne pas en construire (art. 2), en se soumettant
aux inspections de l'Agence internationale pour l'énergie
atomique (AIEA), chargée de vérifier que les installations
nucléaires sont utilisées à des fins pacifiques
et non pour la construction d'armes nucléaires (art. 3)
[4] Sur les rapports Etats-Unis-France-Israël en matière
nucléaire, le livre de Dominique Lorentz intitulé
Affaires atomiques, paru en 2001 aux éditions Les Arènes,
éclaire d'un jour nouveau cette connexion. Il montre en particulier,
à partir du rôle dans le projet Manhattan des physiciens
juifs immigrés aux Etats-Unis, que « considérer
la coopération franco-israélienne comme l'aventure
de deux Etats indépendants est un non-sens » (p. 53)
Le rôle des Etats-Unis dans les programmes nucléaires
israélien et français a été décisif.
Il semble même que le programme français ait bénéficié
d'une assistance technologique d'Israël (par exemple pour l'eau
lourde)
[5] Avant cette guerre, l'Egypte avait cherché à obtenir
de l'Union soviétique des armes nucléaires, mais Moscou
avait refusé.
[6] En 1975, deux essais conjoints israélo-sud-africains
ont eu lieu dans le désert du Kalahari et il y a eu en 1979
un essai sur l'océan Pacifique. Ainsi Israël a pu vérifier
la fiabilité de ses armes sans les tester sur son propre
territoire, ce qui aurait constitué un aveu indiscutable
[7] Sur l'histoire des relations militaires entre l'Inde et Israël,
voir l'article de Dilip Hiro dans le Middle East International,
19 juin 1998.
[8] Le Monde, 11 septembre 2003 [9] Voir l'annonce récente
de la coopération nucléaire entre le Pakistan et l'Arabie
Saoudite (Courrier International n° 681 du 19-26 novembre 2003).
Un accord secret existe probablement pour cette coopération
sur la base du schéma Oil-For-Nukes : pétrole saoudien
contre technologie et savoir-faire nucléaire pakistanais.
Article du 28 novembre 2003 publié dans Pour la Palestine
n°40 (décembre 2003).
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75011 Paris
afps@france-palestine.org
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