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Origine : http://www.uzine.net/article212.html
http://severino.free.fr/archives/copieslocales/internetcommemachinedeguerre.html
« En attendant les flics, la cybernétique »,
pouvait-on lire sur les affiches de Nanterre, en 1968. Or l’internet,
fils de ladite cybernétique, pourrait bien représenter
au contraire une mutation sans précédent dans l’expression
de l’esprit humain en général et dans la lutte
contre ses policiers, douaniers et usuriers en particulier.
1. En suivant Guy Debord, on peut considérer l’âge
de l’information et de la communication comme l’entrée
de l’humanité dans l’ère du « spectaculaire
intégré » - à la fois concentré
dans son mode de production et diffus dans son mode de consommation
-, c’est-à-dire la substitution du monde représenté
au monde vécu. Le monde de plus en plus globalisé
se fragmente en individus de plus en plus isolés face à
des instruments de pouvoir de plus en plus perfectionnés
dont la finalité est le conditionnement des esprits, l’assujettissement
des corps, l’aliénation du temps libre ou serf, la
destruction de la distance objective ou subjective. Cette vision
n’est que partiellement exacte - la première preuve
résidant dans le fait que vous êtes en train de lire
ce texte - et, poussée dans sa logique extrême, elle
aboutit à une vision gnostique (ou névrotique, comme
l’on veut) d’un monde définitivement et irrémédiablement
dominé par le Mal.
2. Il serait erroné de ne voir dans la morne réalité
de l’Occident globalitaire que la seule extension de l’idéologie
capitaliste aux marchandises nouvelles que sont hélas devenus
l’information, les loisirs, les divertissements, la culture,
etc. L’élément déterminant des quatre
derniers siècles n’est pas le surgissement de l’Etat
national-bourgeois ni l’établissement du marché
mondial, mais l’ensemble des techniques qui ont permis l’émergence
de ces phénomènes. La loi norme et décide,
le capital circule et s’échange : seule la technoscience
opère la transformation réelle du monde.
3. Que les mutations technologiques récentes se soient épanouies
dans le cadre du système capitaliste ne relève pas
d’un rapport de cause à effet, mais plutôt de
synergie : l’un et l’autre se procurent les moyens de
leur renforcement mutuel. A l’investissement risqué
dans la recherche et le développement répond l’optimisation
de la circulation du capital, l’amélioration des moyens
de production et l’élargissement des offres de consommation.
Du point de vue philosophique et historique, l’inscription
marchande de la technoscience n’est pas la problématique
essentielle : on peut très bien imaginer la technique sans
marché, mais non l’inverse dans la mesure où
le marché ne s’est développé qu’à
proportion des innovations technologiques permettant la réalisation
concrète de son principe d’équivalence universelle,
lequel suppose l’abolition physique des contraintes de temps
et d’espace. Au degré le plus élémentaire,
la gestion biologique et psychologique d’un stock suffisant
de producteurs et de consommateurs est la condition première
de l’extension de l’échange.
4. Le fait majeur des cinq derniers siècles est le suivant
: entre 1500 et 2000, l’humanité est passée
de 500 millions d’individus regroupés en isolats politico-culturels
à 6 milliards d’individus placés en interconnexion
technologique permanente, 80 % de cette évolution quantitative
et qualitative s’étant accomplis au cours du seul XXe
siècle.
5. La propension de la technique à s’organiser en
« système autonome » est un topique de la réflexion
philosophique et sociologique, qui a notamment été
popularisée par les travaux de Jacques Ellul. Rappelons sa
définition du système : « Le système
est un ensemble d’éléments en relation les uns
avec les autres de telle façon que toute évolution
de l’un provoque une évolution de l’ensemble
et que toute modification de l’ensemble se répercute
sur chaque élément [...] Les éléments
composant le système présentent une sorte d’aptitude
préférentielle à se combiner entre eux plutôt
qu’à entrer en combinaison avec des facteurs externes
[...] Les facteurs agissant modifient les autres éléments
et l’action n’est pas répétitive, mais
constamment innovatrice. Les inter-relations produisent une évolution
[...] Le système en tant que globalité peut entrer
en relation avec d’autres systèmes, avec d’autres
globalités ». La technique présente ainsi les
cinq caractéristiques propres à un système
dynamique ouvert : autonomie, unité, universalité,
complexité et totalisation. Ces qualités se sont trouvées
récemment optimisées par l’invention de l’informatique,
dont l’objet est précisément de produire un
langage formel permettant la mise en relation instantée de
l’ensemble des éléments d’un système
ou de plusieurs systèmes entre eux.
6. Selon la théorie des systèmes, les phénomènes
émergents - c’est-à-dire les qualités
nouvelles d’une totalité ne préexistant dans
aucune de ses parties - surgissent lorsque sont franchis certains
seuils de complexité. La conscience humaine, par exemple,
proviendrait d’un accroissement du nombre de neurones et connexions
synaptiques dans le cerveau d’une lignée de primates
individualisée voici quelques 3 ou 4 millions d’années.
L’avènement du cyberespace, pensé et organisé
comme système, augmente la probabilité que l’humanité
parvienne à de tels seuils de complexité, donc que
des phénomènes émergents traversent la planète
au XXIe siècle. A condition de maintenir la complexité,
c’est-à-dire l’interconnectivité des agents
individuels : ce que les Etats et les marchés ne désirent
pas nécessairement, puisqu’une large partie de leur
pouvoir procède de la fragmentation.
7. La dimension systémique de la technique a été
souvent interprétée comme la « preuve »
de son caractère potentiellement inhumain, cette crainte
étant alimentée par l’archétype mythique,
puis littéraire de la créature qui échappe
à son créateur ou de l’innovation qui se retourne
contre ses bénéficiaires : ravages du Golem, punition
de Prométhée, boite de Pandore, damnation de Faust,
folie de Frankenstein, déshumanisation du monde orwellien,
domination des robots, etc.. Inversement, le système technicien
alimente l’imaginaire utopique (cette fois progressiste et
optimiste) de la régulation mécanique parfaite de
l’univers, de la société et de l’individu
: la cité du soleil de Campanella, le dieu-horloger de Leibniz,
la mathesis universalis de Descartes, l’homme-machine de La
Mettrie, le gouvernement des experts d’Auguste Comte, etc.
L’internet n’échappe pas à ces interprétations
naïves ou caricaturales : flicage de la planète pour
les uns, démocratie du village mondial pour les autres. En
vérité, l’internet sera - est déjà
- l’un et l’autre à la fois, c’est-à-dire
un territoire de lutte où s’entrechoqueront des valeurs
nées à l’âge des scribes.
8. Le caractère systémique de la technique découle
de la nature de l’esprit humain qui la conçoit : dès
lors que, dans l’évolution de notre espèce,
le langage a permis la transformation de la mémoire et de
l’expérience individuelles en mémoire et expérience
collectives, dès lors que l’écriture a dissocié
de la tradition orale la transmission des savoirs et la théorisation
des expériences, la technique ne pouvait se développer
que de manière cumulative, tendant vers l’amélioration
de ce pour quoi elle est destinée (efficacité, opérativité).
Dès le paléolithique, on constate par exemple que
les nouvelles techniques de taille de silex se répandent
rapidement à tous les groupes humains, supplantant des habitudes
plus anciennes, mais plus rudimentaires, donc moins efficaces. Toutefois,
bien qu’elle soit orientée vers des finalités
pratiques bien précises en tant qu’expression de notre
rationalité instrumentale, la technique n’évolue
pas pour autant de manière strictement « progressiste
». Nous avons plutôt affaire à un buissonnement
complexe comparable à l’évolution du vivant,
certains rameaux se développant prodigieusement quand d’autres
stoppent momentanément ou définitivement leur croissance.
L’innovation de l’internet consiste dans l’accumulation
et l’interconnexion tendancielle de tous les éléments
accumulés dans les mémoires humaines et stockés
dans les mémoires artificielles. Mais ces mémoires
mortes ne seront que des alignements binaires de signes sans les
consciences vives appelées à les féconder.
9. L’internet sera soumis aux lois d’évolution
: variation-stabilisation (physique) ou mutation-sélection
(biologie). Ce qui sera sélectionné ne sera pas le
meilleur, ni le pire : cela sera le mieux adapté au nouvel
environnement biocybernétique.
10. A titre métaphorique, on pourrait dire que le rapport
de l’homme à la technique est comparable au rapport
de l’homme au langage : nous sommes physiologiquement et génétiquement
prédisposés à l’utilisation du langage
articulé, nous héritons d’une langue particulière
que nous n’avons pas choisie mais qui conforme notre manière
de pensée, nous en ignorons certains mots et syntagmes, nous
en redécouvrons d’autres, nous en inventons même
qui se répandront peut-être ou bien seront à
leur tour oubliés, nous pouvons changer de langue sans pouvoir
changer le mode d’organisation du langage humain. Dira-t-on
pour autant que l’homme est « prisonnier » du
langage, « aliéné » par l’autonomie
de ce mode d’expression, « impuissant » devant
son évolution, « soumis » à son implacable
logique systémique ? L’homme n’a jamais eu la
possibilité de « choisir » son système
technicien : par définition, nous héritons toujours
de l’ensemble des techniques qui nous ont été
transmises. En revanche, à chaque génération,
un individu ou une communauté est libre de refuser cet héritage
ou d’y exercer un droit d’inventaire.
11. La colonisation du « monde vécu » par la
rationalité instrumentale (Marcuse, Habermas) n’obéit
donc pas à une fatalité, mais répond plutôt
à une facilité : pour la grande majorité des
Occidentaux, il est ainsi plus pratique d’avoir un téléphone
que de n’en pas disposer, plus rassurant d’user des
antibiotiques que de laisser son corps se défendre tout seul,
plus efficace de prendre un calmant que de se livrer à un
exercice de relaxation, plus désirable de parcourir le monde
que de rester enfermé chez soi, etc. A partir d’un
certain seuil de contreproductivité, la somme de ces comportements
individuels aboutit presque toujours à des nuisances collectives,
qui produisent en retour une modification des comportements individuels.
Que nous jugions de tels comportements souvent médiocres
- toujours plus de jouissances faciles, de confort tiède,
de liberté égoïste, d’agitation vaine -
n’est plus un problème technologique, mais axiologique
: le tort en incombe à une idéologie dominante qui
se satisfait d’une masse d’individus égaux dans
la nullité d’une vie privée de substance. L’internet
n’a pas ici vocation à supplanter d’autres modes
d’éducation : le cyberespace n’est pas un lieu
de formation des individus, mais un lieu d’échange
des individus déjà formés par une culture une
religion ou une idéologie particulière, des expériences
personnelles ou collectives, des situations subies ou construites,
etc.
12. Si Debord n’a pas entièrement tort, si le pouvoir
traverse désormais notre corps comme notre esprit, l’internet
pourrait bien représenter la plus gigantesque machine de
guerre jamais levée contre le spectaculaire intégré.
Son autotransformation en plurivers de pensées et de désirs
dressés contre la normalisation tiède du globe dépend
de toi et de moi.
Cathexie
Répondre à cet article
> Internet comme machine de
26 février 2002, message de so
Bonjour, je me présente, étudiante en école
d’architecture je prépare actuellement un mémoire
de quatrième année sur la déterritorialisation.
Je n’ai pas nécessairement besoin de relier la déterritorialisation
a la pensée de l’espace d’un point de vue architectural,
et d’ailleurs je me suis naturellement orientée vers
un thème plus sociologique qui doit porter sur les "taz".
Mes réflexions me conduisent a penser les actions de luttes
militantes modernes comme une (ou des) machine de guerre au sens
ou l’entendent Deleuze et Guattari dans "mille plateaux",
donc a une organisation non organisée se rapprochant du mode
nomade (c’est la ou on peut se rapprocher du texte d’Hakim
Bey sur les zones autonomes temporaires). ma bibliographie est assez
courte, il s’agit de "histoire politique et barbelés"
de Olivier Razac, "l’espace critique" de Paul virilio,
"l’insécurité du territoire" de Paul
Virilio et "capitalisme et schizophrenie 2, mille plateaux"
de Gilles Deleuze et Felix Guattari. Je fais egalement des recherches
sur les textes publies sur differentes pages de sites proches des
mouvements millitants anti-globalisation et libertaires, et j’ai
observe pendant six mois les relations electroniques d’une
mailing-list du meme milieu, m’interessant plus au manieres
de s’organiser sur un espace de type mailing-list plutot qu’au
contenu meme des messages.
toutes ces lectures doivent etre mises en relation avec l’observation
du "no-border, no-nation, f*ck the police" de strasbourg
en juillet prochain, prenant cet evenement comme exemple reel de
zone temporaire autonome, si toutefois on peut nommer ainsi ce rassemblement.
ma demande d’aide intervient la, comment construire le memoire,
quelle problematique donner a cet ensemble d’evenements ?
est-ce que l’observation de tous ces evenements n’est
pas vain ? et dans ce cas que dire de la deterritorialisation ?
j’aimerai bien avoir un avis exterieur parceque la, j’ai
mal au crane. aïe :(.
signe So qui sait plus penser
Répondre
> Internet comme machine de guerre
26 octobre 2000, message de Lefayot
Cher Cathexie,
Ton article est très bien, mais à mon avis légèrement
entaché d’un réformisme koulak assez préjudiciable.
S’il est vrai que le déterminant de l’histoire
récente n’est pas tant l’extension du système
marchand que l’émergence de la techno-structure, et
s’il est important de le souligner, il faut éviter
de faire preuve d’un angélisme de mauvais aloi.
En effet, et contrairement à ce qui est évoqué
vers la fin de l’article, internet (ou en général
la technique – ou plutôt les objets techniques) ne seront
pas ce que nous en feront in fine. La possibilité de feedback
des utilisateurs finaux sur l’amont - la production - est
en pratique assez faible, ne fusse que parce que l’offre précède
toujours la demande comme on a un peu trop tendance à l’oublier.
De surcroît, l’autonomisation de la techno-science
fait système, ainsi que tu l’as rappelé. Dans
ces conditions, l’argument selon lequel les consommateurs
plébiscitent tel ou tel artefact parce que ça leur
simplifie la vie est plutôt tautologique. En effet, que signifie
« faciliter la vie », sinon, permettre une meilleure
efficience au sein d’un univers d’artefacts techniques
? On s’en serait douté. Ainsi dans le cas de l’internet,
le nombre de nouveaux utilisateurs croit (de manière plus
que linéaire) de plus en plus vite à mesure que le
nombre d’usagers « installés » est important.
Jusqu’au moment où vivre sans internet présentera
de telles contraintes qu’il deviendra impossible de faire
l’impasse dessus. Résumons-nous : * Dans un premier
temps, un petit nombre de mordus s’intéressent à
Internet. * Dans un second temps, via la pub et un phénomène
de rivalité mimétique, le nombre d’usagers croit,
mais pas très vite encore. * Par un phénomène
de feedback, le nombre d’usagers ne cessent d’augmenter,
jusqu’au moment où il est impossible de ne pas être
connecté (nous entrons dans cette phase).
Au final on ne voit pas où a été le «
pratique » de la démarche. Le pratique pose la question
de l’efficience, laquelle est intimement liée au cadre
de référence (le monde) au moment T. Cela pose aussi
la question du désirable (pourquoi vouloir aller se balader
sur les routes, et donc pourquoi avoir une voiture ?). Et le désirable
ramène encore au référent (n’est désirable
que ce qui a été désigné comme tel).
Evidemment, certaines techniques ne « marchent » pas
(le DCC disons), mais ce n’est pas très grave : d’autres
sont là pour alimenter la boucle. Autonomisée, la
techno-science vomit sans fin ses items, et s’il est possible
à la rigueur de choisir tel ou tel objet, il est pratiquement
impossible de ne pas choisir du tout, surtout lorsque l’un
d’eux se voit érigé au rang de norme (on remarquera
l’emploi non innocent de ce terme). L’important c’est
que ça débite.
Enfin, et c’est à mon avis le plus gênant, comparer
la techno-science au langage revient insidieusement à naturaliser
la techno-science, et à en faire une fatalité dont
il faudrait prendre les bons cotés (le plus drôle,
c’est qu’une des prétentions de la TS est de
s’affranchir de la nature). Or si la TS est un fait culturel
(la TS n’existe qu’en Occident, il faut le rappeler),
le langage est – au moins en première instance –
un phénomène naturel, justement. Et si la possibilité
d’un langage articulé existe chez tout homo sapiens,
la même fatalité ne s’applique pas à la
TS.
Il n’y a pas de fatalité, mais un simple effet systémique
qui veut que plus la TS s’insinue dans les interstices de
la vie, plus elle s’insinue. Et plus le temps passe, moins
il y a possibilité de faire machine arrière.
Pour finir j’ajouterais que l’Internet n’est
à mon avis pas destiné à un avenir kitsch et
grandiose : ni outil de paix parmi les hommes tous frères
(même pour les très solvables), ni matraque soft à
bigbrotherisation, il ne deviendra à mon avis qu’un
truc très ennuyeux comme la télé, pas sexy
du tout, mais de ce fait extrêmement prégnant et fondamental
dans la vie quotidienne.
Lefayot
Répondre
Déplier > Internet comme machine de guerre, 26 octobre
2000
Cher Lefayot,
Sur l’offre et la demande Ton objection est juste en ce qui
concerne l’appareillage matériel et logiciel nécessaire
à la circulation de l’information. Mais la production
et la consommation de cette information elle-même se trouvent
bel et bien horizontalisées par l’internet, ce qui
permet plus de feed-back qu’à l’âge vertical
de la communication. Un exemple : Nike peut beaucoup plus facilement
acheter le silence de trente chaînes de télévision
que de trois cents millions d’individus connectés à
l’internet sur la manière dont ses chaussures sont
fabriquées dans le tiers-monde. Encore faut-il, me diras-tu,
que de telles informations soient dénichées sur le
net, parmi des milliards d’autres : c’est ici le rôle
des communautés virtuelles que de créer des réseaux
auto-organisés de contagion de l’information - puis,
mais c’est un autre débat, de passage du virtuel au
réel.
Sur le désir et sa référence Ta remarque est
là encore très pertinente. Je doute cependant que
la technoscience parvienne jamais à réduire nos désirs
à sa nécessité propre, c’est-à-dire
à la reproduction de l’efficience. En l’occurrence,
c’est plutôt la question du capitalisme qui est ici
ouverte : un immense détournement de nos désirs vers
la marchandise et le spectacle désirables.
Sur la naturalité de la technique La métaphore du
langage tend en effet à naturaliser la technique, pour cette
raison que la technique me semble avoir partie liée avec
notre destin biologique. Elle est en effet un produit de notre esprit-conscience
(le " mind " des sciences cognitives), qui est lui-même
l’un des points d’aboutissement (provisoire) les plus
étonnants de l’évolution : à la fois
déterminé par des contraintes génétiques
et totalement ouvert aux expériences du monde. Si la conscience
est dès l’origine conscience et refus de la mort, alors
la technique est une forme de la vie, comme son langage est un langage
de notre existence. (On retrouve ici le désir évoqué
ci-dessus, au sens brut et premier de désir de survivre).
En tant que seconde nature, elle n’est guère plus tendre
avec nous que la première. Mais l’humanité s’adaptera
aux catastrophes technologiques comme elle s’était
adaptée aux catastrophes naturelles : en les subissant souvent,
en les maîtrisant parfois.
Sur la fatalité La fatalité et l’effet d’entraînement
systémique dont tu parles ne sont-ils pas au fond deux désignations
du même phénomène, l’une datant de l’âge
mythologique, l’autre de l’âge technologique ?
L’effet systémique est certes de nature probabiliste,
mais quand la probabilité tend vers O ou vers 1, elle tend
du même coup à se confondre avec la fatalité.
Sur l’avenir de l’internet Contrairement à toi,
j’y vois plutôt qu’un simple " truc "
surajouté aux autres dispositifs de communication. Son caractère
intrinsèquement interactif - contrairement à la radio
et à la télé, par exemple, où tu absorbes
passivement des informations - et sa dimension englobante - absorption
des autres médias par la numérisation - en font l’embryon
d’une sorte de " média total " dont le contrôle
n’aura plus aucun sens, contrairement à celui des médias
partiels, en situation de concurrence, donc de luttes de pouvoir
politique et économique. Ceux qui rêvent aujourd’hui
de brider l’internet sont ceux qui voient en lui une menace
potentielle sur les positions de force qu’ils occupent déjà
dans le spectaculaire intégré.
Cathexie
Répondre
Déplier > Internet comme machine de guerre, Lefayot, 30
octobre 2000
Cher Cathexie.
Ce que vous dites est vachement beau et pour un peu j’en
oublierais que vous avez tort.
Pour ce qui est du mieux de l’information qu’offre
le net, c’est un sympathique leurre. Au temps de la télé
dominante, la vérité pouvait exister sur des petits
dazibaos ronéotypés qu’il était (tres)
difficile à trouver. A l’epoque de internet-all-over-the
world (c’est pour demain), la vérité se trouvera
sur un site parmi 12345678945613, et ça presentera toujours
autant de difficultés à la trouver. Sans compter que
les gens regarderont TF1.com, et qu’on ne regarde de toute
façon pas TF1.com pour être informé. D’ailleurs,
même maintenant, qui utilise le net comme moyen d’information
(moyen alternatif, veux-je dire ?). Tout cela pour dire que le probleme
n’est pas tant la difficulté technique pour trouver
l’info (encore que ce ne soit pas à négliger),
mais le simple désir de vouloir le faire.
Pour ce qui est désir, justement, ce que je veux dire, c’est
que - selon moi - le désir n’existe pas de manière
transcendante. Pour désirer quelque chose (ou quelqu’un),
il faut déjà qu’il ait été désigné
comme tel. Par qui ? C’est une bonne question à laquelle
je ne vais pas répondre pour le moment. Mais cela me permet
de dire que sur ce plan, le capitalisme n’a rien perverti
du tout, mais a simplement fait sur une échelle industrielle
sur qui était fait artisanalement avant (pointer les objets
de désir).
Quant à la technique qui serait notre « destin biologique
», je m’esclaffe avec une hilarité propre à
me dessouder les articulations. Déjà l’emploi
des mots « destin » et « biologique » est
un programme à lui tout seul. Soyons sérieux : si
c’était vraiment le cas, la techno-science existerait
ou serait au moins émergente dans toutes les cultures. Ce
qui n’est evidemment pas le cas. On peut même dire que
le developpement de la techno-science en un lieu donné passe
par l’aculturation des autochtones. Alors evidemment, on pourrait
emettre l’hypothèse, que l’homo sapiens possède
un gène de la technique qui n’a pu se développer
que dans un contexte favorable, celui de l’Occident (avec
un grand ’O’, SVP). Et la marmotte elle met aussi le
chocolat dans le papier alu ... Bon, sans rire, il faut en finir
avec la mystique, avec le sublime, quels qu’ils soient, et
cesser de se dessiner des jolis arrières-mondes. L’émergence
de la TS est strictement contingente ; du fait de l’inertie
et de l’effet cumulatif, elle tend à s’imposer
comme une sorte d’évidence naturaliste. C’est
une escroquerie intellectuelle ! Autant conclure à la naturalité
de l’alphabet (latin) sous pretexte que bientôt tout
le monde en utilisera un ...
Pour ce qui est du futur de l’internet, on ne s’est
pas bien compris. Je pense aussi qu’il est promis à
un bel avenir, et qu’on n’a même pas idée
des applications qui « tourneront » dessus, pour la
simple raison qu’il s’agira de services qui n’auront
de pertinence que dans l’espace d’un internet «
developpé ». Ce qui est d’ailleurs la meilleure
des raisons pour foutre tous nos cyber-gourous sur le bûcher.
Je voulais simplement dire que - comme la télé - il
permettra à une armée de sociolaugues d’enfiler
des banalités avec le jargon ad hoc, mais que du point de
vue de l’utilisateur, il sera au quotidien d’une banalité
à pleurer. Qu’y a t’il de moins sexy, de moins
spectaculaire que la télé de nos jours ? C’est
d’ailleurs pourquoi la mode (finissante ; ouf !) du cyberpunk
est une couillonade qui ne pouvait avoir inspirer qu’un tri-neuroné
comme Dantec (ou ses épigones).
La bise à toute la famille
Lefayot.
Répondre
Déplier > Internet comme machine de guerre, 30 octobre
2000
Cher Lefayot,
Sur la surinformation
Oui, il sera difficile de trouver une information sur 1,277,654,678,987
autres. Toujours est-il qu’aujourd’hui, lorsque vous
cherchez une info sur un moteur, TF 1 ou CNN n’ont pas énormément
de moyens disponibles pour que leur version soit prioritaire sur
n’importe qu’elle autre. En d’autres termes, l’info.
alternative est plus facile à dénicher que celle des
samizdats et dazibaos papiers et passés. Encore faut-il en
effet en avoir le désir...
Sur le désir
Nous sommes 100 % d’accord : pas de transcendance, pas d’arrière-monde.
Et des objets vendus de manière industrielle (ce que l’on
appelait le « fétichisme de la marchandise »
à l’époque où les gros mots étaient
autorisés).
Sur la technique
Pas d’accord du tout. Bien sûr, il n’y a pas
« un » gène de la technique, pas plus qu’il
n’y a « un » destin technicien. Mais a) la technique
est bel et bien émergente dans toutes cultures (asiatiques,
européennes, africaines, etc.) et cela depuis les origines
de l’humanité ; b) son développement historique
est codifié par des récits religieux, idéologiques
et culturels qui peuvent lui être favorables ou défavorables
(seul l’Occident a donné naissance à ce complexe
technocientifique ayant pour vocation de coloniser le monde, donc
de détruire tout ce qui menace d’échapper à
un projet de mobilisation totale des ressources et des énergies
disponibles) ; c) elle traduit la situation biologique de l’homme
dans le monde, à savoir la condition de survie d’un
être dépourvu de défenses naturelles (griffes,
crocs, fourrure, vitesse de course, etc.), dont les sens comme les
instincts sont largement émoussés par rapport à
ceux des animaux (odorat, goût, ouïe, phéromones)
et dont le seul vrai signe distinctif est la complexification prodigieuse
du cerveau, qui a permis l’émergence de la conscience
et du langage articulé. Je n’en déduis pas de
cela qu’il faut accepter tout nouveau développement
technologique comme une fatalité !!! Mais inversement, je
doute de la pertinence des discours (eux aussi très à
la mode) selon lesquels tout serait « socialement construit
» : le petit homme moderne a beau croire dur comme fer à
son autonomie, il est aussi le fruit tardif d’une évolution
qui ne l’a pas attendu. Mais c’est un autre débat.
Concluons avec Spinoza : « Plus je me sais déterminé,
plus je suis libre ».
Sur l’internet
Oui, l’internet deviendra sans doute d’une banalité
consternante (ce qu’il est déjà pour partie)
dans son usage majoritaire (comme, hélas, tout usage majoritaire
devient vite banal dans la mesure où le nombre fixe la norme,
et la norme appelle l’ennui). Non, il ne se résumera
pas à cela : même si les cybergourous ont tort d’y
voir une fantasmatique « nouvelle genèse », je
pense que la simple comparaison avec les autres médias atteint
vite ses limites. Où est l’interactivité de
France 2 ? Où sont sur Europe 1 les forums comparables à
celui où nous parlons ici ? Vous aurais-je jamais connu -
du moins échangé avec vous des arguments - si nous
avions seulement été tous les deux lecteurs isolés
du Monde ou du Figaro ? Où pourrais-je m’exprimer sans
argent si je n’appartiens par ailleurs à aucun des
clans et réseaux bien établis de l’édition
papier ? Où trouverais-je des infos gênantes sur les
multinationales ou les Etats qui surveillent les médias dominants
? Comment serais-je informé de manière quasi-instantanée
des mobilisations sociales/informationelles qui m’intéressent
aujourd’hui ? Etc.
Bien à vous,
Cathexie
Répondre
Déplier > Les robots produisent-ils du jus de crâne
?, Marcel Hovelacque, 21 février 2003
La méthode Coué fait des ravages ?! L’ironie
veut que ces mêmes soixante-huitards se soient réappropriés
la cybernétique quelques années après...confusion
volontaire ?
Soyons sérieux : même Norbert Wiener, le "papa"
de la cybernétique est revenu sur ses propos de jeunesse
de façon on ne peut plus claire, soulignant le danger des
interprétations abusives dont les lignes de cette page sont
un exemple classique de "remaché".
Soupir...il faut bien que jeunesse se fasse, comme disait l’autre...
Répondre
> Internet comme machine de guerre
23 octobre 2000, message de Grosse Fatigue
Mouais.
Internet, c’est surtout une machine à bientôt
faire du fric.
La guerre, c’est plus sale qu’un clavier.
Faut pas abuser des citations de Debord, car, comme son nom l’indique
("Deux Bords"), on peut bien lui faire dire ce que l’on
veut, et les Situs se récupèrent facilement... De
Baudrillard à la Nouvelle Droite en passant par les publicistes
débiles (sic) à la Beigbeder...
GF
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